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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience

Paris, février 2003

Des exemples de construction de la paix dans la vie ordinaire au Rwanda

Il apparaît que l’instrumentalisation des divisions ethniques est orchestrée par les autorités administratives alors que les populations civiles hutu comme tutsi, victimes des violences, se connaissent et cherchent à vivre dans l’harmonie.

Après 1994, à l’Ouest du Rwanda, des jeunes tutsi rescapés du génocide se sont mariés à des jeunes filles hutu qu’ils connaissaient avant le génocide. Un membre influent de la famille s’est en est étonné et leur a demandé pourquoi ils avaient épousé des filles hutu alors que les Hutu avaient massacré leur famille. L’un des jeunes a répondu : « nous connaissons les familles de ces filles, nous avons partagé tout avant le génocide, nous avions les mêmes préoccupations et, en plus, s’il y avait un problème plus tard, nous savons à qui nous adresser pour la réconciliation » . Il avait ajouté : « on ne peut pas dire la même chose des filles tutsi venues du Congo ou d’ailleurs, parce que nous n’avons ni les mêmes préoccupations ni des repères communs.

Cette réponse pragmatique montre l’attitude des paysans, plus préoccupé par la coexistence pacifique et l’harmonie familiale que par les conflits politiques qui leur sont imposés. Le mariage est d’abord une alliance, une relation choisie entre familles avant d’être une union conjugale entre deux personnes. Il réunit des personnes issues des familles qui se connaissent et qui veulent consolider cette relation dans un mariage.

Cette connaissance mutuelle garantit la stabilité de l’union plus que l’appartenance à un groupe ethnique ou social. L’ethnicité apparaît plus comme un critère discriminatoire de l’appareil politique que comme un trait de l’identité des paysans. Ceux-ci, observant les réalités, constataient, d’une part, qu’ils étaient, sans distinction ethnique, plus ou moins pauvres et à la merci de plus riches dont la majorité était hutu, et d’autre part, que l’accès à l’enseignement était soigneusement, et ethniquement, protégé.

Dans la même période, au sud du Rwanda, un jeune homme hutu a voulu se marier avec une fille tutsi, une autorité administrative s’y est opposé. Le garçon a été accusé de génocide et placé sous mandat d’arrêt. On ignore sa situation actuelles. La fille n’a pas pu se marier. Ceci rappelle une histoire similaire dans les années soixante-dix, un jeune homme originaire du Nord du Rwanda a voulu épouser une fille tutsi. La famille, assez proche du pouvoir, s’y oppose. Comme le jeune homme insistait, la fille a été arrêtée et placée sous mandat d’arrêt dans la prison de Kigali, le jeune homme fut envoyé à l’étranger pour poursuivre ses études. Le mariage n’a jamais eu lieu.

Ces pratiques de discrimination basées sur l’ethnie ou l’appartenance sociale brisent les passerelles qui existent sur les collines et entretiennent une tension au sein de la société. Devant le choix à faire pour le bonheur de tous, se dresse le mur du sentiment de mépris des uns à l’égard des autres. En effet, plus le temps de cohabitation passait, plus ce sentiment de mépris allait croissant jusqu’à ce que tout pouvoir dominé par les Hutu soit boudé par les Tutsi et vice versa. Ainsi s’est installée la violence politique et la volonté d’anéantir l’autre, qui n’est plus vu dans son unicité comme personne humaine, mais dans son ethnocentricité comme ennemi. Rien de bon ne peut provenir de lui et comme il constitue une menace dangereuse à la survie, il est impérieux de l’éliminer. C’est pourquoi s’est installé un cycle de violence, une haine sans merci entre les tenants du pouvoir, alors que le peuple ne peut jamais en bénéficier.

Commentaire

Les divisions et les haines ne sont-elles pas souvent construites par ceux qui détiennent le pouvoir de gérer les symboles: les intellectuels, les autorités, etc.?

Pendant le génocide rwandais, des hommes et des femmes ont sauvé d’autres hommes et d’autres femmes. On en parle peu. Les uns l’ont fait par intérêt, d’autres par conviction de bien faire. Ces actes d’héroïsme individuel qui ont symboliquement racheté tout un peuple seront la pierre angulaire de l’édifice de la paix à bâtir. Il est malheureusement plus facile de mentionner des faits scandaleux que de reconnaître des actes de courage. C’est ainsi que lors du séminaire de réconciliation organisé en 1994, on avait recommandé de faire reconnaître par tous les moyens de communication, les hommes et les femmes qui, par leur courage et souvent au péril de leur propre vie, ont sauvé quelques innocents du génocide.

Notes

  • Revue Dialogue