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, Guatemala, 2007

Entretien avec M. Gabriel AGUILERA

Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).

Irenees :

Pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?

Gabriel Aguilera :

Je suis politologue, spécialisé dans les questions de sécurité et de résolution de conflits. J’ai partagé ma vie académique avec la fonction publique. En cette qualité, j’ai été Secrétaire Présidentiel de la Paix au Guatemala. J’ai aussi travaillé en tant que sous-directeur d’un programme de l’OEA pour l’Amérique Centrale, dont le rôle est de promouvoir des actions conjointes de l’Etat et de la société civile pour la prévention de conflits.

Irenees :

L’Amérique Centrale a vécu une période de conflits armés extrêmement forts entre 1970 et 1990. Comment expliquez-vous les conflits centre-américains, et surtout, la fin de ces conflits au moyen de la signature des accords de paix ?

Gabriel Aguilera :

Sur un mode interne, ces conflits armés sont apparus à cause de l’existence, dans plusieurs pays de la région, de gouvernements autoritaires qui violaient les droits de l’homme, en plus de l’existence de mauvaises conditions sociales. D’autre part, certaines idéologies de l’époque acceptaient l’usage de la violence comme un moyen pour le changement social. Etant donné qu’on était encore en période de Guerre Froide, ces conflits se sont mis en relation avec la lutte des superpuissances, ce qui a également contribué à les aggraver.

Irenees :

Quelles sont, d’après vous, les différences entre “conflit” et conflictualité” ?

Gabriel Aguilera :

La conflictualité est une caractéristique de toute société. Il existe toujours des différences et des tensions entre les différents acteurs sociaux lorsque des intérêts différents s’opposent. Mais tout conflit n’est pas destructif. Si un conflit est correctement orienté, il peut même être positif : par exemple, il peut provoquer des réformes. La conflictualité en tant que caractéristique des sociétés ne peut disparaître. Le conflit est un contentieux concret. C’est ce que nous pouvons travailler au moyen des techniques de résolution de conflits pour en chercher la résolution. Eventuellement, il peut disparaître ou se transformer.

Irenees :

Quelles ont été, d’après vous, les caractéristiques principales du processus de paix guatémaltèque ?

Gabriel Aguilera :

Son envergure. Dans le calendrier des négociations, on a intégré non seulement des thèmes en relation avec la fin du conflit armé, mais également qui concernaient la réforme structurelle de la société. La logique était d’éliminer les causes qui avaient été à l’origine de la guerre.

Irenees :

Quels sont, d’après vous, les éléments les plus importants pour…

Gabriel Aguilera :

Il est fondamental que les parties en arrivent à la conviction qu’il n’y a pas d‘alternative à la paix, c’est à dire, qu’elles soient convaincues qu’il n’y ait pas de possibilité d’obtenir de victoire militaire, ou que le coût de cette dernière serait plus élevé que le fait de céder des positions pour obtenir une solution négociée.

En ce sens, le rôle des acteurs externes est très important pour exercer de l’influence sur les parties, en les stimulant pour qu’elles arrivent à de bons points d’entente.

Irenees :

Les Accords de Paix du Guatemala ont été signés en 1996. Quels sont, d’après vous, les avancées réelles dans la construction d’une société plus pacifique au Guatemala ? Et quels sont les défis prioritaires pour construire la paix ?

Gabriel Aguilera :

Parmi les principales avancées, on trouve bien entendu la fin des affrontements armés, la réintégration très satisfaisante de la guérilla à la vie civile, la démilitarisation, la consolidation de la démocratie, la reconnaissance des droits des peuples indigènes et la réforme de l’Etat.

Les défis sont en relation avec le fait qu’on n’ait pas réussi à atteindre un niveau de développement social suffisant, ce qui fait que la majorité de la population vit encore dans la pauvreté et que l’augmentation de la violence criminelle affecte profondément la vie quotidienne. Ces deux maux empêchent la consolidation d’une culture de paix.

Irenees :

D’après vous, quels sont les défis prioritaires pour construire la paix après un conflit armé ou une guerre ?

Gabriel Aguilera :

Il faut essayer d’avancer dans l’accomplissement des engagements aussi vite que possible, pour tirer profit de l’ambiance d’optimisme et d’entente qui entoure habituellement un accord de paix, mais qui généralement s’estompe avec le temps. De même, le soutien international est très fort au début, et peut s’affaiblir avec le temps. Il faut également que les engagements pris par les parties soient réalistes.

Irenees :

Vous mettez beaucoup en relation la sécurité, la démocratie et la paix : pourquoi ?

Gabriel Aguilera :

Le problème est que sans sécurité, la démocratie et la paix ne peuvent se consolider. La sécurité est une condition indispensable pour vivre en société. Son absence génère des tendances à l’autoritarisme et à l’idée, constatée par les enquêtes, qu’on serait prêt à abandonner la démocratie pour obtenir la sécurité.

Irenees :

Quelles seraient, pour vous, les prochaines scènes probables de conflits en Amérique Centrale?

Gabriel Aguilera :

Fort heureusement, il n’y a pas de conflits inter-états. Mais l’augmentation démesurée du crime organisé dans les pays du nord de l’Amérique Centrale menace de créer des conditions de “faillite d’Etat”. L’urgence de la lutte contre la délinquance peut occulter l’autre grande nécessité que représente la lutte contre la pauvreté et l’action pour le développement social.

Irenees :

Quels sont les principes théoriques qui sont les vôtres en matière de construction de la paix ? Face aux uns qui affirment la nécessité de “supprimer les causes” des conflits et aux autres qui affirment la nécessité de la “gestion” des conflits, vous préférez la théorie de la “transformation de la conflictualité”, de John Lederach : pourquoi ?

Gabriel Aguilera :

J’ai déjà répondu à cette question. Je ne m’imagine pas une société totalement exempte de conflits. Je ne crois pas que cela ait déjà existé historiquement. Mais on peut influer sur un conflit pour le transformer. Dans des cas concrets, il est possible de mettre fin à un conflit. Par exemple, une bonne négociation entre les parties d’un contentieux social peut faire évoluer les choses vers un accord total, ce qui fait disparaître le conflit. Mais d’autres conflits apparaîtront, car il en va ainsi de la nature humaine. Même dans les pays qui ont le meilleur niveau de vie du monde, comme les pays scandinaves, il y a des conflits.

Irenees :

Les imaginaires élaborés pendant et pour la guerre ont été extrêmement efficaces. Comment, selon vous, élaborer des imaginaires pour la paix ?

Gabriel Aguilera :

Les imaginaires, comme leur nom l’indique, sont le fait de s’efforcer à imaginer des ordres sociaux meilleurs que ceux en cours au moment présent. On peut, par exemple, imaginer une société imprégnée de la culture de paix. Bien qu’on cherche à les atteindre, il ne faut pas attendre que la réalité devienne un Imaginaire total ; mais ce sont des modèles pour notre action.

Irenees:

Qu’est-ce que la paix pour vous ?

Gabriel Aguilera :

Un état de vie commune des hommes où la violence est réduite au minimum, et dans lequel la réaction face à n’importe quel type de conflit se concrétise dans la recherche d’une solution négociée.

Notas

  • Interview traduite de l’espagnol par le réseau de traducteurs de Sembradores de Paz.

Traduccion