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L’importance des droits de l’Homme face aux fondamentalismes religieux en Europe

La question des fondamentalismes religieux, est extrêmement délicate, elle soulève polémiques et craintes ; elle est aussi le réceptacle d’amalgames nombreux et de jugements émotionnels. L’emploi même de cette terminologie n’est pas innocent parce qu’elle est une condamnation en soi ; aussi faut-il éviter que ce soit à mauvais escient. C’est pourquoi il est nécessaire d’adopter une approche exempte de tout lien idéologique particulier et dont le caractère universel permette d’appréhender le phénomène des fondamentalismes dans sa diversité ; une approche qui ne tombe pas non plus dans l’exploitation idéologique de ce thème et qui rompe le cercle vicieux de la stigmatisation. Aussi les droits de l’homme apparaissent-ils comme une fenêtre d’entrée idoine et légitime.

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Initialement, le fondamentalisme n’est pas nécessairement d’ordre religieux ; c’est l’attachement strict à une doctrine précise (religieuse ou autre). Soulignons d’ailleurs que la tentation fondamentaliste concerne toutes les religions, en particulier les religions monothéistes. Mais, si les fondamentalismes religieux ont raison aujourd’hui de nos inquiétudes c’est qu’il s’agit de l’expression d’un mal du siècle ; en effet, il y a derrière cette terminologie un ensemble de mouvements nés avec le XXe siècle, notamment en terrain protestant nord-américain et en opposition au modernisme théologique. Elle n’a d’ailleurs pas tout à fait la même connotation aux Etats-Unis et en France. Bien que divers – notamment en fonction de leurs racines socio-historiques – les courants qualifiés de fondamentalistes se rejoignent cependant sur une même défiance vis-à-vis de la modernité : refus du processus de rationalisation, de la différenciation entre les diverses sphères de l’activité humaine, de l’autonomie du sujet. Et paradoxalement, ils n’hésitent pas à recourir aux moyens techniques, aux découvertes rationnelles et arguments qu’offre la modernité. Aussi, prétendre faire face aux fondamentalismes religieux avec les armes légitimes et efficaces qu’offrent les droits de l’homme, implique d’abord d’en comprendre les ressorts et facteurs propices.

Solliciter la voix des droits de l’homme pour réfléchir et répondre au phénomène fondamentaliste sur le sol européen est primordial à double titre.

  • D’une part, nous pouvons considérer les fondamentalismes religieux comme un affront à l’encontre des droits de l’homme (aspect défensif) ;

  • d’autre part les droits de l’homme s’avèrent un instrument indispensable pour endiguer l’essor des fondamentalismes (aspect offensif).

En premier lieu, au nom de la préservation et de la vitalité des droits de l’homme et des valeurs laïques que défend l’Europe, il est légitime d’en rappeler l’existence et l’importance aux fondamentalistes, ainsi que le degré de notre attachement à ce corpus de droits. Les droits de l’homme étant directement concernés par cet affront, il est nécessaire et légitime que leurs promoteurs réagissent.

En effet, de l’intérieur, les mouvements fondamentalistes se constituent selon des logiques contraires aux principes démocratiques et républicains du « vivre ensemble » ; ils se forment davantage à partir d’une unité mécanique (fondée sur la ressemblance et la forte conscience de groupe), niant toute diversité humaine et culturelle. D’un point de vue idéologique, les fondamentalismes religieux privilégient souvent une interprétation unilatérale de certains textes, ne tolérant pas, de ce fait, la diversité. Ils développent d’ailleurs un manichéisme moral qui interdit la nuance et la tolérance, indispensable à toute analyse et dialogue interculturel et interconfessionnel. De plus, le fonctionnement de ces groupes est autoritaire : leurs membres sont tenus de se conformer aux normes établies, respecter une discipline ferme. A l’encontre de la liberté individuelle et de l’individualisme, ils peuvent développer, à l’excès, des particularismes de comportement (repères culturels, règles pour le corps, le vêtement ou le langage).

De l’extérieur, les mouvements fondamentalistes cherchent, par essence, à diviser la société et peuvent s’avérer violents à l’égard des insoumis ; ils bafouent la liberté d’expression et de croyance, ce qui est le terrain même des droits de l’homme. Par ailleurs, les fondamentalismes religieux sont des courants qui ont tendance à accentuer les frontières entre religions et entre la religion et la société sécularisée. Par conséquent le dialogue entre confessions devient difficile ; fanatisme et prosélytisme en sont souvent des ingrédients complémentaires.

Mais faire tonner la voix des droits de l’homme c’est aussi alors réparer les offenses fondamentalistes pour ne pas laisser l’impunité s’installer lorsque ces derniers portent atteinte à l’intégrité des personnes, d’une société. Cependant la tâche est grande car il est difficile d’identifier des organisations aux contours souvent flous.

Enfin, certains mouvements fondamentalistes tentent non seulement d’investir la sphère politique qui n’est nullement de leur ressort, mais ils le font avec des moyens foncièrement illégitimes. Dans la mesure où les fondamentalismes religieux remettent directement en cause nombre de principes défendus par les droits de l’homme, il revient à la communauté internationale de promouvoir, sans relâche, ces derniers.

Etant au fondement de tout projet de société juste et durable, et indispensables au pacifisme et à la crédibilité des relations internationales, les droits de l’homme représentent un instrument primordial et efficace de la lutte contre l’expansion des fondamentalismes au sein de l’Europe.

Contrairement aux discours fondamentalistes, le corpus des droits de l’homme promeut la tolérance et le respect de la diversité des cultures et des religions, ainsi que la laïcité : du fait de leur universalité essentielle, les droits de l’homme représentent une réponse appropriée à l’ensemble des mouvements fondamentalistes, malgré la diversité et l’hétérogénéité de ces derniers. Dans la mesure où la promotion des droits de l’homme vise le caractère intolérant et dangereux de ces mouvements, elle évite tout amalgame entre les communautés dont sont issus leurs membres et entre leurs diverses revendications.

En outre, l’engouement pour des mouvements fondamentalistes s’explique en grande partie par le caractère propice du terrain : déséquilibre social, corruption, inégalités sociales, discrédit des autorités, tensions au sein de la population, stigmatisation de certaines minorités ethniques et/ou religieuses, etc. Dans un tel contexte, promouvoir les droits de l’homme c’est donc intervenir en amont du phénomène fondamentaliste, remédier aux maux dont il est issu et prévenir ainsi son émergence et son expansion. En cela il s’agit de comprendre les causes du phénomène pour mieux l’appréhender ; comprendre que le succès populaire de ces mouvements découle souvent de facteurs autres qu’idéologiques. Parce que les fondamentalistes se nourriraient de la « déshérence [spirituelle] multiforme » et seule la laïcité républicaine peut nous préserver à la fois de la « déshumanisation mercantiliste » et de la « guerre des dieux » (1), la vigilance est de mise.

Répondre par la protection et la promotion des droits de l’homme aux offenses fondamentalistes, c’est aussi sortir du cercle vicieux de la défiance réciproque, de la fatalité et de la psychose, ne pas réagir par la peur à la peur. Il s’agit de montrer qu’il existe des moyens légitimes et puissants pour endiguer ce phénomène, ne pas se laisser entraîner dans un affrontement entre cultures et religions. Mais aussi de rappeler aux religions que la modernité et la sécularisation de la société n’est pas une menace à leur vitalité.

S’il s’avère légitime et approprié d’emprunter la voie des droits de l’homme pour contenir la montée en puissance des mouvements fondamentalistes, il convient de rappeler ici par quels moyens nous pouvons et devons le faire.

Il s’agit, tout d’abord, de mobiliser l’ensemble des outils qu’offrent les droits de l’homme et d’en assurer toujours la crédibilité. L’exigence et la vigilance sont de mises concernant la portée des textes de référence, concernant l’activité, la crédibilité et le degré de coopération des organismes et institutions internationaux (ONU,CPI, ONG, associations), la justiciabilité du droit international en la matière, l’efficacité et l’audience des organismes de contrôle et de surveillance du respect des droits de l’homme, à travers le monde.

Il est essentiel ensuite d’inscrire les efforts de protection et de promotion des droits de l’homme dans le cadre plus général du développement. Il est, en effet, opportun de promouvoir les droits de l’homme parallèlement et de manière complémentaire aux politiques d’aide au développement et à une coopération internationale efficace. En cela la diplomatie joue un rôle essentiel, reposant sur la cohérence de ces objectifs.

De plus, il est indispensable, de la part des promoteurs de droits de l’homme, de faire preuve d’un discours clair et ferme, afin d’éviter toute stigmatisation et tout amalgame, néfastes au dialogue des cultures. En premier lieu, il convient de reconnaître que la violence religieuse n’est pas exclusivement le fait de groupes fondamentalistes ; elle a pu être aussi celui de courants religieux ouverts à la modernité et elle a souvent été d’ordre séculier.

Enfin, rappelons que les droits de l’homme protègent la liberté d’opinion, d’expression, de confession, ce qui est essentiel à la cohabitation harmonieuse des différentes composantes d’une société, notamment dans sa dimension confessionnelle. Or les fondamentalismes religieux réagissent souvent à la marginalisation de la religion dans la société séculière, à sa perte de poids dans la vie sociale, et développent alors, à l’intérieur d’une religion existante, des courants de re-mobilisation religieuse. C’est pourquoi il s’agit de rester toujours vigilent quant aux interprétations abusives de la liberté de religion, qui doit demeurer compatible avec la laïcité et toutes les autres libertés que protègent droits fondamentaux et les constitutions nationales en Europe ; et de rappeler l’article 29-2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». La laïcité reste indissociable de la notion d’émancipation intellectuelle et sociale.

Aussi est-il primordial d’avoir conscience que rien n’est jamais acquis en matière de démocratie et de droits de l’homme. Un tel leurre serait même dangereux car l’insouciance en la matière est le premier pas vers le discrédit et le mépris de ces droits. Il est par conséquent indispensable de ne jamais mettre un terme à la protection et la promotion des droits de l’homme. Cela contribue à faire vivre les droits de l’homme – et faire vivre un droit c’est l’appliquer. Et parce que les fondamentalismes religieux sont protéiformes et dangereux – tant d’un point de vue moral et politique que physique – il convient de lutter contre leur expansion avec les ressources appropriées ; des ressources qui permettent de maintenir l’harmonie et l’équilibre au sein de la société ; de remédier aux dysfonctionnements qui sont à l’origine même de l’émergence des fondamentalismes : les droits de l’hommes sont une des composantes essentielle de cette lutte et de cette construction commune.