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Analysis file Dossier : L’intervention Civile de Paix

Inigo Prieto, January 2006

Les initiatives de paix dans l’Etat de Guerrero, Mexique

Analyse de la situation politique et sociale, de la lutte des défenseurs des droits humains dans l’Etat du Guerrero au Mexique.

Keywords: Theory of non-violence | | | | Respect of human rights | | | | | | | | | | | | | | | | | | Americas | Mexico | Central America | Latin America

Les initiatives de paix dans l’Etat de Guerrero du point de vue de l’accompagnement international de PBI

Les Brigades de Paix Internationales travaillent de façon permanente dans l’Etat mexicain du Guerrero depuis février 2001. Face aux différentes situations de conflits, le Projet Mexique de PBI joue un rôle de dissuasion et de prévention de la violence. Par l’accompagnement international de défenseurs de droits humains, PBI contribue à maintenir un espace d’action pour les organisations non gouvernementales qui travaillent pour la justice sociale et la défense des droits humains.

Le manque de garanties individuelles, qui permettraient aux acteurs de la société civile du Guerrero de travailler en pleine liberté, motive les différentes demandes d’accompagnement à PBI. Néanmoins, il s’agit ici de mettre en valeur les initiatives de ces organisations qui, chacune à leur façon, construisent la paix dans cette région du Mexique, caractérisée par des taux de pauvreté et de marginalité très élevés et de nombreuses périodes de répression politique :

  • Le mouvement des droits humains dans l’état du Guerrero

  • Le mouvement historique des droits humains

AFADEM (Association de Familles de Détenus Disparus et Victimes de Violations aux Droits Humains au Mexique) est l’une des organisations représentatives du mouvement des droits humains né à la fin des années soixante-dix au Mexique et, en particulier, au Guerrero. De la fin des années 60 à la fin des années 70, l’armée mexicaine et les forces de sécurité de l’état s’étaient déployées dans le Guerrero pour lutter contre les guérillas de Genaro Vázquez et Lucio Cabañas. L’une des conséquences de cette lutte a été une forte répression contre les personnes soupçonnées d’appuyer ces mouvements armés, en particulier les militants d’organisations sociales et politiques d’opposition, lesquelles ont subi arrestations arbitraires, tortures, exécutions, disparitions forcées…

Les familles des victimes de ces violations aux droits humains se sont ressemblées pour demander la présentation des personnes disparues. AFADEM, une des organisations qui représente actuellement une partie de ces familles, a enregistré et documenté plus de 400 cas de disparition forcée pendant cette période connue sous le nom de la « Guerra Sucia ». De nouvelles voies de lutte politique et juridique se sont ouvertes ces dernières années (avec la création, en 2001, d’une instance gouvernementale pour enquêter sur ces crimes, le « Ministère public spécial pour les mouvements sociaux et politiques du passé »  ; l’ouverture des documents des archives nationales ; la possibilité du recours à des instances internationales comme la Commission Interaméricaine des Droits Humains). AFADEM a décidé de demander l’accompagnement international de PBI car plusieurs de ses membres avaient souffert des épisodes de répression. PBI accompagne depuis août 2003 la vice-présidente d’AFADEM, Tita Radilla.

Le travail d’AFADEM s’inscrit dans un mouvement national qui demande : la présentation en vie des personnes disparues pendant cette période, le jugement convenable des responsables, la reconnaissance et la réhabilitation des victimes et la réparation des dommages de tout type. D’autres organisations agissent dans le même sens : le Comité Eureka!, l’Association de Luchadores Sociales, ou la Fondation Diego Lucero. AFADEM appartient aussi à la Fédération latino-américaine d’associations des familles de détenus disparus (FEDEFAM).

  • Le renouveau du mouvement des droits humains à partir des années 90

    • Le « Diagnostic sur la situation des Droits Humains », réalisé par le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains au Mexique , montre qu’actuellement il existe encore un problème de fond dans le système judiciaire pénal mexicain. Le Centre des Droits Humains de la Montagne « Tlachinolan », dans son dixième rapport d’activités, rappelle que l’accès à la justice est l’un des principaux problèmes au Guerrero. Les cas d’abus d’autorité, extorsion de fonds, mesure d’isolement, traitements cruels et dégradants, détentions arbitraires, exécutions, et même les tortures et disparitions forcées font partie d’une triste réalité qui affecte surtout la population des zones rurales. Les autorités en charge de garantir la justice et d’enquêter sur les crimes commis sont, elles-mêmes, dans beaucoup de cas les premières impliquées dans ces délits et ne font pas preuve de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires.

    • Le Réseau des Associations de Droits Humains du Guerrero , créé en 2001, regroupe sept organisations qui, depuis les années 90, agissent dans le domaine du soutien et de la défense juridique des victimes de violations aux doits humains et pour la promotion d’une culture des droits humains au Guerrero. Le travail de PBI au Guerrero se fait en relation permanente avec ces associations, en gardant un contact étroit et en participant, selon les circonstances, à l’accompagnement de leurs membres ou de victimes particulièrement exposées. Ces initiatives mexicaines visent à renforcer les « bonnes pratiques » dans le fonctionnement des institutions mais elles cherchent aussi à impulser les réformes pour améliorer la situation des droits humains et le système judiciaire afin d’y introduire une vision complète des droits humains dans le domaine des politiques publiques (par exemple dans le secteur de la santé ou de l’éducation).

    • Participent à ce réseau : le Centre régional de défense des droits humains “José María Morelos y Pavón », le Comité des droits humains “Sembrador de la Esperanza”, la Commission des droits humains “Mahatma Gandhi” , l’Institut des Droits Humains du Guerrero, le Centre des droits humains de la Montagne « Tlachinollan » et le Secrétariat technique du Réseau des associations de droits humains du Guerrero. D’autres associations comme le Comité contre la Torture et l’Impunité et le Centre des droits humains “Miguel Agustín Pro Juárez” partagent des démarches similaires.

  • Le cas de la définition de la disparition forcée comme délit

    • L’une des initiatives les plus réussies de ces dernières années a été la proposition législative que le Réseau des associations de droits humains du Guerrero et le Centre des droits humains “Miguel Agustín Pro Juárez”, avec la collaboration de la Commission d’Etat des droits humains du Guerrero (organisme officiel), ont amené au Congrès des députés du Guerrero pour que ceux-ci légifèrent sur le délit de la disparition forcée au Guerrero. Ce délit, n’est pas, malheureusement, une marque exclusive du passé.

    • Les cas recensés par la Commission d’Etat des droits humains du Guerrero pendant les années 1990 et 2000 montrent que cette pratique est toujours utilisée par les agents des forces de sécurité. Et la souffrance des victimes provient à la fois de la disparition d’un être cher mais aussi du manque de mécanisme pour agir en justice. Cette situation fut à l’origine d’une campagne mise en route le 10 décembre 2003 par ces organismes de la société civile mexicaine qui ont reçu pendant près de deux ans le soutien d’organismes internationaux comme Amnesty International, Human Rights Watch ou l’ONU. Le but était de doter l’Etat du Guerrero d’une loi spéciale reconnaissant ce délit dans le code pénal du Guerrero mais reprenant ce qui est déjà établi par le droit international pour légiférer dans ce domaine. Finalement les députés du Congrès du Guerrero ont retenu cette proposition et ont approuvé une Loi spéciale contre la disparition forcée des personnes en octobre 2005. PBI a suivi le déroulement de cette campagne et a accompagné aussi les centres des Droits Humains “José María Morelos y Pavón” et “Miguel Agustín Pro Juárez” en relation avec le cas d’une personne disparue en 2001.

  • Un problème spécifique : les violations des droits humains imputés à l’armée mexicaine.

    • Les autorités impliquées dans les différents cas précédemment cités sont des fonctionnaires de l’Etat du Guerrero. Mais il existe de nombreux cas de violations graves des droits humains qui sont imputés à des membres de l’Armée. Depuis la moitié des années 90, la présence de l’Armée dans l’état du Guerrero s’est accrue considérablement. Ce déploiement a été motivé par l’insurrection dans l’état du Chiapas en 1994 et l’apparition d’une guérilla dans le Guerrero (l’Armée Populaire Révolutionnaire) en 1996, un an après le massacre d’Aguas Blancas où 17 paysans, qui appartenaient à la Organisation paysanne de la Sierra del Sur , ont été tués par la police judiciaire. Le Centre des Droits Humains de la Montagne « Tlachinolan » a documenté 68 cas entre 1996 et 2004 qui restent impunis jusqu’à aujourd’hui. La présence et le comportement de l’Armée ont été justifiés sous le prétexte de la lutte contre le narcotrafic. Il faut rappeler que le Guerrero est l’état mexicain où se trouvent le plus grand nombre de plantations de drogue du pays. Les cas sont nombreux d’interrogations illégales et d’intimidations pour obtenir des renseignements sur l’existence de groupes armés ou de personnes cultivant des drogues, d’installation de campement à proximité des communautés dans le but de provoquer de la gêne et des confrontations, de perquisitions de domicile, etc. Il y a eu également des cas de détentions, tortures et fabrication de délits comme cela s’est produit en 1999 pour les membres de l’Organisation des paysans écologistes de la Sierra de Petatlan ou des cas de viols comme celui de deux femmes indigènes me’phaa en 2002 dans la municipalité d’Ayutla de los Libres.

    • Les organisations de droits humains dénoncent l’impunité dans laquelle restent toutes ces violations car les tribunaux civils finissent systématiquement par se déclarer incompétents et à transmettre les plaintes aux tribunaux militaires qui manquent de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires pour juger ces délits. La justice est niée, l’impunité protège les membres de l’Armée concernés et les institutions en charge de procurer la justice s’affaiblissent. En 2005, PBI a accepté l’accompagnement de la défenseuse indigène Otilia Eugenio Manuel de l’Organisation du Peuple Indigène Me’phaa suite aux menaces de mort qu’elle a reçues après avoir dénoncé publiquement le cas mentionné ci-dessus des femmes indigènes violées. Que l’armée mexicaine retire les campements installés près des communautés et arrête les activités pour lesquelles elle n’a pas un mandat constitutionnel est devenu l’une des principales demandes des organisations indigènes et paysannes comme celle d’Otilia Eugenio. Finalement, il faut rappeler un autre aspect dénoncé par les organisations mexicaines de droits humains : celui de la subordination du pouvoir civil au pouvoir militaire. À l’encontre des recommandations de l’ONU à l’Etat mexicain, on observe la présence croissante de personnel militaire à des postes civils destinés au maintien de l’ordre public et de la lutte contre les délits.

  • La reconnaissance des droits des populations paysannes et indigènes : la résolution des conflits agraires

    • Les principaux problèmes au Guerrero tournent autour de la terre et l’exploitation des ressources naturelles. Les conflits plus graves et douloureux qu’on retrouve actuellement au Guerrero sont les conflits agraires. Ces conflits, qui ont des racines complexes et lointaines, confrontent des communautés entières et sont d’une violence fratricide très coûteuse en vies humaines. Les politiques gouvernementales sont souvent incapables de les résoudre convenablement. Au contraire, elles sont à l’origine de beaucoup de ces conflits. Actuellement, l’application d’un programme gouvernemental, le PROCEDE, cherche à changer le régime de propriété de la terre et à privatiser des terres communales et « ejidales » et deviennent ainsi un instrument de contrôle et de division à l’intérieur des communautés. La « Procuraduría Agraria » parle de plus de quarante conflits de différente intensité : problèmes de limites de terres, de propriété, d’invasion, etc.

  • L’Agenda pour le développement et l’autonomie des peuples indigènes

    • Les principales personnes affectées par ces conflits agraires sont les communautés indigènes, d’autant plus que la terre et le territoire ont une importance capitale dans la vie et toute la cosmologie des différentes populations indigènes qui habitent le Guerrero (Me Phaa, Na Savi, Nauas, Nanncue Ñomdaa). Mais, au-delà des différents problèmes structurels qui existent actuellement et des conditions socioéconomiques de pauvreté extrême, discrimination, chômage, analphabétisme, etc., plusieurs organisations et autorités de ces populations ainsi que des organisations sociales et civiles se sont réunies pour créer et élaborer des alternatives à la situation d’oppression dans laquelle elles vivent. L’Agenda pour le développement et l’autonomie des peuples indigènes est l’un des résultats de ce processus en construction permanente.

    • Le contenu de cet agenda tourne autour des droits fondamentaux (le Territoire et la Justice communautaire ; les Droits civils et politiques ; et les Droits économiques, sociaux et culturels) : c’est, à la fois, une analyse des causes des situations de marginalité et de pauvreté dans laquelle elles vivent et un recueil de propositions concrètes orientées vers la transformation des relations économiques, sociales et politiques de subordination au pouvoir établi. Ont participé à l’élaboration de cette agenda, entre autres : l’Organisation Indigène du Peuple Mixtèque (OIPM) ; l’Organisation du Peuple Indigène Me’ Phaa (OPIM) ; le Réseau des Associations de Droits Humains du Guerrero ; la Coordinatrice Régionale d’Autorités Communautaires , les Autorités Traditionnelles de Xochistlahuaca ; le Programme de Récupération Intégrale de Ressources.

  • L’autonomie politique

    • Un des éléments plus importants de cet agenda reste l’appui aux procès d’autonomie politique déjà existants et qui ont fait l’objet, a plusieurs reprises, de la violence institutionnelle. Un de ces projets est celui d’une partie de la population Nanncue Ñomdaa (amuzgues) de la municipalité de Xochistlahuaca. Depuis 2002, les élections des autorités municipales se font par un système d’us et coutumes qui récupère des formes traditionnelles de gouvernance. La création d’une radio communautaire « La parole de l’eau », en 2004, un instrument de diffusion culturel et linguistique, est aussi un élément qui vise à renforcer ce projet politique. D’autre part, la Coordinatrice d’Autorités Communautaires de la Costa Chica - Montaña regroupe les représentants des autorités communautaires de sept municipes de cette région du Guerrero autour d’un projet de police et justice communautaire qui, depuis 1994, a réduit la délinquance commune et a implanté avec succès des programmes de rééducation et réinsertion sociale. PBI a été en contact surtout avec les Autorités traditionnelles de Xochistlahuaca car leur opposition a affecté les intérêts politiques de familles très importantes dans la région et reliés au Parti Révolutionnaire Institutionnel, ce qui a provoqué de nombreuses agressions à leur encontre.

  • Politiques économiques et droits humains

    • La richesse du territoire et les enjeux pour contrôler ces ressources confrontent actuellement des communautés et des organisations sociales et paysannes au le gouvernement et à des entreprises intéressées par l’exploitation des bois, de l’eau, etc.

  • L’exploitation forestière

    • Plusieurs organisations demandent aussi de tenir compte de l’impact sur l’environnement des projets de développement économique. Autour de la défense des forêts et de l’environnement, un des mouvements plus importants a été celui mené par l’Organisation de Paysans Ecologistes de la Sierra de Petatlán et Coyuca de Catalan , pendant les années quatre-vingt-dix. En 1998, cette organisation a réussi à expulser du pays une entreprise canadienne de bois et a obligé les autorités mexicaines à contrôler les permis et l’exploitation des forêts de cette partie du Guerrero. Mais la répression de ce mouvement a été très importante car, par leur action, ils ont affecté les intérêts économiques de personnes de pouvoir : les paysans écologistes Teodoro Cabrera et Rodolfo Montiel, libérés en 2001 par le gouvernement de Fox, avaient été détenus par l’armée mexicaine. Ils ont été victimes de tortures.

    • Plus récemment, en 2005, on a assisté à la détention et au procès contre l’écologiste Felipe Arreaga, prisonnier de conscience pendant 10 mois, accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis. Dès que PBI a commencé à travailler au Guerrero, l’association a maintenu des contacts avec l’Organisation des Paysans Écologistes et en 2005 a commencé à accompagner Celsa Valdovinos, l’épouse de Felipe Arreaga et présidente de l’Organisation de Femmes Ecologistes de la Sierra de Petatlán . Cette organisation fait un travail de reforestation, impulse les cultures autochtones ainsi qu’un développement communautaire et soutenable.

  • Tourisme et développement soutenable

    • Le développement économique centré sur le développement des infrastructures touristiques, sans faire attention à l’impact négatif qu’elles ont sur l’environnement, a provoqué la formation de différents mouvements écologistes dans la baie de Zihuatanejo. Les intérêts économiques priment sur un développement urbain soutenable ce qui a provoqué la contamination des eaux de la baie et des conséquences très négatives sur la faune et la flore autochtones. C’est à cet égard que le Réseau de Groupes et Organisations Environnementalistes de Zihuatanejo (ROGAZ) a présenté, conjointement avec le Centre de droits humains « Miguel Agustin Pro Juárez », le cas de la contamination des eaux de la baie, considéré comme emblématique de la situation dans laquelle se trouvent beaucoup de plages mexicaines, au Tribunal latino-américain de l’eau, un organisme international et autonome. PBI maintient des contacts avec des organisations comme la ROGAZ ou S.O.S. Bahia, qui ont dénoncé à plusieurs reprises ces politiques publiques de développement économique centrées sur le tourisme aux graves conséquences sur l’environnement.