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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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"Conflict Sensitive Integrated Programme Framework"

L’outil a été présenté à un groupe de représentants de "l’équipe de pays des Nations Unies" [1], dans le cadre d’un atelier de travail organisé par le bureau de pays du PNUD au Kenya.
Etant donné le conflit post-électoral qui sévissait alors au Kenya, l’outil a également été présenté à un groupe d’experts et de responsables politiques travaillant au sein d’agences onusiennes et d’organisations partenaires.

Vue d’ensemble du contexte :

L’annonce des résultats des élections kenyanes le 27 décembre 2007 a suscité un déchaînement de violence qui a dévasté la société kenyane et horrifié l’opinion internationale. En quelques heures, une violence extrême s’est propagée dans la majeure partie du pays faisant plus de 1000 morts en quelques semaines. (Wachira, 2010).

Plus d’un demi-million de personnes furent contraintes à l’exode, à la fois dans les zones rurales et dans les centres urbains. Les désaccords entre les dirigeants politiques ont quant à eux laissé un vide en termes de gouvernance et de pouvoir, excluant toute réponse officielle acceptable. La survie même du Kenya en tant que pays était alors fortement menacée (Wachira, 2010).

Cette explosion de violence a conduit de nombreux acteurs de paix et du développement à mener une réflexion profonde sur les raisons de l’échec de leur travail. De nombreuses avancées en termes de développement furent balayées par la violence. L’escalade rapide du conflit et la destruction qui s’ensuivit ont montré que la majeure partie du travail de développement effectué auparavant n’avait tout simplement pas tenu compte ou n’avait pas réalisé l’ampleur des conflits latents et des tensions enracinées dans la société kenyane.

En réponse à cette prise de conscience, le PNUD s’est engagé dans un processus visant à renforcer ses propres capacités et celles de ses partenaires pour permettre une réponse plus efficace aux tensions résiduelles et aux conflits latents.

Ateliers de développement tenant compte des conflits :

L’extrait suivant est issu des termes de référence (TdR) pour les ateliers organisés par le PNUD. Ces TdR expriment la pensée à l’origine de la réponse ayant mené au lancement de l’outil :

  • « Aborder la prévention nécessite une démarche d’ensemble, englobant les mesures politiques, diplomatiques, humanitaires, institutionnelles, les mesures liées aux droits de l’Homme, au développement, ainsi que les autres mesures à court et à long terme.
    Pour intervenir dans ce contexte et s’assurer que les multiples programmes de développement de l’ONU tiennent compte dans leur élaboration, de la dimension prévention des conflits, l’équipe de pays des Nations unies (UNCT) au Kenya a approuvé en janvier 2010 le Conceptual and Strategic Framework for Peacebuilding and Conflict Prevention (dispositif conceptuel et stratégique pour la consolidation de la paix et la prévention des conflits). Ce dispositif adopte la démarche de Community Security and Social Cohesion (sécurité communautaire et cohésion sociale) (CSSC) comme cadre pour l’aide à la prévention des conflits de l’ONU pendant la période gérée par le Plan cadre des Nations Unies pour l’Aide au Développement (PNUAD) de 2009 à 2013.
    Cette démarche CSSC comprend : l’amélioration de la gouvernance locale et le renforcement des institutions ; le renforcement de l’Etat de droit et de la gouvernance du secteur de la sécurité ; la prévention des conflits et la consolidation de la paix ; le fait de cibler les moyens de subsistance ; l’amélioration de l’environnement de la communauté et l’amélioration de la prestation de services ; le désarmement de la violence ; et une approche du crime et de la violence du point de vue de la santé publique. » (Equipe de pays du PNUD au Kenya, Atelier TDR, 2010).

L’outil a été discuté lors d’un atelier de bilan stratégique et de renforcement des capacités, réunissant un groupe de représentants issus d’organisations opérant au sein des collectivités, de partenaires locaux, ainsi que l’équipe de pays du PNUD. Le but de cet atelier était d’influencer le PNUD et ses partenaires pour que leurs interventions en faveur du développement tiennent davantage compte des conflits.

Le processus de dialogue :

Il s’agissait d’introduire l’outil lors d’un atelier dont l’ordre du jour était plus général.
Une fois l’outil présenté, il a été demandé aux participants de mettre en lien les théories énoncées par celui-ci avec leurs propres expériences et les exemples concrets de création de programmes dans lesquels ils étaient impliqués. La question principale était de savoir si les idées contenues dans l’outil étaient présentes au stade des processus de planification et de suivi.

Les participants ont alors travaillé dans différents groupes et répondu à plusieurs séries de questions en lien avec l’outil qui leur avait été soumis ; ils ont ensuite exposé les grandes lignes de l’outil. Les idées critiques et analytiques issues des petits groupes de discussion furent ensuite soumises au groupe entier. Puis, il a été demandé aux participants de faire des suggestions pour renforcer le dispositif.

Pendant l’atelier, du temps a été consacré à isoler les défis posés par la modification de programmes, en encourageant les organisations à s’aligner d’avantage sur la l’approche tenant compte des conflits, prônée par l’outil. D’autres travaux de groupes se sont penchés sur les moyens de relever ces défis, en particulier, dans une démarche aidant davantage les acteurs concernés à mieux se coordonner.

Résultats du processus :

La discussion entre les participants des différents programmes PNUD membres de l’équipe de pays, fut vivante et animée. En réfléchissant sur leurs travaux plusieurs participants citèrent des exemples montrant comment leurs programmes semblaient ignorer plusieurs éléments contenus dans l’outil.

Plusieurs programmes avaient, en particulier, omis de mener une analyse significative du conflit dans le contexte local où ils travaillaient. La plupart prenait comme référence le principal Plan-cadre des Nations unies pour l’aide au développement (PNUAD), qui contenait une certaine analyse du conflit, mais celle-ci était menée traditionnellement par des consultants extérieurs et elle était très peu citée au cours de la gestion du cycle de projet.

La gestion du cycle de projet à relativement court terme - limité par des contraintes budgétaires et des accords de projet davantage centrés sur les résultats que sur le processus - nuit également aux théories de développement sur le long-terme. Les participants ont reconnu qu’il s’agissait d’un dysfonctionnement interne du système pouvant affaiblir le potentiel des interventions du programme dans leur contribution à une plus vaste transformation sociale.

Tout au long des discussions, il apparut que même si les individus pouvaient citer des exemples de valeurs et de principes guidant selon eux la démarche de développement, ceux-ci n’étaient pas forcément partagés par les autres membres de l’équipe de pays. Cet exercice a entraîné de vives dissensions. Le management senior du PNUD a été fortement sollicité afin d’encourager plus vigoureusement le personnel à développer une démarche commune basée sur des valeurs partagées pour chaque composante des programmes de pays.

Un premier ensemble de principes et de valeurs fut élaboré et servira dans le cadre d’une discussion plus large au sein de l’institution. Il s’agit de valeurs de renforcement d’autonomie et de pouvoir, de reconnaissance de la diversité, de valorisation des savoirs locaux, de respect et de tolérance. Certains principes mentionnaient le besoin de partir du local pour aller vers un développement au niveau global, celui d’appréhender les facteurs de cohésion et de division pour anticiper et assurer le suivi de l’effet du programme, et celui de recenser les éléments devant être inclus dans une analyse du contexte du conflit.

La partie la plus révélatrice du débat fut celle évoquant les différentes visions des participants. Il apparut qu’au sein du groupe cohabitaient des modèles de développement extrêmement différents, et que leur divergences sous-jacentes n’avaient encore jamais fait l’objet de discussions. Tandis qu’une grande partie du groupe se concentrait sur le développement économique, et sur la réponse aux besoins primaires de la population aidée, d’autres apportaient des éléments davantage centrés sur les aspects relationnels de ce qu’une vision de développement pouvait contenir. D’autres points ont aussi émergé du débat comme des préoccupations liées à la pérennité et à la protection des ressources locales, des questions liées au genre, le renforcement du pouvoir et de l’autonomie des groupes marginalisés.

Le débat a aussi abordé la signification de ces problèmes pour une société future.
Même si la majeure partie de cette discussion n’a pas permis de dégager des résultats clairs, elle a mis en lumière et explicité certaines des considérations sous-jacentes, cruciales pour une intervention de développement adaptée aux conflits. Comme pour tous les processus de changement organisationnels, l’atelier, et les débats critiques qu’il a fait naître, a surtout permis le déclenchement des processus de transformation plus institutionnels et plus profonds, qui devront nécessairement suivre.

Emergence de recommandations :

L’atelier a abouti à une série de recommandations en direction des représentants d’organisations qui étaient absents. Les recommandations furent développées à la fois pour combler les vides analytiques et pour résoudre les problèmes soulevés par les systèmes internes ; elles furent corroborées et soutenues par certains des problèmes présentés et débattus pendant l’atelier.

Les participants ont aussi entrepris de relancer quelques discussions issues de l’atelier au sein de leurs équipes, en utilisant certains des modèles et des dispositifs présentés lors de l’atelier. Ces discussions seraient particulièrement centrées sur les domaines abordés par le débat, sur les valeurs et les principes guidant le programme, de même que sur le besoin d’éclaircir les paradigmes développementaux qui nourrissent la vision générale de l’équipe de pays.

Ces recommandations et ces engagements furent repris pour la poursuite du débat, afin d’influencer la planification du développement et les démarches de mise en œuvre au-delà des participants eux-mêmes.

Discussion critique :

L’outil fut bien accueilli dans de nombreux contextes très différents, même si, pour ses partisans, il s’inscrit dans un cadre plus large lié à la complexité des processus de changements institutionnels. L’outil relie intentionnellement les processus de changement organisationnels internes aux objectifs de développement eux-mêmes. Lorsque ces processus de changements internes s’intègrent au processus de planification plus large, l’outil apporte alors une référence commune servant à intégrer les divers problèmes à prendre en compte dans la démarche tenant compte des conflits.

La valeur du dispositif repose sur les processus de dialogue qu’il parvient à générer. Il s’appuie, peut-être de façon excessive, sur la capacité d’introspection nécessaire pour faire une véritable différence. Cette capacité à réfléchir sur la pratique nécessite un certain degré d’honnêteté et d’ouverture, qui fait souvent défaut au niveau institutionnel. Les délais serrés et les ressources limitées risquent d’amener les experts à taire des exemples de mauvaises pratiques. Ceci restreint la capacité des institutions à apprendre d’elles-mêmes.

Comme pour tous les outils, sa valeur dépend aussi en partie de la manière dont il est appliqué en pratique. Goddard souligne les dangers des modèles cherchant à apporter des solutions transversales applicables à plusieurs contextes. Selon Goddard : "Il n’existe pas de méthode stéréotypée pour utiliser un outil. Un outil ne saurait se substituer au savoir ou à la réflexion, mais c’est ce qu’utilise une personne pensante pour améliorer son travail." (Goddard 2009:5)

Cette perspective générale s’applique également aux valeurs et limites potentielles de l’outil. En tant que tel, il sert uniquement à prendre en compte des pistes supplémentaires pour appréhender tout ce qu’une démarche plus adaptée aux conflits et plus transformatrice pour le développement peut impliquer.


[1The United Nations country team"