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, Paris, March 2006

Rithy Panh, cinéaste cambodgien

La mémoire, les images et la paix

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Le Monde du 11 février 2004 a écrit que la sortie du film de Rithy Panh « S 21, la machine de mort khmère rouge » est un événement comme le fut Shoah de Claude Lanzmann ; « C’est la première fois que sont confrontés les victimes et les bourreaux du régime de terreur que firent régner les Khmers rouges, au Cambodge, de 1975 à 1979. Deux millions de Cambodgiens ont alors été assassinés. 17000 d’entre eux ont été torturés puis exécutés dans un lycée de Phnom Penh, S 21 » .

Le réalisateur fait témoigner deux des trois survivants du S 21 et des tortionnaires à qui il demande de refaire les trajets et les gestes. Rithy Panh a pu mesurer l’impact de son film à Phnom Penh : « C’est un bon début dans un pays où chacun écrit l’histoire à sa manière » . Ancien réfugié, Rithy Panh poursuit son travail de reconstruction personnelle en même temps que sa contribution à la reconstruction humaine du Cambodge : « … tous ces gens qui sont morts sont constamment avec moi. Ils nous envoient des messages de dignité, de résistance pour certains. On vient trente ans après ; on est des passeurs. Là on se sent à sa place » .

 

Richard Pétris : S 21 était votre 12e film. Ce documentaire est exceptionnel et bouleversant ; quelle place, quel rôle lui attribuez vous dans votre travail et votre vie ?

Rithy Panh : J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’à S 21 j’étais plus impressionné par les absents et que j’ai fait ça pour eux. Il était important que les actes des bourreaux soient décrits par eux-mêmes dans l’espace où ils ont eu lieu et cela me permet de faire le travail de deuil, car la vie je la dois à tous ces morts. Cinéaste, je dois transmettre aux générations suivantes la dignité et le courage de chacune de ces victimes. Trente ans après, je cherche toujours à comprendre comment des hommes ont pu devenir ainsi des tortionnaires. Et il est très important de juger ces responsables qui se terrent et se taisent pour restaurer un état de droit. J’ai l’espoir de pouvoir filmer le procès des dirigeants khmers rouges. Il devrait avoir lieu l’année prochaine et je voudrais l’accompagner d’un travail pédagogique sur la mémoire ; renouer avec la parole et le dialogue. En utilisant le film au Cambodge à cette fin, à ce moment là, mais aussi en produisant des documents sur le procès et en s’intéressant aux réactions de la population par rapport à celui-ci. D’ailleurs, je voudrais réaliser un colloque, au préalable, sur la façon dont ont été montrés les grands procès politiques ; comparer Nuremberg, le procès d’Eichman, de Barbie (excellent ! ), La Haye sur la Yougoslavie, de Saddam Husein (une catastrophe ! ).

Richard Pétris : Vous avez voulu créer un centre pour faire ce lien entre les images, les sons et la mémoire.

Rithy Panh : En effet, le témoignage des images et des sons constitue un outil précieux pour aider les nouvelles générations à retrouver leur culture et leur histoire. C’est pourquoi le Centre de ressources audiovisuelles du Cambodge qui ouvrira cet automne aura deux fonctions complémentaires :

  • espace de mémoire pour retrouver la trace d’une culture et d’un patrimoine précieux, fondements de l’identité du peuple cambodgien, susciter rencontres et réflexions et contribuer à la consolidation de la société civile,

  • formation aux métiers de l’audiovisuel pour développer une sensibilité artistique originale, favoriser un regard, une réflexion et une production documentaire de l’intérieur, et construire la mémoire au quotidien.

Plus généralement, la sauvegarde des images du Sud est un enjeu de diversité culturelle. Dans un colloque, l’année dernière, à l’occasion du Festival de Cannes, j’ai souligné que la préservation des archives est aussi un acte politique fort car l’absence de travail sur la mémoire d’un peuple ouvre la porte à toutes les impunités. Connaître son histoire permet de fortifier la démocratie et de se défendre soi-même. Les pays d’après la colonisation ne s’en sortent pas parce qu’on ne les a pas aidé à retrouver leur mémoire. Effacer les dettes des pays du Sud, c’est bien, mais les aider à reconstituer leur mémoire, c’est essentiel. Ce sera donc le rôle du centre Hanuman et si c’est possible au Cambodge, ce doit être possible ailleurs. En plus, cette activité va générer des échanges de techniques, de points de vues et de savoir faire et c’est pour cela qu’il est intéressant de développer des partenariats.

Richard Pétris : Vous insistez beaucoup sur la place de la culture et sur l’importance de la diversité culturelle ; une condition pour vivre ensemble. Que pensez-vous du concept de culture de paix précisément ?

Rithy Panh : Je dois dire que si j’ai été séduit au début, je suis un peu méfiant aujourd’hui, car il y a eu beaucoup de belles paroles mais pas tellement de choses concrètes. Dans « culture de la paix » , le mot qui est important pour moi c’est le mot culture. Depuis l’origine des temps on s’est toujours battu contre la barbarie, mais si l’on parle d’une « école de la paix » , davantage qu’enseigner, il faut rendre une identité. Il faut être concret et développer le sens profond des responsabilités. C’est pour cela que je préfère parler, comme le fait Paul Ricoeur, de travail plutôt que de devoir de mémoire. Et si nous avons choisi le nom d’Hanuman pour notre centre c’est pour faire référence, dans notre tradition, à l’image de ce roi des singes qui était, à la fois, fidèle et efficace, rapide et pacifique. Nous devrons relever un défi technologique pour le traitement des images et leur indexation, mais cette rencontre entre la technologie et la civilisation, en quelque sorte, c’est bien la preuve que la technologie peut être mise au service de l’humain et là on peut parler de progrès. C’est peut-être comme cela qu’il faut entendre le fameux avertissement de Malraux lorsqu’il affirmait que le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas !