Fiche de témoignage Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Florent Frasson-Quenoz, Grenoble, avril 2006

Comment des acteurs de la société civile, avec le recul, perçoivent-ils leurs actions en faveur de la conversion des industries d’armement?

Questions aux auteurs de la revue Conversion.

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Arnaud Blin.

1 Selon toi, les opportunités de reconversions de l’économie, du militaire vers le civil, ont-elles toutes été exploitées, au moins en partie, ou n’avons nous assisté qu’à une reconversion de l’industrie de défense dans un contexte de crise que les dirigeants de ces entreprises voulaient gérer au jour le jour sans entreprendre de véritable changements de fonds ?

 

Au delà des entreprises, c’est la « chose militaire » qui a été convertie. On peut dire que la conversion de l’économie de guerre à l’économie de paix, dans une acception presque religieuse du terme, fut minime. L’appareil militaire a connu des transformations profondes dans tous les domaines de son activité, mais pas dans la nature de sa production. Les ressources humaines pléthoriques que nécessitait les stratégies de la guerre froide et de la course aux armement ont été remplacées par des ressources technologiques plus importantes. D’un autre coté les entreprises civiles ont été admises sur le marché jusque là très fermé de la défense. Il y a donc eu une conversion de l’économie militaire vers le civil, et inversement, mais pas de l’économie de guerre vers l’économie de paix.

 

2 N’y a-t-il pas eu une mésentente dés les premières années sur ce que le terme de conversion recouvrait pour les uns (gouvernants et industriels) et pour les autres (société civiles et chercheurs) et cette mésentente n’était-elle pas déjà visible ou prévisible au milieu des années 90 ?

 

Si le terme de conversion, en français, est ambiguë il l’est beaucoup moins en anglais. En effet, il existe deux termes différents pour désigner le même phénomène, mais avec des acceptations idéologiques différentes. Les antimilitaristes et les sensibilités de « gauche » utilisent le terme d’ « economic conversion » . Les militaristes et les gens ayant des sensibilités de « droite » préférant le terme de « defence conversion » . On comprend donc bien comment est faite la différence entre une transformation économique et une restructuration de l’industrie d’armement.

Pour moi, il est apparue très vite que le terme de conversion était trop étroit pour englober l’ensemble du phénomène que nous devions étudier, la connotation religieuse du terme excluait du débat la part principale sur laquelle devait porter la réflexion menée, c’est à dire la problématique de la transformation économique d’une industrie puissante.

Au début des années 1990 la situation géopolitique changeait, les préoccupations des USA n’étaient plus militaires mais économiques. D’un autre coté l’institution militaire faisait sa RMA (révolution dans les affaires militaires), moins de troupes, plus de technologie. La conversion semblait donc être un objectif réaliste. Ce n’est qu’avec le retour au pouvoir des républicains que les dépenses militaire ont repris, d’abord timidement (GW Bush avait prévu dans son programme de campagne moins de dépenses militaires que son rival Al Gore), puis de plus en plus après la victoire, en interne de l’administration, de D. Cheney (soutien du lobby militaro-industriel). Remarquons aussi que les projets d’armement mis en place à cette époque ont, eux aussi, connu une évolution inattendue, ce que chacun tenait pour sûr ne l’est plus autant. L’exemple du bouclier antimissile est à cet égard riche d’instructions, d’abord fer de lance de la stratégie américaine de défense le projet de bouclier est maintenant noyé dans la masse des impératifs de la guerre contre le terrorisme.

 

3 Aux USA la conversion a avorté totalement et nous sommes même dans une phase de croissance exceptionnelle du marché de la défense. En Europe, la situation est différente. Cette situation d’une industrie d’armement restructurée à l’échelle du continent te paraît-elle être une étape satisfaisante sur le chemin de la conversion ou n’est-ce qu’une autre forme de redémarrage de cette industrie ?

Il faut bien comprendre la nature du changement entamé par les industries d’armement. Avec la RMA c’est la philosophie de l’armée qui a changé. La diminution du volume des ressources humaines, et le changement de nature vers le technologique rendent par essence l’industrie d’armement à plus de dualité. Les industries de pointe trouvent plus d’applications duale à la technologie fabriquée que les industries lourdes (un char d’assaut ne peut servir qu’a faire la guerre). Il faut aussi remarquer que de plus en plus d’entreprises répondent à des appels d’offre sur le marché de l’armement, la dualité technologique est donc bien à double sens.

Ainsi, il est plus difficile de séparer les entreprises purement de défense des entreprises purement civiles. Le tissu industriel se complexifie rendant peu lisible la théorie de la conversion.

Si le cas d’une industrie d’armement de type ancien (armement léger, notamment les fusils d’assaut) existe toujours et reste rentable, le marché le plus intéressant, celui des armements lourds de haute technologie est soumit à une compression importante par rapport au début des années 1990. Dans ce domaine, les projections se sont révélées inexactes, le tout technologique n’a pas pris le pas sur les opérations menées par les troupes au sol.

Si nous sommes peut-être en train de passer d’une économie de guerre à une économie de prévention des conflits, nous n’avons pas encore aborder la conversion à une économie de paix.

 

4 Le débat sur le désarmement et la conversion a caché la montée en puissance d’un autre type de conflit, la guerre économique. Le conflit, dans son acceptation générique, restait donc au premier plan des relations internationales même dans une période ou l’on écrivait sur la fin de l’histoire. Avec le recul, l’action pour la conversion des industries d’armement ne vous semble-t-elle pas être plus périphérique qu’elle le l’a parue alors ?

 

En préalable à ma réponse je tiens à revenir sur le terme de « guerre économique » . Si il est couramment utilisé, ce terme ne recoupe pas, selon moi, la définition d’une véritable guerre. En effet, la compétition économique peut avoir des vertus et pas seulement des vices. La guerre, le conflit armé, n’a lui que des effets négatifs, au moins à court et moyen terme.

Pour apprécier la situation de la conversion nous allons nous pencher sur la valeur économique de l’activité des industries d’armement.

Sur la valeur totale des économies les dépenses militaires sont moins importantes, en valeur relative, qu’elles ne l’étaient à la fin de la guerre froide, même si en valeur absolue elles ont augmenté. D’autre part si l’activité des industries d’armement reste importante dans les économies nationales des pays occidentaux, elle n’est plus la priorité. Si nous ajoutons à cela des changements sur la scène internationale, tel que la création d’une armée européenne, nous pouvons croire à la continuation de la contraction du marché de l’armement dans les années à venir. Même au USA les changements amorcés dans les années 1990 continuent de perdurer. Tous les ans des bases militaires sont fermées et converties à des activités civiles.

Je pense donc que l’action pour la conversion des industries d’armement reste incontournable.

5 Si la revue Conversion avait pour but d’aider à la mise en place de plan globaux et à la définition d’une stratégie de long terme il apparaît, au fil de la lecture des articles, que le caractère éminemment politique du sujet a exclu petit à petit les chercheurs et la société civile du débat, es –tu d’accord avec ce constat ?

 

Oui, c’est vrai.

Les acteurs de la société civile ont un poids tout relatif. L’exemple du Center for Economic Conversion est édifiant. Cet organisme, qui était le plus actif et comprenant trois chercheurs a plein temps, a fermé ces portes avant même les bouleversements qu’a connu la scène internationale au début des années 2000. Malgré un production importante d’articles leur influence peut être considérée comme quasiment nulle.

C’est plutôt au niveau local que l’on peut apprécier l’engagement et les effets de cet engagement de la société civile. Souvent c’est en concertation avec les associations ou sous leur pression que les élus ont plus pris en compte des solutions de conversion que de simple fermeture. Force est de constaté cependant que ce n’est que munie d’un levier politique ou économique que la société civile a été écoutée et entendue.

Dans le domaine de la défense, comme dans celui de l’énergie, la société civile est souvent confrontée à des impératifs et des dynamiques de marché qui rendent sont action moins efficace.

 

Richard Pétris.

1 Selon toi, les opportunités de reconversions de l’économie, du militaire vers le civil, ont-elles toutes été exploitées, au moins en partie, ou n’avons nous assisté qu’à une reconversion de l’industrie de défense dans un contexte de crise que les dirigeants de ces entreprises voulaient gérer au jour le jour sans entreprendre de véritable changements de fonds ?

 

2 N’y a-t-il pas eu une mésentente dés les premières années sur ce que le terme de conversion recouvrait pour les uns (gouvernants et industriels) et pour les autres (société civiles et chercheurs) et cette mésentente n’était-elle pas déjà visible ou prévisible au milieu des années 90 ?

Les deux questions abordent un même problème qui est celui de la réalité de la conversion. Dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin et de la fin de la guerre froide – événements qui ont surpris, parce que non prévus et encore moins programmés !  - dans la gamme des acteurs de la société concernés par cette problématique, ce sont les plus éloignés du « théâtre des opérations » pour utiliser une terminologie militaire, c’est à dire effectivement les chercheurs et les représentants de la société civile, qui ont le plus voulu croire à une possibilité de reconversion subite des industries d’armement, tandis que ceux qui en étaient les plus proches, en fait les industriels eux-mêmes, réagissaient à une situation qui s’apparentait à une crise plutôt conjoncturelle en définitive, les militaires, quant à eux, semblant considérer qu’ils n’avaient guère plus voix au chapitre que d’habitude, les choix d’équipement leur étant souvent imposés selon certains. De fait, ceux qui auraient le plus pu imprimer un véritable mouvement, une reconversion planifiée, ce sont les politiques qui, s’ils ne l’ont pas fait , ont tout de même eu à considérer, et dans certains cas à engager, un ensemble de mesures de restructuration, ou de re-dimensionnement pour le moins, de dispositifs, d’effectifs, de matériels, d’équipements, d’installations et d’actifs immobiliers ne correspondant plus aux besoins immédiats et même prévisibles d’un nouvel ordre international que l’on envisageait tout de même comme plutôt moins dangereux. En fait, je me rappelle avoir noté que le leitmotiv qui avait court alors était bien qu’il ne fallait pas, ou pas trop, « baisser la garde » , pour les militaires et les politiques, et, chez les industriels, risquer de descendre en dessous d’un niveau d’investissement dans ce secteur qui aurait compromis la veille technologique et l’éventuelle remontée en puissance.

 

3 Aux USA la conversion a avorté totalement et nous sommes même dans une phase de croissance exceptionnelle du marché de la défense. En Europe, la situation est différente. Cette situation d’une industrie d’armement restructurée à l’échelle du continent te paraît-elle être une étape satisfaisante sur le chemin de la conversion ou n’est-ce qu’une autre forme de redémarrage de cette industrie ?

Il me semble que l’on doit dire qu’aux Etats Unis une profonde restructuration de l’industrie d’armements a été réalisée pour s’adapter, précisément, à de nouveaux besoins liés à la situation internationale et au rôle de gendarme du monde que le pays continue de jouer. En Europe, on est dans une situation où l’on s’est laissé aller à une certaine facilité et qui est caractérisée par un niveau de sous-équipement inquiétant par rapport aux nécessités d’une défense digne de ce nom. Le quasi non débat sur ce sujet à l’occasion de la discussion sur le texte de traité constitutionnel européen en 2005 a montré en fait, d’une part, l’absence de véritable politique en ce domaine, d’autre part, plutôt le refus de l’opinion d’avoir à envisager l’éventualité d’une relance des dépenses militaires ; certains allant jusqu’à assimiler la revendication par l’Europe de la « puissance » à un danger de remilitarisation. Par contre, la restructuration encore très incomplète de l’industrie d’armement à l’échelle du continent européen relève d’abord d’une volonté de rationalisation et de recherche d’efficacité qui est à rapprocher de la démarche générale et progressive de la construction de l’ensemble européen, de la constitution d’un espace communautaire et européen intégré. A ce titre, et dans le long terme, cette phase peut être considérée comme relevant d’une stratégie d’ensemble qui traduit une certaine volonté de maîtrise voire de réduction raisonnée de ces dépenses militaires.

 

4 Le débat sur le désarmement et la conversion a caché la montée en puissance d’un autre type de conflit, la guerre économique. Le conflit, dans son acception générique, restait donc au premier plan des relations internationales même dans une période ou l’on écrivait sur la fin de

l’histoire. Avec le recul, l’action pour la conversion des industries d’armement ne vous semble-t-elle pas être plus périphérique qu’elle ne l’a parue alors ?

De fait, les questions de défense, les questions militaires, n’ont été abordées, dans le cadre du démarrage de notre partenariat avec la Fondation Charles-Léopold Mayer qu’à partir de ce problème particulier de la conversion des industries d’armement. En définitive cette situation nous aide sans doute à remettre l’action pour la conversion des industries d’armement à sa vraie place, en tous cas nous interdit de la considérer comme pouvant être envisagée de manière isolée de l’ensemble de la problématique de la défense et de la sécurité.

 

5 Si la revue Conversion avait pour but d’aider à la mise en place de plan globaux et à la définition d’une stratégie de long terme il apparaît, au fil de la lecture des articles, que le caractère éminemment politique du sujet a exclu petit à petit les chercheurs et la société civile du débat, es - tu d’accord avec ce constat ?

La revue Conversion a bien été conçue à partir de ce constat que la conversion des industries d’armement ne peut en aucun cas être sortie de son contexte global, celui du défi de la guerre et de la paix ; d’où les cinq approches que nous nous sommes imposées. Le paradoxe me semble être que c’est justement parce que cette question est politique, dans le plein sens du terme – relative à la cité, au gouvernement des hommes et de l’Etat – que les chercheurs et la société civile auraient du, au même titre que les autres, rester associés à la réflexion sur ce sujet qui relève bien du défi global du passage d’une culture de guerre à une culture de paix. Il faut bien remarquer que dans les sociétés organisées – on dira évoluées et démocratiques – ce sont peut-être les militaires eux-mêmes qui se montrent les plus critiques à l’égard du recours à la guerre comme moyen de résoudre les problèmes ! Dire que la guerre ne résout rien c’est surtout affirmer que, dans notre monde de plus en plus complexe, la réponse aux défis de la violence suppose la conjugaison de tous les efforts. C’est un général, commandant d’une des plus importantes régions militaires, qui nous a fait intervenir récemment, en tant que représentant de la société civile, dans une table ronde sur le thème : « Comment gérer les crises ensemble ?  » N’est-ce pas aussi reconnaître que ce n’est décidément pas l’arme le problème, mais plutôt la volonté d’en découdre ? D’où cet incontournable travail sur les mentalités et par l’éducation au sens large du terme.

 

Bernard Reverdy.

1 Selon toi, les opportunités de reconversions de l’économie, du militaire vers le civil, ont-elles toutes été exploitées, au moins en partie, ou n’avons nous assisté qu’à une reconversion de l’industrie de défense dans un contexte de crise que les dirigeants de ces entreprises voulaient gérer au jour le jour sans entreprendre de véritable changements de fonds ?

En fait une véritable volonté de conversation des industries de défense vers le secteur économique civil n’aurait existé qu’un tout petit laps de temps à la fin des années 80, début 90 après les premiers accords de désarmement entre les russes et les américains. Il y a eu une prise de conscience du côté des industriels américains et des grands laboratoires publics (Lincoln laboratory, voir mon interview de son directeur à l’époque) qu’il fallait vite penser à faire autre chose si l’on voulait rester dans le coup des commandes publiques et des programmes d’innovation.

Je pense que la volonté des politiques a été très courte sur ce thème: les premiers mois de Bill Clinton aux affaires. La prise de conscience des entreprises américaines qu’il fallait être présents dans les nouvelles technologies civiles sans chercher à s’accrocher à tout prix aux commandes militaires a été plus durable.

Du côté européen la France a été le dernier des pays à amorcer une décrue de ses commandes d’armement. Les politiques ont été très lents à comprendre le changement de la donne en matière de conflit, la gauche a voulu montrer qu’elle était aussi nationaliste et attachée à la force de frappe. Enfin les industries de l’armement relevant du secteur public ont freiné avec le conservatisme des syndicats toute évolution du système. C’est à une crise de productivité du système de production que nous avons assisté à la DCN (Direction des Chantiers Navals), chez Giat-Industries (Groupement Industriel des Armements Terrestres). Voir les fiches de Hébert et Serfati.

Les seules conversions effectives sont celles des terrains affectés à la Défense et dont le ministère a cherché à tirer profit pour faire quelques plus-value foncière pour équilibrer un budget mis à mal par le Ministère des Finances.

 

2 N’y a-t-il pas eu une mésentente dés les premières années sur ce que le terme de conversion recouvrait pour les uns (gouvernants et industriels) et pour les autres (société civiles et chercheurs) et cette mésentente n’était-elle pas déjà visible ou prévisible au milieu des années 90 ?

Mésentente voudrait dire qu’il y a eu un minimum de dialogue sur ce thème.

Or celui ci a été totalement absent. Quelques politiques se sont emparé du discours sur les dividendes de la paix mais cela a fait long feu. Du côté français la question a plutôt été celle

de la restructuration du secteur et les multiples tentatives sans succès de faire émerger une politique européenne d’armement dont personne ne voulait mais qui aurait permis de donner un avenir aux ingénieurs de la DGA (Direction Générale de l’Armement) et de la DCN. Dans les années 90 le constat a été long à faire mais il a été fait confidentiellement que tout notre système ne valait pas grand chose et

n’apporterait rien de bon à l’industrie qui avait cherché ses ressources d’innovation en dehors de ce secteur orienté sur des technologies baroques et dont le personnel manquait complètement de productivité. Au GIAT de Bourges alors que les effectifs étaient pléthoriques il fallait recruter des contractuels pour faire le boulot, y compris celui de directeur de l’établissement!

Les chercheurs eux ne font que constater ce qui se passe. Il n’ont aucune mission de la part des intéressés pour rechercher des solutions. La société civile a pu de son côté appuyer la démarche de quelques chercheurs qui pensaient encore possible une évolution. La préoccupation des gouvernants était de garder une certaine autonomie dans la production nationale de défense et de gérer un grave problème de reconversion de sites industriels

obsolètes.

 

3 Aux USA la conversion a avorté totalement et nous sommes même dans une phase de croissance exceptionnelle du marché de la défense. En Europe, la situation est différente. Cette situation d’une industrie d’armement restructurée à l’échelle du continent te paraît-elle être une étape satisfaisante sur le chemin de la conversion ou n’est-ce qu’une autre forme de redémarrage de cette industrie ?

Aux USA après la purge des années 90 nous assistons sans doute à de nouveaux entrants dans le système de production connectés avec les réseaux d’innovation qui ont travaillé pour le secteur civil. Mais je manque d’info sur ce thème depuis quelques années et ne peut donner un avis sur la situation actuelle.

Je pense qu’aujourd’hui la commande militaire sollicitera plus les industries classiques et évitera de reconstituer des monstres comme le GIAT ou la DCN.

 

4 Le débat sur le désarmement et la conversion a caché la montée en puissance d’un autre type de conflit, la guerre économique. Le conflit, dans son acception générique, restait donc au premier plan des relations internationales même dans une période ou l’on écrivait sur la fin de l’histoire. Avec le recul, l’action pour la conversion des industries d’armement ne vous semble-t-elle pas être plus périphérique qu’elle le l’a parue alors ?

La guerre économique comme la compétition en terme d’armements servent la même volonté celle de s’affirmer comme puissance. La construction lente mais irréversible de l’Europe a réduit non seulement les conflits armés entre nous mais aussi les agressions économiques par dévaluation contre ses voisins. La question est de savoir si nous voulons rester avec des velléités de puissance au niveau de petites nations ou si l’on peut avoir un projet politique européen permettant de prendre sa place entre les USA et la Chine. La conversion n’a de sens que si elle suit un projet politique collectif à plusieurs pays de réduire la production d’armement et de rechercher la solution aux conflits par d’autres moyens que la surenchère dans le chantage à la destruction ou le terrorisme d’Etat. Travailler sur la conversion isolément du contexte politique de défense n’a pas effectivement donné beaucoup de résultats.

 

5 Si la revue Conversion avait pour but d’aider à la mise en place de plan globaux et à la définition d’une stratégie de long terme il apparaît, au fil de la lecture des articles, que le caractère éminemment politique du sujet a exclu petit à petit les chercheurs et la société civile du débat, es –tu d’accord avec ce constat ?

Les chercheurs ont continué à travailler mais ils ont toujours eu conscience qu’il ne leur revenait pas de changer l’ordre des choses si les politiques ne s’en emparaient pas. Sur ce thème droite et gauche n’ont pas voulu aborder la question de fond qui est celle des objectifs de la Défense nationale et pour être sûr que la société civile ne s’en mêle pas ils ont supprimé le service militaire. Les représentants de la société civile qui aujourd’hui proposent un service civique obligatoire se gardent bien de parler de défense.

Commentaire

Quelques points communs entre les trois interviews.

Le point commun le plus important entre les trois interventions est la volonté de croire à la conversion de l’économie de guerre en économie de paix. A la différence des acteurs les plus proches du théâtre des opérations, les membres de la société civile sont ceux qui ont manifesté, et manifestent encore, le plus d’engagement sur le terrain de la conversion. En parallèle, les auteurs de la revue sont bien conscients du manque d’opportunités actuelles pour relancer une action en faveur de ce combat. Il subsiste des espoirs mais malheureusement pas à court terme.

Parmi ces espoirs il y a l’Europe. Malgré l’échec du Traité établissant une Constitution pour l’Europe on peut considérer l’Union, par les économies d’échelles potentiellement réalisables en son seing, comme un des moyens essentiel de réduction des dépenses militaires sur le continent et dans le monde. Dans les années 1990 la France était seule pour promouvoir une solution européenne à la problématique posée à l’industrie d’armement. Il aura fallu dix années et la pression économique pour que les partenaires de la France se rallient en partie à son point de vue sur ce dossier. Dans une perspective de long terme, l’intégration des différents pays d’Europe à un espace de défense commun reste l’un des principaux espoirs de voir ce constituer une industrie d’armement raisonnée dans ses objectifs et raisonnable dans ses dimensions.

Si la communauté des chercheurs et la société civile ont bien participé du même espoir dans les années 1990, il faut souligner que la volonté de réussir n’a pas souffert d’un manque d’engagement dans la réflexion ou les actions menées par eux. C’est plutôt le manque de volonté des pouvoirs publics de chacun des pays concernés de faire converger leurs visions et leurs actions sur un des thèmes fondant l’Etat westphalien tel qu’il existait encore en 1990 : la guerre.

La conversion, en tant qu’objectif lié à l’établissement d’une culture de la paix, reste incontournable. Cependant, la décennie qui vient de s’écouler nous enseigne que l’on ne doit pas, sous peine d’échec, cloisonner les différentes facette du paradigme de la sécurité internationale.

L’exemple de la conversion est instructif pour les acteurs de la paix. Alors que se posait à la société/cité un problème global auquel l’ensemble des acteurs auraient du répondre, la méthode de gestion, à court terme et sans vision profonde, a fait que seules les réponses de certains acteurs ont été entendues. Aujourd’hui, plus que jamais, est dévoilée l’inefficacité de la réponse « tout militaire » au défi de la sécurité internationale. Il faut donc espérer qu’à l’avenir les détenteurs de la violence légitime associeront les chercheurs et la société civile à l’élaboration d’une réponse globale à cet épineuse question.