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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Les postulats américains sur la crise irakienne de 2003

Les prémices d’une « libanisation » politique en Irak.

Mots clefs : Analyser des conflits du point de vue politique | Stratège | Gouvernement des Etats-Unis | Gouvernement irakien | Administration Bush 2 | Reconstruire de nouvelles relations politiques | Moyen Orient | Irak

Aujourd’huien 2006, plus de 3 ans après l’invasion américaine, l’Irak fait face à une situation de violence continuelle déployée par des groupes terroristes qui visent aussi bien les Américains que les civils. L’invasion américaine a été mal vécue par les Irakiens mais également ensuite par les soldats américains.

Elle reposait sur un projet remontant bien avant le 11 Septembre 2001. L’obsession de vouloir renverser le régime de Saddam Hussein a été présente chez les politiques américains aussi bien du côté républicain que démocrate. Cependant ce sont les républicains s’appuyant sur les néo-conservateurs et se servant du 11 septembre, qui ont mené le projet à bien.

Le plan élaboré pour renverser Saddam Hussein était basé sur des postulats qui se sont avérés largement erronés. Formulés par les théoriciens américains, ces postulats sont en partie responsables de la situation actuelle en Irak. Nous essaierons de les analyser pour mieux les comprendre.

Les suites de l’invasion, mal préparée, ont brisé en quelques semaines l’élan initial et le capital de sympathie qu’avaient acquis les Américains auprès des Irakiens : plutôt que la stabilité et la démocratie, l’invasion a débouché sur ce qu’on pourrait qualifier de conflit communautaire.

I. Irak : année 0 ou la victoire de la stratégie des néo-conservateurs

Un consensus s’est établi à Washington,à la veille de la guerre de 2003, autour de la question du renversement du régime baasiste; en revanche, celle du gouvernement censé lui succéder est alors bien plus controversée et 3 doctrines s’opposent au sein de la Maison Blanche :

  • La première,présentée par Rumsfeld, est favorable à un gouvernement fort. Selon cette doctrine, il convient de faire en sorte qu’un nouveau dirigeant émerge, assez fort pour tenir le pays sous sa coupe,pour limiter la présence des troupes américaines en Irak et réduire ainsi le coût d’un changement.

  • La seconde approche, par Colin Powell.Les réalistes militent plutôt pour un Irak affaibli et contenu. Cependant en cas d’intervention, ils préconisent toutefois une phase de transition dirigée pour arriver à l’édification d’un gouvernement pluriel.

  • C’est finalement la stratégie des néo-conservateurs qui sera appliquée, guidée par la volonté d’un renversement du régime baasiste duquel doit émerger un Etat démocratique, par le remodelage en profondeur de l’Etat et de ses institutions. Cette approche inclut le projet d’un Irak modèle, servant de diffuseur à une démocratisation dans le Moyen Orient et le monde arabo-musulman.

La débaasification massive lancée par la coalition, sera à l’origine de la destruction de l’appareil d’Etat irakien et de la tentative peu fructueuse de reconstruction de l’Etat.

A la suite de la victoire éclaire de la coalition, les combats continuent en vue d’anéantir toute résistance issue de l’ex-régime: en juin est lancée l’opération « scorpion du désert » puis « crotale du désert », afin d’éliminer les soutiens baasistes du triangle sunnite. Plus de 900 partisans de Saddam seront arrêtés mais ces opérations, du fait de leur brutalité, ne feront qu’exaspérer une population qui commence à se montrer réticente aux forces d’occupations américaines.

II. Une conception américaine de l’Irak

Il semble qu’un certain nombre d’idées préconçues sur le pays ont fait de l’invasion et de ce qui a suivi un fiasco:

Les Etats-Unis considéraient en effet que le moyen le plus radical d’abattre le régime baasiste, était d’œuvrer à l’émergence d’un état pluraliste, unitaire et fédéral, comme moyen de saper la représentation disproportionnée des sunnites, soutien du parti Baas.

L’intérêt des Américains à vouloir traiter du problème du rôle de la minorité sunnite a conduit dans l’Irak actuel à un réequilibrage des forces entre sunnites, chiites et kurdes.

S’appuyant sur les diverses oppositions, internes et externes au régime, ils tentent de modeler l’Etat à partir d’une image précise de l’Irak ; où « sunnite/chiite/kurde » partageraient des tâches gouvernementales : les anciens exclus du régime seront sollicités par la puissance extérieure pour participer et légitimer le nouveau système politique.

Les Kurdes sont un facteur important dans la stratégie américaine pour le renversement du régime de Saddam Hussein. Aux côtés de la coalition, ils vont défendre leur autonomie auprès des Etats-Unis. Ils tentent de récupérer le soutien aux Américains dans un projet fédéraliste constituant une garantie d’autonomie.

Avant même l’invasion, les Américains préparaient déjà l’après Saddam, sans toutefois arriver à établir un plan précis : du 14 au 16 décembre s’étaient réunis à Londres 300 délégués de l’opposition irakienne, s’accordant sur un Etat démocratique et fédéral. Cette réunion préparait l’orientation adoptée par la suite, soit la libanisation de la vie politique en Irak : chaque personne ayant un pouvoir du fait de son appartenance communautaire, ethnique ou confessionnelle. Les exilés irakiens se bousculent pour obtenir une représentation supplémentaire, chacun faisant valoir le poids démographique de sa communauté. Au lieu de trouver un terrain d’entente commun, ils se laissent enfermer dans un communautarisme,et une lutte pour le pouvoir.

Plutôt que de penser à un projet patriotique unitaire, les Américains ont été entraînés dans un plan d’imposition de gouvernement favorisant un positionnement communautaire dont les revendications contradictoires ne pouvaient pas être satisfaites.

A l’avenir, si l’occupation américaine continue, elle pourrait entraîner une division qui mettrait en péril la reconstruction de l’Etat et décrédibiliserait le gouvernement en place, le soumettant à des revendications et des marchandages permanents qui paralyseraient la vie politique et risqueraient de déboucher sur une guerre civile si cette occupation s’éternisait.