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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Marie José MONDZAIN, avril 1999

De l’économie du salut au salut de l’économie

Quelle théologie et quelle économie pour penser la paix ?

Le terme « économie de salut » est utilisé en théologie pour désigner le plan d’incarnation de Dieu sur terre. Dieu se fait homme dans la figure de Jésus et accomplit ainsi son plan de salut. Mais ce plan de salut reste marqué par un acte d’extrême violence, avec la mort en croix de Jésus. Cette mort en croix et sa résurrection constituent le fondement de la foi chrétienne. Si la vie de Jésus est traversée par la violence jusqu’à sa mise à mort, sa résurrection reste pourtant associée à la promesse de paix. En effet, les récits évangéliques sur les apparitions de Jésus ressuscité le font souvent dire : « la paix soit avec vous ». « L’économie de salut » reste donc scellée par cette expérience de violence et paix.

Mais pourquoi utilise-t-on le terme d’« économie » ? Il semble que la signification donnée à ce terme dans le cadre théologique, est associé au premier usage du terme grec « oikonomia » qui désignait l’administration et la gestion de la vie domestique. La théologie a donc extrapolé cette notion pour parler de la façon dont Dieu administre et gère « sa maison », c’est-à-dire le monde. Pour bien le gérer et l’orienter, c’est-à-dire pour le sauver, Dieu décide avant tout de l’habiter, de le traverser, et c’est pourquoi son « économie de salut » correspond à son « plan d’incarnation ». Le terme d’économie restera ainsi lié dans le domaine théologique aux relations entre Dieu et l’histoire humaine, entre son plan de salut et son efficacité historique, entre son projet de ‘paix’ et la ‘violence’ qui caractérise la vie sur terre.

Le terme d’économie sera repris et encore plus précisé dans le domaine théologique lors de la crise iconoclaste du VIIIème siècle (M. J. Mondzain, « Image, icône, économie »). Il sera alors utilisé pour l’articulation entre l’icône et ce qu’elle représente, c’est-à-dire son modèle divin ; autrement dit, la relation entre l’image visible et l’image invisible, ou encore entre la réalité historique concrète et la transcendance. Le terme d’économie acquiert à travers sa relation avec l’image iconique, un statut relationnel et dynamique, car il désigne la circulation entre le profane et le sacré, le mouvement entre l’immanent et le transcendant. Quand la circulation se paralyse et le mouvement s’arrête, l’image invisible reste fixée et assimilée à l’image visible, le modèle se confond avec l’objet qui le représente. A ce moment-là l’icône devient idole, et l’économie perd son caractère dynamique et relationnel.

Ce risque toujours présent dans l’image iconique, de devenir une image idolâtrique, révèle toute l’ambiguïté de l’« économie de salut » : c’est un projet de salut, et donc de paix, qui risque à tout moment de devenir un projet de mort, qui ne véhicule que de la violence. Et malheureusement les exemples aujourd’hui sont nombreux pour illustrer les morts les plus atroces faites au nom du salut divin.

Ces catégories de relation iconique et de relation idolâtrique associées à la notion d’« économie de salut » pourraient peut-être nous aider à penser cette frontière vacillante et glissante entre la vie et la mort, entre la paix et la violence, qui se trouve au coeur même du projet de salut religieux. Si bien nous avons ici parlé exclusivement de la religion chrétienne, nous pensons que l’ambivalence entre la vie et la mort, entre la violence et la paix, entre le salut divin et le tragique de l’histoire, traverse toutes les religions, car elle est inhérente à la logique du sacré.

Mais au-delà du domaine religieux et théologique, cette approche de l’économie associée aux notions de salut et d’icône, interroge aussi le domaine économique proprement dit. La science économique est aujourd’hui considérée plutôt comme une science « dure », du type des sciences de la nature, que comme une science « molle », du type science sociale. Et pourtant, elle relève d’un type de relations humaines, qui sont constitutives et centrales dans nos sociétés contemporaines, à savoir les relations économiques. Que ce soit par le travail ou par le commerce, nos vies sont régulées et organisées autour des relations économiques. Peut-être que l’« économie de salut » pourrait aider la science économique à retrouver du mouvement et de la communication dans des relations économiques souvent prises de façon trop déterministe et causaliste. Peut-être que l’« économie de salut » pourrait aider la science économique à penser la violence et la paix au sein des rapports économiques.

Commentaire

Cet aperçu de la notion d’« économie de salut » est trop sommaire mais il suffit à poser des questions essentielles à la théologie et à l’économie. Comment la théologie pense l’ambivalence entre violence et paix qui traverse et identifie le rapport entre l’humain et le sacré, entre l’histoire et la transcendance ? Comment l’économie pense l’ambivalence entre la violence et la paix qui traverse et identifie les relations économiques de notre vie quotidienne ?

Notes

  • Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur « Religion et Paix », La Haye, mai 1999.