Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Jean Marichez, Grenoble, 1995

La défense par actions civiles

Un nouveau mode de défense, selon Gene Sharp.

Mots clefs : Dialogue social pour construire la paix | Organisations citoyennes et leaders pour la paix | Prévenir des conflits

Gene Sharp, dans son livre, nous explique un nouveau mode de défense, la Défense par Actions Civiles. Il peut paraître étonnant alors que des peuples se défendent depuis des millénaires, de parler d’une méthode que nous ne connaîtrions pas encore. En fait elle n’est pas tout à fait inconnue, elle existe déjà. Mieux encore, elle est souvent appliquée, parfois avec succès, parfois sans. Cependant elle a été la plupart du temps appliquée de manière spontanée, empirique et sans préparation. Lui donner ses lettres de noblesse, c’est à dire l’identifier en tant que méthode, étudier les applications passées, analyser les causes d’échec et de réussite, repérer des constantes, passer à la recherche fondamentale sur les conflits, la nature des pouvoirs et de la démocratie, prendre du recul sur tout cela pour en dégager les points clés, proposer pour finir une véritable stratégie de défense nationale, et conseiller des gouvernements dans ce but, tel est le travail de Gene Sharp et de son équipe de recherche.

Le livre affirme d’abord la nécessité d’une défense, d’une politique de sécurité et d’un système d’armements. Il ne refuse pas les moyens militaires mais présente la DAC comme système qui, au fil de la lecture, nous apparaît plus performant à de nombreux points de vue : efficacité, atteinte des objectifs, dissuasion, non destruction, renforcement de la démocratie et de institutions.

Donnons-en les grands traits :

Il s’agit d’une politique destinée à décourager et à mettre en échec des invasions ou occupations militaires étrangères ou des coups d’Etat interne.

C’est une défense menée par les civils utilisant des moyens de lutte civile (et non militaires ou paramilitaires). C’est l’expression d’une majorité de la population. Les autorités, les institutions et organisations sociales sont particulièrement mises à contribution. Cela concerne aussi les associations, les entreprises, les syndicats, les communes, etc.

La dissuasion et la défense contre les agressions s’appuient sur des méthodes sociales, économiques, politiques et psychologiques. Il s’agit de non-coopération à grande échelle et de contestation massive de la population. Le but est d’empêcher l’agresseur d’atteindre ses objectifs qui peuvent être d’ordre économique, idéologique, politique ou autre. Il est aussi de dissoudre son pouvoir, qu’il ait la forme d’une administration étrangère, d’un régime fantoche ou d’un gouvernement d’usurpateurs. D’autres formes d’actions s’y ajoutent en vue d’ébranler la loyauté des troupes et des fonctionnaires de l’agresseur, à les pousser à ne pas exécuter les ordres et la répression, voire à les amener à se révolter.

La DAC est l’application sous une forme affinée et développée, de la technique générale de l’action ou de la lutte non violente, adaptée aux problèmes de défense nationale. Bien que non violents, les moyens employés sont des moyens de force. Ils visent à contraindre l’adversaire. La force s’exerce par l’intelligence et le bon sens dont est capable une population fortement motivée.

La population et les institutions sont capables de mener une DAC grâce à une préparation, une organisation et une formation préalables qui constituent des clés de réussite. Ces préparatifs s’appuient sur les résultats de recherches sur la résistance non-violente, sur des analyses politiques du système de l’agresseur et sur l’étude approfondie des points forts et points faibles des parties en conflit. Ils permettent d’établir de véritables stratégies.

La DAC repose sur l’idée suivante : le pouvoir politique dépend de sources internes propres à chaque société (par exemple : le nombre de compétences qui se mettent avec conviction au service d’un gouvernement, le nombre, la nature et la qualité des institutions qui apportent leur adhésion et leur soutien, l’image de ce pouvoir dans la population, la reconnaissance de ce pouvoir, la possession de moyens d’information, de moyens de pression etc.). Sharp a étudié ces sources de pouvoir de manière approfondie dans d’autres publications. Il a montré à quel point les gouvernants dépendent des gouvernés. Lorsque ces derniers refusent de reconnaître le pouvoir, refusent d’agir dans le sens demandé, ou refusent tout simplement leur aide, le pouvoir s’affaiblit, se désagrège et à la fin se dissout littéralement. Il est possible de faire exploser (ou imploser) les différentes sources du pouvoir afin d’anéantir une autorité. Cela s’est d’ailleurs souvent produit dans l’histoire : révolutions de 1989 dans les pays de l’Est, échec du coup d’Etat conservateur en URSS en 1991, chute de Marcos aux Philippines en 1986, etc.

Gene Sharp montre que la résistance collective est possible dans la plupart des cas. « La lutte non violente de masse existe » dit-il. « Elle est donc possible ».

Commentaire

« La guerre civilisée, la défense par actions civiles » est la traduction française du livre de référence de Gene Sharp « Civilian based defense » publié initialement aux Etats-Unis en 1990 et traduit et diffusé actuellement en dix langues à travers le monde entier. Gene Sharp, président d’honneur de la fondation Albert Einstein à Cambdrige (Etats-Unis), a été professeur de sciences politiques dans plusieurs universités américaines, il a créé un programme d’enseignement et de recherche sur les « sanctions non violente appliquées aux conflits et à la défense » à l’Université d’Harvard.

Son ouvrage, d’une grande rigueur scientifique et d’une grande qualité pédagogique, constitue actuellement la référence en matière de défense par actions civiles (DAC) pour les chercheurs, les hommes politiques, les responsables de la défense. L’auteur présente de nombreux cas historiques de résistance de masse. Dans une démonstration claire et rigoureuse, il en démonte le mécanisme, expliquant les causes de réussite ou d’échec. Il recommande alors les dispositions à prendre par les Etats et la société pour développer une étonnante puissance civile de défense. On découvre une stratégie de l’intelligence. Cette forme de combat qui se démarque de la guerre et du pacifisme permet à une nation qui s’est organisée à l’avance de faire plier sous la contrainte un adversaire plus puissant, plus armé et plus violent.

Cet ouvrage participera certainement à la relance de la réflexion en France sur les actions civiles en matière de défense nationale, réflexion précédemment engagée en 1986 par le livre « La dissuasion civile », publié par la Fondation des Etudes de Défense Nationale.