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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Caracas, Venezuela, juillet 2003

Le défi éthique de la paix au Venezuela.

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S’il y a eu des tentatives révolutionnaires au Venezuela d’Hugo Chavez, celles-ci concernaient bel et bien le domaine de l’éthique.

En affirmant que la cause de la crise vénézuélienne résidait dans le fait qu’une minorité s’était enrichi en s’appropriant de façon illégale les recettes pétrolières en dépit de la majorité de la population, les thèses révolutionnaires opéraient une double association : entre l’illégalité et l’enrichissement d’une part et entre la légalité et la pauvreté, d’autre part. Ce qui entraînait une dissociation fondamentale, entre le travail et la richesse.

La richesse ne serait pas le produit de l’effort, du travail, du respect de la loi, tout au contraire, elle est le produit du pillage, de l’exploitation, de la corruption, de l’illégalité. La pauvreté, elle, ne serait à son tour que le fruit d’un travail quotidien régulier, de l’honnêteté et du respect de la loi…

Cette nouvelle éthique a été transmise spécialement aux couches les plus pauvres, dans les campagnes et surtout dans les « barrios » de Caracas. On disait aux populations pauvres : si quelqu’un peut utiliser le vol, le pillage et la rapine en étant riche sans être jugé, lorsqu’on est pauvre il devient tout à fait normal de lutter pour sa survie par tous les moyens, y compris par les moyens utilisés auparavant par les riches : de telles pratiques ne pourraient jamais être jugées, il ne s’agirait que d’une redistribution de la richesse par d’autres moyens, autrement dit, de justice sociale.

Le président Chavez affirmait en public, à la télévision, que les personnes en situation de précarité ou de besoin avaient tout à fait le droit de prendre ce qui leur appartenait et qui leur avait été volé. Afin de donner à manger à son enfant, une mère pouvait voler. Afin de cultiver, un paysan sans terre pouvait envahir une propriété privée non travaillée. Afin de s’en sortir, une personne pouvait faire du commerce dans la rue… Autrement dit : la moralité des actes d’un individu dépend désormais de la classe sociale à laquelle il appartient. Les pauvres, les exclus, les démunis, la « classe pauvre » du Venezuela est appelée à remplacer les valeurs éthiques traditionnelles car « au service uniquement des riches » par une éthique nouvelle construite sur l’idéologie de la lutte des classes.

Cette nouvelle éthique officielle fut alors utilisée à des fins politiques précises : les invasions de terrains, qui étaient pour autant des propriétés privées, se multipliaient. Les vols et les pillages de magasins, de supermarchés, devenaient monnaie courante sans aucune punition. Des commerçants ont envahi les trottoirs et les rues du centre colonial de Caracas en installant leurs petits commerces… Tout ceci a provoqué le mécontentement de la population productive du pays : les producteurs agricoles dans les campagnes et les commerçants dans les villes.

Cette politique a eu des effets désastreux sur la société vénézuélienne.

Les nouvelles autorités révolutionnaires n’étaient pas préparées à l’exercice des postes de gouvernement aux exigences professionnelles, scientifiques et techniques importantes. Peu d’économistes au ministère de l’économie, peu de pédagogues au ministère de l’éducation, etc. Le gouvernement était composé de nombreux militaires, de militants de l’extrême gauche, de leaders populaires. Ces derniers semblaient ne pas disposer des ressources nécessaires pour répondre efficacement à la complexité de leurs tâches. Les promesses révolutionnaires tardaient à se mettre en place, la population pauvre avait l’impression qu’un fossé se creusait entre les discours officiels et les pratiques gouvernementales. Des germes de désillusion, voire de critiques, commençaient à se manifester au sein du « peuple révolutionnaire ».

À cela est venu s’ajouter un autre phénomène. En raison de la nouvelle éthique, ces nouvelles autorités se sont senties autorisées à ignorer la loi, à piller les ressources de l’État, à adopter des pratiques de corruption plus ou au moins aussi graves que celles de leurs prédécesseurs qu’ils condamnaient avec tant de fermeté. Les ressources publiques arrivaient de moins en moins à la population. Et lorsque celles-ci arrivaient elles étaient la récompense à un soutien politique fort : beaucoup de personnes ayant soutenu le projet révolutionnaire commençaient à se sentir trahies. Le gouvernement était alors accusé de corruption par l’opposition, et en même temps, il perdait de sa crédibilité aux yeux de la population censée soutenir aveuglément la révolution.

Cette démarche juridico-éthique ne sert qu’à intensifier la politique de « lutte des classes ». L’un des grands défis pour la paix au Venezuela concerne aujourd’hui l’élaboration d’une éthique de la responsabilité permettant de fournir les principes et les valeurs favorisant, non pas la haine entre les groupes sociaux, mais leurs capacités à gérer leurs conflictualités, nécessaires à l’élaboration commune d’un projet de nation.