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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, 2000

Dans une école de Louvain-La-Neuve (Belgique) : des « tiers pairs » pour débloquer les mots!

Durant l’année scolaire 1995-1996 une équipe de l’Université de Paix de Namur a mené une formation à la médiation au sein de l’école primaire du Biéreau de Louvain-La- Neuve, à la demande de la direction de l’établissement. Cette formation a concerné les adultes (enseignants, encadrement…), et une quarantaine d’enfants volontaires qui ont pu ainsi devenir médiateurs auprès des autres élèves, leurs «pairs». Voici le témoignage de l’équipe de l’Université de Paix.

Mots clefs : Education à la non-violence | Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation

Il était une fois (mais pas deux) un monde de triques et de troc où les mots se mirent à rouiller parce qu’on ne s’en servait plus. Les enfants se rendaient chaque jour à l’école. On leur avait dit qu’ils trouveraient là tout ce qu’il leur fallait pour leur tête bien faite et bien pleine. Mais rien pour le cœur ! Et puis, il y avait tellement de potin qu’on n’aurait pu en placer une. C’est comme ça que les mots chaleureux avaient commencé à rouiller. Les mots s’étaient bloqués, ils avaient perdu leur usage essentiel. « Quel joli mot, dit l’enfant qui passait, j’ai bien envie de m’appeler comme ça, et puis ça peut s’mettre au féminin. » L’enfant chantonnait : « Je suis essentiel/tielle/ciel/si… elle ».

« Tu nous demandes de décider nous-mêmes, mais en classe on ne le fait pas! », nous a dit un jour une jeune médiatrice de 11 ans. Nous voici loin du conte tendre esquissé en remarque liminaire. Cette fille fait partie du groupe d’enfants-médiateurs. Ils étaient au nombre de 40 au début, en mai 1995, mais il n’en reste plus que 24 en décembre 1995 lorsque, provisoirement, nous dressons le bilan de sept mois d’expérimentation dans cette école du Brabant wallon. Les enfants étaient volontaires. Il y eut presque 80 candidat(e)s. Un choix a ensuite été fait par les adultes (les animateurs de l’Université de paix et les responsables du collège) et les élèves selon certains critères, nous voulions notamment respecter un équilibre garçons-filles et un équilibre relatif aux nationalités d’origine des enfants (trente origines différentes). Nous souhaitions aussi avoir des enfants perçus par les enseignants et les élèves comme des «leaders positifs» et des « leaders négatifs ». Nous avons ciblé les 8-12 ans parce que nous pensions qu’à partir de 8 ans les enfants sont capables d’altruisme et de plus d’écoute et de capacité de langage qu’avant cet âge. Notre pratique relativisera cette option : certains enfants dès 7 ans seront capables d’aller vers autrui et d’entrer en relation avec lui alors que des enfants plus âgés n’en seront pas capables.

L’école est située dans une ville universitaire, Louvain-La- Neuve, ville jeune où vivent peu de retraités et de chômeurs. C’est une construction à étages, en béton, pour douze classes primaires et quelques pavillons éloignés pour des classes maternelles. Cet établissement rassemble 340 enfants de 30 nationalités différentes. Une école comme tant d’autres, avec ni plus ni moins de violences ou de conflits. Insultes, jugements, injures, sobriquets péjoratifs et coups émaillent les récréations. Nous avions été sollicités par la direction et avions lancé un projet pilote de médiation à destination des adultes socialisateurs (parents-enseignants, surveillants…) et des enfants.

Le « club Méd »

L’objectif était de prendre en charge les conflits personnels, interpersonnels ou de groupes dans les classes et en récréation. Enfants et enseignants ont vécu quasiment le même programme comportant trois étapes. La première a consisté à prendre en compte les conflits vécus à l’école et à sensibiliser les personnes à la coopération. Lors de la seconde étape nous avons proposé des exercices permettant la cohésion du groupe, l’augmentation du climat de confiance, de l’estime de soi, de la communication et de l’écoute pour terminer par l’apprentissage des techniques de médiation. Enfin la dernière phase a visé à installer un groupe de soutien, le « club Méd » (comme Médiation). Il s’agissait de rassembler tous les quinze jours les enfants médiateurs et les adultes accompagnants pour assurer le suivi et traiter les difficultés ou réussites rencontrées.

Ce programme a été quelque chose de novateur, un fil conducteur pour l’école. Au fur et à mesure de l’installation du projet, ce fil conducteur est devenu un fil tout court, reliant les enseignants entre eux et aux enfants et les enfants entre eux. À travers cette expérience les enfants ont appris à mieux se connaître, à écouter l’autre, à s’exprimer sans agression, à admettre que l’autre peut avoir un point de vue différent du leur, à imaginer des solutions sans perdants. Cela a été pour chacun une occasion de se remettre en question dans l’école et de dire tout haut ce qui se passe tout bas. Les jeunes comme les adultes ont appris quelque chose pour eux-mêmes et pour améliorer leurs relations aux autres, ils ont expérimenté une autre façon de faire que la bagarre, ce qui est un pas vers l’édification de la paix.

Pour nous, cette expérience est positive mais pose néanmoins question. Ainsi la notion de médiateur a oscillé entre être Zorro, redresseur de torts, un sauveur, un scout… et la possibilité de choisir une autre manière de faire et d’aborder le conflit autrement que par l’agression physique ou verbale.}} Des élèves médiateurs nous ont fait part de leur inconfort d’être montrés du doigt. {{Ils ressentaient un malaise face à cette situation de non-parité : de pair, de simple élève comme les autres, ils étaient passés au statut de « pair plus », de différent. Certains d’entre eux ont souhaité redevenir comme les autres, comme avant.

Autre difficulté : pour que l’enseignant ne reste pas l’enseignant, le formateur ne reste pas l’expert et l’élève ne reste pas l’élève, il convient de réfléchir la place de l’autorité et d’agir de manière non autoritaire. Il s’agit de faire en sorte que ceux qui détiennent le savoir et le pouvoir se positionnent autrement que dans un rapport suzerain-vassal. Certains professeurs (ou d’autres adultes en charge de l’éducation des jeunes) éprouvent des difficultés à s’engager personnellement dans un processus de médiation lorsqu’ils imaginent que leur pouvoir et leur autorité sont menacés.

La médiation est d’abord un outil, et cet outil une occasion de changement. Car, au travers du processus de la médiation souffle tout un esprit, une façon de vivre, d’être en relation. Nous avons pu constater ces résultats lors de cette expérience : un climat favorisant la discussion et l’entraide entre les enfants; des enfants plus tolérants, responsabilisés…

Voici, pour terminer, deux petites histoires de médiation

Tom et Kevin

« Un enfant de 8 ans, Tom, suivait toujours dans la cour de récréation un grand de sixième année (CM2 en France), Kevin. Celui-ci, excédé, lui demande de ne plus le suivre. Tom est à la fois désespéré et en colère. Il pense que Kevin ne l’aime pas. Nous proposons de parler à Kevin lors de la prochaine récréation pour s’informer:

– Pourquoi tu ne veux pas être mon ami ? demande Tom.

– C’est pas que je ne veux pas être ton ami. Mais je veux jouer avec ceux de mon âge! répond Kevin.

Tom a reconnu que sa pensée du départ n’était pas réelle. Obtenir des informations lui a permis de percevoir que l’amitié n’était pas liée au fait qu’il soit différent. »

Christine, France et Nathalie

« Christine reproche au formateur de choisir France :

– C’est la chouchoute ! C’est elle qui occupe toujours la première place. C’est toujours elle qu’on choisit!

– Je n’y peux rien, répond France. Et Christine de lui dire:

– Je te déteste, je ne te cause plus.

Cette situation, nous l’abordons avec le groupe : expression des sentiments, des besoins… Quelques jours plus tard, lors d’une supervision d’enfants-médiateurs, nous voyons Christine et France assises côte à côte en train de se parler. Elles nous ont expliqué : Christine, en dispute avec Nathalie, a demandé à France (médiatrice), d’intervenir pour les aider à trouver une solution à leur conflit qui s’est résolu. Grâce à cela, France et Christine, qui ne pouvaient pas se voir auparavant, ont pu se dire leurs sentiments et communiquer sur leur relation. Christine était jalouse de France, une fille blonde aux yeux bleus souvent valorisée par les enseignants. Christine, d’origine noire africaine, enviait la couleur de peau, des cheveux et des yeux de France et elle en avait assez de voir France mise sur un piédestal par les enseignants. France a alors pu lui expliquer qu’elle n’avait pas choisi sa situation et que l’attitude des enseignants la gênait souvent. À 11 ans, elles ont pu ainsi faire une médiation sur leur propre conflit, le dépasser et devenir de très bonnes amies. »

Commentaire

Cette expérience de médiation démontre l’utilité de la médiation comme outil de socialisation. Elle permet également de donner plus de pouvoir à l’enfant sur sa vie scolaire tout en ouvrant les enfants vers le dialogue et la tolérance.

Notes

  • Auteurs : Françoise Cognaut, Cécile Denis,Christian Goblet, Béatrice Lebouille, Joëlle Timmermans - Université de Paix de Namur.

  • Contact : Université de Paix de Namur, 4, Bd du Nord, B-5000 Namur – Belgique. Tél.: 0031812261 02.