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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Florence DA SILVA, mars 1996

La santé mentale après le génocide au Rwanda

Le Centre National du Traumatisme. Entretien avec Charles KAREKEZI.

La Guerre d’Avril 1994 et le génocide ont été d’une violence inouïe, plongeant dans des scènes d’une cruauté sans nom des enfants, des hommes, des femmes, des filles, laissant des dizaines de milliers d’orphelins, de veuves, des femmes violées etc. Après ce drame, l’ampleur des conséquences psycho-sociales supposait la mise en oeuvre de programmes spéciaux par le gouvernement. Le Centre National du Traumatisme (CNT) est un de ces projets. Constitué en collaboration entre le MINIREISO (Ministère de la Réhabilitation et de l’Intégration Sociale) et l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance), il devrait constituer un lieu de référence en matière de suivi psychologique des personnes affectées par la guerre. Son directeur, Monsieur KAZASOMAKO Evode, est un ancien responsable du département des victimes de la guerre, des massacres et du génocide au MINIREISO et son directeur adjoint une personne détachée du département trauma à l UNICEF. Depuis peu, le CNT relève du Ministère de la Santé, en particulier de la Coordination en santé mentale.

Les objectifs du CNT sont au nombre de cinq :

  • 1. Mettre sur pied une politique nationale en matière de traumatisme ;

  • 2. Donner une formation en pyramide, tout d’abord à des conseillers préfectoraux en traumatisme puis aux agents sociaux, agents de santé, enseignants, responsables religieux, encadreurs des centres d’enfants non-accompagnés, responsables des collines ;

  • 3. Mener des recherches sur les cas de traumatisme de guerre ;

  • 4. Sensibiliser le public rwandais sur le problème de traumatisme ;

  • 5. Traiter les cas de traumatisme sévère.

La formation est l’aspect le plus développé à l’heure actuelle : des conseillers en traumatisme pour chaque préfecture ont été formés sur deux mois à la psychologie développementale, à la théorie du syndrome de stress post-traumatique, aux méthodes d’écoute et de conseil, à l’utilisation des méthodes d’expression. Ils sont désormais opérationnels, dispensant eux-mêmes des formations de deux jours aux publics cibles. Ce ne sont pas des cliniciens, mais ils sont capables de sensibiliser une vaste part de personnes-ressources et de la population sur les causes, le dépistage du traumatisme et le soutien aux personnes traumatisées. Ils devraient être un interlocuteur privilégié des ONG dans les préfectures, malheureusement ils ne sont pas assez nombreux : un et bientôt deux par préfecture.

L’aspect clinique revient au CNT, mais un seul psychologue clinicien est disponible pour le moment et il n’est pas possible d’hospitaliser les cas graves au CNT. La décentralisation est donc une nécessité, c’est pourquoi l’ONG AVSI (Association italienne des volontaires de la solidarité internationale) a été reconnue comme un centre de référence clinique à Nyanza. Par ailleurs, l’hôpital psychiatrique de Ndera (Kigali)reste un lieu possible de référence clinique. Mais pour le moment cet hôpital est limité à un traitement par les médicaments par manque de moyens : les locaux ont été très abimés pendant la guerre et les patients sont encadrés par une équipe réduite constituée principalement de personnel auxiliaire non qualifié. Il faut remarquer que le Rwanda manque significativement de psychologues cliniciens et de psychiatres. A l’université de Butare, seule la psychologie scolaire était enseignée avant la guerre. Les cliniciens, même s’ils sont rwandais, ont été formés en dehors du pays. Un projet de section de psychologie clinique est en cours actuellement à Butare en collaboration avec les université belges.

Le département recherche du CNT, quoique fondamental, est encore au stade embryonnaire. Mais sous l’impulsion de son directeur adjoint, le psychopédagogue Charles Karekezi, et de quelques ONG (Médecins Sans Frontières Belgique, Croix-Rouge de Belgique, Enfants Réfugiés du Monde), le département est en train de s’étoffer. Des ateliers de réflexion ont été proposés, leur objectif étant à la fois le partage d’expérience, la contribution à la recherche en matière de traumatisme au Rwanda, et l’amélioration concrète du travail fait en matière de traumatisme.

Les thèmes des ateliers qui ont été retenus lors des premières réunions en mars 1996 étaient par exemple :

  • Le recensement des jeux des enfants et des adultes rwandais en vue de leur exploitation dans un cadre thérapeutique ;

  • Le suivi des enfants réunifiés ;

  • Qu’est-ce que la famille aujourd’hui au Rwanda et comment travailler avec elle ? ;

  • L’adaptation des méthodes occidentales de counselling au contexte rwandais ;

  • Le recensement des moyens traditionnels ou spontanés utilisés par les Rwandais pour faire face à leurs difficultés psychologiques ;

  • Réconciliation et soutien psychologique à l’école.

Tous ces thèmes sont directement liés aux difficultés rencontrées sur le terrain par tous ceux qui essaient de faire du soutien psycho-social. Les ateliers ayant une visée opérationnelle, les travaux devront mener à des documents écrits et pourquoi pas à des publications.

Le CNT se veut un lieu de rencontre ouvert à tous ceux (chercheurs, ONG, autres institutions) qui s’intéressent au traumatisme de guerre, en particulier celui des enfants. Pour le moment ses moyens sont encore trop limités pour que son impact soit national. Peut-être la coopération bilatérale permettra-t-elle son développement.

Notes

  • Contact personnel Florence DA SILVA : 89-91 rue Pelleport 75020 Paris, France.