José Pablo Batista, Guatemala, décembre 2004
Les relations et les tensions entre l’Amérique centrale et les États-Unis à la fin du XXe siècle concernant la paix.
Pour chercher la pacification de l’Amérique centrale, la méthode de « la paix par la force » s’opposait à la méthode de « la paix par les réformes ».
Au sujet de la politique extérieure des États-Unis pour l’Amérique centrale, malgré les divergences mises en avant par les élites politiques nord-américaines, il existait une unité d’approche. Le point de départ était du domaine de la géopolitique. Il consistait à affirmer que les États-Unis avaient le droit d’intervenir dans leur arrière-cour. À l’intérieur de ce cadre théorique fondamental se développaient deux approches divergeantes dans leurs méthodes d’action mais convergeantes dans leurs objectifs.
Dans le discours prononcé par le Président Reagan le 27 avril 1983 devant les deux Chambres réunies, il proposa que l’aide américaine à l’Amérique centrale soit destinée à contribuer à la démocratisation politique et à soutenir le développement économique de la région. Ces objectifs seraient atteints par le renforcement des armées qui, grâce à la supériorité de moyens, empêcheraient les communistes de continuer à allumer des tentatives révolutionnaires. Les dirigeants du Parti démocrate américain affirmaient partager ces objectifs, mais selon eux l’utilisation de la force comme moyen pour les atteindre n’était pas le plus convenable. Ils affirmaient qu’il fallait s’attaquer aux « causes » de la rébellion par la voie de réformes profondes d’un système injuste qui, aux États-Unis, ne serait pas toléré.
Ces deux approches, dont la différence tenait surtout à l’utilisation ou pas de la force comme moyen de résolution des conflits, étaient aussi mises en avant en Amérique centrale par les quatre groupes les plus importants à l’époque : l’élite militaire de l’armée et celle des commandants guérilleros, qui affirmaient que seule la défaite militaire de l’adversaire pouvait amener la paix, et les élites politiques et économiques, qui privilégiaient la voie des réformes sociales et de la pacification par le dialogue. La méthode de « la paix par la force » et la méthode de « la paix par les réformes » s’opposaient. Cependant, il ne s’agissait pas de deux dynamiques distinctes aux frontières bien définies. Des liens se tissaient entre les tenants de chacune des deux méthodes.
En effet, les divergences n’appartenaient pas uniquement aux populations centre-américaines. Elles concernaient aussi les élites politiques des États-Unis. Il est même possible de parler de deux modèles divergents :
Le modèle de "la paix par les réformes"
Ce modèle peut être illustré par la politique des États-Unis pour l’Amérique centrale mise en place par l’administration Carter. Les relations avec l’Amérique centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Nord – Sud ». La politique Carter se plaçait sous le signe du respect des droits de l’homme et de la mission des États-Unis en tant que défenseur de la démocratie.
L’équipe du gouvernement Carter affirmait que, dans les années à venir, la guerre froide n’allait plus constituer la principale source de conflits pour les États-Unis. Par rapport aux pays de l’Amérique centrale, il fallait faire basculer la bataille militaire sur d’autres terrains, par l’application des moyens suivants : vis-à-vis des gouvernements centre-américains, il s’agissait d’exercer une certaine pression économique tout en gardant une certaine distance, pendant qu’une nouvelle élite politique était formée selon les principes démocratiques et libéraux et préparée professionnellement pour gouverner. Vis-à-vis des mouvements révolutionnaires, les combattre avec des moyens militaires exagérés érigeait leurs leaders en « martyrs » tout en nourrissant l’ardeur des combattants et en faisant monter la température du conflit. Il fallait les combattre par l’idéologie en présentant le socialisme comme un contre modèle afin que les mouvements armés perdent le soutien de la population et qu’ils tombent d’eux-mêmes. Vis-à-vis de la population, il fallait une politique de communication professionnelle pour convaincre la société civile de l’inutilité de l’opposition violente et de la non pertinence du modèle socialiste, et pour lui montrer que l’élection des autorités via les élections était le meilleur chemin, sinon le seul accepté, pour réaliser les réformes politiques recherchées.
Le modèle de "la paix par la force"
Ce modèle peut être illustré par la politique des États-Unis pour l’Amérique centrale mise en place par l’administration Reagan. Les relations avec l’Amérique centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Est – Ouest ». Pour l’administration Reagan, il ne s’agissait pas d’une lutte de la société pour la justice sociale ou pour aboutir à des réformes à l’intérieur du régime. Les centre-américains étaient manipulés par le communisme international. Le conflit était le produit d’une stratégie soviético-cubaine en vue d’imposer un régime communiste dans la région.
Les dirigeants républicains soutenaient que l’entente avec l’Union soviétique n’était qu’une mascarade du Kremlin destinée à jouer un tour à la Maison-Blanche. Pendant que les USA négociaient avec l’URSS, le PC soviétique perçait l’Amérique centrale via le sandinisme, au pouvoir au Nicaragua, et soutenait les mouvements de guérilla au Salvador et au Guatemala. Le soutien politique, financier, militaire et logistique fourni par le Pentagone aux gouvernements centre-américains amis avait permis à ceux-ci d’imposer un système de répression militaire en toute impunité. Bien que des pratiques utilisées couramment, comme la torture, les massacres, etc. allaient à l’encontre des principes démocratiques fondamentaux reconnus et acceptés officiellement, les militaires se justifiaient en disant qu’elles représentaient le prix à payer pour la « normalisation » de la société. Pour les États-Unis, il s’agissait d’empêcher le communisme de s’emparer de ces pays.
Ces deux positionnements ne sont que « des modèles théoriques ».
Des éléments communs aux deux approches
De nombreux politologues et historiens ont privilégié l’analyse des différences entre la politique de l’administration Reagan et celle de l’administration Carter en ce qui concerne l’Amérique centrale. Il est aussi intéressant de dévoiler les continuités et les articulations de l’une par rapport à l’autre. Les théories soutenant que les années Reagan ont été les plus meurtries pour l’Amérique centrale alors que les années Carter avaient été les plus heureuses peuvent s’ouvrir à une autre perspective d’analyse en mettant en lumière des nuances importantes.
Ses deux modèles permettent de comprendre les divergences d’approches au sein de l’administration américaine, ils dévoilent aussi une unité fondamentale : les États-Unis étaient persuadés qu’ils avaient l’autorité légitime d’intervenir dans les affaires politiques internes de l’Amérique centrale, ce qui donnait aux luttes centre-américaines une dimension géopolitique. Deux remarques peuvent être faites :
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D’une part, la politique USA en Amérique centrale n’était pas « unilatérale ». Celle-ci rencontrait des élites locales avec des intérêts politiques et économiques précis, et elles étaient le plus souvent divisées et en lutte entre elles. Ces élites, ou quelques-unes d’entre elles, intériorisaient, renforçaient et même utilisaient la stratégie des USA par des mesures d’amplification, d’interprétations, de détournement, etc. Les USA profitaient des divisions et des luttes internes des élites locales lesquelles, à leur tour, se tournaient vers les USA pour atteindre leurs objectifs. Les élites centre-américaines n’étaient pas simplement des destinataires de la politique des États-Unis, souvent elles contribuent à la construire.
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D’autre part, le milieu des élites dirigeantes des États-Unis est plutôt complexe. Bien que dans les présentations des relations entre les États-Unis et l’Amérique centrale, très souvent les composants de l’un et de l’autre sont unifiés pour des raisons aussi de compréhension logique, il est convenable de prendre en compte les distinctions, les divergences et les oppositions internes de l’un et de l’autre. Dans cette perspective, il faut expliciter que le fait d’aborder « les États-Unis » ou « l’Amérique centrale » comme étant des unités délimitées et distinctes est aussi un travail de construction conceptuelle. Dans le cas de la présentation de « la politique des États-Unis », par exemple, même s’il est question d’une certaine unité logique, il est question également de convergences et de divergences entre, par exemple, la Maison-Blanche et le Congrès ; entre les grandes institutions nationales, telles que le Département d’État, le Pentagone, la CIA ; entre démocrates et républicains, etc. Les relations des États-Unis avec l’Amérique centrale dans les années 1980 – 1990 permettent d’approcher les États-Unis non pas simplement dans des termes d’uniformité et de régularité, mais aussi dans des termes de différenciations, d’adaptations aux enjeux, parfois même de concurrence interne extrême.
C’est dans ce contexte complexe, concurrentiel et conflictuel que le plan Arias à été adopté par les autorités centre-américaines délaissant ainsi le plan Reagan.
L’administration Bush I : le tournant économique
Après la signature du Traité d’Esquipulas II commence à se mettre en place une évolution importante de la politique américaine pour l’Amérique centrale.
En 1990, l’administration Bush exprima son soutien au processus Esquipulas.
Malgré les fluctuations, il est possible d’établir un fil conducteur de la politique américaine pour l’Amérique centrale se fondant sur une appréciation politique précise des autorités politiques des États-Unis : elles considèrent avoir un droit légitime d’intervention dans leur arrière-cour. En 1989, dans un célèbre discours devant le Congrès américain, le président Bush a bien exprimé la vision que les États-Unis se faisaient de l’Amérique centrale : « Les problèmes de l’Amérique latine et de l’Amérique centrale affectent directement la sécurité et le bien-être de notre peuple. L’Amérique centrale est beaucoup plus proche des États-Unis que beaucoup d’autres endroits problématiques du monde qui nous intéressent... El Salvador est plus proche du Texas que ne l’est le Texas du Massachussets, le Nicaragua est plus proche de Miami, de san Antonio, de san Diego et du Tucson que ces villes ne le sont de Washington ». George Bush, « Central America : Defending Our Vital Interests », discours devant le Congrès, 29 novembre 1989. Le texte est issu de : State Department Bulletin, 15 décembre 1989, pp. 36-40. Traduction de H. Bauer.
Pour sa politique vis-à-vis de l’Amérique centrale, l’administration Bush avait pris en compte un rapport élaboré pendant l’administration Reagan. Le Président Reagan avait créé en 1983 une Commission nationale sur l’Amérique centrale, composée de sénateurs des deux partis, sous la direction de M. H. Kissinger. Leur rapport proposait les bases de la politique des États-Unis envers l’Amérique centrale en quatre points. Il s’agissait de trouver une solution politique au conflit centre-américain. Pour empêcher la renaissance de mouvements armés, il était convenable d’ouvrir un processus de démocratisation de la région. Puisque la situation économique de l’Amérique centrale était pénible pour la majorité de la population, il s’agissait d’établir une coopération économique capable d’empêcher le succès des discours populistes ou des aventures révolutionnaires. Tout cela en préservant l’autorité morale des États-Unis : il faudrait signer des accords avec les gouvernements centre-américains pour qu’ils déclarent avoir demandé l’aide des États-Unis. Bien que M. Reagan n’ait pas donné suite à ce rapport, M. Bush s’en est servi.
Commentaire
Au milieu des années 1990, la politique étrangère des États-Unis pour l’Amérique centrale cherchait à favoriser l’instauration de modèles politiques démocratiques insérés dans le cadre de l’économie libérale. Le principal objectif des États-Unis n’était plus uniquement stratégique, il était aussi économique : ils regardaient les pays de l’Amérique centrale avec les yeux du marché.