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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de notion

, Grenoble, janvier 2012

Identité

Approche générale

L’identité pourrait être définie comme la reconnaissance d’un individu par lui-même et/ou par les autres. Pourtant une simple phrase ne saurait décrire avec justesse une notion aussi complexe que l’identité ; chaque terme exigeant un éclairage.

L’identité est une construction sociale que chaque individu développe, par une série de pratiques et de mécanismes, conscients ou non, dans un processus régulier et incessant. Tout événement de la vie nourrit ce processus.

Cette construction se structure et s’organise autour de la somme de :

  • ce qu’on dit qu’on est (et on ne dit pas la même chose en diverses circonstances et à ses différents interlocuteurs)

  • comment on est vu (c’est l’ascription, l’identité attribuée) : (et on n’est pas vu de la même façon par les différentes personnes qu’on cotoie, et en fonction des circonstances.)

Ce contenu, qu’on revendique et qu’on nous attribue, est conditionné par le faisceau relationnel de chaque individu et par les dynamiques qui font varier et fluctuer ce contenu mouvant. C’est pourquoi l’identité comporte une multitude de niveaux et de facettes qui ne doivent pas être perçues comme contradictoires ou incohérents car cette variabilité résulte du contexte dans lequel l’identité est énoncée ; elle est fluctuante et contextualisée. Sa cohérence provient de ce qu’elle concerne un seul et même individu (nous excluons ici le domaine psychologique lié aux cas de trouble de l’identité).

Quels paramètres construisent concrètement l’identité ?

  • un espace, un territoire comme un Etat, une région, un village, le quartier d’une ville, la rive d’un fleuve (par opposition à celle d’en face), le versant d’une montagne, etc.

Et ce sont les paramètres de la géographie voire de la géographie politique.

  • une langue, un plurilinguisme, un accent dans une langue

  • une religion ou une relation aux religions (athéisme)

  • la mémoire d’un passé, d’une expérience singulière

  • un patrimoine culturel, un héritage culturel

  • quantité d’autres marqueurs sont possibles

Ce sont les paramètres culturels.

  • une communauté de pensée ; une idéologie

  • les activités de loisirs ; les passes-temps ; les passions

  • les cercles de fréquentations ; les amitiés

  • etc.

Ce sont les paramètres sociaux.

  • Une situation socio-économique : la profession ou le secteur économique ; la classe sociale, etc.

Ce sont les paramètres économiques.

Cette typologie n’est bien sûr pas stricte ; les catégories de paramètre se chevauchent : certains paramètres culturels se confondent avec la géographie : on parle certaines langues dans certains espaces ; l’athéisme est une relation singulière aux religions mais peut également être considéré comme une idéologie ; les exemples pourraient ainsi être multipliés.

A cette typologie, qui se présente comme abusivement fixe, il faut ajouter des dynamiques et des relations :

  • une situation et un contexte : à qui je parle ? où ?

  • la relation que j’ai avec mon ou mes interlocuteurs : la connivence ; l’inconnu ; l’opposition ; la contestation ; le respect ; l’autorité etc.

Voilà seulement quelques exemples parmi une multitude de situations et de relations qui structurent nos identités.

Un exercice simple peut mettre en pratique cette analyse conceptuelle : il suffit de répondre à la question : « Qui je suis ? » dans diverses circonstance : à un nouveau voisin ; dans un pays étranger ; à une personne de mon âge avec qui visiblement je partage un passe-temps ou une passion ; à mon interlocuteur dans ma recherche d’emploi, de stage ; à un inconnu etc. Nous verrons que les réponses diffèrent grandement.

Pour une approche dynamique de l’identité

Cette analyse démonte que l’identité est une dynamique : c’est une réalité influencée par des contextes. C’est une dynamique par opposition à un acquis. Elle se construit dans une relation à l’autre, parfois risquée et difficile. Rencontrer l’autre, c’est prendre le risque d’exposer ses contradictions, d’affronter les siennes. L’identité, on la cherche chez l’autre, au-delà de soi, avec un bagage, celui que j’assume : l’éducation, ou encore l’origine (Claude Lévi-Strauss, sur le bricolage au sujet de l’identité, 1962).

« L’identité ne nous est pas donnée clé en main par l’histoire : il y a toujours ré-interprétation en fonction du besoin des acteurs dans le présent. » (Jean-Marie Tjibaou )

Identité et humanité

Claude Lévi-Strauss a posé la problématique del’ethnocentrisme selon laquelle l’« l’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie « les hommes », (ou parfois dirons-nous avec plus de discrétion, « les bons », « les excellents », « les complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus – ou même de la nature – humaines, ou sont tous au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou d’ « oeufs de poux » (L’identité, 1977).

En effet, « les sociétés primitives fixent les frontières de l’humanité aux limites du groupe tribal, en dehors duquel elles ne perçoivent plus que des étrangers, c’est-à-dire des sous-hommes, sales et grossiers, sinon même des non-hommes : bêtes dangereuses et fantômes. Cela est souvent vrai mais néglige que les classifications totémiques ont pour une de leurs fonctions essentielles celle de faire éclater cette fermeture du groupe sur lui-même et de promouvoir la notion approchée d’une humanité sans frontières. » (La pensée sauvage, 1962 : 220). Cette conception de l’ethnocentrisme selon Lévi-Strauss est une perception extrême de cette capacité de l’homme à présupposer que l’homme doit être à son image, ou n’est pas.

Le remède contre cette attitude consisterait à généraliser l’idée de la nature humaine et à proclamer une unité de l’homme et de ses valeurs. Mais le piège de l’ethnocentrisme guette si cette ambition « s’énonce à partir d’un lieu occidental où l’on croit à l’unification progressive de l’histoire, si elle consiste à définir le modèle d’une rationalité européenne comme un absolu ».

L’auteur poursuit encore que le pire pour une société humaine serait d’être seule ; il faut donc l’appeler à sortir des limites de son ethnocentrisme tout en reconnaissant qu’existe le risque d’ « homogénéisation des cultures dans l’horizon de l’identité ». Ainsi il identifie deux pôles de la problématique de l’identité : une « singularité déconnectée » et une « unité globalisante peu respectueuse des différences» (L’identité, 1977).

On peut dégager une unité ou de l’unité à l’échelle d’une société – quelle qu’elle soit – mais cette unité peut se dissoudre à moment donné, « à des degrés divers dans des ensembles qui restent le plus souvent insoupçonnés » (Claude Lévi-Strauss, 1971).

Identité nationale

Les dynamiques de l’identité nationale sont des constructions historiques sous haute influence politique. Elles peuvent être rangées en deux catégories : les dynamiques qui se fondent sur une conception ethnique de la nation. Ici ce sont les marqueurs identitaires qui définissent la nation, et ces constructions témoignent souvent de la domination politique d’un groupe sur un autre. Une autre conception relève de la « nation civique » telle que définie par Habermas, et elle s’appuie sur le patriotisme et l’attachement des citoyens à leur Etat, ses institutions, son projet politique et ses symboles.

Les constructions identitaires des Etats peuvent susciter des conflits internes : des pans de la population peuvent se sentir exclus ( les non-Arabes en Algérie ; les populations issus de l’immigration) ; l’histoire a pu être manipulée, distordue ou confisquée, ré-interprétée pour servir à moment donné les intérêts d’un pouvoir. Ces tensions ne viennent donc pas uniquement des manipulations de l’histoire : l’identité est une construction qui se fonde sur des mythes ; peu importe s’ils constituent la vérité historique ou pas. Leur fonction est d’être partagée pour jouer leur rôle de ciment d’un imaginaire collectif. Les manipulations historiques créent donc du conflit quand elles ne sont pas largement partagées et quand elles excluent. Ce type de conflit peut conduire à une situation de déficit de sentiment national. Ici, les identifications se font au niveau infra-étatique, soit sur une base religieuse, ethnique, clanique, politique, de classe etc. et on observe des dynamiques de fuite de l’identification à l’Etat, au bénéfice de dynamiques, de groupes et d’acteurs non étatiques.

Bibliographie

  • Barth, Fredrik, 1969, Ethnic groups and boundaries, Boston, Little, Brown and Company.

  • Lévi-Strauss, Claude, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1962

  • Lévi-Strauss, Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962

  • Lévi-Strauss, Claude, Mythologiques t. IV : L’Homme nu, Plon, 1971

  • Lévi-Strauss, Claude, L’identité, Paris, Quadrige, PUF, 1977

  • Tribune de Michel Wieviorka, in Télérama, 18 décembre 2008