Analysis file Dossier : Réflexions sur la constitution de réseaux de solidarité autour des exilés argentins dans les années 1970

Morgane Auge, Pierre Bardin, Emmanuel Bargues, Christelle Bony, Claire Grandadam, Nicholas Zylberglajt, Paris, June 2006

Retour sur les conditions de l’exil des Argentins dans les années 1970

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Le départ en exil de milliers de personnes

Les années 1960, et plus encore 1970, sont marquées, en Amérique du Sud, par une série de coups d’Etat militaires qui provoquent le départ en exil de milliers de personnes. L’Argentine connaît une situation de crise permanente dans les dernières années de la présidence d’Isabel Perón, source de premiers exils, qui s’accroît après le coup d’Etat du 24 mars 1976. Passée une première année, où la junte militaire parvient à cacher ses crimes commis en masse mais dans la clandestinité, l’afflux des fugitifs dans les pays voisins et en Europe ainsi que les informations dont ils sont porteurs, déclenchent une prise de conscience internationale et un mouvement de solidarité avec les exilés et candidats à l’exil.

Les chemins de l’exil sont, pour les Argentins, multiples, du fait notamment de cette prise de conscience internationale tardive qui les a contraints, souvent, à s’organiser seuls :

  • aide du HCR ;

  • réseaux militants ;

  • visas consulaires ;

  • exercice du droit d’option avec l’aide de certaines ambassades, etc.

La diplomatie française y joue sa part, non sans quelques hésitations initiales.

Un accès facilité au droit de séjour en France

Arrivés en France, pour ceux que leur choix ou le hasard a conduits dans notre pays, de nombreuses formes de solidarité s’offrent à faciliter leur insertion :

  • Des municipalités mettent en place des aides à l’admission scolaire, au logement et à l’apprentissage linguistique.

  • Des réseaux de différentes natures (confessionnelle, politique, professionnelle) s’efforcent, malgré leurs divisions, de les accompagner dans leurs démarches ; eux-mêmes, aidés des communautés latino-américaines plus anciennement installées s’organisent.

  • L’Etat leur accorde le bénéfice de nombreuses prestations sociales et un accès facile au statut de réfugié au titre de la Convention de Genève de 1951.

La facilité de l’accès au droit au séjour organisée en France a pour effet que, curieusement, le nombre des Argentins qui sollicitent le statut de réfugié est à peine supérieur à la moitié du nombre des personnes venues d’Argentine entre 1973 et 1983 : 921.

Le rôle des réseaux dans la mobilisation de l’opinion publique

Le rôle des réseaux est sans doute plus efficace dans la mobilisation de l’opinion publique nationale et internationale. Des manifestations hebdomadaires devant l’ambassade d’Argentine, fréquentées par des personnalités célèbres, font écho aux réunions des Mères et Grand-Mères de la Place de Mai. Le mouvement pour le boycott de la Coupe du Monde de Foot-Ball de 1978 suscite une importante couverture médiatique. Ce militantisme éclaire les instances internationales en charge des droits de l’Homme qui inscrivent la situation argentine à leurs ordres du jour, en particulier ces dizaines de milliers de disparitions forcées, objet d’une réflexion qui débouchera, trente ans plus tard, sur une convention internationale.

L’évolution du droit d’asile en France depuis cette époque

Si l’on s’essaie à comprendre comment a évolué, depuis cette époque, le droit d’asile en France, quatre idées affleurent :

  • Tout d’abord, il apparaît que l’importance de la demande d’asile est inversement proportionnelle à la facilité d’accès à d’autres possibilités de migration temporaire : plus les politiques migratoires se font restrictives, plus les personnes qui s’estiment en danger sont amenées à exciper, souvent légitimement du fait de l’existence d’un nombre important de crises et de guerres dans le monde, de leur droit à bénéficier de l’asile au titre de la Convention de Genève.

  • Ensuite, il est certain que l’accès au statut de réfugié est devenu plus difficile qu’il y a 30 ans. La proportion des candidats admis est passée de 80 % à 15 % en moyenne. La cause en est pour partie dans ce report de la demande de titres de séjour provisoires vers la procédure la mieux garantie au plan juridique international, l’asile, et pour partie dans une plus grande sévérité dans l’appréciation des critères. Car la détérioration des conditions économiques dans de nombreux pays d’immigration, suite aux chocs pétroliers, a conduit à de sévères restrictions dans l’attribution des autorisations d’accès au territoire selon d’autres procédures.

  • Un troisième constat est que l’image du demandeur d’asile s’est brouillée dans l’opinion publique, alors que se développait l’approche « humanitaire », c’est-à-dire compassionnelle des crises et de leurs « victimes », et le flux des migrations économiques.

  • Enfin, la panoplie des modalités de l’asile s’est diversifiée avec la création, en 2003, du statut de « protection judiciaire » accordé aux personnes exposées à de graves menaces dans leur pays sans remplir toutes les conditions de l’asile. Ce statut se caractérise par la précarité dans lequel il maintient le réfugié : sa situation est révisée chaque année. Cette précarité voulue procède d’une analyse optimiste de la situation internationale, où les crises ont tendance à être systémiques, et d’une méconnaissance des souffrances de l’exilé qui a, au contraire, besoin de sécurité pour se rétablir et s’intégrer dans le pays où il est venu chercher abri.

Pour autant, si une crise politique analogue à celle qu’ont vécue les Argentins voici 30 ans se produisait demain, comment la société civile française réagirait-elle ? La conclusion est optimiste.