Fiche d’expérience Dossier : Bâtir un réseau de citoyens soutenant des initiatives locales de construction de paix.

, Bruxelles, janvier 2005

Des enfants israéliens se mettent à la place d’enfants palestiniens

Extrait d’un article paru dans Haaretz le 13 janvier 2005, les enfants expriment leurs préjugés mais aussi leurs émotions, leurs souffrances et leurs espoirs

Mots clefs : Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Elaboration et utilisation du symbolique | Conflit israélo-palestinien | Analyser des conflits du point de vue culturel | Citoyens israéliens pour la paix | Résister civilement et pacifiquement à la guerre | Palestine | Israël

Au cours de l’hiver 2003, Assi Sharabi, jeune étudiant en psychologie sociale pour la London School of Economics a demandé à des élèves de 6ème d’écoles israéliennes : « imaginez quelques instants que vous êtes des enfants palestiniens, écrivez ce que vous pensez des Israéliens et du conflit, et dites quelle devrait être selon vous la solution ».

123 élèves issus de trois écoles (une école d’une grande ville, une autre d’une colonie des territoires occupés, et la dernière d’un kibboutz) lui ont offert, fait assez rare, l’image de l’Arabe vu par un élève israélien juif.

« Les enfants, comme de nombreux adultes, ont des difficultés à considérer la réalité à partir du point de vue de l’autre », dit Assi Sharabi. Les rédactions et les dessins ont servi aux enfants à exprimer leurs émotions et leurs opinions de l’autre. Ils expriment aussi des stéréotypes auxquels contribuent médias, parents, enseignants et même livres scolaires.

La plupart des contributions des enfants de la ville et des enfants des colonies sont remplies de descriptions de gens cruels qui ne pensent qu’à une chose : massacrer des Israéliens. Le Palestinien est décrit comme un terroriste assoiffé de sang. Pour ces enfants, la violence palestinienne apparaît comme une caractéristique fondamentale et immuable ; ce sont des gens cruels, irrationnels et violents, poussés par une haine aveugle d’Israël.

Pour Sharabi, le résultat le plus important de son étude est que les enfants israéliens sont pris au piège dans une série de noeuds émotionnels et de conflits cognitifs. Il y a un sentiment de culpabilité par rapport aux actions d’Israël dans les territoires ; il y a un immense désir de paix et de sérénité, mélangé à une absence de croyance en la possibilité que cet espoir se réalise ; il y a en même temps une délégitimation de la violence palestinienne, et une légitimation de cette même violence en décrivant ces Palestiniens comme victimes des Israéliens, ou de la situation qu’ils vivent.

Sharabi a identifié trois facteurs qui servent aux enfants à comprendre et à justifier les actes de terrorisme : le conflit territorial, la pauvreté et le désespoir, et l’atteinte portée à leurs droits. « J’ai tellement peur tout le temps que l’armée israélienne vienne dans notre maison ou la démolisse », écrit un garçon de la ville, au nom d’un enfant palestinien. « Il y a toujours le couvre-feu ici, et ma mère pleure parce que mes frères la rendent folle, et mon père est déprimé."

Un autre motif récurrent concernant la facette humaine des Palestiniens, qui trouve probablement sa source dans les médias, est l’histoire d’un enfant palestinien dont la famille l’a poussé dans le rôle du kamikaze. « Mes parents m’ont envoyé commettre un attentat suicide en Israël », écrit un autre élève de la ville. « Ils m’ont donné une ceinture d’explosifs. Je ne comprends pas comment ils s’attendent à ce que je rentre à la maison si la ceinture explose sur moi. Je ne sais pas comment cela va aider mes parents si leur fils meurt. Je pensais que pour mes parents, ma vie était plus importante que tout ».

Bien que les enfants du kibboutz montrent une tendance moindre à nier la légitimité de leurs voisins, et le font indirectement et avec davantage de délicatesse, eux aussi, comme les autres, supposent que les Palestiniens ne sont pas intéressés par le changement. « Ma famille et moi sommes pour la paix », écrit une fillette du kibboutz au nom d’une fillette palestinienne, « mais nous n’arrivons pas à convaincre tous les Palestiniens. Parfois, des amis viennent à la maison pour discuter, et je m’énerve, et je veux crier et dire aux amis de mes parents : ‘non !!! Ce n’est pas une solution de dire du mal des Israéliens’, et ils ne disent pas un mot sur la solution du conflit."

Pour de nombreux enfants des trois groupes, la Bible sert de puissante source de mythes et de symboles. Un garçon du kibboutz écrit au nom d’un enfant palestinien : « nous pensons qu’Israël nous a pris notre terre, et ils pensent qu’elle est à eux parce qu’à l’époque de la Bible, la terre a été donnée par Dieu à Abraham ». Et de façon générale, les rédactions indiquent une perception fataliste de la réalité, qu’il est impossible de changer; « Je pense que ce conflit durera toujours », écrit un garçon de la ville, et un autre du kibboutz : « Je voudrais la paix, mais je regrette de devoir dire qu’à mon avis, cela n’arrivera pas ».

Ces enfants blâment moins l’un des côtés qu’ils n’expriment du désespoir et de l’impuissance. D’autres enfants blâment les Palestiniens pour avoir mis en pièces leur rêve de paix. « Ils ne comprennent pas que nous ne céderons jamais. Nous avons un seul but : un Etat palestinien à la place de l’Etat d’Israël », écrit un enfant de la ville. Une fillette du kibboutz oublie la règle du jeu et se dévoile : « Je pense qu’autour d’Israël, il y a beaucoup de pays arabes, et que les Arabes pourraient aller dans l’un de ces pays alentour, et qu’ainsi ils pourraient nous épargner la guerre, les batailles, les conflits et tout », écrit-elle, entièrement en son nom, et elle ajoute : « Il faut absolument arriver à un accord, et je ne comprends pas pourquoi eux et nous ne nous accordons pas pour sacrifier deux ou trois choses, et ainsi nous pourrions vivre ensemble. Il faut voir le verre comme à moitié plein, et sinon, verser le verre à moitié vide dans un verre plus petit, comme cela il serait tout à fait plein ».

Commentaire

Partir des représentations que l’on se fait de l’autre est un point de départ pour découvrir petit à petit qui est cet « autre ». Cela nécessite un accompagnement qui ne semble pas avoir été prévu par l’étude et qu’il est intéressant d’envisager si cette expérience est reprise dans le cadre de programme d’ouverture interculturelle.

Notes

  • Source : www.haaretz.com, 13 janvier 2005 « Mille mots de haine par l’image » par Akiva Eldar