Fiche d’expérience

La politique des États-Unis pour la pacification de l’Amérique Centrale dans les années 1980 - 1990 : ambivalences et consensus

Divergences et convergences des républicains et démocrates sur l’intervention des Etats-Unis pour la paix en Amérique Centrale

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Les relations politiques entre les Etats-Unis et l’Amérique Centrale au cours du 20ème siècle se sont déroulées selon la logique de « l’arrière-cour ». Malgré les divergences mises en avant par les élites politiques américaines, une unité d’approche existait. Le point de départ était du domaine de la géopolitique. Il consistait à affirmer que les Etats-Unis avaient le droit d’intervenir dans « leur arrière cour ». A l’intérieur de ce cadre théorique fondamental se développaient deux approches qui divergeaient dans leurs méthodes d’action mais qui convergeaient dans leurs objectifs.

Dans le discours prononcé par le Président Reagan le 27 avril 1983 devant les deux Chambres réunies, il proposa que l’aide américaine à l’Amérique Centrale soit dirigée à contribuer à la démocratisation du pouvoir politique et à soutenir le développement économique de la région. Ces objectifs seraient atteints par le renforcement des armées qui, grâce à la supériorité de moyens, empêcheraient les communistes de continuer à allumer des tentatives révolutionnaires. Les dirigeants du parti démocrate américain affirmaient qu’ils partageaient ces objectifs, mais que l’utilisation de la force comme moyen pour les atteindre n’était pas le plus convenable. Ils affirmaient qu’il fallait s’attaquer aux « causes » de la rébellion par la voie de réformes profondes d’un système injuste qu’aux Etats-Unis ne serait pas toléré. Il est possible de construire deux modèles différents pour mieux comprendre les divergences manifestées et la convergence dissimulée.

I. La paix par les réformes

Ce modèle peut être illustré par la politique des Etats-Unis pour l’Amérique Centrale mise en place par l’administration Carter. Les relations avec l’Amérique Centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Nord – Sud » . La politique Carter se plaçait sous le signe du respect des Droits de l’Homme et de la mission des Etats-Unis d’être le défenseur de la démocratie.

L’équipe de gouvernement Carter affirmait que, dans les années à venir, la guerre froide n’allait plus être la première source de conflits pour les Etats-Unis. Que par rapport aux pays de l’Amérique Centrale il fallait faire basculer la bataille militaire sur d’autres terrains, par l’application des moyens suivants : vis-à-vis des gouvernements centraméricains, il s’agissait d’exercer une certaine pression économique tout en gardant une certaine distance, pendant qu’une nouvelle élite politique était formée selon les principes démocratiques et libéraux et préparée professionnellement pour gouverner. Vis-à-vis des mouvements révolutionnaires, les combattre avec des moyens militaires exagérés faisait de leurs leaders des « martyrs » tout en nourrissant l’ardeur des combattants et en faisant monter la température du conflit. Il fallait les combattre par l’idéologique en présentant le socialisme comme un contre modèle afin que les mouvements armés perdent le soutien de la population et qu’ils tombent d’eux-mêmes. Vis-à-vis de la population, il fallait une politique de communication professionnelle pour convaincre la société civile de l’inutilité de l’opposition violente et de la non-pertinence du modèle socialiste, et pour lui montrer que l’élection des autorités via les élections était le meilleur chemin, sinon le seul accepté, pour réaliser les réformes politiques recherchées.

II. Le modèle de la paix par la force

Ce modèle peut être illustré par la politique des Etats-Unis pour l’Amérique Centrale mise en place par l’administration Reagan. Les relations avec l’Amérique Centrale étaient alors encadrées dans une lecture géopolitique à perspective « Est–Ouest ». Pour l’administration Reagan il ne s’agissait pas d’une lutte de la société pour la justice sociale ou pour aboutir à des réformes à l’intérieur du régime. Les centraméricains étaient manipulés par le communisme international. Le conflit était le produit d’une stratégie soviético-cubaine en vue d’imposer un régime communiste dans la région.

Les dirigeants républicains soutenaient que l’entente avec l’Union Soviétique n’était qu’une mascarade du Kremlin destinée à jouer un tour à la Maison Blanche. Pendant que les USA négociaient avec l’URSS, le PC soviétique perçait l’Amérique Centrale via le sandinisme, au pouvoir au Nicaragua, et soutenait les mouvements de guérilla au Salvador et au Guatemala. Le soutien politique, financier, militaire et logistique fourni par le Pentagone aux gouvernements centraméricains amis avait permis à ceux-ci d’imposer un système de répression militaire en toute impunité. Bien que des pratiques utilisées couramment, comme la torture, les massacres, etc. allaient à l’encontre des principes démocratiques fondamentaux reconnus et acceptés officiellement par les uns et par les autres, les militaires se justifiaient en disant que c’était le prix à payer pour la « normalisation » de la société.

Pour les Etats-Unis il s’agissait d’empêcher le communisme de s’emparer de ces pays, tellement proches. En 1989, dans un célèbre discours devant le Congrès américain, le président Bush a bien exprimé la vision que les Etats-Unis se faisaient de l’Amérique Centrale : « Les problèmes de l’Amérique Latine et de l’Amérique Centrale affectent directement la sécurité et le bien-être de notre peuple. L’Amérique Centrale est beaucoup plus proche des Etats-Unis que beaucoup d’autres endroits problématiques du monde qui nous intéressent… El Salvador est plus proche du Texas que ne l’est le Texas du Massachusetts, le Nicaragua est plus proche de Miami, de San Antonio, de San Diego et du Tucson que ces villes ne le sont de Washington ».

Ces deux approches, dont la différence tenait surtout à l’utilisation ou pas de la force comme moyen de solution des conflits, étaient aussi mises en avant en Amérique Centrale par les deux tendances les plus importantes à l’époque : celle des seigneurs de la guerre, chefs militaires et commandants guérilleros, qui affirmaient que seule la défaite militaire de l’adversaire pouvait amener la paix. Celle de la société civile qui privilégiait la voie des réformes sociales et de la pacification par le dialogue. Si le modèle de « la paix par la force » et celui de « la paix par les réformes » s’opposaient, il ne s’agissait pas de deux dynamiques distinctes à frontières bien définies. Des liens se tissaient entre les tenants de chacune des deux méthodes.

Commentaire

D’une part, nombreux politologues et historiens ont analysé les différences entre la politique de l’administration Reagan et celle de l’administration Carter par rapport à l’Amérique Centrale. Il me semble intéressant de dévoiler aussi les continuités et les articulations de l’une par rapport à l’autre. Les théories qui soutiennent que les années Reagan ont été les plus meurtries pour l’Amérique Centrale alors que les années Carter avaient été les plus heureux peuvent s’ouvrir à une autre perspective d’analyse en mettant en lumière de nuances importantes. Si ces deux modèles permettent de comprendre les divergences d’approches au sein de l’administration américaine, ils dévoilent aussi une unité fondamentale : les Etats-Unis étaient persuadés qu’ils avaient l’autorité légitime d’intervenir dans les affaires politiques internes de l’Amérique Centrale, ce qui donnait aux luttes centraméricaines une dimension géopolitique.

D’autre part, il est évident qu’il faut prendre en compte la complexité des élites dirigeantes des Etats-Unis. Bien que dans les présentations des Etats-Unis, très souvent la grande quantité et la complexité des composants soient unifiés pour des raisons aussi de compréhension logique, il est convenable de déceler les distinctions, les divergences et les oppositions internes. Dans cette perspective il faut expliciter que le fait d’aborder « les Etats-Unis » comme étant une unité délimitée et distincte est aussi un travail de construction conceptuelle. Dans le cas de la présentation de « la politique des Etats-Unis » , par exemple, même si l’analyste donne à son objet de travail une certaine unité logique, il doit montrer les convergences et les divergences entre, par exemple, la Maison Blanche et le Congrès ; entre les grandes institutions nationales, telles que le Département d’Etat, le Pentagone, la CIA ; entre Démocrates et Républicains, etc. Une telle démarche permet d’approcher les USA non pas simplement dans de termes d’uniformité et de régularité, mais aussi dans de termes de différenciations, d’adaptations aux enjeux, parfois même de concurrence interne extrême.