Fiche de document Dossier : Environnement, biodiversité et révolution anthropologique : l’urgence d’un changement de paradigme dans notre façon de penser.

, Paris, mai 2009

Le cauchemar de Darwin

Quelle est la conséquence majeure sur la population locale causée par le boom économique autour des ressources du secteur de la pêche du lac Victoria ? Comment est opérée la distribution de cette nouvelle richesse ? Quelles sont les conséquences d’un commerce international de ces ressources pour l’écosystème du lac et pour la situation sociale des populations qui vivent sur les bords du lac ? Ce ne sont que quelques questions dont il est possible de trouver une réponse dans ce film documentaire qui veut être un réquisitoire profond contre les côtés pervers d’une globalisation insoutenable.

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Réf. : Sauper Hubert (Régisseur), Darwins Alptraum, France / Autriche / Belgique, 2004, film documentaire, 107 minutes, 35mm.

Langues : français

Type de document : 

La perche du Nil : une bénédiction ou une plaie ?

Le documentaire commence avec l’ombre d’un avion projetée au bord de l’eau, en provenance de Russie et qui atterrit à Mwanza en Tanzanie. Cet avion aura un rôle clé. Le film, après avoir relaté les différents étapes liées à la production poissonnière du Lac Victoria, ainsi que les interviews des habitants et la misère la plu profonde, s’achève lorsque la cargaison de poisson s’envole pour le marché européen.

Le sujet de départ du documentaire concerne donc les trafics autour de l’aéroport de Mwanza et la production du poisson, en particulier celle de la perche du Nil, en Tanzanie, sur les bords du lac Victoria. Cependant, ce n’est ni un film sur le lac Victoria, ni sur un poisson, mais bien contre la mondialisation et ses conséquences dévastatrices. Le réalisateur souligne justement qu’il aurait pu tourner le même film en Sierra Leone, où l’on aurait trouvé les diamants à la place du poisson, ou en Honduras, avec le trafic des bananes, ou au Nigeria et en Angola avec le pétrole.

C’est un film plein d’allégories et de métaphores, d’images fortes et symboliques, telles que celle des publicités d’une célèbre boisson affichées sur les baraques qui gravitent autour du lac sur la piste d’atterrissage. Des carcasses d’avions scratchés laissent entrevoir le défilé incessant des machines, tandis que dans la tour de contrôle un responsable du trafic aérien, affable, un journal à la main, s’acharne à détruire un insecte contre une vitre. Métaphore inédite de l’ordre absurde, inversé, qui semble régir l’Afrique et face auquel Hubert Sauper ne peut laisser lettre morte… Ou le contraste entre les grands avions qui symbolisent la globalisation et les petites embarcations des pécheurs locaux.

Tous, les pêcheurs autochtones, les pilotes russes, les habitants, semblent faire partie de la même chaîne économique qui tourne autour du business du poisson du lac Victoria. La perche du Nil, un poisson atteignant parfois 70 kilogrammes a été introduit dans le lac dans les années 60.

Mais d’autres éléments menacent le lac : de grandes parties du lac demeurent sans oxygène, donc sans vie, et ce, à cause de la pollution et des altérations écologiques. Sans parler de la menace de pénurie qui pèse sur la population de Tanzanie en raison des très faibles précipitations.

L’écosystème naturel et social du lac est voué à éclater, mais personne ne réagit. Au contraire, la chasse aux ressources en poisson de la part de pays occidentaux est ouverte.

Les pays occidentaux seraient donc finalement comme ces perches du Nil, tandis que les pays pauvres, les petits poissons indigènes. L’ordre naturel des choses voudrait donc que les pauvres se laissent exploiter et dévorer. Le problème est que les ressources ne sont pas infinies.

Un commerce global, inégal et illicite

La commercialisation globale de la perche du Nil a créé des inégalités sociales. Comme le rappelle Sauper, là où il y a des ressources à exploiter, une profonde injustice et la pauvreté s’installent à côté de la richesse. Ainsi les filets de poissons, trop chers pour le marché local s’envolent vers l’Europe, tandis que les têtes et les arêtes, sont abandonnés dans les décharges salubres où viennent se nourrir des milliers d’Africains. Voilà un autre paradoxe : la moitié de l’humanité qui se nourrit avec les écarts de l’autre moitié.

Le réalisateur pose à tout le monde la même question : qu’est-ce que transportent les avions cargos qui viennent du monde entier et qui repartent ensuite remplis des perches du Nil ? Autour de l’exportation massive se développent donc tous les trafics liés à une urbanisation intense et brutale (usines de traitement) : prostitution, sida, violences diverses.

L’auteur posera la question à la prostituée, qui sera ensuite tuée par un client blanc, à l’enfant de la rue, le seul peintre de Mwanza, au copilote et au capitaine de l’avion-cargo qui vient de Russie, à un officier de police, à un gardien de nuit qui protège l’Institut national de la pêche avec des flèches empoisonnées. Personne ne répondra. Toutes ces personnes qui paraissent gagnantes du boom économique engendré par ce commerce sont en réalité les victimes d’une globalisation qui les dépassent. L’auteur suggère, sans le démontrer vraiment, que les avions cargos (russes ou ukrainiens) ne reviennent pas à vide et alimentent le trafic d’armes dans la région des Grands Lacs.

Commentaire

Hypocrisie et conscience : pour ou contre le système ?

Pour quelle raison le meilleur de la perche du Nil est-il exporté vers les pays riches quand un à deux millions de Tanzaniens souffrent de malnutrition ? Qu’est-ce que les Occidentaux apportent en Afrique ? Il n’y a pas nécessairement de lien direct entre l’industrie de la pêche d’un côté, la pauvreté, la prostitution, le sida de l’autre. Mais, si Mwanza jouit grâce à la perche miraculeuse d’une relative prospérité, ces fléaux existent bien et même s’aggravent. Même chose pour le trafic d’armes : si le film ne démontre pas qu’il transite régulièrement par Mwanza, il a le mérite de soulever la question de son existence. Et de rappeler au passage que les armes qui alimentent les conflits sur le sol africain proviennent en grande partie de chez nous - qu’elles atterrissent ou non à Mwanza n’y change rien.