Fiche de témoignage Dossier : La médiation : une nouvelle réponse aux conflits ?

Montargis, février 2007

Entretien avec Yazid Kherfi, consultant en prévention urbaine.

Agir autrement face à la violence.

Mots clefs : Education à la non-violence | Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation

Yazid Kherfi est consultant en prévention urbaine, formateur pour les services publics et chargé de cours à l’université Paris X Nanterre. Il accompagne et sensibilise les acteurs aux phénomènes de violences et d’incivilités. Dans une démarche de développement social local, il aide à analyser les situations et à améliorer les pratiques professionnelles. Il anime des temps de débats avec les habitants des quartiers et notamment les jeunes, au sein des établissements scolaires et dans les maisons d’arrêt.

NVA :

Exemple d’intervention sur la thématique « Agir autrement face à la violence ».

Yazid Kherfi :

A la demande d’une municipalité ou d’une institution confrontée aux problèmes de violence, on me sollicite pour les aider à comprendre ce qui se passe puis de leur proposer des préconisations.

Dans un premier temps, j’essaie de comprendre ce qui se passe, aussi, je commence par m’entretenir aussi bien avec les habitants et les jeunes y compris ceux qui causent des problèmes puis dans un second temps, je m’entretiens avec les acteurs de la ville (élus, travailleurs sociaux, policiers, enseignants, bailleurs). Je tente de comprendre la logique des jeunes et pourquoi ils se comportent ainsi et l’attitude des acteurs dans leur façon de travailler et de gérer, ou pas, les situations difficiles.

Dans un second temps, j’aide les acteurs à mieux comprendre les raisons de la violence et mettre à jour leurs propres difficultés et parfois leurs incohérences dans la façon d’agir ou de ne pas agir face aux situations problématiques.

Dans un troisième temps, en faisant travailler ensemble les différents partenaires nous recherchons des pistes de solutions y compris dans la rencontre, parfois conflictuelle, avec les habitants et ceux qui les mettent en difficulté.

L’important c’est de mettre tout cela dans une dynamique de travail en commun et que tous puissent retrouver du plaisir à agir ensemble.

Ce travail peut se faire s’il y a sur la ville une vraie volonté d’aller de l’avant et de s’interroger sur leur façon d’agir.

NVA :

Quel est ton sentiment sur la situation dans les quartiers un an après l’explosion de violences ?

Yazid Kherfi :

La situation a peu évolué. Certaines situations se sont même aggravées. La rupture entre ces zones urbaines sensibles et le reste des villes s’est agrandie.}} Les rapports jeunes/police sont particulièrement problématiques, le chômage et l’échec scolaire continuent à augmenter. Les zones urbaines sensibles (ZUS) concentrent les situations de précarité et les processus d’exclusion. On peut donc comprendre, sans bien sûr justifier, que ce sont principalement les quartiers les plus pauvres de nombreuses communes qui ont connu en novembre 2005 ces violences collectives. La situation de crise urbaine étant bien installée, il va sans dire que la situation reste particulièrement préoccupante.

NVA :

Avec ACLEFEU et ses cahiers de doléances, n’y a-t-il pas l’émergence de revendications ?

Yazid Kherfi :

L’initiative est intéressante malheureusement je crains que ce soit de nouveau une action éphémère qui ne tiendra guère dans le temps. Je regrette que ces initiateurs ne se sont pas appuyées sur les réseaux militants existant depuis de nombreuses années et qui ont de nombreux réseaux notamment au sein des quartiers populaires, des compétences et de grandes expériences des luttes citoyennes comme le MIB, les Motivées, les JMF, Diversité… (1). Tout le monde peut avoir un rôle de médiateur, c’est une question de volonté, de motivation, et d’accord entre les uns et les autres. Je pense que c’est en se regroupant et en agissant ensemble qu’on arrivera à faire évoluer cette société : habitants, associations, institutions…

NVA :

Parmi les institutions qui sont en première ligne, il y a la police. Comment analyses-tu ses difficultés à entrer en contact avec les jeunes ?

Yazid Kherfi :

Le problème est structurel. Les policiers sont mal formés, inexpérimentés, mal encadrés et peut-être trop jeunes. La majorité de ces policiers issus de la province ne connaît pas ces quartiers, n’apprécie pas non plus d’y être affectée et bien sûr demande à 80% leur mutation. À partir de là, on comprend le peu de motivation à établir des liens durables avec la population et à s’y investir pleinement. C’est donc la souffrance des jeunes des quartiers face à la souffrance des policiers, d’où des relations particulièrement conflictuelles.

NVA :

Comment combler cet énorme fossé entre les jeunes et la police ?

Yazid Kherfi :

Il faut revoir la formation des policiers, proposer l’organisation de rencontres régulières entre jeunes, acteurs et policiers, assurer un meilleur encadrement des policiers sur le terrain, par des policiers plus expérimentés, plus âgés. Il faut aussi rétablir une police de proximité, mais bien formée avec des moyens conséquents. La police de proximité est un excellent concept à condition qu’on y mette les moyens, que la formation soit d’un très bon niveau, bien encadrée, avec des policiers qui aiment leur travail, qui connaissent leur territoire, et qui aiment ces habitants.

Les violences et les provocations policières doivent cesser. Habitants et policiers doivent scrupuleusement respecter les règles du vivre ensemble. Le respect doit être mutuel. Les policiers doivent respecter scrupuleusement leur code de déontologie et en cas de faute la sanction doit tomber. Il va de soi que du côté des habitants tout délit mérite une sanction. La justice doit être égale pour tous si l’on veut que le respect soit mutuel. Devant la justice, la parole d’un jeune de quartier doit être au même niveau que la parole d’un policier. Personne n’est au-dessus des lois.

NVA :

La médiation peut-elle être une solution ?

Yazid Kherfi :

La solution ne peut venir que de la transformation de la violence en conflit, avec acceptation des débats, même conflictuels, entre les uns et les autres. Sortir de la violence passe forcément par le dialogue. C’est l’apprentissage de la démocratie. Il s’agit de réapprendre à vivre ensemble. Et la médiation peut y aider. Mon travail de consultant en prévention urbaine est avant tout d’apporter de l’espoir. D’aider les uns et les autres à se comprendre, à se parler et de trouver ensemble des pistes de solutions.

Ça passe par la transformation des institutions et le changement des mentalités. Le pouvoir, c’est de parler, de prendre la parole, de se faire entendre et de passer des messages. À force de persuasion, les portes s’ouvriront, l’écoute sera plus attentive. Mon travail consiste à mettre tout cela en mouvement. Ça marche si nous arrivons les uns et les autres d’abord à nous remettre en cause, puis à changer notre façon de faire, si nécessaire.

NVA :

Les jeunes des quartiers ont-ils l’envie de s’impliquer aujourd’hui dans la recherche de solutions ?

Yazid Kherfi :

Beaucoup sont dans la résignation, ils ne croient plus en rien. Le travail est énorme, mais il ne faut surtout pas se mettre dans une situation d’impuissance. Nous avons tous un pouvoir de changer les choses. C’est à nous tous de faire un pas vers l’autre et d’apporter cet espoir d’un monde meilleur. Je suis moi-même profondément optimiste, même si le climat préélectoral risque de compliquer les choses. La sécurité, la violence, l’immigration, les jeunes, les zones urbaines sensibles seront de nouveau au cœur de la campagne électorale. Les causes risquent d’être balayées pour ne voir que les symptômes. De plus, en période électorale beaucoup de politiques n’engageront pas de grandes actions et ne prendront pas de risque par peur d’échouer, alors que l’urgence est là.

Propos recueillis par Guy Boubault, membre du conseil d’administration et rédacteur de Non-Violence Actualité.

Commentaire

Le problème des banlieues ne peut pas être résolu avec seulement la force. Un dialogue doit être établi dans un climat de respect et d’écoute. Il s’agit d’un travail de longue haleine où les institutions, les citoyens, la police et les jeunes doivent être amenées à travailler ensemble.

Notes

  • Yazid Kherfi est l’auteur, avec Véronique Le Goaziou, de « Repris de justesse » - Ed. La Découverte, 2000 et Co-auteur du livre « Quand les banlieues brûlent » Ed. la découverte, 2006. Il est président de « Pouvoir d’Agir », association créée en 2003 pour promouvoir la démocratie locale et une véritable citoyenneté active, notamment en favorisant la parole et l’écoute de chacun. Pouvoir d’Agir, 5 bis rue de Tlemcen, 75020 Paris. Tél. 01 40 33 27 77. kherfi@aol.com - Site : www.yazidkherfi.com

  • (1) Mouvement de l’immigration et des banlieues, 45 rue d’Aubervilliers 75019 Paris

Les Motivé-e-s, 27 rue des Lois, 31000 Toulouse. Tél. 05 62 27 62 83.

Jeunes Musulmans de France, 10 bd Pasteur, 42100 Saint-Etienne. Tél. 06 13 49 57 80.

Diversité, centre pour l’égalité des chances et contre le racisme : www.diversite.be