Cyril Musila, La Haye, 1999
L’Église au Rwanda : coupable ou témoin gênant ?
“Quand on est chrétien, on ne gère pas comme le ferait un non-chrétien.”
Par sa puissance politique, économique et culturelle, l’Église du Rwanda est la véritable colonne vertébrale de la société rwandaise. A ce titre, elle a été ébranlée par le génocide. On l’accuse d’avoir participé à la préparation de l’idéologie du génocide ; d’autres mettent en question le comportement des prêtres pendant les tueries. Quoi que l’on pense de toutes ces accusations, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le rôle de cette Église au cours de ces dernières années.
I. Pendant les années qui ont précédé le génocide, l’Église n’a pas été à la hauteur de sa responsabilité morale
Les prêtres ont, les premiers, dénoncé cette faiblesse. Dès 1990, après la visite du Pape à Kigali, ils ont critiqué ouvertement le manque de clairvoyance, la complicité, l’hyprocrisie et la compromission de l’Église au sujet des graves problèmes qu’affrontait le Rwanda. Des documents ont été publiés pour dénoncer la passivité de l’Église devant la mauvaise gestion de la chose publique, la corruption, les injustices sociales, les libertés individuelles, la guerre ou le sida. L’Église qui aurait dû tout mettre en œuvre pour redresser la situation a brillé par un silence complice et son absence aux endroits sinistrés. L’attitude complaisante des responsables confessionnels vis-à-vis de l’appareil de l’État les a rendus non crédibles. L’archevêque de Kigali, Mgr Vincent Nsengiyumva, était membre du comité central du parti unique et ami personnel du président Juvénal Habyarimana. Quand les évêques ont été mis au courant des préparatifs du génocide, ils sont restés au côté du pouvoir et n’ont pas adopté une attitude propre à opérer des ruptures radicales avec le pouvoir.
Mais l’Église, c’était aussi le président Habyarimana, la plupart des militaires, des ministres, des préfets. Ils étaient catholiques, parfois d’anciens séminaristes. Ils n’ont pas empêché les massacres, certains les ont préparés et exécutés. Ont-ils agi en chrétiens ou en tant que responsables, ont-ils géré en chrétiens ?
II. Une accusation d’ordre politique non fondée
L’accusation de la participation de l’Église, comme institution éducatrice, à la préparation idéologique du génocide est plus une accusation politique. Elle n’a rien de fondé. La conversion du Rwanda au catholicisme s’est faite du haut vers le bas : les premiers missionnaires ont d’abord converti les chefs — Tutsi pour la plupart — afin d’accélérer la conversion des masses. Jusqu’aux années 1950, l’Église s’est principalement appuyée sur l’élite tutsi, laquelle fournissait l’essentiel des membres du clergé. Dans les années qui ont suivi, les Hutu se sont vu reconnaître et ont acquis une place plus importante dans la société. L’Église a joué un rôle actif dans ce processus qui a abouti à la révolution sociale en 1959. C’est depuis cette date que certains milieux tutsi, notamment ceux qui furent alors évincés et leurs descendants, voient dans l’Église catholique un traître et un ennemi, l’accusant d’avoir soutenu “l’idéologie hutu”. Mais l’Église n’a pas préparé idéologiquement le génocide. Par contre, la mollesse de ses réactions face à la violence quotidienne a psychologiquement prédisposé les gens à accepter la violence comme quelque chose de normal. L’Église, comme force morale, a failli au même titre que les hommes politiques, les militaires ou les Nations Unies.
III. Pendant la guerre et les massacres, l’Église a été parmi les premières victimes
L’une des premières tueries eut lieu dans le centre religieux Christus de Remera, le 7 avril 1994. Là 17 personnes, dont des prêtres, des religieux et des religieuses furent tués. Parmi eux se trouvait le confesseur du président Habyarimana. Ces massacres furent un symbole du basculement du Rwanda dans la barbarie. Plus tard, 3 évêques, 103 prêtres, 40 frères, 60 sœurs et d’innombrables croyants furent tués. Si on critiquait les défaillances de l’Église, une partie de celle-ci a su affronter l’épreuve du génocide : elle a caché, protégé et défendu des Tutsi menacés de mort. Des chrétiens ont massacré ; d’autres ont été massacrés. Se sentant abandonnés de tous, des victimes ont sans doute perdu la foi au moment fatidique. D’autres, au contraire, l’ont découverte à travers la tragédie du génocide. Nombreux sont ceux qui ont survécu en se réfugiant dans les bâtiments religieux. Des hommes ont risqué leur vie, d’autres l’ont même perdue, pour sauver leur prochain. Ces hommes-là font aussi partie de l’Église. Certains prêtres ont été assassinés parce qu’ils en avaient trop vu ou parce qu’ils en savaient trop.
Aujourd’hui, le pouvoir a changé de mains, l’idéologie est différente, mais l’attitude des chefs de l’Église est restée la même : ils vivent les yeux tournés vers ceux qui dirigent, et dont ils espèrent des gratifications. Comme hier, certains responsables de l’Église ferment les yeux sur les violations des droits de l’homme qui se passent dans le pays.
Commentaire
L’auteur réfute l’accusation qu’on fait à l’Eglise du Rwanda d’avoir participé à l’idéologie du génocide. Mais ce plaidoyer gêne par sa manière de procéder. En cherchant toujours à distinguer les bons et les mauvais à l’intérieur de l’Eglise, il crée une Église à double vitesse. Il fait ressortir une difficulté majeure qui est la disparité entre le message de l’Évangile et les comportements des hommes qui les transmettent. Il exclut le droit à l’erreur.
Notes
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Auteur de l’ouvrage : André Sibomana