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Paris, 2006

L’invasion chinoise au Tibet, 1949- 2006: revendications identitaires et enjeux culturels

L’invasion puis la colonisation du Tibet par la Chine s’est déroulée en majeure partie par l’instrumentalisation du culturel : le dénigrement méthodique et calculé de la culture tibétaine est utilisé pour masquer une politique d’accaparation des ressources naturelles par le biais d’une stratégie militaire et d’un véritable impérialisme idéologique

Keywords: Tibet | China

Introduction.

1949, peu après la prise de pouvoir par Mao, ordre est donné à l’armée chinoise de « libérer » le Tibet.

La nouvelle est accueillie avec incrédulité par les chancelleries étrangères et avec désintérêt par l’opinion publique mondiale peu au fait des réalités et des rivalités au cœur de la haute Asie et monopolisée par les problèmes liés à l’Après guerre : effondrement du IIIe Reich et de l’Axe, guerres de libération et décolonisation, reconstruction de l’Europe, premiers déchirements des Alliés.

En 1950, dans l’indifférence générale, les troupes chinoises, sous les ordres du Grand Timonier, entrent en force sur le territoire de l’Etat autonome du Tibet.

Depuis, la Chine n’a pas retiré ses troupes qui sont encore en faction et le Tibet n’a plus d’autonome que le nom.

Pourtant, au fil des années, la question tibétaine ne cesse d’être ponctuée par des troubles récurrents qui la mettent sur le devant de l’actualité.

Même si exactions et violence répressive n’ont plus cours de nos jours, le Tibet se retrouve face à un nouveau problème : la perte de ce qui fait son identité (sa religion, sa langue, sa culture et son territoire), conséquence de la politique d’assimilation forcée des chinois Han pour qui le Tibet n’est plus qu’une province du Grand Empire de Chine et les Tibétains une minorité parmi d’autres qu’il est nécessaire de siniser.

Aujourd’hui, au Tibet, les revendications identitaires et les volontés de sauvegarde culturelle sont particulièrement virulentes.

Notre étude est constitués de deux parties : l’une plus factuelle et l’autre essentiellement analytique.

La première est une présentation du conflit, des faits historiques et de la situation présente du « pays des trésors de l’Ouest » comme le surnomment traditionnellement les Chinois. En effet, il semble évident que, pour analyser en profondeur les causes et les fondements du problème tibétain, celui doive être parfaitement connu et cerné.

Le seconde partie est consacrée à l’analyse des facteurs à l’origine du conflit, elle tente d’établir des clés d’approche et de compréhension qui permettront une meilleure conception de celui-ci, conception à la fois globale et ciblée puisque nous nous intéresserons spécialement à la place du culturel au cœur de la question tibétaine.

Plusieurs questionnements apparaissent alors. Tout d’abord : Quelles sont les raisons réelles, les facteurs sous-jacents qui ont conduit à l’appropriation d’un territoire et à l’anéantissement d’une peuple ?

Nous les opposerons aux causes invoquées et revendiquées par Mao.

Nous nous intéresserons également au processus, a priori paradoxal, conduisant à invoquer la « liberté » pour justifier la violence et le meurtre, voire le génocide ?

Dans un deuxième temps, nous nous demanderons quelle est la part du culturel. Celui-ci semble important puisque la culture tibétaine se caractérise aujourd’hui par un violent désir de préservation de la part d’un peuple qui se meurt. Nous justifierons également l’utilisation du terme « colonialisme » pour qualifier l’action chinoise au Tibet.

Mais aussi, et surtout, puisque nous sommes face à une politique d’assimilation : Comment aliéner l’Autre ? Par quels moyens concrets s’opère ce processus de « déculturation » nécessaire à une « acculturation forcée » ?

Enfin, nous nous interrogerons sur la possibilité, basée sur la seule bonne volonté, de sauvegarde d’une culture soumise à un tel traitement.

Partie 1 : Le conflit.

1. Le contexte : quelques repères en amont.

a. Le Tibet avant l’invasion : un état souverain.

Avant 1949, le Tibet est considéré comme un état souverain : autonome et indépendant.

La proclamation datée du huitième jour du premier mois de l’an du bœuf d’eau (février 1913) est une véritable déclaration officielle d’indépendance en bonne et due forme qui témoigne pleinement de la souveraineté indiscutable du Tibet.Subvenant totalement à ses besoins (l’agriculture y étant particulièrement développée), il vit dans une autarcie presque totale, réduisant volontairement au minimum tout contact avec l’extérieur : le Tibet, accoutumé à un rythme et un mode de vie séculaire, est ainsi peu touché par le développement technologique accéléré qui a lieu partout hors de ses frontières. Outre la Chine, seuls l’Inde, pays d’origine du bouddhisme, et le Népal entretiennent quelques rapports réguliers, d’ordre souvent spirituels, avec le pays. Cependant, au moment de l’invasion chinoise, le Tibet commence à s’ouvrir au monde, le XIIIe dalaï-lama ayant pris conscience de l’importance d’une ouverture sur l’extérieur et de la formation de relations internationales : il crée une armée tibétaine, introduit les premiers billets de banque et les premiers timbres-poste et envoie quelques Tibétains étudier en Angleterre les techniques de l’énergie électrique, de la télégraphie et de la guerre. Malheureusement, le pays n’a pas eu le temps de pérenniser ses projets.

Le Bouddhisme occupe une place particulièrement importante au Tibet, il régit tout : la politique (les chefs politiques sont les dignitaires spirituels), l’organisation sociale, il rythme la vie des Tibétains (calendrier et fêtes) et influence les comportements. Originaire d’Inde, le Bouddhisme a pris une forme particulière et inédite sur le territoire tibétain : le lamaïsme. Prônant par essence la paix et la non-violence, l’influence du Bouddhisme tibétain, entre religion et philosophie, explique l’absence d’une véritable armée de métier tibétaine et le peu d’attention porté à la défense et à la protection militaire du pays.

b. Les relations avec la Chine avant 1949.

Les relations Chine - Tibet ont toujours été étroites et ambiguës. Elles se caractérisent par une succession d’invasion (dans les deux sens), d’accords, de traités, parfois rompus et par une alternance entre coexistence pacifique et violences. Nous y reviendrons plus en détail ultérieurement.

Malgré tout, en 1652, avec la visite du Vème Dalaï-lama à Pékin, une relation particulière s’établit entre les deux puissances : celle de « prêtre – patron » : le Dalaï-lama devient le guide spirituel de l’Empereur chinois qui lui offre en retour sa protection temporelle

Le dernier conflit en date avant 1949 a eu lieu au XVIIIe siècle. En 1720, l’armée des Qing entre à Lhassa pour chasser les mongols. Les Mandchous en profitent pour réorganiser l’administration tibétaine et imposer une « supervision » impériale. Des « ambans », représentants du trône de Pékin, stationnent à Lhassa. En 1792, l’empereur Qianlong envoie ses troupes à Lhassa expulser des envahisseurs népalais. Le Tibet est alors bien prêt de tomber dans l’orbite chinoise : la frontière entre indépendance et interdépendance est bien difficile à établir.

Après la mort de Qianlong en 1795, le Tibet regagne peu à peu sa liberté. En 1911, la dynastie chinoise des Qing s’effondre, la première République chinoise est proclamée. S’ensuivent 18 ans d’instabilité en Chine dont le Tibet profite pour chasser les Chinois de Lhassa et proclame son indépendance en 1913.

c. L’invasion chinoise. Chronologie.

  •  

    • 01/10/1949 : Fondation de la république populaire de Chine.

    • 01/01/1950 : Déclaration radiophonique de Mao annonçant « la libération de Taiwan, d’Hainan et du Tibet ».

    • 07/10/1950 : 84 000 soldats de l’armée de libération chinoise pénètrent au Tibet.

    • 17/11/1950 : Nomination du XIVe Dalaï-lama.

    • 23/05/1951 : Signature de l’accord en 17 points.

    • 26/10/1951 : L’armée populaire de libération entre à Lhassa : la Tibet est entièrement envahi.

    • 11/07/1954 : Première visite de dalaï-lama à pékin.

    • 22/05/1956 : Création de la « Commission préparatoire de la région autonome du Tibet ».

    • Hiver 1955-56 : Premier soulèvement des Khampas dans la région du Chamdo.

    • 01/03/1959 : Invitation chinoise du dalaï-lama à assister à une représentation théâtrale.

    • Nuit du 16-17/03/1959 : Les Tibétains encerclent le Potala pour empêcher la sortie du dalaï-lama. Les Chinois tirent sur la foule.

    • 17/03/1959 : Fuite de dalaï-lama vers l’Inde, suivi par la suite de 100 000 Tibétains.

    • 18-22/03/1959 : Violentes émeutes à Lhassa, répression sanglante des autorités chinoise.

    • 1961 : La « réforme démocratique » est achevée au Tibet.

    • 01/09/1965 : Intégration administrative officielle du Tibet à la Chine.

    • Proclamation de la « région autonome du Tibet ».

    • 1966-76 : Révolution culturelle (dévastation de 6000 monastères, incendie de bibliothèques, pillage des temples et des trésors religieux, répression sans merci, exécutions sommaires).

    • 12/1978 : Arrivée de Deng Xiaoping à la tête du pays.

    • 1978 : Timide libération religieuse pour les Tibétains.

    • 01/1979 : Première délégation du dalaï-lama au Tibet (suivie de trois autres, sans résultat tangible).

    • 1979-87 : Période de renaissance pour un peuple traumatisé.

    • 1981 : Lhassa est ouverte au tourisme.

    • 1987 : Année de l’explosion anti-chinoise :

    • 21/09/1987 : Visite du dalaï-lama aux Etats-Unis, présentation du « plan de paix en cinq points ».

    • 24/09/1987 : Organisation d’un procès monstre à Lhassa : 15 000 tibétains sont contraints d’assister au procès de huit de leurs compatriotes.

    • 27/09/1987 : Première manifestation anti-chinoise à Lhassa.

    • 01/10/1987 : Révolte des Tibétains, réprimée violemment par les chinois devant des touristes étrangers. Les troubles persistent pendant plusieurs jours.

    • 1988 : Nouvelles manifestations de protestation après les fêtes du Nouvel An.

    • 15/06/1988 : Discours du dalaï-lama au parlement européen de Strasbourg.

    • 05/03/1989 : Dernière émeute à Lhassa.

    • 07/03/1989 : Instauration de la « loi martiale » à Lhassa.

    • 04/06/1989 : Evénements de la place Tian An Men.

    • 1989 : Prix Nobel de la paix décerné à Tenzin Gyatso, XIVe Dalaï-lama.

    • 1992 : Pékin déclare le Tibet : « Zone économique spéciale ».

    • Destruction accélérée de Lhassa.

    • Transfert massif de colons chinois pour siniser le Tibet.

    • Multiplication des manifestations de protestation et durcissement de la répression.

    • 1995 : Reconnaissance par le dalaï-lama de la réincarnation du panchen-lama.

    • Relance du différend avec Pékin.

2. Les différentes étapes.

a. L’invasion (1949- 1951).

En 1949, les communistes prennent le pouvoir à Pékin : dans la ville de Lhassa, isolée au cœur de l’Himalaya à plus de 3700m d’altitude, sans téléphone ni moyens de communication, la nouvelle ne se répand pas immédiatement et personne ne se doute alors des conséquences désastreuses qu’aura cet événement sur le pays et ses habitants.

Le premier janvier 1950, Mao Tsé-Toung déclare sur Radio Pékin :

« Le devoir de l’armée populaire de libération pour 1950 est de libérer Taiwan, Hainan et le Tibet. »

Aux dires de Mao, le Tibet serait sous la domination des « impérialistes étrangers » et son devoir de libérer ce territoire qu’il considère comme appartenant historiquement à la Chine.

Il s’agit également, toujours pour Mao, de mettre fin à un régime féodal qui, soi-disant, asservissait les paysans depuis des siècles et permettait aux moines et aux nobles de vivre dans l’opulence.

La déclaration est ainsi on ne peut plus claire, il s’agit bien d’étendre le règne du communisme à l’état souverain du Tibet.

Le 07 octobre 1950, 84 000 soldats pénètrent au Tibet, dans la province orientale du Kham, sur les contreforts de l’Himalaya. L’armée tibétaine ne dispose, pour les arrêter, que d’une armée hétéroclite de 8 500 hommes et d’un arsenal sommaire. Malgré des résistances vives de la part de Tibétains, en particulier des guerriers Khampas qui se battent farouchement à cheval et au sabre, la lutte est trop inégale et l’armée tibétaine est repoussée.

Il semble important de rappeler que le Tibet, de part l’influence primordiale du bouddhisme, (religion prônant la paix et la non-violence comme valeurs essentielles) dans les mœurs mais aussi en politique, était assez mal préparé à la défense de son territoire et s’est trouvé véritablement désemparé et démuni face à l’invasion chinoise. D’autant que le pays, resté volontairement dans l’isolement le plus total, n’avait pas vraiment tissé de liens et de relations diplomatiques avec des puissances étrangères qui aurait pu aider à sa défense.

De plus, en 1950, Tenzin Gyatso, le futur XIVe dalaï-lama, n’a pas seize ans : devant le désastre proche, on lui confère officiellement les pouvoirs spirituels et temporels du dalaï-lama le 17 novembre 1950, trois ans avant l’âge minimum requis.

En 1951, une délégation tibétaine, représentant le cabinet et le Dalaï-lama, se rend à Pékin où ils sont reçus par le premier ministre chinois qui leur présente un traité « l’accord en 17 points » garantissant, entres autres, la liberté de religion et de détermination du régime social au Tibet, en échange de son aide à l’armée de libération. Le 23 mai 1951, la délégation signe le traité mais, à son retour au Tibet, affirme avoir été en butte à des pressions et des menaces de la part des autorités chinoises, qui auraient même été jusqu’à falsifier les sceaux tibétains apposés en bas du traité.

Il est alors trop tard pour reculer : le 26 octobre 1951, les troupes chinoises entrent dans la capitale, la victoire de l’armée de libération est alors proclamée. Désormais, c’est le drapeau chinois qui flotte à Lhassa.

b. La répression (1951- 1878).

A leur arrivée, les représentants chinois exposent au dalaï-lama les raisons de l’invasion. L’armée chinoise est venue pour aider le Tibet à se développer ainsi qu’à se protéger des complots impérialistes ourdis par les étrangers (il semble important de rappeler qu’à cette époque, il n’y avait que cinq Européens résidants au Tibet). De plus, elle affirme que, une fois cette tâche menée à bien, l’armée se retirera. La suite des événements montrera que cela n’a pas du tout été le cas.

Dès 1951, deux grands axes routiers sont percés, ces routes assurent un déploiement rapide des forces armées et facilitent la conquête des contrées éloignées.

Le premier combat de Mao est d’éroder les immenses pouvoirs politiques et spirituels du dalaï-lama : la religion, l’ « opium du peuple » selon Marx, ne permettant pas l’expansion du socialisme ; bien au contraire, elle est un frein à la progression de l’idéologie communiste au Tibet, de part son importance dans les mœurs et le vie quotidienne.

Sous le slogan : « La religion est un poison, vive le président Mao ! », les autorités chinoises font tout pour convaincre la population de se soulever contre ceux considérés comme des oppresseurs : les autorités religieuses. Mais les Tibétains, trop attachés à leur religion et à leur chef spirituel, reste hermétiques à ces préceptes. Il va falloir employer la manières forte : les premières répressions envers les lamas et la destruction des monastères commencent dès cette époque.

En parallèle, l’armée, installée à Lhassa, connaît les premiers problèmes d’approvisionnement et réquisitionnent les stocks de céréales : pour la premières fois dans toute son histoire, la population de Lhassa est au bord de la famine.

Le 22 avril 1956, la « commission préparatoire de la région autonome du Tibet » est crée : son but étant l’assimilation du Tibet et son intégration dans le moule administratif de la Chine. Le Tibet n’a plus d’autonome que le nom.

Les premières rébellions tibétaines éclatent dans la région du Chamdo sous forme de guérillas. Elles sont matées dans le sang par l’armée chinoise qui sème la terreur dans les monastères et les villages.

Suite à une étrange invitation du gouvernement chinois au dalaï-lama à venir seul, sans escorte, assister à une représentation théâtrale, le peuple se masse devant le palais de son chef spirituel, le Potala, pour l’empêcher de sortir et d’être ainsi la victime d’un éventuel enlèvement. Le Potala est bombardé et dans la nuit du 16 au 17 mars 1959, le dalaï-lama, en danger, prend la fuite vers l’Inde.

L’insurrection éclate quelques jours plus tard à Lhassa : 20 000 Tibétains affrontent quelques 40 000 soldats chinois. Malgré la détermination et le courage des insurgés, la lutte est trop inégale : des centaines de morts et des milliers d’arrestations ont lieu dans les trois jours et trois nuits que dure la révolte.

A la suite de ses événements, une chape de plomb s’abat sur le Tibet : arrestations, exécutions, déportations de moines et de civils accusés de trahison au parti, pillage et destructions des trésors culturels et religieux, exactions en tout genre se succèdent.

De nouvelles réformes, visant à communiser l’ensemble du pays, sont mises en place : ce programme, baptisé : « réforme démocratique » et fondé sur la collectivisation à outrance des campagnes et la neutralisation des monastères, est officiellement achevé en 1961.

Des « mouvements de lutte », litote pour désigner des séances d’humiliation publique, ont lieux à foison dans tout le pays.

En 1965, l’intégration administrative du Tibet à la chine est déclarée achevée avec la création, le 1er septembre, de la « Région autonome du Tibet ».

De 1966 à 1976, c’est la « Grande révolution culturelle prolétarienne » de Mao, toute la chine est balayée par un ouragan destructeur mais, au Tibet, elle a pris la forme d’une guerre totale menée contre un peuple et une civilisation : les gardes rouges envahissent le pays et les exactions sont plus nombreuses que jamais. Plus de 6000 monastères et sanctuaires sont dévastés, des bibliothèques incendiées, des reliques sacrées détruites, les pratiques religieuses sont interdites, comme tout ce qui à trait à la culture traditionnelle tibétaine, des milliers de Tibétains, laïques mais surtout religieux, sont déportés dans des camps de travail chinois, des centaines d’autres sont torturés et exécutés, d’autres encore sont soumis à des séances d’humiliation publiques, des enfants tibétains sont enlevés pour être éduqués en chine, des femmes sont stérilisées de force,… la liste des exactions et des crimes perpétrés par les Chinois ne semble jamais complète.

« Les sbires du dictateur entreprirent, à partir de 1966, la destruction systématique, méthodique, calculée, planifiée et totale de la civilisation tibétaine » : DONNET Pierre-Antoine, Tibet mort ou vif, Folio, collection « actuel », Paris, 1993, p.147

c. Une assimilation méthodique.

La mort de Mao et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, en 1978, permettent une timide libération religieuse au Tibet. Un nouvelle politique de plus grande tolérance religieuse est adoptée un 1979 : il serait toutefois hâtif, voir totalement erroné de parler de véritable « liberté religieuse ». Malgré tout, la pratique du bouddhisme n’est plus interdite, la destruction méthodique des monastères et la persécution des moines prennent fin.

Mais les Tibétains se trouvent alors confrontés à un nouveau problème : devant l’inefficacité de la manière forte pour soumettre les Tibétains, Xiaoping, dans la lignée de Mao, décide de changer de tactique et adopte une politique moins offensive mais tout aussi violente, celle de l’envoi massif de travailleurs et de fonctionnaires chinois au Tibet afin de « noyer » la culture tibétaine dans la culture de masse chinoise. Les hautes fonctions administratives sont toutes occupées par des Hans, chinois de souche ; de nombreux commerces, restaurants, échoppes, changent de main pour être régis par ces nouveaux migrants : attirés au Tibet par des avantages économiques (les salaires des cadres sont souvent triples que ceux versés à l’intérieur de la chine) et l’assurance d’une promotion. Les anciens bâtiments d’architecture traditionnelle tibétaine sont détruits et remplacés par de grands ensembles d’habitations modernes, à la chinoise.

Les Tibétains se contentant par tradition de l’essentiel, de nouveaux besoins sont crées et l’importation massive de technologie occidentale et de produits de manufacture chinoise s’amplifie de jours en jours. Aujourd’hui, à Lhassa, les téléphones portables côtoient, sur les marchés, les moulins à prières traditionnels.

Ainsi, tout est fait pour masquer et faire oublier aux habitants leur culture traditionnelle.

Pour donner quelques chiffres : en 1980, il y avait une moyenne d’au moins un Chinois pour trois Tibétains au cœur du tibet. Cette proportion est bien plus importante dans les provinces de l’Amdo et du Kham où les Tibétains, dans certaines zones, sont devenus minoritaires.

Les derniers chiffres (1992) du Bureau de l’information du « Gouvernement en exil » du Dalaï-lama font état de 7,5 millions de chinois installés au Tibet central et dans les anciennes zones tibétaines rattachées aux provinces du Yunnan, du Qinghai, du Gansu et du Sichuan.

Voici les conclusions de cet organisme :

« Le transfert chinois au Tibet atteint des proportions alarmantes. On peut très réellement craindre que si l’actuelle politique chinoise est couronnée de succès – et tout indique qu’elle le sera – les Tibétains de soient réduits à n’être qu’une petite minorité insignifiante dans leur propre pays, comme cela s’est déjà passé pour les Mandchous (35 chinois pour un mandchou), les peuples turcs (3 chinois pour un turc), et les Mongols (5 chinois pour un mongol). Le but de cette politique est de « résoudre » par la force les revendications territoriales de la Chine sur le Tibet par un transfert massif et irréversible de la population. » : DONNET Pierre-Antoine, Tibet mort ou vif, Folio, collection «actuel », Paris, 1993, p.172

3. Quelques précisions sur les réactions internes.

a. L’opposition farouche des Tibétains : résistance ou terrorisme ?

Il semble important de rappeler, et de souligner, que les Tibétains ont toujours résisté (et résistent toujours ) à l’invasion chinoise, que ce soit par la force : rebellions ouvertes, guérillas dans les campagnes (de nombreux moines ont d’ailleurs renoncé à leurs vœux pour pouvoir combattre les chinois) ; mais aussi par des méthodes plus pacifiques : résistance passive, manifestations, affichages, tractages ou en essayant, défiant les interdits chinois, de faire passer à l’extérieur du pays des messages sur leur condition afin d’alerter et de mobiliser l’opinion internationale.

Les Tibétains restent farouchement attachés à leur chef, pourtant en exil depuis près de 40 ans, à leur religion et à leur coutumes ancestrales ; ils font tout leur possible pour résister à l’oppresseur- envahisseur et sauvegarder leur culture millénaire.

Aujourd’hui, avec la politique d’assimilation, prônant l’envoi massif de Chinois de souche au Tibet, ils sont confrontés à des difficultés croissantes pour préserver leur culture dans le flot envahissant de la civilisation chinoise et de la technologie occidentale.

J’ai choisi volontairement d’utiliser ici le terme « résistance » pour qualifier des actes que le gouvernement chinois désigne sous le signifiant « terrorisme ». A mon sens, la résistance étant la réaction d’une population, violente ou plus pacifique, à une occupation, visant à recouvrir une liberté ôtée de force ; à la différence du terrorisme qui a pour but de favoriser, par la force et en recourrant à des actes destructeurs contre des infrastructures ou des civils, les desseins d’organisations politiques ou religieuses qui veulent imposer leurs idées et leurs revendications.

b. Les exactions chinoises : la question des droits de l’Homme.

Tortures, meurtres, déportations, emprisonnements, menaces, destructions, exécutions publiques, stérilisations forcées,… : la liste des exactions commises par les Chinois pour dompter la résistance tibétaine ne sera jamais complète. Devant la détermination obstinée de tout un peuple, les Chinois, pour imposer leur idéologie, n’ont trouvé d’autres solutions qu’une répression particulièrement brutale et violente, par ne pas dire sanglante et presque génocidaire.

Nous reviendrons ultérieurement sur le terme « génocide » ; dans tous les cas, si l’on suit le Rapport présenté à la Commission internationale de juristes par le Comité d’enquête sur la question du Tibet, un grand nombre d’articles de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du citoyen ont été objectivement bafoués au Tibet par les chinois. Cet ouvrage, destiné à informer les instances internationales de la situation tibétaine, s’est proposé de recueillir tous les témoignages des Tibétains confrontés aux exactions chinoises et tente d’établir, par les faits et par le droit, la vérité sur le drame tibétain.

Une partie de l’ouvrage est consacré à la question des Droits de l’Homme, leur conclusion est que 13 articles sur les 30 contenus dans la Déclaration ont été reconnus comme officiellement violés au Tibet (Cf. annexe 2 « la situation des Droits de l’Homme au Tibet » p. 38). Certains le sont encore aujourd’hui.

Evidemment, il est indispensable de rappeler que « la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du citoyen » comme son appellation de « déclaration » l’indique, n’a pas valeur de loi. Il est également vrai que la Chine a toujours entretenu des rapports particuliers avec le droit international, reprochant aux droits de l’homme d’être, fruit de l’Occident, destinés aux sociétés occidentales et difficilement applicables aux sociétés culturellement différentes.

La Chine a signé le pacte relatif aux droits sociaux et culturels en octobre 1997, et le pacte international relatif aux droits civils et politiques en octobre 1998 ; mais, à ce jour, elle n’a ratifié aucune des deux.

Chaque visite de dirigeant occidental en Chine est l’occasion de rappels à l’ordre sur la violation des droits de l’homme en Chine et dans les « minorités », dont le Tibet. Quand les dirigeants chinois acceptent de s’exprimer sur le sujet, ils soulignent les grands progrès accomplis par leur pays dans ce domaine mais protestent par ailleurs contre l’imposition du modèle occidental à tous les pays du monde et soutiennent que la Chine est trop différente pour que l’on puisse revendiquer le même modèle pour elle.

Malgré tout, appliquer l’idéal des Droits de l’Homme à la question tibétaine permet de se faire une idée plus précise, pour ne pas dire plus concrète, surtout pour un occidental, du sort réservé aux tibétains. De plus, cela rend d’autant plus paradoxal encore les réactions, ou plutôt l’absence de réactions, des puissances nationales, en particulier occidentales, et des instances internationales, qui se revendiquent pourtant comme garantes des droits de l’homme.

4. Les conséquences.

a. Un territoire occupé et divisé.

La terre tibétaine et les hommes qui l’occupent ont ainsi subit un profond bouleversement, le Tibet s’est métamorphosé en une vaste province chinoise.

Les derniers chiffres font état de 7,5 millions de Chinois pour 6 millions de Tibétains. Ceux-ci de retrouvent donc en minorité dans leur propre pays. Et cette dynamique s’accélère : tous les jours, de nouveaux colons (main d’œuvre, soldats, dirigeants ou industriels) arrivent en territoire tibétain, parfois avec femmes et enfants. Cependant, il est bien rare que ceux-ci y restent à vie : en effet, la vie au Tibet pour un non natif est particulièrement rude et éprouvante. Il est fréquent que les Hans rentrent au pays après s’être enrichi quelques années sur le toit du monde.

Quant au territoire, celui-ci n’a plus aujourd’hui d’ « autonome » que le nom, il est considéré comme une province chinoise à part entière, les hautes fonctions administratives et de gestions du territoire sont toutes confiées à des chinois de souche. Le territoire d’origine, portant le nom de Tibet, s’est considérablement réduit, celui-ci a été divisé et certaines provinces ont été rattachées à des provinces chinoises limitrophes : au Sichuan, au Yunnan, au Qinghai et au Gansu (Cf. carte p 37.).

b. Un désastre économique et écologique.

Les arguments de Pékin sur les progrès économiques que le Tibet est sensé avoir réalisés sont inchangés dans leur formulation depuis les années 50. Cependant, si l’on regarde d’un peu plus prêt, tout esprit libre ne peut qu’être saisi de stupeur. Car, si les Chinois figurent parmi les êtres humains les plus pauvres du monde, les tibétains sont, dans ce cas, les derniers des oubliés du développement, le « quart monde du tiers monde ».

Illettrés pour la plupart, leur alimentation est insuffisante et ils ont des problèmes pour se loger et se vêtir, selon la définition chinoise du seuil de pauvreté. Les famines crées par les mouvements politiques ont peut-être enfin disparu du pays tibétain mais les inégalités ne cessent de se creuser entre le Tibet et le reste de la Chine. Pour donner un exemple, avec 253 kilogrammes de céréales par habitant et par an, le ratio moyen au Tibet reste largement inférieur à celui de la Chine entière qui était, la même année, de 335 kilogrammes par an et par habitant.

Pour ce qui est de l’environnement, depuis l’arrivée des Chinois, le Tibet voit, de jours en jours, son territoire se dégrader. La déforestation atteint plus de 40% : les immenses forêts qui, en 1950, constituaient 9% du territoire, n’occupent plus, en 1985, que 5% de l’espace tibétain. Rarement compensée par des plantations nouvelles, cette déforestation provoque la disparition d’un grande partie de la faune du Tibet (faune riche et unique au monde dont certaines espèces sont aujourd’hui menacée sur la planète), une érosion accélérée des sols, des glissements de terrain et l’engorgement progressif des fleuves par les sédiments.

Quant aux lacs, ils sont particulièrement menacés par une pollution chimique et par une politique d’irrigation massive qui, conjuguée à une explosion démographique, fait baisser régulièrement le niveau des eaux.

Enfin, le tourisme de masse a, de son côté, contaminé les zones les plus difficiles d’accès dans l’Himalaya. Il laisse derrière lui une pollution qui, dans certains endroits, atteint des proportions consternantes.

5. Un génocide humain et culturel ?

Le génocide est universellement considéré comme le crime le plus abominable qui puisse être mis à la charge d’un individu ou d’une collectivité. Les Etats membres de l’ONU ont adopté en 1948 une Convention pour la prévention et la répression de ce crime.

Le Rapport présenté à la Commission internationale de Juristes par le Comité d’enquête sur la question du Tibet se pose, à ce propos, la question suivante :

« Peu importe qu’il existe ou non des moyens juridiques de contraindre la République populaire de Chine au respect de ces principes : la question est de savoir si ses fonctionnaires militaires ou autres agents au Tibet ont ou non commis des actes pouvant être qualifiés de génocide. » : Comité juridique d’enquête sur la question du Tibet, Le Tibet et la République Populaire de Chine : rapport présenté à la Commission internationales de Juristes, Genève, 1960, p11

Aux termes de l’article II de la Convention sur le génocide est écrit :

« Dans le présente convention, la génocide s’étend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique ou religieux, comme tel :

  • Meurtre de membres du groupe.

  • Atteinte grave à l’intégrité physique ou morale de membres du groupe.

  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique, totale ou partielle.

  • Mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe.

  • Transfert forcé des enfants du groupe à un autre groupe ».

« L’enquête a établi que :

  • Les Chinois interdisent la foi et la pratique bouddhistes au Tibet.

  • Ils ont entrepris systématiquement d’extirper cette croyance du pays.

  • A cette fin, ils ont mis à mort d’éminentes personnalités religieuses dont la foi et la piété était un exemple et un encouragement pour les fidèles.

  • Ils ont déporté un rand nombre de jeunes Tibétains dans des centres chinois d’éducation matérialiste afin de les soustraire à toute éducation religieuse.

Il ressort de ces faits que la République populaire de Chine a entrepris de détruire la fraction tibétaine du groupe religieux bouddhistes en usant de deux procédés qui sont expressément visés par l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du génocide. » : Comité juridique d’enquête sur la question du Tibet, Le Tibet et la République Populaire de Chine : rapport présenté à la Commission internationales de Juristes, Genève, 1960, p 13-14

Ainsi, un véritable génocide, reconnu par les instances internationales, a été perpétré au Tibet et plus d’un million deux cent milles Tibétains ont périt en conséquence directe ou indirecte de leur propre « libération ».

Mais ce génocide n’est pas seulement humain, il est aussi culturel, linguistique et religieux. Et c’est presque le plus terrible car la population peut se renouveler mais la culture, une fois perdue, ne peut se régénérer. Bien qu’une partie puisse rester vivante dans la mémoire des hommes (chants, contes, rituels,…), les manuscrits centenaires, brûlés par les gardes rouges sont, eux, à jamais perdus.

Ainsi, en plus d’un génocide, les Tibétains doivent faire face à un « ethnocide » : nous aurons l’occasion d’approfondir ce point ultérieurement.

Partie 2 : Les facteurs.

Dans tout conflit, une légitimation est nécessaire pour couvrir la violence exercée.

Dans le cas du conflit tibétain : quels sont les facteurs invoqués pour justifier une guerre totale contre une population et sa culture ?

Pour répondre à cette problématique, nous allons tout d’abord examiner les raisons, les arguments argués par le gouvernement chinois.

Nous verrons que ceux-ci sont imparfaits et qu’ils dissimulent une autre réalité, beaucoup moins honorable pour Mao Tsé-Toung et son gouvernement.

Ces facteurs sous-jacents seront analysés dans une deuxième partie.

1. Les arguments invoqués par la Chine.

a. Facteurs historiques.

La Chine revendique l’appartenance de longue date du Tibet à son territoire, un « Livre blanc », retraçant un pseudo historique de la domination chinoise au Tibet, a même été publié en 1992.

Dans ses revendications, la Chine se base en partie sur un traité de 1906, établit entre anglais et chinois, qui concède un vague droit dit de suzeraineté sur le haut Pays du Tibet à la Chine et sur une convention anglo-russe qui reconnaît l’année suivante « les intérêts britanniques particuliers dans le maintien du statu quo concernant les relations extérieures du Tibet ».

Mais cette convoitise chinoise sur « la maison des trésors de l’Ouest » ne date pas de 1949 : déjà la dynastie des Qing (1644-1911) s’était mise à clamer que le Tibet faisait partie intégrante de son territoire.

Néanmoins, s’il on regarde d’un peu plus près les relations historiques sino-tibétaines, on s’aperçoit que cet argument est loin d’être fondé : bien au contraire, l’histoire prouve que les deux civilisations, se sont longtemps considérées sur un pied d’égalité.

Hans et Tibétains établirent des relations « amicales » dès la dynastie de Sui (581-618) qui devaient connaître un développement important dans les siècles suivants.

En 641, le grand et redouté souverain tibétain Songtsen Gampo, obtient en mariage la princesse chinoise Wen-cheng qui le rejoint sur ses hautes terres : au VIIe, les deux puissances entretenaient des relations cordiales.

Le rayonnement du Tibet en Asie n’a cessé alors de croître et était tel au VIIIe siècle que les tibétains aurait pris la capitale impériale chinoise de Chang-An (aujourd’hui Xian) en 763. Episode que les livres d’histoire chinois préfère en général oublier.

En 821, sur un pilier de terre est gravé un accord sans équivoque sur le territoire et les obligations des deux voisins, rédigé en tibétain et en chinois : « […] Tout ce qui est à l’est appartient à le grande Chine, tout ce qui est à l’ouest est incontestablement le pays de Grand tibet. Que les tibétains soient heureux dans le pays du Tibet, et les chinois dans le pays de Chine. ». Un pilier semblable se trouvait autrefois sur la ligne de partage des deux territoires.

Mais c’est avec la prise de pouvoir des empereurs mongols, en particulier sous Gengis Khan (1167-1227), que naquit une relation particulière entre les deux puissances, connue en tibétain sous le noms de « chö-yön » que l’on pourrait traduire par « bienfaiteur- guide spirituel » : le Dalaï-lama devient le maître spirituel, le guide de l’empereur de Chine en contrepartie d’une protection temporelle.

Cette relation privilégiée constitua la base des liens qui rapprochèrent le Tibet et la Chine jusqu’au XXe siècle. Il ne s’agissait ainsi nullement d’une relation de souveraineté ou de suzeraineté mais d’un lien essentiellement spirituel. C’est ce pacte moral qu’invoquent souvent les divers pouvoirs en place à Pékin pour justifier leurs prétentions territoriales sur le Tibet.

En 1271, un chef mongol réunifia la chine et fonda la dynastie des Yuan, il prit aussi une série de mesures pour renforcer l’administration tibétaine : et voilà comment le Tibet fut à tout jamais rattaché à la Chine, selon le gouvernement de Pékin qui fait d’ailleurs une curieuse assimilation en déclarant les Mongols chinois.

b. Facteurs idéologiques.

Selon Mao, il s’agit de mettre fin à l’ « impérialisme étranger ourdi par les américains » au Tibet et au « régime féodal » qui constitue le pays et opprimerait une partie importante de la population.

Pour ce qui est de l’impérialisme, cet argument peut être rapidement démonté : en 1949, il n’y avait au Tibet que cinq ressortissants étrangers, ce qui semble assez peu pour constituer une puissance impérialiste.

Quant au deuxième argument, il est vrai que le Tibet était un régime que l’on pourrait qualifier de féodal : des serfs travaillaient pour de grands propriétaires ou pour des monastères cependant, ils recevaient, souvent, en échange de leurs services, un morceau de terrain qu’ils pouvaient cultiver pour leur consommation personnelle.

Les soi-disant tortures envers les serfs, étendards de la propagande chinoise, étaient presque inexistantes : le Dalaï-lama ayant abolit toute forme de torture (sauf celle en cas de trahison) en 1898.

Bien sûr, la toute puissance du Bouddhisme se traduisait par un certain obscurantisme religieux dans les campagnes : le paysan vivait dans un univers de croyances et de superstitions farfelues qui généraient des peurs irraisonnées, il avait souvent recours à des pratiques magiques dérivées des rites chamaniques.

La corruption était également monnaie courante et les fonctionnaires se faisaient souvent nourrir par les paysans en échange de leurs bonnes grâces.

Malgré tout, l’exploratrice Alexandra David-Neel affirme que le Tibet était avant tout un pays de rires et des fêtes, de réjouissances et de festins. Un pays du plaisir de vivre où personne ne mourrait jamais de fin, sinon dans les contrées les plus isolées, frappées par un climat particulièrement rude et inhospitalier.

La détermination des Tibétains à protéger leur mode de vie donne également à penser que le régime en vigueur au Tibet était loin d’être oppressif et totalitaire.

Evidemment, les raisons invoquées par Mao masquent en fait une autre réalité, évidemment d’ordre idéologique : son but est d’étendre la doctrine communiste, de gagner de nouveaux adeptes qui lui permettront d’augmenter son pouvoir et de réaliser d’autres rêves de conquêtes.

Il semble ainsi particulièrement intéressant de remarquer que c’est l’idée d’indépendance, et même de liberté, valeur universelle et fondement des droits de l’homme, qui est ici érigée en justification d’une guerre totale, d’un génocide en opposition totale avec ces même valeurs prônées par les droits de l’homme.

L’argument de libération est utilisé ici à des fins politiques, en effet, nous allons voir que le choix du Tibet n’est pas anodin, d’autres facteurs sont en jeu, d’ordre évidemment beaucoup moins spirituels.

Les facteurs sous-jacents :

c. Les facteurs géostratégiques.

Le Tibet a toujours été considéré comme une zone tampon entre l’Inde et la Chine, les deux plus grosses puissances orientales. Il a toujours eu un rôle de médiateur-pacificateur entre les deux nations puisque, pour se rendre de l’Inde en Chine ou vice-versa, il fallait nécessairement passer par son territoire, ce qui rendait l’invasion ou l’attaque plus difficile et moins discrète.

Avec l’annexion du Tibet, la Chine est maintenant limitrophe de l’Inde, les moyens de pression sont donc doubles puisqu’elle s’assure, en plus de se garantir d’une éventuelle attaque surprise via le Tibet, de l’impossibilité d’une alliance entre l’Inde et le Tibet.

De plus, la chaîne de l’Himalaya (longue de 2800 Kms, large de 250 à 500 Kms et culminant à plus de 8000m) est un véritable rempart naturel contre les agressions extérieures.

En annexant la Tibet, la Chine s’assure donc une nouvelle protection (géographique et psychologique) plus efficace contre les attaques extérieures et, par le même biais, elle se construit un territoire clos, ceinturé, inaccessible qui lui procure une certaine intouchabilité.

Le Tibet possède également une frontière commune avec la Birmanie, le Népal et le Bhoutan.

Du haut de sa forteresse naturelle que constitue le plateau tibétain, l’armée chinoise s’est taillé une position privilégiée de commandement qui contrôle de vastes territoires.

d. Les facteurs économiques.

Tout d’abord, contrairement aux idées reçues qui font du Tibet un espace de glace et de neige, le Tibet est très riche en terres cultivables, l’agriculture y a toujours été la première activité et ce pays mérite sans aucun doute sa dénomination de « grenier à grain » par la Chine. Les Chinois ne se sont pas privés pour exploiter (et exporter) ses ressources, réduisant ainsi la population tibétaine à la famine.

Le Tibet et l’Himalaya constituent également un formidable réservoir d’eau, de nombreux fleuves y prennent leur source tels, par exemple, le Brahmapoutre, l’Indus, le Mékong ou encore le Yang-Tse Kiang. Il possède plus de mille cinq cents lacs aux eaux parmi les plus pures du globe. Les ressources hydroélectriques sont ainsi considérables : celles du Yarlung Zamgpo à lui seul sont estimées par le gouvernement chinois à 110 milliards de kW.

Quelques unes des plus grandes forêts vierges du monde sont situées au Tibet, les seules forêts du Tibet central s’étendent sur 6 320 000 hectares. Mais, selon les autorités tibétaines en exil, leur exploitation par les Chinois, en aurait déjà détruit 40 %.

Le sous-sol tibétain est également extrêmement riche en minéraux, dont le cuivre, l’uranium, le chrome, le tungstène, l’or, l’argent, le plomb, le lithium, le borax ou encore le soufre. Récemment, en 1999, après 8 années de recherche, les Chinois ont même découvert un premier gisement important de pétrole et de gaz dans le bassin de Luenpela, à 6000 m d’altitude qui constitue une véritable manne pour les autorités de Pékin.

Enfin, le Tibet, de part sa géographie montagneuse qui assure la discrétion, est également le lieu d’essais militaires : au moins cinq bases de missiles nucléaires sont installées au Tibet, c’est aussi le théâtre de tests d’équipements de défense chimique. Pour ces raisons probablement, le survol de la majeure partir du Tibet reste interdit aux compagnies civiles internationales.

Les tibétains en exil accusent même la Chine de se livrer à des essais nucléaires et de stocker des déchets nucléaires sur leur ancien territoire. La Chine, cela va de soi, dément en vrac.

Ainsi, Mao ne s’est pas attaqué au Tibet par hasard : en plus d’une situation géographique particulièrement appropriée, le Tibet est une région spécialement riche que les chinois ne se privent pas pour piller.

Et il le dit, ou plutôt l’écrit, lui-même, en marge d’un document interne du Parti Communiste rédigé dans les années 50 : « Evidemment, nous devrons allouer des subventions énormes, et ce, pendant de longues années. Mais le Tibet a une superficie énorme et beaucoup de ressources naturelles. A l’avenir, nous en retirerons beaucoup plus que nous aurons investi» : Collectif, Tibet, l’envers du décor, Olizane, Genève, 1993

2. Des facteurs culturels ?

a. Le culturel, plus qu’une cause, un corrollaire.

A la base, le conflit tibétain, dont nous avons étudié les différents facteurs de causalité, n’est pas véritablement un conflit culturel (il s’agit pour Mao de diffuser le communisme et de s’approprier, par le même biais, un territoire riche et un espace stratégique). Cependant, on peut dire qu’il est devenu culturel dès que les Chinois ont systématiquement voulu éliminer la religion bouddhiste, trait culturel fondamental au Tibet mais aussi véritable danger pour le maoïsme. La culture des Tibétains, dont le Bouddhisme est le marqueur principal, pour ne pas dire le fondement puisqu’il régit tout dans la vie des Tibétains, moines ou laïcs : mode et rythme de vie, traditions, fêtes,… était considérée comme une entrave au progrès communiste, c’est pour cela qu’elle est devenue la première cible des Chinois et non pas pour sa valeur intrinsèque.

En effet, la religion bouddhiste, et les valeurs qu’elle prône : pacifisme mais surtout satisfaction du minimum vital, mépris pour les valeurs matérielles, pour l’argent, détachement de l’extérieur, désintérêt profond pour le changement et la modification d’un mode de vie séculaire met en péril l’idéologie maoïste.

Aujourd’hui, à Lhassa, les revendications identitaires et culturelles tibétaines, en opposition avec la culture han que l’on veut leur imposer de force, sont bien réelles et dominent toutes les autres, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques.

Historiquement, les deux puissances, malgré des différences culturelles fondamentales (physiques, linguistiques, idéologiques, de mode de vie..), ont entretenu des relations la plupart du temps cordiales, reliées entre elles par la religion bouddhiste qui, pratiquée par une grande proportion de chinois, servait de fil connecteur et pacificateur.

Ce propos est évidemment à nuancer : en effet, le Bouddhisme a été persécuté en Chine au IXe, sous la dynastie des Tang. Des purges ont même été organisées en 841. En effet, à cette époque, les moines s’étaient immiscés dans les affaires politiques et économiques de l’Etat, faisant ainsi concurrence à l’Empereur.

Cependant, depuis lors et jusqu’à la chute de l’Empire, les autorités chinoises se sont montrées bienveillantes à l’égard du Bouddhisme quand elles n’étaient pas elle-même converties.

Avec la montée du maoïsme et l’interdiction des pratiques religieuses, ce fil, ce lien a été rompu et les deux puissances se sont trouvé en opposition totale. Les principaux antagonismes sont contenus dans les contrastes entre : Tibet religieux / Chine maoïste athée. Pacifisme / impérialisme militaire. Repli sur soi / volonté d’extension. Respect des traditions / modernisation

La seule manière pour Mao d’arriver à imposer son idéologie sur les hauts plateaux du Tibet, était alors de bouleverser profondément les habitudes, le mode de vie et de pensée des habitants qui étaient régis, dans une large proportion, par la religion et ses préceptes. Pour arriver à intéresser les Tibétains au progrès, aux possessions matérielles, il était nécessaire de modifier vigoureusement le lien spirituel qui les unissait à leur religion, à leur pays et à leur chef. Mais Mao avait sous-estimé la force de résistance et la volonté des Tibétains qui n’ont pas renoncé à leur mode de vie traditionnel, même sous l’humiliation et la torture.

Ainsi, la force et la violence a été nécessaire à la « libération » du Tibet mais pour justifier cette violence, ce déploiement de barbarie et de brutalité, tout ce sang répandu, il est nécessaire de trouver une légitimation à l’horreur.

b. L’argument hiérarchique des cultures : une nécessité pour justifier l’injustifiable.

En effet, avec l’invasion du Tibet, en plus d’un anéantissement volontaire de tous leurs traits civilisationnels, les Tibétains ont également été victime d’un dénigrement et d’un mépris de leur culture par les Chinois qui ont foulé au pied des millénaires de civilisation.

En effet, pour légitimer l’anéantissement d’une culture, il est d’abord nécessaire de convaincre l’opinion de sa médiocrité, de son insuffisance. Il s’agit de persuader la population chinoise de la supériorité de Sa culture et de la malfaisance de celle de l’Autre et cet « embrigadement » des esprits passe, comme souvent en Chine maoïste, par la propagande. La fameuse « exposition de la torture tibétaine » en est un brillant exemple : installée à Pékin en 1959, cette exposition était sensée révéler au public le scandale des châtiments corporels, brutaux et arbitraires, qui auraient été en vigueur au Tibet et appliqués régulièrement avant l’arrivée des Chinois. Instruments de torture, tableaux représentant des scènes de supplice et photographies de personnes mutilées, tout était fait pour discréditer le mode de vie et la culture du Tibet où l’esclavage a pourtant été aboli en 1898.

Il s’agit de construire, par tous les moyens possibles, une image négative de l’Autre-ennemi afin de légitimer les violences qui lui sont faites.

Pour la Chine, il s’agit aujourd’hui d’assimiler de force toute un peuple avec une identité culturelle propre, de lui imposer les traits caractéristiques, les valeurs, les habitudes d’une culture chinoise considérée comme supérieure par rapport à la culture ancestrale tibétaine qui, inchangée depuis des siècles, est alors considérée comme primitive, sauvage, arriérée et donc inférieure.

Les chinois ont ainsi une vision hiérarchique des cultures : ils apportent la « civilisation » au Tibet. Pour se faire ils ont eu recours à un véritable « ethnocide » :

« Construit que le modèle du mot « génocide » qui désigne l’extermination physique d’un peuple, le concept d’ethnocide signifie la destruction systématique de la culture d’un groupe, c’est-à-dire l’élimination, par tous les moyens non seulement de ses modes de vie , mais aussi de ses modes de pensée. L’ethnocide est donc une déculturation volontaire et programmée. »

Il semble important maintenant de distinguer les termes « ethnocide », « acculturation » et « assimilation ». L’acculturation (« ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes ») peut résulter d’un choix volontaire de la part des individus et, même lorsqu’elle est forcée ou planifiée, elle ne se réduit pas à une simple déculturation (perte de culture) et n’entraîne pas nécessairement l’assimilation qui, quand elle se produit, n’est pas elle-même forcément la conséquence d’un ethnocide.

L’assimilation est le fait de devenir semblable en tout point sur le plan social et culturel.

Dans le cadre du Tibet, nous ne sommes pas face à un simple «échange » de traits culturels entre Hans et Tibétains mais bien à une politique d’effacement volontaire de tout caractère culturel original et distinctif, c’est pourquoi j’utiliserai le terme « assimilation » pour qualifier le processus en vigueur au Tibet.

Ce terme est évidemment sujet à débat. Certains diront que l’assimilation des Tibétains à la culture Han était inhérente et aurait eu lieu de toute façon. Si l’on suit les positions chinoises, on peut même aller jusqu’à dire que les Tibétains voulaient connaître la modernité et s’enrichir et que les Chinois n’ont fait alors qu’accélérer un processus inéluctable.

Il est vrai que l’acculturation et les échanges interculturels sont des phénomènes naturels essentiels à la formation des cultures et peut-être que les Tibétains, dans quelques décennies, auraient adoptés certains traits caractéristiques de la culture Han. Mais ici, l’acculturation, ou plutôt l’assimilation, n’est pas spontanée, libre, elle n’est pas décidée par les Tibétains de leur plein gré, bien au contraire, ils s’y opposent fortement. Elle est organisée, planifiée, imposée par une volonté de domination et de destruction et c’est dans ce sens, qu’à mon avis, le terme d’ethnocide est plus que justifié.

On peut dire que la Chine reproduit, quelques siècles plus tard, les schémas de l’Europe à l’ère de la colonisation : invasion impérialiste d’un territoire, imposition forcée d’une culture considérée comme supérieure accompagnée d’un mépris pour la culture autochtone et ses représentants, accaparation des ressources naturelles et humaines, une certaine forme d’esclavage peut même être décelée dans la façon dont ont traités les Tibétains pendant la révolution culturelle, obligés de travailler pour nourrir les envahisseurs chinois et pour la construction d’infrastructures facilitant leur domination.

c. La mise en pratique d’une déculturation.

Le mouvement d’assimilation est donc double, une acculturation forcée se fait en parallèle d’une déculturation. Mais une question se pose alors : Comment anéantir une culture ? Comment accélérer un phénomène qui, au naturel, prend des décennies, par quels moyens concrets peut-on éliminer de force des traits culturels ?

La déculturation peut passer, comme ce fut le cas au début du conflit, par l’élimination systématique de l’Autre : en faisant disparaître les hommes, on fait disparaître par le même biais sa culture. Mais l’élimination de tous les Tibétains, en plus d’être particulièrement longue et compliquée, risquerait d’attirer sur la Chine les foudres des instances internationales.

Les moyens employés par la Chine sont donc moins offensifs mais tout aussi pernicieux. Il s’agit d’attaquer ce qui construit l’identité collective, à savoir le champ culturel et la domaine religieux qui, au Tibet, sont étroitement entrelacés.

Le premier moyen d’anéantir une culture, ce que les Chinois ont particulièrement bien compris, est de s’attaquer aux symboles.

Symboles matériels d’une part : tout les objets, emblèmes et bâtiments religieux sont systématiquement détruits (monastères, statuaires, reliques sacrées…) excepté ceux ayant une valeur commerciale qui sont sortis du pays ; de même que tous ceux témoignant de la culture ancestrale tibétaine (les bibliothèques sont brûlées, des manuscrits centenaires déchirés, les maisons d’architecture tibétaine sont réduites en miette) et toutes les formes de pratiques artistiques (mandalas, instruments de musique,…) et scientifique (médecine, astronomie,…). Même les vêtements et les coiffures traditionnels tibétains ont été interdits au profit d’une tenue chinoise imposée.

Mais, plus difficile encore pour les Tibétains, est l’attaque des symboles spirituels, des liens invisibles qui les unissent : l’interdiction de la pratique du Bouddhisme était évidemment la plus dramatique mais aujourd’hui qu’elle est à nouveau autorisée, c’est la langue tibétaine qui est menacée.

Critiquer et rabaisser le Dalaï-lama, chef spirituel mais aussi véritable emblème pour les tibétains, est également une manière d’attaquer, par le mépris, un symbole spirituel.

Le second moyen de destruction de la différence est l’endoctrinement des esprits, en particulier celui des enfants. Cela passe par l’éducation. Les écoles sont, pour la Chine, une arme puissante de sinisation pour les enfants qui y ont accès (Pékin reconnaît que la moitié des enfants tibétains en âge scolaire ne vont jamais à l’école). Il arrive que l’enseignement de la langue chinoise s’étende jusque dans les écoles primaires. L’enseignement de l’histoire et d’autres disciplines est soigneusement orienté pour que les bienfaits de la « réunification » du Tibet et de la Chine pénètrent bien les petites cervelles innocentes. L’ancien régime y est naturellement dépeint sous les traits les plus sinistres. Quant à la religion, elle est proprement ignorée quand elle n’est pas tournée en ridicule. Pour ces jeunes Tibétains, il s’agit bien d’un lavage de cerveau quotidien.

De plus, pendant une longue période, des milliers d’enfants tibétains ont été arrachés de force à leurs parents pour être conduit en Chine où a été fait leur « éducation ». Tenus éloignés de leurs familles et de leur société, ces jeunes sont déracinés pendant plusieurs années, exil nécessaire à leur conditionnement politique. Ces enfants tibétains ne connaissent donc plus rien de leur culture d’origine.

Mais l’endoctrinement est également un moyen de faire plier les adultes : séances publiques d’humiliation ou séance collectives de « rééducation » des moines ou des contestataires, sans parler des Laogaï où des milliers de Tibétains sont encore emprisonnés aujourd’hui,…tous les moyens sont bons pour manipuler les consciences.

La dernière, et non la moindre, manière d’acculturer un peuple est de submerger son quotidien. Aujourd’hui, Lhassa est envahie par les produits de manufacture chinoise, par la technologie occidentale : la nourriture, les vêtements, les produits de consommation courante,…tout, ou presque, est importée de l’étranger. La plupart des magasins, restaurants, échoppes, sont tenus par des chinois ainsi que tous les postes administratifs et à responsabilité. Des postes de police, judicieusement répartis sur des points réputés névralgiques au centre-ville, permettent une surveillance sans relâche des alentours et étouffent dans l’œuf toute velléité de contestation.

Tout est fait pour que les tibétains se sentent étrangers dans leur propre pays, qu’ils soient en perpétuel tiraillement entre deux modes de vie… et que l’un paraissent plus facile d’approche.

La tentation d’adopter une manière de vivre plus occidentale, surtout auprès des jeunes, est grande.

3. Les résultats.

Le résultat final, loin de celui prévu par Mao, est une farouche opposition, pour ne pas dire franche résistance, antichinoise des Tibétains en parallèle de revendications culturelles vigoureuses et d’une volonté commune de sauvegarde et de protection des valeurs ancestrales.

Aujourd’hui, le véritable problème au Tibet est celui de la sauvegarde de traits culturels face à une politique d’assimilation et d’acculturation forcée à laquelle les Tibétains, de toutes leurs forces et de toutes leurs âmes, s’opposent avec détermination.

Evidemment, malgré toute la volonté de résistance des Tibétains, la culture tibétaine change, elle ne peut pas, avec les événements, rester parfaitement statique et inchangée : le propre de chaque culture est, de toute façon, d’évoluer et de subir des transformations avec le temps.

Le culture du toit du monde se modifie car les tibétains sont obligés de l’adapter aux interdits et au nouvel ordre chinois (par exemple, les photographies de dalaï-lama sont interdites, les tibétains s’adaptent en se prosternant devant des cadres vides) : elle évolue mais pas forcément toujours dans le sens souhaité par les chinois.

La culture tibétaine, si elle veut échapper au phénomène de sinisation, doit se redéfinir et se moderniser : elle doit s’adapter au monde contemporain si elle ne veut pas disparaître totalement. Seules ses capacités d’adaptation et de d’évolution seront garantes de sa survie.

Malgré tout, il ne faut pas se dissimuler que c’est une course contre la montre. Une idéologie purement matérialiste est en train de détruire, surtout chez les jeunes, la mémoire même de leur culture.

Combien de temps encore les Tibétains pourront-ils résister face à la puissance de l’oppression chinoise ? Réussiront-ils à préserver une culture originale avant que leur culture ancestrale ne soit complètement phagocytée ?

L’espoir d’une sauvegarde de la culture tibétaine dépend maintenant du monde extérieur.

Pour finir, il semble pertinent de revenir plus précisément sur le terme de « minorité » utilisé aujourd’hui pour qualifier les Tibétains.

En effet, de « peuple souverain », le Tibet, depuis l’annexion de la Chine, est devenue une « minorité » parmi tant d’autres dans ce pays.

Yves Plasserand, dans son ouvrage Les minorités, distingue 5 natures de minorités : religieuses, linguistiques, nationales, ethniques et culturelles : les habitants du Tibet ne peuvent se réduire à un seul de ces champs, ils les englobent tous les cinq : ils ont une religion une langue, un territoire qui leurs sont propres, une même origine et une culture commune.

Les Tibétains sont ainsi devenus une minorité malgré eux et ce changement de statut est ambigu. En effet, le terme « minorité » implique une idée de faiblesse, voire de soumission à la « majorité », il peut être utilisé à dessein par les Chinoise pour éroder leur dignité de peuple ou de Nation, ébranler la raison d’être de leur combat tout en les « minorisant » de par son étymologie même.

En parallèle, le peuple tibétain acquiert le statut privilégié de population « à protéger », dans la conception que s’en font les occidentaux, et c’est peut être à cela qu’il devra son salut.

Conclusion.

Nous l’avons vu, l’annexion du Tibet, sa prétendue « libération » s’est faite concrètement par la falsification : en premier lieu, falsification des faits historiques ; puis, falsification de la réalité au Tibet à l’aune de l’arrivée des troupes de Mao ; enfin, falsification des véritables raisons ayant menées à l’invasion d’un Etat souverain. Mensonges, détérioration des preuves, omissions, propagande : tout a été fait pour altérer la réalité et rendre plus obscure encore cette période d’impérialisme en territoire tibétain.

La colonisation du Tibet, puisque colonisation il y a, s’est déroulée en majeure partie par l’instrumentalisation du culturel : le dénigrement méthodique et calculé d’une civilisation, que les chinois ont fait apparaître comme néfaste et opprimante, est utilisé pour masquer une politique d’accaparation des ressources, une stratégie militaire et un véritable impérialisme idéologique.

Tous les symboles culturels ont été visés de manière systématique : la langue, la religion, les pratiques sociales ancestrales jusqu’au statut même de peuple national avec une identité propre. Et l’on peut dire que la stratégie chinoise a porté ses fruits : le Tibet millénaire, malgré toute sa force de résistance, paraît contraint à une lente agonie.

Bien entendu, le Tibet n’a évidemment pas été la seule cible, la seule victime des lubies du président Mao : en Chine populaire, toutes les religions étaient persécutées et interdites (taoïsme et confucianisme) et la Révolution culturelle a anéanti bon nombre des trésors culturels historiques de l’ancien Empire du milieu. Néanmoins, la légère brise de liberté qui souffle aujourd’hui en Chine, n’a pas encore atteint les hauts plateaux du Tibet.

Malgré tout, quelques espoirs semblent permis.

Tout d’abord, s’il on observe un peu l’Histoire humaine, en particulier celle du colonialisme, on s’aperçoit que toutes les peuples et civilisations colonisés sont aujourd’hui libérés du joug des pays conquérants. La décolonisation a partout succédé à la colonisation : pourquoi n’en serait-il pas de même pour le Tibet ?

Il est vrai que le pacifisme convaincu de la majorité des tibétains de joue pas forcément en leur faveur : il peut en effet passer pour de la passivité ou pire, pour de l’indifférence aux yeux de l’opinion mondiale.

Cependant, le peuple tibétain est de plus en plus soutenu par la société civile étrangère qui se mobilise et organise, partout dans le monde, des actions de solidarité.

De même pour les Nations Unies : le droit des minorités est en passe de devenir l’une des préoccupations majeurs des instances internationales (Cf. Déclaration sur la diversité culturelle de l’UNESCO, 2001).

Le Chine, elle-même, est en train de changer. Depuis la mort de Deng Xiaoping, elle se démocratise. Mais il se peut que le peuple tibétain soit déjà mort quand elle se décidera à faire marche arrière, si elle le décide un jour.

Une partie de la culture tibétaine est cependant préservée par le Gouvernement tibétain en exil en Inde, mais cette « préservation » est artificielle puisque les traits culturels sont gardés intentionnellement inchangés et s’éloignent donc du processus naturel d’évolution par contact. Toutefois, ce procédé permet de garder vivante la mémoire de tout un peuple.

Enfin, de grands espoirs sont mis par les Tibétains en la personne de Dalaï-lama, rappelons-le Prix Nobel de la Paix en 1989, qui ne cesse de courir la monde pour soutenir la cause de son peuple, d’énoncer des propositions de paix, de rencontrer des dirigeants, de mobiliser l’attention et l’opinion publique… bref, de tout faire pour qu’on oublie pas les Tibétains, seuls, sur le toit du monde.

Au-delà des querelles et des interprétations d’histoire, il convient néanmoins d’admettre qu’il existe aujourd’hui une question tibétaine dont les dirigeants chinois ne pourront par faire l’économie, à moins de persévérer délibérément dans l’anéantissement d’une culture et d’un peuple qu’ils tiennent pour barbares. L’option coloniale mise en œuvre peut, à terme, se révéler payante, puisqu’elle est apparemment la seule en mesure de venir à bout de l’obstination des Tibétains. Reste à savoir si l’opinion ou les gouvernements qui se disent démocratiques sont décidés à laisser faire cela, au nom d’intérêts à cours terme et à courte vue, et au mépris d’une règle de base de la communauté internationale, à savoir le respect du droit à l’autodétermination des peuples.