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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Dan Parlae, La Haye, 1999

Les relations religio-politiques entre orthodoxie et nationalisme en Serbie

Sur une cohabitation séculaire entre orthodoxie et nationalisme.

I. Processus d’acceptation du catholicisme dans les Balkans

Aux commencements du processus de christianisation, la transition du paganisme, ou polythéisme, vers les formes contemporaines d’expression religieuse dans les Balkans fut entreprise par une Eglise chrétienne pas encore divisée. Lors de la séparation des deux cultes, catholique (Romain) et orthodoxe (Greco-Byzantin), les territoires à l’ouest choisirent plutôt le catholicisme, dans la sphère d’influence du Vatican, tandis que ceux à l’est furent attirés par l’orthodoxie, donc par Constantinople. Toutefois, il faut souligner le fait que la ligne, bien artificielle, ne correspondait et ne correspond pas à celle séparant (ou unissant) les Serbes des Croates. En plus, avant l’arrivée des Ottomans en Europe, une bonne partie du territoire albanais d’aujourd’hui était orthodoxe.

Dans ce continuel repositionnement belliqueux des religions, le Vatican et le catholicisme s’imposeront, par le pouvoir de conviction des missionnaires, dans des régions considérées comme des anciens fiefs de l’orthodoxie, comme furent Primorje, la Dalmatie, la Herzégovine, Konavle et Boka Kotorska. En dehors de la question religieuse, on doit remarquer l’apparition d’un problème de nature éthico-politique (soulevé par les historiens Serbes), qui réside dans le fait que l’acceptation du catholicisme conduira à la dé-serbisation de ces régions et à leur croatisation, avec la seule exception de Dubrovnik et ses environs, où le concept de catholicisme serbe y restera pour un certain temps.

II. Processus d’islamisation dans toute la péninsule balkanique

Ensuite, ce sont les Ottomans qui viendront imposer leur religion et leur organisation politique dans toute la péninsule balkanique. Le degré de résistance au processus d’islamisation devient plus important si on monte vers le Nord (Roumains, Hongrois, même Slovènes), mais dans sa plus grande partie, les Balkans et plus spécialement le territoire serbo-croate furent essentiellement imprégnés par l’influence musulmane, et cela pour un long laps de temps — l’élément temporel constitue un facteur supplémentaire d’encrage de l’islamisme, comme on peut le supposer. Les premiers à être convertis à l’Islam ont été les Albanais, suivis par les Serbes de Sandzak et de la Macédoine, et puis les Serbes et les Croates de Bosnie et Herzégovine, ainsi que les Bulgares (surtout le sud et l’ouest de leurs territoires).

III. Deux visions opposées du projet serbe dans les Balkans

Mais le temps de l’Empire Ottoman passé, les territoires slaves du sud des Balkans se trouvaient face à une toute nouvelle problématique, celle de la nouvelle séparation territoriale, idéologique et religieuse entre l’Empire Austro-Hongrois et l’empire Russe, chacun proposant, et imposant sa propre vision au projet serbe dans les Balkans. La Slovénie et la Voïvodine se trouvant désormais, par leurs traditions catholiques, dans la sphère d’influence de Vienne, il restait à décider du sort des Serbes à l’extérieur de ces territoires. Or Belgrade, se sentant délaissé par la Russie, qui, tout en se posant en “grande sœur orthodoxe” supportait l’idée de la Grande Bulgarie, donc des intérêts complètement opposés à ceux des Serbes, se rangera dans le camps autrichien. Cela durera jusqu’en 1903, quand l’armée serbe, lasse d’obéir à un Empire qui se posait comme le fer de lance du catholicisme en Europe orientale, renversa la dynastie Obrenovitch en vue de rétablir la dynastie Karageorgevitch, symbole d’une orthodoxie et d’une serbité menées à l’extrême. Le choix s’avérera bénéfique pour l’idée obsessionnelle de la Grande Serbie, et le rêve nationaliste d’unir tous les Slaves du Sud dans un même État — orthodoxe -.

Il verra le jour à la fin de la Première Guerre Mondiale, quand on constituera sous la forme d’une Serbie élargie ce que les analystes appelleront “la première Yougoslavie” (1919-1941). Inutile de dire comment les catholiques croates et slovènes se sentiront mal à l’aise dans cette entité politico-administrative dirigée exclusivement par les Serbes, et assez fréquemment avec des retentissements négatifs à leur adresse.

C’est la raison principale pour laquelle la Deuxième Guerre Mondiale constitua pour ces peuples opprimés une occasion pour affirmer leur indépendance et même de laisser surgir la haine accumulée, quoique parfois trop violemment, dans une sanglante guerre civile. Une fois de plus, la ligne de démarcation de la haine était religieuse : d’un côté, les orthodoxes, de l’autre côté, les catholiques et les musulmans.

IV. Une Serbie redessinée avec Tito en 1945

A la fin de la guerre, en 1945, est née “la seconde Yougoslavie”, celle communiste, que Tito transformera très vite dans un mécanisme aussi cohérent que possible, vu la manifeste hétérogénéité de sa population. Dans ce contexte, les mesures prises par Tito furent axées sur l’abaissement du poids des mouvements nationalistes, et surtout du pan-serbisme, à l’intérieur de la République. Le territoire de la Serbie fut redessiné, selon l’évident facteur d’hétérogénéité micro-religieuse, y résultant deux nouvelles régions autonomes, une hongroise et semi-catholique au nord (la Voïvodine), et une autre, albanaise et musulmane au sud (le Kosovo) ; on désignera aussi la Macédoine (ancienne partie de la Grande Serbie) comme république distincte, mais cela est dû plutôt à des enjeux politico-diplomatiques.

Cette partition, affirmée ensuite légalement par la Constitution yougoslave de 1974, restera inattaquable jusqu’en 1989, année de l’écroulement du communisme en Yougoslavie, quand les voix révisionnistes et nationalistes se feront entendre de nouveau, à haute tonalité.

Il est intéressant de remarquer la manière dont le phénomène orthodoxe et le nationalisme peuvent se côtoyer dans l’histoire de la Serbie et des Serbes. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure ce mélange plus ou moins idéal se reflète aujourd’hui c’est-à-dire dans le tableau funeste du conflit ethnique de l’ex-Yougoslavie. Avant d’agir, il faut comprendre que pour démonter un mécanisme il faut saisir ses racines et sa structure, et cela est valable pour tout.