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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, octobre 1999

Les deux destins de la médiation

Jacques Salzer, formateur en gestion des conflits et en médiation à l’Université de Paris IX ainsi qu’au Conservatoire des Arts et Métiers, chercheur et lui-même médiateur, tente de définir en quoi les différentes pratiques de médiation qui se développent dans notre société la font évoluer dans le sens d’une plus grande prise en compte des gens ou, au contraire, peuvent être un facteur de conservatisme social. Il fournit ces indicateurs à partir d’exemples concrets observés dans la réalité.

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« J’ai relevé différents signes d’une influence positive de la médiation sur la société, les structures, les organisations. Prenons le cas de l’entreprise. Dans le domaine des assurances par exemple : j’avais rencontré un professeur de droit, médiateur dans ce domaine. Il n’avait pas encore eu de cas mais me disait que sa nomination avait eu un effet: “Comme les salariés de la société savent qu’un médiateur a été nommé, j’ai l’impression qu’ils regardent de plus près leurs dossiers avant que ceux-ci ne risquent d’arriver jusqu’à moi”. La fonction peut donc influencer, en chaîne, une organisation.

Plus récemment, la médiatrice nommée à l’EDF, qui dépend directement du directeur général, témoignait de la même manière. Le directeur général veut que cette fonction existe et cette médiatrice dit que dans des conflits, où elle reçoit aussi les parties, elle ressent que certains services internes ont un comportement différent plus attentif aux autres, induit par la pensée même qu’introduit la médiation dans l’organisation.

Je peux vous donner aussi le témoignage que nous rapporte Marianne Souquet, une médiatrice. Aux Etats-Unis, le service public des postes, qui compte 800 000 employés, a, sous l’influence de médiateurs familiaux, développé un service de médiation pour les conflits internes. Ils ont formé des médiateurs, un millier, extérieurs à l’institution, qui sont appelés lors des conflits entre collègues mais aussi pour des conflits avec des supérieurs hiérarchiques. Le supérieur hiérarchique est obligé d’accepter la médiation. Ce programme a démarré il y a 18 mois. Il y a environ 30 000 disputes internes par an dans cette entreprise. 7 000 ont été traités depuis le début de l’année par les médiateurs.

Des centres de médiation ont été créés par des avocats sous le contrôle de leur ordre. Dans l’un des centres une médiatrice signalait, en matière de médiation familiale, le cas d’un couple qui ne se parlait plus et qui s’opposait sur la redéfinition de la garde des enfants. Le couple avait rendez-vous en milieu d’après-midi et avait décidé de déjeuner avant pour en parler. Arrivant au rendez-vous, ils déclarent que ce temps du déjeuner leur a permis de se mettre d’accord sans le médiateur et qu’ils ne lui demandent plus que la mise en forme écrite dans un texte. La médiation peut fonctionner en l’absence, physique, du médiateur, parce que l’idée est là. Dans la mesure où la famille est aussi une forme d’organisation, on peut dire que la médiation familiale a de l’influence sur cette forme d’organisation. Les médiateurs familiaux travaillent souvent de manière assez détaillée l’organisation de la vie familiale, les détails d’une restructuration, d’une nouvelle organisation, que la famille reste unie ou qu’elle se structure autour de plusieurs foyers.

En Belgique, en médiation de voisinage, je me souviens d’une jeune femme et de son bébé, qui n’arrivait pas à sortir de chez elle avec sa poussette parce que toutes les voitures, collées les unes aux autres pratiquement tous les jours, ne laissaient pas un passage suffisant. Elle en parle en médiation avec ses voisins et ils explorent des solutions ensemble. Mais, en parlant, il apparaît que si ce problème se pose entre deux voisins c’est que réellement dans cette ville, en fonction de la population, il y a trop peu de places de parkings. Est évoquée avec le médiateur, l’idée d’avoir recours à la mairie pour qu’elle organise mieux le stationnement, sinon le problème risque d’être répétitif. Les parties sont allées à la mairie et ont obtenu, un an plus tard, qu’un terrain proche soit aménagé comme parking. C’est un exemple de ce que j’appelle la résolution de conflits non seulement à travers des personnes, mais aussi à travers des structures.

Dans l’Education Nationale, l’intégration de l’idée de médiation, quand toute l’institution l’a acceptée, peut modifier des manières d’être et de faire, y compris en matière de pédagogie (1).

Enfin, toujours à propos des effets positifs sur les structures, il y a les missions officielles de certains médiateurs (Médiateur de la République, le médiateur de la SNCF ou d’autres grandes institutions). Ils ont officiellement deux missions :

  • L’une est de régler les conflits entre citoyens et organisations : en vérifiant la loi, son application, en travaillant les solutions en équité.

  • Mais ils ont aussi une deuxième mission, officiellement écrite, qui est celle de proposer, à partir des clignotants qu’allument les différents conflits, des propositions de modifications de lois ou de règles internes, comme à la SNCF.

Le Médiateur de la République, lui, a été créé en 1973 et l’on se rend compte que, face à telle situation inéquitable, il lui est arrivé de faire une proposition de loi, votée ensuite par le Parlement et, quelques années plus tard, les litiges concernant cette situation diminuent parce que la loi vécue comme particulièrement inéquitable a changé !

Lorsque les difficultés, les problèmes, les conflits, ne sont pas seulement liés à des individus mais produit par des groupes, par des règles de telle organisation, par des systèmes économiques ou juridiques, la médiation peut-elle intervenir ? La médiation peut-elle travailler sur les groupes, en particulier en matière de prévention des violences et conflits ? Un exemple : dans tel immeuble, il peut y avoir cinquante conflits pour des problèmes de bruit entre voisins… Il y aura plein de petites solutions entre voisins pour limiter et réduire l’effet du bruit (patins, horaires…). Mais il peut aussi y avoir une réponse de type structurelle si les habitants vont auprès de l’office HLM et obtiennent une insonorisation efficace. On intervient alors sur l’organisation et pas seulement sur les individus.

J’ai eu l’occasion d’assister récemment une assistante sociale italienne, affectée auprès d’un juge qui reçoit des gens ayant des problèmes. Un enfant était arrivé à l’école avec un oeil au beurre noir et cela avait été signalé au juge par les enseignants. Le père, apparemment, était violent. La grand-mère était convoquée pour voir si, éventuellement, elle pouvait accueillir ses petits-enfants. Elle disait qu’elle aimait bien son gendre, qu’elle l’avait quasiment élevé, que c’était un bon gars : “Quand il travaille, il n’y a pas de problème, mais quand il ne travaille pas, il devient violent”. On voit alors un nouvel éclairage : la violence des institutions qui ne fournissent pas toujours du travail, engendrant des violences personnelles, familiales…

Mais la médiation a aussi des limites, en voici quelques exemples. Dans une entreprise, une personne avait un litige et on lui a dit d’aller voir son chef de service pour faire une médiation avec un autre cadre extérieur à la situation. Elle pensait que le directeur général devait être présent parce qu’une partie du problème relevait de ce directeur et non du chef de service. Le directeur a refusé d’aller à la médiation. Du coup, la personne a refusé également. Quelques jours plus tard elle a reçu une lettre de licenciement où on lui reprochait, entre autres choses, de n’avoir pas voulu de la médiation. Dans le domaine juridique, économique, politique, militaire, une partie en conflit peut aussi accepter une médiation pour gagner du temps et se renforcer militairement, économiquement. C’est une utilisation perverse de la médiation qui vise à se renforcer contre l’autre.

Dans un colloque du CMAP (Centre de Médiation inter-entreprises créé par la Chambre de Commerce de Paris), un participant m’a interpellé. Il était sous-traitant de grandes entreprises comme d’autres sous-traitants dans un secteur professionnel. Il estimait que les grosses entreprises écrasaient les petites. “La médiation peut-elle aider à rétablir un équilibre ?” m’a t-il demandé. Je lui ai répondu que la médiation pouvait difficilement répondre à cette question du fait de la notion de neutralité ou d’impartialité : on laisse les parties trouver les solutions entre elles. On les laisse dans leur rapport de force et parfois, même si c’est non-dit, le rapport de force influence cette solution.

Est-ce que le médiateur est du côté de la neutralité ou de l’impartialité ? Ou est-ce que la médiation a pour but de rétablir l’équité ? Dès que le médiateur intervient pour rétablir l’équité, comme le Médiateur de la République, il le fait avec sa propre perception de l’équité, il quitte donc la neutralité. Il y a donc un choix difficile, parfois contradictoire, dans les différents modèles de médiations qui se développent.

Je vois deux destins à la médiation :

  • Soit, elle peut être, à terme, conservatrice, c’est-à-dire qu’elle aura permis de maintenir les rapports de force tels qu’ils sont, en les rendant pacifiques, acceptables, et en laissant chacun à sa place.

  • Soit elle peut être “réformiste”, voire “révolutionnaire”, si elle est un moyen par lequel n’importe qui dans la société, confronté à un mal-être, face à un problème avec une personne, un groupe ou une institution, a un lieu dans lequel il peut le dire à un médiateur et à quelqu’un qui est responsable de cette situation. Mais cet aspect “révolutionnaire” supposerait plusieurs conditions : que les médiateurs existent dans les différentes institutions (école, famille, quartier, travail…) comme régulateurs des dysfonctionnements et que la fonction soit connue et reconnue, non comme un pis-aller, mais comme une sagesse. Nos semblables étant différents, fabriquent des différends. Le système des relations et du langage peut lui-même les amplifier.

L’aide d’un humain extérieur pour clarifier les confusions dans une relation et faire imaginer des solutions reconnaissant les besoins, semble relever du bon sens. Mais il faut aussi que les médiateurs en question se reconnaissent et soient reconnus pour travailler non seulement au niveau des personnes, mais aussi au niveau des règles, des groupes et organisations lorsqu’elles sont aussi à la source du mal-être. Alors, de mal-être en mal-être on ira vers des bien êtres à différents niveaux des structures sociales, alors la médiation serait effectivement réformiste voire révolutionnaire. La médiation, qu’en ferons-nous ?”

Notes

  • (1)Lire NVA N°237 sur l’expérience de médiation en école primaire à Sarcelles et page 9 sur les nouveaux médiateurs de l’Education nationale.

  • (2) Ce texte est issu d’une intervention de Jacques Salzer aux « recontres médiatiob » qui ont eu lieu au Cun du Larzac en juillet 1998.