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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Bassin du lac Tchad et Paris, juillet 2012

Le trafic d’êtres humains et de documents d’identité

Des réseaux de séquestration d’otages et de traite d’enfants de dimension transrégionale facilités par la porosité des frontières et la corruption.

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Les enlèvements d’enfants pour des rançons ont généré des réseaux de séquestration d’otages et de traite d’enfants de dimension transrégionale. Ainsi, d’après les enquêtes d’Amély-James Koh Bela de l’association Mayina (1), ces prises d’otages nourrissent des réseaux de traite et de prostitution de petites filles qui sont très actifs entre l’Afrique de l’Ouest et cette partie du bassin du lac Tchad. Des fillettes seraient enlevées depuis le Bénin, le Cameroun, le Nigeria, le Tchad ou la RCA et circuleraient entre tous ces pays. Des formes dévoyées de « placement » de ces fillettes auprès des familles parentes alimenteraient également cette traite d’êtres humains. Mais d’après un des chercheurs interrogés (qui n’a pas voulu être cité) lors de recherches sur le terrain, c’est surtout au Tchad qu’il existerait une grande demande de fillettes. Là-bas, de nouveaux riches en « pétro- CFA » « développeraient de nouveaux modes de consommation » (2).

Ces trafics d’êtres humains sont brouillés par les différentes allées et venues facilitées à la fois par l’existence des réseaux ethniques de solidarité transfrontalière, la porosité des frontières, l’inexistence ou l’inefficacité des contrôles et la corruptibilité des agents postés aux frontières. En effet, la solidarité ethnique transcende les frontières au point que l’allégeance à la tribu prend le dessus sur les devoirs de la nationalité, même parfois dans le comportement des officiels des différents pays (3). C’est un fait courant et « normal » que de posséder la carte d’identité nationale de plusieurs pays : celles du Cameroun, du Tchad, de la RCA ou du Nigeria, notamment parce que cela facilite l’obtention d’un emploi. Un exemple d’acquisition de cartes d’identité a été observé lors des audiences foraines organisées de manière expéditive dans les régions frontalières par le Cameroun afin de procéder à l’identification des populations en vue d’établir les listes électorales. Les populations de l’ethnie kanembou, par exemple, pourtant reconnue comme exclusivement tchadienne, ont pris massivement la nationalité camerounaise tout en conservant naturellement leur citoyenneté tchadienne (4).

Quels usages fait-on de ces cartes d’identité obtenues en bonne et due forme ? À part la circulation régionale pour le commerce ou le travail, par exemple, ces cartes d’identité permettent à des bandits (professionnels ou occasionnels) de dissimuler leur véritable identité et de se soustraire à la police ou à la justice du pays où ils seraient recherchés. De ce fait, il semble difficile voire impossible de les poursuivre lorsqu’ils se cachent dans les pays voisins, faute d’accords d’extradition ou « par souci de préserver une certaine tranquillité diplomatique » (5). Devant ces difficultés, et en s’appuyant sur l’accord de Tananarive de 1964 sur la coopération judiciaire pénale, les parquets de Kousséri (Cameroun) et N’Djamena ont dû « bricoler » un accord local (de proximité) de coopération judiciaire afin d’assurer la répression des infractions transfrontalières (6). À défaut de la mise en circulation du « passeport CEMAC » tant annoncé pour une intégration régionale ordonnée des populations et des économies, on assiste à une intégration régionale par la contrebande et l’usage des identités nationales à des fins de trafics transfrontaliers, ce que favorise la mauvaise gestion de l’état- civil.

Notes

  • (1) : Auteur de La prostitution africaine en Occident et Mon combat contre la prostitution Paris, J.C. Gawsewitch, 2005. www.mayina.info et www.amelyjames.info.

  • (2) : Entretien à Yaoundé, le 26 juillet 2011.

  • (3) : Tel est le cas de la l’arrestation de Malam Oumate, rebelle déclaré, à Maiduguri dans le Bornu State au Nigeria au profit des autorités camerounaises représentées par Ahmadou Ali. Les rapports personnels et les affinités ethniques (kanouri) entre cet officiel camerounais et son interlocuteur nigérian ont prévalu pour que ce dernier collabore sans en référer d’abord à sa hiérarchie.

  • (4) : Entretien avec le procureur de la République du Cameroun à Kousséri, le 1er août 2011.

  • (5) : Ibid.

  • (6) : Ibid.