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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, 2005

Bilan économique de santé démocratique : Argentine

Bilan économique actuel de santé démocratique de l’Argentine précédé de l’étude des manifestations de la crise inédite de 2001 et de ses facteurs (tant endogènes qu’exogènes).

Mots clefs : Analyser des conflits du point de vue économique | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Le libre échange peut-il aider à la paix ? | Fond Monétaire International | Gouvernement argentin | Argentine

I. Manifestations de la crise

La crise économique de l’Argentine est inédite. En effet, elle a été largement anticipée par les marchés et les observateurs, ce qui n’a pas empêché qu’elle soit la plus grave et qu’elle ait suscité une réaction réticente du FMI et du Trésor américain.

Cette crise est à l’origine une crise d’endettement public, intervenue après plusieurs années de forte croissance (entre 1991 et 1997). Carlos Menem à la présidence de la République à partir de 1989, et son ministre Domingo Cavallo, ont appliqué, en relation avec le FMI, les réformes néo-libérales les plus radicales du continent. Ces réformes ont rapidement eu raison de l’inflation et ont entraîné pendant trois années de suite une croissance de 25 %. Jusqu’en 1995, on crie au miracle!

Seulement, le meilleur élève du début des années 90 a fait faillite dix ans plus tard. Les manifestations de la crise sont diverses :

  • chute vertigineuse de son PIB ;

  • montée en flèche du chômage et de la pauvreté ;

  • hausse des prix ;

  • division par quatre de son taux de change en moins d’un an ;

  • endettement externe devenu insoutenable (la dette extérieure brute a atteint plus de 50 % du PIB en 2000).

La crise ouverte a été déclenchée en décembre 2001 par la mise en place du corralito (1), le refus du FMI de débloquer une tranche de crédit qui devait permettre à l’Argentine d’honorer ses échéances obligataires de décembre 2001, et enfin le défaut de paiement de la dette publique contractée vis-à-vis des créanciers privés non résidents comme conséquence de l’insolvabilité croissante de l’Etat.

En janvier 2002, un plan d’urgence fut mis en œuvre. C’est l’abandon du plan de convertibilité. Et la parité du peso et du dollar fut remplacée par un double taux de change.

II. Facteurs de la crise

1. Facteurs endogènes

Ces facteurs résultent notamment de la mise en œuvre par l’Argentine des programmes définis par le FMI : le pays a, depuis les années 80 appliqué rigoureusement les recommandations inscrites dans le consensus de Washington. L’objectif était de désendetter l’Argentine et de l’ajuster structurellement au marché mondial afin de rompre définitivement avec les politiques dirigistes du passé considérées comme responsables de la crise de la dette des années 80.

Il existe trois facteurs endogènes principaux à la précipitation de l’Argentine dans la crise financière:

  • Le système du Currency Board, ou Plan de convertibilité.

  • La libéralisation financière.

  • Les privatisations massives.

2. Facteurs exogènes

Deux facteurs exogènes principaux permettent de comprendre la crise argentine : l’ampleur et la variété des chocs défavorables subis notamment entre 1997 et 1999 ; ainsi que l’attitude du FMI et du Trésor américain.

a/ Ampleur et variété des chocs défavorables subis par le pays entre 1997 et 1999.

Pendant cette période comprise entre 1997 et 1999, l’Argentine a été affectée par:

  • une chute des prix des matières premières, qui a produit une forte détérioration des termes de l’échange ;

  • une hausse des primes de risque résultant des crises financières asiatique et russe, qui a creusé le coût du financement extérieur.

En effet, extrêmement dépendante des financements extérieurs, l’Argentine a subi de plein fouet les chocs défavorables des crises émergentes. Ces crises ont précipité le pays dans la récession, ce qui a dégradé la situation des finances publiques, alors qu’aucun fonds de stabilisation, n’avait été envisagé dans la période faste du Plan de convertibilité.

b/ Attitude du FMI et du Trésor américain.

Il ne fait aucun doute que la responsabilité principale de la crise argentine appartient aux autorités argentines et il n’est pas non plus contesté que le FMI a apporté de l’aide avant la fin du Plan de convertibilité et le défaut de paiement du pays.

Mais il est également incontestable que l’Argentine a été une élève modèle dans le cadre de l’application du Consensus de Washington mis en place, entre autres, par le FMI et ayant contribué à la situation catastrophique actuelle de l’Argentine.

Dès lors, plusieurs questions se posent au niveau de la responsabilité du FMI dans le désastre argentin.

A l’époque de l’établissement du plan de convertibilité, le FMI s’était montré plutôt réservé à l’égard de ce système. Puis, ce modèle ayant résisté à la crise mexicaine de 1995 (à l’effet « tequila » ), le FMI a été convaincu de son efficacité. La question se pose donc de savoir si par la suite le FMI a exercé des pressions pour préserver ce régime.

Il n’y a pas de réponse tranchée mais ce que l’on constate est que l’abandon du plan de convertibilité n’a eu lieu que très tardivement, quand il ne restait aucune autre solution: la sortie du Board a ainsi été repoussée le plus longtemps possible, car personne n’osait affronter les conséquences à court terme de cette décision.

Or la responsabilité du FMI dans cette marche vers le désastre se manifeste de plusieurs manières:

  • le FMI n’a pas fait de propositions concrètes ;

  • il n’a pas non plus envisagé ou proposé un scénario de pésification préalable de l’économie ;

  • il n’a pas suggéré de dollarisation intégrale ;

  • dans les semaines qui ont suivi le flottement du peso, il n’a pas non plus fait de propositions pertinentes pour faire face à l’abandon du plan de convertibilité.

Il faut toutefois rappeler que TOUS les gouvernements successifs argentins, depuis 1991 jusqu’en 2001, ont TOUJOURS refusé d’envisager une sortie du Board.

Et en ce sens, la décision du FMI en décembre 2001, de suspendre son soutien à l’Argentine et de précipiter ainsi la crise finale, n’est pas condamnable en tant que telle.

Pour terminer sur cette éventuelle responsabilité du FMI dans la crise argentine, il convient de souligner qu’à aucun moment la communauté internationale à travers ses organisations économiques, n’est venue au secours de l’Argentine qui depuis décembre 2001 s’était enfoncée dans une crise économique et sociale extrêmement dure.

Tout au plus le FMI a reporté au premier semestre le remboursement de tranches de crédit venant à échéance et que le pays était visiblement incapable d’assurer.

Le FMI a ainsi fait preuve d’une extrême sévérité à l’égard de l’Argentine, sévérité qui s’est traduite par des négociations sans cesse repoussées.

III. Bilan actuel

Aujourd’hui l’Argentine va mieux, l’Argentine se relève : le bilan actuel est incontestablement positif mais la situation reste fragile. La croissance économique a connu un rebond important : après plusieurs années de récession (- 11 % en 2002), elle a été de 8,7 % en 2003, et d’environ 6,5 % en 2004 (2). Le gouvernement a mené une politique macroéconomique prudente, sous l’égide du ministre Roberto LAVAGNA. L’amélioration de la situation économique a été largement favorisée par une conjonction de facteurs positifs :

  • hausse des prix du pétrole et du soja ;

  • augmentation des exportations agricoles tirées par la demande asiatique ;

  • bonnes récoltes.

Mais cette embellie ne saurait faire oublier les dégâts des années précédentes : la pauvreté de près de la moitié du pays, la désindustrialisation ainsi que la perte de confiance nationale et internationale après l’engouement des années 1990, sont autant de réalités qui nécessitent la mise en œuvre de politiques à long terme.

Par ailleurs, le paiement de la dette qui s’élève à 180 milliards de dollars, représente une contrainte macroéconomique incontournable pour le pays.

Notes :

(1) : Gel des dépôts bancaires : les Argentins ne pouvaient retirer en liquide plus de 250 dollars ou pesos par semaine ni quitter le pays avec plus de 10 000 dollars. Au-delà de ces limites tout devait être payé par chèque ou cartes de crédit.

(2) : Moreau Défarge Philippe (sous la direction de), Ramses 2005 : les faces cachées de la mondialisation, Paris, IFRI, 2004