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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de notion

, Grenoble, janvier 2012

Ethnie

Le terme « ethnie » désigne généralement un groupe culturel, linguistique, territorial, d’une certaine taille reconnue supérieure à celle de la tribu. Son contenu, les contextes dans lesquels il a été élaboré et la dimension politique du concept exigent un ensemble d’éclairages.

Évolution sémantique

Dans son sens premier, ecclésiastique, ethnie se réfère aux populations non chrétiennes, les « païens », les « gentils », qui seront par la suite appelés peuples et nations dans le langage séculier, puis races et tribus au XIXe. L’ethnographie et l’ethnologie, qui apparaissent au XVIIIe siècle, s’attachent à en faire la description. Avec le XXe siècle, le terme connaît un certain nombre de déplacements sémantiques : « nation est désormais réservé aux États « civilisés » de l’Occident » ; « peuple, sujet d’un destin historique, est trop noble pour les sauvages » ; « race, centré sur des critères purement physiques, est trop général » ; « ethnie, nation au rabais, se définit par une somme de traits négatifs » ; il réapparaît sous la plume de Vacher de Lapouge (1896) (Bonté, Izard). Ce dernier terme se maintient et trouve une fonction administrative et politique avec la colonisation : l’administration coloniale désigne ainsi comme « ethnies » les populations qu’elle domine, les divisant et les enfermant dans une définition à la fois substantialiste et fixe (Amselle et M’Bokolo, 1985).

En France comme en Allemagne, le critère déterminant de l’ethnie est la langue qui scelle l’appartenance à la communauté. La perception reste substantialiste et fixiste transmettant l’idée que les ethnies sont des groupes humains naturellement et spontanément apparus, et qui se maintiennent comme tels dans le temps. Il est en réalité hérité du concept de « race ».

Les approches critiques

L’anthropologie ne procède à un examen critique du concept d’ethnie qu’avec la seconde moitié du XXe siècle, quand, en associant la perspective historique à son approche, elle accède aux processus de formation des groupes identitaires et dévoile les influences exogènes. Ainsi les analyses en termes d’ethnogenèse tombent et les africanistes en particulier établissent que les ethnies ne sont pas traditionnelles mais des créations coloniales « issues d’un coup de force venu traduire en langage savant des stéréotypes répandus dans les populations voisines » (Amselle M’Bokolo, 1985). L’identification et la structuration en ethnies sont généralement les symptômes d’une domination politique, idéologique. « Aujourd’hui encore, le discours ethniciste tenu par les couches dirigeantes des États néo-coloniaux comme par les médias occidentaux sert avant tout à disqualifier des mouvements de révolte dont les enjeux n’ont en vérité rien à voir avec les « pesanteurs traditionnelles » rituellement invoquées » (Mercier, 1961, Amselle et M’Bokolo, 1985).

Ces analyses se fondent bien sur l’idée que ces catégories sont des constructions de l’extérieur, confirmant ainsi les analyses de Fredrik Barth qui théorise l’ascription : l’identité attribuée. L’apport déterminant de Barth consiste dans une approche dynamique et interactionnelle : les identités se transforment avec le temps, en fonction des changements de contextes, de rapports de force. Il définit les identités non pas par leur contenu (une langue, une religion, un territoire etc.) mais par la frontière qui la délimite. Ces frontières se déplacent ; au contraire leur maintien assure la continuité et la persistance des groupes identitaires.

Ceci étant posé, ces analyses ne concluent pas que l’ethnie n’existe pas, mais que d’une part, elles ont été définies de manière exogène – par des individus à qui elles sont étrangères – par un contenu spontané et fixe et comme une appartenance exclusive ; d’autre part, une fois définies, elles ont servi les intérêts politiques de domination. Toute société humaine devant répondre aux besoins universels d’identification et de structuration sociale, elle s’organise en groupe d’appartenance de natures diverses. Ce que nous fait comprendre l’anthropologie de la seconde moitié du XXe siècle, c’est que ces appartenances sont multiples pour un seul individu et qu’elle peuvent changer au cours de sa vie. Les rites de passage et les régulations sociales le permettent et l’organisent.

Enfin, le concept d’ethnie a été réapproprié par les populations concernées, avec le temps. Elles reprennent le terme à leur compte, pour désigner le niveau d’identité pertinent pour elles pour se revendiquer en tant que communauté et défendre leurs droits. L’ethnie est aujourd’hui porteuse de revendications politiques ou économiques, de dénonciations d’injustices sociales. C’est le discours « ethniciste » (tribaliste ou indigéniste). « Dans cette perspective, la conscience ethnique prendrait le relais d’une conscience de classe dont l’histoire n’a pas permis l’émergence, tout en jouant, par la mobilisation et la solidarité qu’elle encourage, le même rôle dans la lutte dans les injustices » (Bonté, Izard). Paradoxalement, ces mouvements ethnicistes ont parfois adopté à outrance la vision substantialiste du fait ethnique que la science s’attache maintenant à récuser.

En bref, l’ethnie est un « signifiant flottant » qui ne veut rien dire en soi, sinon ce qu’en font les individus et les groupes qui s’en emparent. Elle peut donc s’appliquer à des contenus sociaux très hétérogènes.

Nous pourrions dire que l’ethnie n’existe pas en tant que catégorie scientifique dans la mesure où elle ne repose pas sur un contenu homogène, où elle ne se vit pas de manière fixe et exclusive. Il s’agit d’une construction, à moment donné, pour répondre à des besoins divers :

  • un traitement administratif dans le contexte de la colonisation et un besoin de cadre intellectuel en lui donnant un contenu ;

  • les revendications politiques, sociales, économiques d’un groupe dans des enjeux de pouvoir.

Bibliographie

  • Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction de Pierre Bonté et Michel Izard, Paris, PUF, Quadrige, 3e édition 2004

  • Amselle Jean-Loup, M’Bokolo Elikia, 1985, Au cœur de l’ethnie : ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La Découverte

  • Barth, Fredrik, 1969, Ethnic groups and boundaries. Boston, Little, Brown and Company

  • Lévi-Strauss, Claude, Race et histoire, Paris, Essais Folio, (1952) 1987

  • Mercier, P., « Remarques sur la signification du tribalisme actuel en Afrique noire », Cahiers internationaux de sociologie XXXI : 61-80, 1961

  • Poutignat, Philippe, Streiff-Fenart, Jocelyne, Les théories de l’ethnicité, Paris, PUF, (1995) 1999

  • Vacher de Lapouge, G., Les sélections sociales, Paris, 1896

  • Tribune de Michel Wieviorka, in Télérama, 18 décembre 2008