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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de défi

Trois défis pour construire la paix en Amérique centrale dans un contexte de recomposition de l’Occident

Mots clefs : Lutte citoyenne pour la justice sociale | Respect des droits humains | La démocratie, facteur de paix | Résistance aux groupes armés hors la loi | Lutte contre les inégalités et pour la paix | Agir pour la réinsertion sociale des anciens combattants | Apprendre une culture de paix | Réformer les relations politiques pour reconstruire la paix | Respecter les Droits Humains | Réduire les forces armées | Démilitariser et désarmer des groupes hors la loi | Reconstruire une société | Reconstruire l'économie | El Salvador | Amérique Centrale

Démocratisation, régulation de la violence et positionnement international, des enjeux de la paix pour l’Amérique Centrale

A l ‘aube du 21ème siècle, la société centraméricaine révèle la persistance de quelques défis majeurs. S’ils ne sont pas travaillés, ils peuvent se convertir en des menaces redoutables. Je ne présente que trois, parmi d’autres

Le premier défi concerne la question politique : des menaces à la démocratie. Après des années de guerre civile, des traités de paix ont pu être signés au Nicaragua, au Salvador et au Guatemala. A la fin du 20ème siècle les trois pays étaient sortis de la guerre civile. Non seulement l’Amérique Centrale ne s’est pas « colombianisée » mais aussi elle s’est stabilisée politiquement. Aujourd’hui, non sans difficultés, la démocratisation fait son chemin.

Cependant ces réussites peuvent être menacées. Les inégalités sociales extrêmes continuent à se développer provoquant chez la majorité de la population un sentiment de désillusion, ce qui pourrait faciliter une mobilisation des thématiques sociales permettant de rendre compte de « l'échec de la paix » . En effet, plusieurs Amériques Centrales coexistent de façon plus ou moins conflictuelle. Les différences sont très importantes. Par exemple entre le Guatemala et le Honduras, entre le Costa Rica et le Nicaragua. Mais aussi à l’intérieur des populations. Par exemple au niveau politique entre les sandinistes et les libéraux nicaraguayens, au niveau culturel entre les Mayas et les garifunas guatémaltèques, au niveau économique entre des couches ayant un niveau de vie plus que confortable évoluant dans la somptuosité et le luxe, et des couches ayant un niveau de vie misérable évoluant dans l’indigence et l’exclusion. C’est ainsi que les indicateurs établis au niveau national pour chacun des 5 pays masquent d’une façon très efficace des inégalités importantes entre les régions, les couches sociales, le sexe, etc.. Les chiffres moyens concernant les revenus, le niveau d’instruction, l’espérance de vie, le taux du chômage, etc. ne permettent pas de déceler l’existence d’une Amérique Centrale à plusieurs mondes. Divers groupes peuplant la petite Amérique Centrale vivent encore aujourd’hui dans des univers très différents. Masquer cette réalité permet de ne pas repérer les tensions sociales et les conflits potentiels.

Une question peut être posée au sujet des relations entre inégalités extrêmes et démocratie politique : le régime démocratique arrivera-t-il à transformer les rapports sociaux dans le sens du respect des droits de l'homme, de la négociation et de la paix ? Ou au contraire, les inégalités extrêmes produiront-elles des nouveaux conflits capables de s'attaquer aux acquis de la démocratie ? Il n’est pas possible de prédire l'issue de cette contradiction apparente. A moins que ce qui est perçu par le regard occidental comme une contradiction ne le soit pas pour les centraméricains eux-mêmes. Il est possible que le régime démocratique et les inégalités extrêmes soient alors instaurés dans un cadre politique de cohabitation tranquille. Le recours à la violence pourrait se développer comme compensation symbolique aux insuffisances sociales de la démocratie.

Cette situation amène à s’intéresser à un deuxième défi concernant la question de la construction de la paix et la menace des nouvelles formes de violence.

Suite aux accords de paix signés pour arrêter les conflits armés internes, il a été procédée au désarmement des groupes armés hors-la-loi ainsi qu’à la réduction des effectifs des armées. Il a fallu d’abord promulguer une loi d’amnistie pour les combattants de toutes les tendances. Les Contras nicaraguayens ont intégré le parti UNO, le FMLN salvadorien est devenu parti politique, l'URNG guatémaltèque s’est intégré à l’alliance politique « Nouvelle Nation » . Mais les lendemains du désarmement de ces groupements ne furent pas aussi simples. La réinsertion n’a pas réussi au mieux et, par la suite, tous ces hommes qui ne savaient que faire la guerre se sont trouvés sans avenir, à la rue. Ils continuèrent à « faire leur métier »  : la violence. Des armées privées de narco-trafiquants, des milices au service de grands propriétaires, des bandes de délinquants, etc. se sont organisées. Celles-ci sont venues nourrir les pratiques de recours à la violence développées au sein de la société civile pendant des années d’affrontements armés. Une grande partie de l’insécurité et de la délinquance qui traverse l’Amérique Centrale provient de cette culture de la violence nourrie par l’arrivée de ces gens au chômage et armés.

L’Amérique Centrale est encore traversée par une violence quotidienne diffuse, sans contrôle de la part des Etats. La violence institutionnelle comme expression de vieux conflits a été démantelée. Des nouvelles formes d’expression de conflits s’organisent imposant ici et là la loi du plus fort.

Le troisième défi concerne la manière d'aborder les relations internationales à partir de l'Amérique Centrale.

Les élites centraméricaines croient s'insérer de mieux en mieux à la communauté internationale, alors que celle-ci ne peut se définir actuellement que par ses divisions et par son imprécision, autrement dit, par son absence. A l'étranger, les gouvernements centre-américains élus démocratiquement se mettent en avant comme la carte de présentation d'une Amérique Centrale qui se veut pacifiée et démocratique devant une communauté internationale pour autant inexistante. Le monde du début du XXIe siècle est, en effet, dissocié en plusieurs mondes. Sa prétendue unité autorégulée annoncée à la fin du 20ème siècle n'est que le mythe utile pour cacher l'absence de véritables liens mondiaux. Un monde polycentrique à la fois éclaté et organisé en blocs où la concurrence sauvage entre les puissants s'impose contraint les pays de l'Amérique Centrale à jouer « le monopoly mondial » du partage du pouvoir et des richesses dans des conditions de précarité.

Parce que l’Amérique Centrale est située à l'arrière cour de l'hyperpuissance mondiale actuelle, les élites centraméricaines doivent savoir s'accommoder d'une telle hégémonie et intérioriser l'univers symbolique occidental dominant. Celles-ci deviennent des agents importateurs de sens. Le droit et les institutions, les concepts et la technique, le taux de change et la monnaie, les symboles et les rêves, etc. sont l'objet d'une importation nécessaire. Les élites intermédiaires ainsi que les classes moyennes montantes centraméricaines pensent et agissent de plus en plus en fonction des catégories occidentales dominantes. La réforme centraméricaine « pacification-démocratisation-unification » ne constituerait-elle pas une bonne illustration des efforts de reconstitution symbolique, politique, économique et militaire de l'occident ?

Sortie des guerres civiles et faisant l'apprentissage de la démocratie, l’Amérique Centrale reste aujourd’hui une juxtaposition de plusieurs univers enchevêtrés les uns dans les autres, à l’image du monde dans lequel elle s’insère.