Fiche de défi Atelier : Séminaire de réflexion sur le projet de Protocole au Pacte des DESC.

Cheffi Brenner, , janvier 2006

Comment éviter un engorgement rapide d’un comité habilité à recevoir des communications individuelles ou collectives ?

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La Cour européenne des droits de l’Homme (82.100 affaires pendantes à l’heure actuelle qui, selon certaines projections, seraient de l’ordre de 250.000 en 2010) constitue un véritable repoussoir pour un certain nombre d’États, à commencer par ceux, européens, qui doivent mobiliser un temps de travail considérable pour répondre aux questions que chaque dossier leur amène. La Cour Interaméricaine des droits de l’Homme rencontre aussi des problèmes d’encombrement, de même que tous les Comités habilités à recevoir des communications ayant une certaine ancienneté, Comité des droits de l’Homme au premier chef. C’est la conséquence du mouvement de juridicisation croissant que l’on enregistre dans beaucoup de pays, qui pousse les requérants à utiliser toutes les voies de recours disponibles, au plan national, puis au plan international. Il en résulte souvent un engorgement des instances compétentes tant au niveau national qu’au niveau international. (Régis de Gouttes)

Comment créer un mécanisme couvrant l’ensemble des droits qui ne devienne pas un monstre institutionnel croulant sous une masse d’affaires qui lui seraient déférées ?

Cette question a été évoquée pendant le séminaire. Elle apparaît d’autant plus pertinente que, la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels étant beaucoup moins organisée aux niveaux national et régional pour ceux-ci que pour les droits civils et politiques, le filtre naturel de ces niveaux est susceptible de fonctionner avec (encore) moins d’efficacité que pour ceux-ci.

Certains orateurs ont tenu toutefois à relativiser l’inquiétude qui court à ce sujet. Concernant le Comité pour l’élimination des discriminations raciales, dont les compétences en matière des droits économiques, sociaux et culturels sont assez étendues, il a été observé que la possibilité de plaintes individuelles n’a pas entraîné son engorgement. En 1999, 10 plaintes seulement avaient été déposées, ayant donné lieu à 6 « opinions » du Comité (affaires N° 1/1984 « Yilmaz-Dogan c. Pays-Bas ; N°2/1989 « Diop c. France » ; N° 3/1991 « Narrainen c.Norvège » ; N° 4/1991 « L.K c.Pays-Bas ; « P. c.Danemark » ; « P.B.c.Australie »). (1)

Le nombre total de ces plaintes s’élève à une trentaine à ce jour. Entre 1978 et 2005, le Comité sur les conventions et recommandations du Conseil exécutif de l’UNESCO a reçu, quant à lui, 529 communications. 330 affaires ont été traitées, ce qui représente plus de 60% des cas. » (Vladimir Volodine)

Les solutions évoquées sont principalement de deux ordres :

  • Techniques

  • Politiques

Quelques solutions techniques

Puisque la Cour européenne et le Comité des droits de l’Homme sont des contre-exemples en raison de l’encombrement qu’ils subissent, ils peuvent être également envisagés comme des modèles pour les solutions techniques qu’ils proposent.

  • Les solutions du Protocole 14 à la CEDH

Le protocole 14 à la CEDH, qui doit entrer en vigueur en mai 2006, à condition que tous les États parties à la Convention l’aient ratifié, offre à cet égard toute une gamme d’outils :

  •  

    • Juge unique ayant compétence pour déclarer une requête individuelle irrecevable ou de la rayer du rôle ;

    • Nouvelle condition de recevabilité qui donne à la Cour le pouvoir de déclarer irrecevable une requête lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice important et que la requête ne nécessite par ailleurs, nullement au regard du respect des droits de l’Homme, un examen au fond par la Cour (sauf pour les affaires non dûment examinées par un tribunal interne) ;

    • Compétences des Comités des trois juges étendues au jugement des affaires répétitives, ces comités étant ainsi habilités, dans le cadre d’une procédure simplifiée, à se prononcer non seulement sur la recevabilité mais aussi sur le fond d’une requête, lorsque la question à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour.

  • Les solutions de « Lord Woolf of Barnes »

Les propositions de Lord Woolf of Barnes (2) formulées dans son rapport d’audit de la Cour européenne des droits de l’Homme peuvent aussi être envisagées :

  •  

    • Formalisme plus sévère pour le dépôt des requêtes ;

    • Création d’antennes du greffe dans les États gros producteurs de requêtes irrecevables.

  • La nécessité d’une meilleure articulation entre procédures nationales et internationales

Il a été suggéré aussi de mieux articuler les procédures nationales et internationales autour des trois principes :

  •  

    • « De subsidiarité » , qui signifie que c’est dans le cadre du système juridique national que doivent d’abord s’exercer les recours ouverts aux personnes dont les droits de l’Homme ont été violés, les mécanismes internationaux ne devant intervenir, quant à eux, que subsidiairement, lorsque le système de protection s’avère insuffisant ou défaillant ;

    • « D’efficacité optimale » de chacun des niveaux de procédure, ce qui implique une bonne répartition des rôles respectifs : à chacun de remplir pleinement son office au niveau national, puis au niveau international ;

    • « D’interaction et de coopération » entre les échelons national et international, ce qui doit permettre d’éviter une confrontation ou des conflits entre les systèmes nationaux et internationaux.

Le principe de subsidiarité a été abondamment commenté dans ses implications relativement aux droits économiques, sociaux et culturels : « Il importe que chacun des organes de protection des droits de l’Homme joue pleinement son rôle à son niveau, qu’il respecte les limites de ses compétences et qu’il soit bien informé de la doctrine ou de la jurisprudence des autres organes qui agissent dans le même domaine.

Du côté des organes internationaux, cela signifie d’abord qu’ils ne doivent intervenir que subsidiairement par rapport aux instances nationales compétentes et après l’épuisement des voies de recours internes par les requérants, sous réserve cependant que ces voies de recours internes aient un caractère suffisamment efficace et effectif. […] L’appréciation de ce caractère efficace des voies de recours nationales fait l’objet d’une jurisprudence riche et complexe. Si les voies de recours nationales présentent un caractère effectif, les organes internationaux qui sont saisis de requêtes ou de plaintes individuelles devraient déclarer ces dernières irrecevables en l’état et renvoyer les requérants à l’exercice de leurs recours disponibles au plan interne, conformément à la pratique généralement suivie désormais par la Cour européenne des droits de l’Homme et par les Comités conventionnels des Nations Unies. Si, au contraire, les voies de recours nationales ne présentent pas un caractère suffisamment effectif, les organes internationaux devraient, tout en accueillant les requêtes qui leur sont adressées, inviter instamment les Etats à rendre effectives leurs voies de recours internes.

Du côté des États, cela signifie qu’ils doivent garantir à tous les particuliers des voies de recours internes efficaces et effectives, s’ils veulent éviter que leur contentieux nationaux se poursuivent et se prolongent au niveau international, souvent pour de longues durées. » (Régis de Gouttes)

D’autres solutions techniques tels les regroupements des cas similaires dans une même audience ont été envisagés, etc. et il a été souligné que le Comité devrait veiller à ce que le système de communications ne soit pas trop coûteux. (Frank Cimafranca)

Des solutions à dimension politique

A été évoquée aussi la possibilité que le Comité soit autorisé à sélectionner et ne traiter que les situations présentant un caractère d’exemplarité en termes d’interprétation du droit d’une part, et de la gravité de la violation d’autre part.

  • Le droit d’introduire des communications réservé uniquement à certaines ONG

Certains ont préconisé que seules certaines organisations non gouvernementales jugées suffisamment représentatives, ou ayant une compétence reconnue dans les domaines couverts par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, soient autorisées à introduire les communications. Le fonctionnement du Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 1998 a démontré la possibilité de recourir à de tels critères (3). Le recours à de tels critères préserverait le Comité du risque d’encombrement par des communications abusives ou insuffisamment documentées, les organisations ayant le souci, dans le cadre d’un tel mécanisme, de préserver leur réputation de sérieux et leur crédibilité (4) . » (Olivier de Schutter)

Une suggestion dont la dimension politique (comment définir les critères et éviter que ne resurgisse à cette occasion la lancinante question de la restriction du nombre des ONG habilitées à collaborer avec les organes des Nations Unies) n’échappe à personne mais qui a paru mériter attention.

  • L’obligation de mise en place d’un dispositif national pertinent

La Cour européenne des droits de l’Homme s’est appropriée le principe de subsidiarité avec les instances judiciaires nationales d’une façon originale qui montre une autre voie intéressante.

Ainsi, dans son arrêt « Broniowski c. Pologne », elle a considéré que l’inexistence au niveau national d’un dispositif permettant au requérant de faire valoir ses droits (en l’occurrence son droit de propriété) constituait une violation de la convention non seulement à son encontre, mais également pour l’ensemble des personnes se trouvant dans sa situation. Elle a exigé de l’État défendeur qu’il mette en place dans les meilleurs délais un dispositif national pertinent et a reporté l’examen des autres affaires pendantes devant la Cour dans l’attente de cette réforme.

Cet arrêt suggère que des négociations entre l’ONU et les États, qui jusqu’ici n’assurent que faiblement la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, pourraient les amener à réviser cette position dans la perspective intéressante d’avoir à comparaître moins souvent devant le « justice » internationale.

  • La création d’une « unité de règlement amiable »

Mais, parmi les propositions les plus intéressantes, c’est sans doute celle de Lord Woolf de Barnes relative à la CEDH qui consisterait à créer une « unité du règlement amiable » au sein du greffe et au recours à des sanctions en cas de refus d’un tel règlement qui apparaît la plus intéressante d’un point de vue tant d’efficacité que politique.

Elle indique en effet qu’un organisme qui est devenu progressivement une sorte de super-Cour de cassation des décisions nationales et jouit, à cet égard, d’une excellente réputation, en vient à réviser la définition de la justiciabilité qui le concerne pour réintroduire l’idée qu’il n’est pas de meilleur jugement qu’accepté sincèrement par les parties.

Cette proposition aboutit à proposer de développer la fonction de médiation et d’arbitrage au sein de la CEDH. Or c’est un point qui a été largement consensuel parmi les participants au séminaire : le comité chargé de recevoir les communications individuelles et collectives relatives aux allégations de violations de droits économiques, sociaux et culturels devrait avoir comme objectif principal la médiation et être doté des outils lui permettant d’exercer au mieux cette fonction.

Notes :

1. Régis de Gouttes, « De l’utilité de l’application complémentaire des procédures de plaintes individuelles devant les organes universels et régionaux de protection des droits de l’Homme : l’exemple des plaintes individuelles devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et devant la Cour européenne des droits de l’Homme », Document de base établi par M. Régis de Gouttes, membre du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en application du § 51 de la résolution 1998/26 de la Commission des droits de l’Homme, 26 février 1999.

2. Lord Woolf of Barnes a été Lord Chief Justice of England and Wales jusqu’en 2005. IL est par ailleurs membre du “groupe de sages” chargé d’élaborer une stratégie pour assurer l’efficacité à long terme de la CEDH et de ses mécanismes de contrôle.

3. Voy. les articles 1, 2 et 3 du Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives, pour l’identification des organisations habilitées à introduire de telles réclamations devant le Comité européen des droits sociaux. Ces dispositions recourent à des critères formels (statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe, liste spéciale établie par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe) mais aussi à des critères plus souples (représentativité, compétence particulière dans les matières couvertes par la Charte sociale européenne) soumis à l’appréciation du Comité. L’utilisation de ces critères n’a pas jusqu’à présent créé de difficulté particulière.

4. Dans le cadre de la discussion devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ayant conduit à sa proposition de 1997, la crainte a été émise que l’autorisation de communications introduites dans des conditions assimilables à l’actio popularis “élargirait (…) de façon considérable la portée de l’obligation assumée par les Etats parties, et pourrait ouvrir la voie à des plaintes de caractère spéculatif”, créant ainsi le risque “de rendre la procédure applicable à un large nombre de plaintes qui n’auraient pas à répondre à des critères minimums destinés à exclure les plaintes mal fondées ou futiles” (Doc. ONU E/CN.4/1997/105 (18 décembre 1996), § 22). En réalité, lorsque des organisations dont la représentativité et la compétence sont soumises à l’appréciation du Comité soumettront des communications, celles-ci seront généralement mieux motivées que des communications émanant d’individus victimes directes des violations dénoncées : un premier filtrage, portant sur le caractère apparemment fondé ou non des allégations rapportées, aura été fait au sein même de l’organisation auteur de la communication.