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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de défi Dossier : Les Cahiers de Modop, n°1

, France, juillet 2015

L’autre fabrique du consentement : le conflit

Ce qui se joue fondamentalement pour la société française aujourd’hui, c’est l’incapacité à produire du consentement autour des fondamentaux de la république.

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Photo murblanc.org

Les assassinats ciblés et les prises d’otages des 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris ont ouvert une autre blessure restée béante, au-delà du drame humain des 20 morts et des 22 blessés. Ils ont divisé la société française en exacerbant les fractures déjà présentes autour notamment des discriminations à l’égard des personnes issues de l’immigration, originaires de quartiers populaires ou encore appartenant à la religion islamique. Si une division a pu s’exprimer autour du mot d’ordre « Je suis Charlie », la lecture en est bien plus complexe.

Ce qui se joue fondamentalement pour la société française aujourd’hui, c’est l’incapacité à produire du consentement autour des fondamentaux de la république.

Le discours sur les valeurs républicaines est monopolisé par les élites au pouvoir. Face à elles, on entend dénoncées çà et là une « conception exclusive de la laïcité », ou encore une « forme unilatérale de la citoyenneté »1. Cette injonction à adhérer à des conceptions qui ne font pas consensus ferme l’échange, le débat, l’écoute et donc la confrontation des conceptions. Compte-tenu des moyens mis en œuvre pour matérialiser cette injonction – cadre réglementaire et loi ; programmes scolaires de l’éducation nationale ; actions symboliques comme les minutes de silence etc. - il ne reste guère de place pour un espace où exprimer d’autres idées. Or, privée de cette confrontation, la démocratie perd sa capacité à fabriquer du commun. Si elle fabrique bien ainsi des valeurs, celles-ci ne sont alors pas partagées, puisque le processus autoritaire de l’injonction ne permet pas d’articuler la diversité et de produire du nouveau. Cette affichage normatif de ce que doivent être les valeurs de la république empêche d’apercevoir ce que nous partageons. Et la parole confisquée renforce les colères.

La fabrique du commun passe par la confrontation. C’est donc la démocratie qui est ici mise en cause.

« Pour cela la démocratie participative ne suffit pas, c’est une démocratie conflictuelle qu’il s’agit de construire. La participation n’y serait pas une simple consultation mais une négociation entre des acteurs aux intérêts divergents. (…) C’est une pression citoyenne qu’il faut organiser » « Les demandes citoyennes [doivent être] des contraintes pour les décideurs »2.

Si à de multiples reprises il a été dit que démocratie participative et représentative devaient être mieux articulées, il est plus rarement question de démocratie conflictuelle. Or ce troisième pilier de la démocratie nous paraît essentiel. La démocratie conflictuelle, c’est l’idée que les sociétés ont besoin d’espaces pour exprimer les confrontations et les conflits car les divergences d’opinion sont naturelles autant que réelles. Si elles n’ont cette opportunité de se rencontrer pour dialoguer, comment s’articuler, évoluer et se concilier ? La démocratie pour rester vivace doit être entretenue par cette énergie issue de la confrontation et de la pression populaire.

« Une véritable démocratie est en fait un conflit permanent et évolutif interrompu périodiquement par des compromis ». (Saul Alinsky)[>(3) 3].

Raymond Aron, lui, insiste sur la capacité de la démocratie de permettre l’expression et la confrontation des idées tout en les canalisant pour éviter la violence4. Cela, la démocratie en est capable, elle rend possible la confrontation de la contradiction dans le dialogue. Cette renonciation à la violence propre au régime démocratique est la marque d’une « confiance dans la discussion » et donc dans la possibilité de transformations progressives. Pour qu’un véritable dialogue puisse avoir lieu sans être réduit à un simple rapport de force, il est parfois nécessaire d’entrer dans une « relation conflictuelle pacifique » : « Une forme de relation conflictuelle pacifique est souvent nécessaire, ne serait-ce que comme menace permanente, pour qu’un dialogue véritable puisse avoir lieu entre des individus ou groupes antagonistes, surtout s’ils se trouvent en position asymétrique »5.

Sur la base de ces analyses, nous proposons de sortir de la violence structurelle par le conflit, à savoir, par la confrontation des idées, tant que cette confrontation est constructive : respectueuse des différentes positions, ouverte à des apports nouveau. Ce sont donc à des espaces de débat et aux règles pour les encadrer qu’il faut aussi consacrer nos réflexions collectives.

Notes

1Propos recueillis lors de la journée d’étude publique organisée le 20 mai 2015 par l’Université Paul Valéry de Montpellier, la Coordination citoyenne nationale « Pas sans nous », l’association Réciprocités, LR (Réseau IR-DSU) et le laboratoire CORDIS : « Une refondation démocratique pour faire société commune ? »

2Echo, Espace des communautés et des Habitants Organisés. Expérimentation des méthodes du community organizing, septembre 2010-Décembre 2012, Grenoble.

3Thierry Quinqueton, Que ferait Saul Alinsky, Desclée de Brouwer, 2011, p99.

4Raymond Aron, La démocratie conflictuelle, par Serge Audier, Edition Michalon, Coll. Le bien commun, 2004.

5Ibid.