Fiche d’analyse Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Roland de Penanros, Grenoble, France, décembre 1997

Comment, au plan local, contribuer à une avancée durable sur la voie de la reconversion des activités militaires ?

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D’abord en posant comme principe que le processus de désarmement mondial à l’œuvre maintenant depuis près de dix ans est l’un des événements les plus positifs de cette fin de siècle ; qu’il faut l’accompagner le plus loin possible afin qu’il rende au domaine civil un maximum des moyens aujourd’hui encore investis à des fins guerrières. L’action au plan local doit totalement tendre vers cet objectif.

Une fois ce principe établi, il convient de s’opposer à toute tentation de retour au passé : combattre la chimère que le tout militaire peut être encore demain une voie possible de développement.

Cela consiste, par une présentation des comptes du commerce extérieur de la France, l’analyse illustrée des conditions dans lesquelles s’opèrent sur le marché international les transferts d’armes, à couper court au mythe des exportations d’armes salvatrices, capables de compenser les pertes de plan de charge subies par nos industriels sur le marché national. Cela consiste également, du moins dans le domaine des activités navales, à dénoncer l’idée que, sauf à renoncer à notre puissance navale, il y a en fait de quoi occuper, pleinement et pendant des années, nos ports de guerre et nos arsenaux, au remplacement d’une flotte de surface atteinte à 80% par la limite d’âge. Penser ainsi, c’est faire fi des contraintes économiques qui poussent désormais à la construction de bateaux plus robustes, plus simples de conception et d’utilisation. Compression des frais de construction et d’entretien et équipages réduits des bateaux du futur font que même à puissance navale maintenue, l’emploi dans le naval militaire est condamné à régresser.

Ce n’est qu’au terme de l’analyse lucide de la situation, lorsque enfin devient clair que les temps fastes du militaire sont révolus, que l’on peut vraiment avancer sur la voie de la reconversion. Encore faut-il entre la reconversion-rupture et la reconversion-continuité ne pas se tromper de chemin.

La reconversion-rupture résulte souvent d’une attitude consistant dans les localités, les bassins d’emploi où se trouvent concentrées les activités militaires, à tout attendre de l’Etat. L’Etat qui réduit ses commandes militaires est responsable du déclin économique, il lui appartient donc, partout où la crise militaire se fait sentir, de fournir des compensations, de créer des emplois de substitution. Une telle attitude favorise la mise en place à grands coups de subventions et de défiscalisations tous azimuts de politiques de "l’habiller Pierre en déshabillant Paul" qui ont pour principal effet d’attirer toutes sortes "d’oiseaux de passage" (de l’entreprise-tournevis au simple chasseur de primes) sans lien technique, ni culturel, avec l’activité locale, tout juste bons à créer - ou simplement déplacer - quelques temps des emplois.

On ne peut fonder la reconversion d’un bassin d’emplois, un passage durable d’une économie de guerre à une économie de paix, sur un tel scénario de développement exogène qui fait fi des hommes, de leur histoire, de leur culture et qui se nourrit trop souvent d’activités et d’emplois prélevés ailleurs.

La seule voie capable de nous faire avancer durablement vers une économie de paix est celle de la reconversion-continuité, celle qui prenant appui sur les savoir-faire accumulés jusqu’à présent dans les activités militaires, offre aux

acteurs industriels locaux de réelles perspectives de valorisation de ces compétences dans le domaine des productions civiles. Il ne s’agit plus de rompre avec son passé, mais d’ouvrir à une culture industrielle aujourd’hui investie dans les oeuvres militaires, de nouveaux champs de réalisation.

Cela demande que soient mis en relief les atouts et les complémentarités technologiques des fournisseurs locaux du complexe militaire. Que sur ces bases se multiplient les relations de coopération permettant à ces fournisseurs de se libérer de leur trop étroite dépendance à l’égard des donneurs d’ordre militaires. Que les économies de coûts, la réduction d’incertitude dont ces relations de proximité sont porteuses favorisent l’émergence de projets industrielsnouveaux et justifient leur réalisation sur place. En un mot, que soient créées les conditions de la montée en puissance d’un système productif local qui, sur la base des technologies aujourd’hui utilisées à des applications militaires, devienne le moteur d’un développement local endogène de plus en plus "civilisé".

Cela demande aussi qu’autour de ce projet de développement local se forge une identité communautaire. Un peu à l’image des communautés villageoises africaines, il faut qu’une communauté de pays, de bassin d’emploi, s’affirme, animée de la volonté de conduire elle-même son destin. Il faut pour cela instituer à tous les niveaux des structures démocratiques de débat, de propositions et de prises de décisions (tables rondes, comités d’entreprises à la diversification, conseils techniques et comités consultatifs à la reconversion...). Le lien communautaire est à ce prix, la prise en compte des intérêts locaux et régionaux dans les plans de reconversion aussi. Ce n’est que si la reconversion devient vraiment l’affaire de tous que l’on pourra opposer dans les plans de reconversion, avec quelques chances de succès, à la logique des groupes industriels une logique du territoire, c’est-à-dire la volonté de continuer à vivre et travailler au pays dans le respect de son histoire, de ses repères culturels.

Enfin, qu’elle s’inscrive dans la continuité ou non, la reconversion des activités militaires ne peut conduire durablement à un monde de paix, si elle contribue par ses actions à creuser un peu plus le fossé qui sépare les pays industrialisés des pays dits "en voie de développement". Le souci de ne pas aggraver cet écart, ou mieux, d’essayer de le réduire devrait nous amener à prêter dans les plans locaux et régionaux de reconversion une attention toute particulière aux opérations relevant de la solidarité internationale et à classer la réduction du temps de travail au rang des grands chantiers de la reconversion.

Notes

Roland de Penanros, groupe d’étude sur la défense et le développement durable (E3D), Université de Bretagne Occidentale, Brest.