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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juillet 2009

Dialogue, médiation et participation citoyenne pour la paix

Le dialogue, la recherche de compromis, la négociation, la concertation sont autant de termes qui traduisent un état d’esprit où les personnes font la démarche d’aller vers l’autre. Une telle posture est-elle envisageable en cas de conflit ?

Mots clefs : Initiative citoyenne pour construire la paix | Lutte citoyenne pour la justice sociale | Résolution non violente des conflits | Dialogue entre les acteurs de paix | Juriste | Médiateur | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation | Mener des négociations préventives | Elaborer une culture de la tolérance et de la négociation pour gérer des conflits | Soutenir des démarches de réconciliation après-guerre

Le dialogue ne trouve pas meilleure utilité qu’en cas de tensions. Les conflits sont inhérents à la nature humaine, puisqu’ils sont le fruit de la liberté de penser et de la différence qui existe entre individus. Qu’ils se soldent ou non par la violence, ils mettent en exergue l’interdépendance entre les individus, ce qui explique qu’ils peuvent conduire au délitement de la société.

Ces petites ou grandes ruptures sont parfois affichées comme irréparables par les Etats. L’exercice de l’autorité et la répression sont alors annoncés comme les seuls dénouements valables des conflits. Les conflits se retrouvent alors exploités à des fins sécuritaires ou haineuses.

Or, les fiches d’expériences analysées nous rapportent que les conflits peuvent être abordés et pris en charge de manière constructive et pacifique, grâce au dialogue.

Impliquant nécessairement des individualités propres, le dialogue, par lequel nous désignerons l’ensemble des activités de conciliation, ne peut qu’être le fait de citoyens.

Habitués à l’usage du dialogue pour les conflits de proximité aussi appelés conflits quotidiens, qui tiennent d’ailleurs une large place dans les fiches d’expérience utilisées, les initiatives de conciliation font aussi leurs preuves dans les conflits meurtriers.

L’intervention citoyenne dans la gestion des conflits permet de mettre un terme à des obstacles idéologiques, psychologiques qui souvent nous empêchent de communiquer avec notre propre voisin. Les ruptures conflictuelles, lorsqu’elles sont traitées par et pour les citoyens permettent de raviver la démocratie (I). Plusieurs initiatives portées par la société civile permettent en temps de conflit de dialoguer sans recourir à une quelconque répression (II). Toutefois, ces initiatives méritent d’être complétés par des efforts de réforme et de développement social, dont encore une fois les citoyens sont les principaux protagonistes (III). Pour permettre la constitution d’une telle société civile, encore faut-il veiller à ce que les discours clivants – à savoir la propagande médiatique - ne s’érigent pas en obstacle au dialogue (IV).

I. Les justifications de l’intervention citoyenne au cœur des conflits

Les actions citoyennes identifiées par les fiches d’expériences sont des méthodes à part entière de gestion de conflit. Elles sont tournées vers un but ultime, la résolution non violente des conflits. Cette démarche s’avère respectueuse des personnes et de leurs valeurs, en ce sens, elle repose sur le dialogue et s’inscrit dans un processus complexe, souvent long, néanmoins porteur d’une pacification de la société.

Les fiches d’expérience semblent démontrer que l’intervention citoyenne permet d’entretenir ou de raviver la démocratie. Cette alternative jugée douce, au regard des interventions traditionnelles permet de normaliser les tensions et de réguler les relations humaines, notamment les problèmes qui surviennent dans la vie quotidienne. Mais elle peut-être aussi utilisée dans les conflits guerriers.

S’appuyer sur une participation citoyenne permet en premier lieu d’instaurer ou de raviver un terreau démocratique mis à mal par les injustices ou les inégalités. La démocratie souffre de l’individualisme, du repli des citoyens sur la sphère privée. Les liens sociaux se voient inévitablement menacés, et ce d’autant plus en période de conflit, où ils sont fragilisés. Promue par les sociétés occidentales, l’implication citoyenne (démocratie participative, geste citoyen…) est devenue la condition d’existence d’une démocratie où les interfaces sociales entre les individus ont disparu.

Qu’il soit apposé aux processus de dialogue, de médiation ou de conciliation, le terme de « citoyen » laisse généralement augurer d’une issue positive. Les organisations non gouvernementales, puis les institutions elles-mêmes mettent un point d’orgue à impliquer la population dans la résolution des conflits.

Ainsi, la résolution des conflits par la société civile elle-même permettrait de dépasser les limites de la démocratie, qui place encore trop les citoyens sous la dépendance de l’Etat. En cas de conflit, trop souvent les citoyens se retournent dans les tribunaux. Selon Jean-Pierre Bonafe-Schmitt « […]pour remplacer les anciennes régulations sociales disparues, on se tourne vers la loi. On va dans les palais de justice comme on allait autrefois dans les églises[…] » (la médiation, une justice douce, Syros, 1992).

Grâce à leur dynamisme civique, les actions de médiation ont vocation à maintenir ou à restaurer à leur niveau, des liens de solidarité que les institutions, ne peuvent réguler « d’en haut ».

La gestion citoyenne des conflits permet de normaliser les tensions qui peuvent exister. Car la confrontation des idées, la liberté de penser, le respect des différences et des convictions sont bien l’essence même d’une société tolérante et pacifique. Au Cameroun, l’association pour le développement local (ASSOAL) promeut ainsi l’exercice d’une citoyenneté active où des espaces de médiation sont ouverts pour discuter sereinement des différences de point de vue sur des aspects concrets de la vie en communauté, tel que la construction d’un puit dans un quartier (Universités itinérantes citoyennes, cliniques juridiques et balcons de droit). Plus proche de nous, nous pouvons citer l’instauration des conseils de quartier en France en 2002 pour lesquels, la proximité rime avec citoyenneté. La confrontation d’idées entre personnes du terrain rend les solutions qui en aboutissent plus légitimes.

La Maison des conflits de Turin propose une alternative « citoyenne » pour se substituer à la disparition de régulateurs sociaux tels que la figure du médecin, du prêtre, du maître d’école. Cette organisation essaie de restaurer le lien social en créant des outils « citoyens » de dialogue. Instaurée dans chaque quartier de la ville, la Maison des Conflits parie sur la proximité et s’évertue à toucher l’ensemble des conflits du quotidien. Il peut s’agir de conflits interpersonnels tels que les conflits de voisinage ou les conflits familiaux. Il peut également s’agir ou de conflits opposant les personnes aux institutions ou aux acteurs privés (La Maison des Conflits de Turin).

Ces techniques de justice douce ne semblent a priori pas être adaptées à des conflits meurtriers. Pourtant, les sociétés africaines, qui cultivent la tradition de la palabre, réussissent à instaurer un dialogue. Au sud du Soudan, le gouvernement monte les communautés et les personnes de même communauté les unes contre les autres pour s’accaparer les richesses pétrolifères, embrasant ainsi la région. Malgré les tensions sous jacentes, en juillet 1998, les populations ont pris l’initiative de se rencontrer en organisant une conférence pour trouver des solutions allant dans le sens de la reconstruction progressive de la paix. (Sud Soudan, une démarche participative pour régler un conflit intercommunautaire)

De même, dans le conflit qui oppose la Russie à la Tchétchénie, des actions citoyennes apparaissent également comme des alternatives à l’absence voire le refus d’une prise en charge des conflits interétatiques par les autorités politiques. Une association de mères d’appelés russes a « [aidé] l’Etat [russe] à faire un pas que la société russe est prête à faire » en jouant le rôle d’intermédiaire entre le gouvernement tchétchène et les autorités russes. (Une initiative de mères de soldats russes pour sortir du conflit tchétchène)

L’implication des citoyens dans la résolution des conflits garantit une résolution pacifique et partagée par tous. Les outils citoyens, qui seront largement développés dans l’article, présentent également l’avantage d’être utilisés pendant mais aussi en amont des conflits. Le Centre de règlements des différents sportifs du Canada entend par exemple prendre les charges dès avant le stade embryonnaire. (La médiation dans le sport amateur au Canada)

Enfin, les outils développés ont un caractère universel puisqu’ils servent aussi bien la pacification de conflits guerriers, scolaires, sportifs ou familiaux. Solution aux délitements des liens sociaux, les outils citoyens instaurés à l’occasion des conflits peuvent être appropriés par tous et pour tous les conflits, comme le démontre la diversité de modalités de mise en œuvre.

II. Les différentes modalités d’intervention du conflit

Les actions mises en valeur par les fiches d’expérience favorisent une rencontre, une médiation, au cœur même du conflit. Il s’agit de freiner la violence quand il y en a ou d’anticiper les conflits. Sont recensées des actions engageant les parties du conflit et des personnes tiers-les médiateurs. Ces initiatives de médiation ont permis de restaurer le dialogue. De manière plus traditionnelle, certaines actions ont pour but d’appuyer le recours à la justice, d’orienter le dialogue vers une logique de réparation et de reconstruction.

La majorité des expériences réunies portent sur des actions de médiation. Galvaudé par les institutions (la justice et l’administration notamment) et les acteurs privés (au sein du monde du travail) ce terme mérite d’être clairement défini pour notre article.

Il s’agit d’un processus alternatif de résolution des conflits. Ce sont les parties elles-mêmes qui cherchent les solutions au conflit. Un tiers neutre est présent, le médiateur, pour diriger et équilibrer les échanges, et permettre à chacun d’exprimer son point de vue.

La solution, le dénouement du conflit n’est pas imposé par la médiateur, il n’y a pas de rapport d’autorité entre lui et les protagonistes. En ce sens, la médiation est à distinguer de l’arbitrage, pour lequel les personnes en conflit demandent à une autre personne ou institution, de prendre une décision à leur place.

Pourquoi vouloir à ce point impliquer les personnes dans le propre dénouement de leur conflit ? L’intérêt d’une telle démarche est de pouvoir instaurer un dialogue et une solution constructive pour l’avenir. Surtout, il est à souligner que la médiation est une démarche volontaire, reconstruction éventuelle des liens sociaux. Les personnes qui y recourent partagent le souci d’améliorer la relation avec l’autre, de faire le premier pas.

Le développement de la médiation apparaît ainsi comme une réponse aux lacunes du système judicaire classique, qui n’a pas de réel impact sur la restauration des liens sociaux.

Si l’issue de la médiation est incertaine, les personnes civiles ou physiques qui y ont recours ne s’inscrivent pas moins dans un cadre précis, qui se traduit par des principes éthiques, par la nécessaire neutralité du médiateur et du lieu de rencontre. Le processus de dialogue se doit d’être défini. Enfin est-il utile de rappeler que la médiation n’appelle pas des résultats systématiques.

Les principes éthiques de base:

  • Consentement libre et suffisamment informé pour les personnes participant à la médiation, secret professionnel.

  • Discrétion et clarté de la part des praticiens,

  • Libre adhésion

  • Confidentialité

  • Respect de chacun et de ses opinions,

  • Limitation des échanges à l’objet de la médiation

Le médiateur est neutre

La neutralité se matérialise par la présence d’un acteur extérieur, nommé et formé en général par les organisations ou les institutions. En France, ce sont près de 20 000 médiateurs qui ont été recrutées entre 1997 et 2000 par les collectivités territoriales et les associations pour investir les écoles, les bibliothèques, les halls d’immeuble…

Le médiateur est en effet une personne spécialement formée pour faciliter le dialogue entre deux individus ou groupes d’individus en conflit. Le médiateur n’est ni juge ni arbitre ; son rôle n’est pas d’imposer un accord après avoir entendu les deux versions du problème. Il n’a pas à déterminer la culpabilité ou l’innocence, mais doit simplement aider les personnes en conflit à arriver à une solution sans « perdant ».

La médiation peut être également menée par les pairs. Aux Etats-Unis (Etats-Unis: la médiation côté cour) un programme de médiation scolaire - le programme de résolution créative des conflits - a cherché à impliquer les élèves eux-mêmes, du primaire au secondaire, en formant des médiateurs à la gestion des disputes qui peuvent intervenir dans la cour de récréation.

En s’appuyant sur l’enfance et sur les enseignants, les membres de cette association peuvent réussir à inculquer une certaine sagesse dans l’approche des conflits. Les générations à venir se voient ainsi sensibilisées à la gestion des conflits.

Le processus est dans un lieu neutre

C’est un critère essentiel soulevé par de nombreuses expériences. A Turin (La Maison des Conflits de Turin) une maison a été dédiée à la résolution des conflits a été créée. Mais dans des villes comme Mitrovicae où le les habitants sont divisés entre serbes et albanais de part et d’autre de la rivière Ibar, il est impossible à l’organisation non gouvernementale de trouver un terrain neutre pour baser ses rencontres inter communautaires.

Un processus repose sur le dialogue

Le médiateur invite chacune des parties à exposer son récit. Cela peut se faire sans forcément se rencontrer, les protagonistes étant pris en charge chacun leur tour par des médiateurs différents. Par la suite, le ou les médiateurs reprennent les points du conflit et tentent de dégager des points d’entente possible.

Une issue qui dépend des protagonistes

En cela, la résolution des tensions n’est pas garantie. Fondée sur le compromis, et le consensus, les solutions conseillées ne sont pas forcément adaptées à la logique de « règlement de compte » à laquelle la justice traditionnelle est habituée. C’est pourquoi la médiation se situe à mi chemin entre la prévention et la répression.

Il est vrai que reposant sur la volonté des parties concernées, il semble difficile d’en faire un moyen de résolution systématique. Selon les statistiques délivrées par la Maison de Turin, au moins 10 % des médiations n’aboutissent pas. En effet, la médiation ne s’applique pas à toutes les situations et elle est loin de se suffire à elle-même. Ce qui semble indéniable en revanche, c’est que la médiation a un effet bénéfique, celui de transmette une culture de paix, de gestion de conflit, et d’agir sur le lien social. Le résultat ne peut être réduit au nombre de conflits résolus. Ce qui est recherché c’est la création d’un climat de « mieux vivre ensemble ».

Aller à la rencontre de l’autre permet de favoriser des connaissances mutuelles et ainsi de prévenir l’éclatement de tensions. Avant même de penser à résoudre le conflit de l’intérieur, des initiatives, qui sont souvent le fait d’organisation non gouvernementales, voient le jour pour réunir les populations au sein d’un espace commun.

L’association internationale « Equipe de paix dans les Balkans » a instauré une démarche de jeux coopératifs, à destination des enfants des communautés serbes et albanaises, démarche qui est pérennisé puisque les équipes éducatives de la ville ont reçu une formation. (Les outils de résolution non violente des conflits et les acteurs de paix de Mitrovicae entre 2001 et 2008 : formation à la médiation, aux jeux coopératifs et au théâtre forum). L’association a innové en 2008, en lançant un projet de voyage d’étude en France, sur une terre neutre donc. Les deux communautés sont amenées à discuter au cours d’exercice théâtraux ; elles extériorisent dans un contexte artistique.

A ces moyens de médiation et de rencontre, s’ajoutent des processus plus traditionnels. Des initiatives de soutien juridique, menée par des organismes de formation ou des organismes para juridiques permettent d’apporter aux victimes de conflits, fussent-ils quotidiens, des connaissances en droit pour pouvoir se défendre. L’association pour le développement local au Cameroun a créé de véritables universités itinérantes. (Universités itinérantes citoyennes, cliniques juridiques et balcons de droit) Ils ont délocalisé leur enseignement juridique au plus près des populations.

Le besoin de recourir à une justice restauratrice, permet de favoriser l’émergence d’une pacification des rapports sociaux. La Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme a organisé au Sénégal un forum sur la paix, la vérité et la réconciliation pour réfléchir en amont aux conditions permettant de sortir du conflit. (Sénégal, la paix en Casamance, l’affaire de tous). En effet, c’est sans la présence de l’Etat que l’ensemble des acteurs du conflit de la Casamance se sont réunis pour discuter de la prise en compte des victimes du conflit, des mesures de réparation à leur adresser.

Cette démarche volontaire est à rapprocher de la recherche de solutions par les populations elles-mêmes au sud du Soudan. Les 19 communautés concernées ont fait le choix d’organiser une conférence pour la paix, au cours de laquelle des pistes de paix ont été explorées.

De manière générale, ces initiatives illustrent la notion de consensus. Elles mettent en scène des dialogues, des compromis explicites ou tacites des membres d’un groupe ou d’une société. A ce titre, le consensus représente la dimension cohésive des groupes sociaux. Pour le sociologue Auguste Comte, le consensus reste une condition essentielle de l’ordre social.

Applicables à l’ensemble des conflits, les outils citoyens soulevés par les fiches d’expérience ont besoin d’être soutenus par des réformes structurelles, en vue d’éviter à l’avenir la résurgence de tensions.

III. Réformer les rapports sociaux

La défense de la justice, la prévention ou la résolution pacifique des conflits se fait indéniablement avec et pour les citoyens. Les initiatives qui ont été mises en lumière par certaines fiches d’expérience essaient de traiter de manière constructive les tensions qui (trop) souvent sont imputées à un malaise social, à des situations politiques délétères pour les populations.

Ces conflits se révèlent parfois entretenus par les Etats. En témoignent les ségrégations raciales et sociales qui accentuent un climat de tension. Comment dans ces conditions ne pas décourager les initiatives citoyennes ?

Une recomposition générale des rapports politiques et sociaux semble nécessaire afin que les participations citoyennes portent leur fruit.

Le sociologue Alain Touraine assignait à l’Etat le rôle « d’acteur central du développement ». Lui et les autres entités politiques qui en sont issues prennent en effet en charge la redistribution des richesses, en intervenant dans le domaine social ou dans le domaine économique.

Pourtant en Amérique latine, et notamment au Mexique ou en Colombie, l’Etat ne semble jouer que partiellement son rôle, et n’offre pas les mêmes conditions de développement aux populations autochtones. Le conflit du Chiapas au Mexique qui prend sa source dans une injustice historique donne l’exemple d’une implication insuffisante de l’Etat. (Soutenir l’utilisation de la tolérance et du dialogue pour la résolution des conflits au Chiapas. Le travail du service international de la paix). Dans cet état fédéré riche en pétrole, près de 60 % de la population survit à peine avec un salaire minimum et la discrimination raciale se fait ressentir (alors que les indigènes représentent 30% de la population). La guérilla menée par le sous commandant Marcos et son armée l’Armée zapatiste de Libération Nationale (ELZN) mène depuis 1983 une lutte qui s’est progressivement drapée de la cause indigène.

Les différents gouvernements mexicains ont concédé à lancer des plans de développement qui ont été jugés insuffisants (1996 plan officiel pour le développement des peuples indigènes), les réformes agraires nécessaires pour les paysans indigènes n’ont pas été menées. Ici, l’Etat a prouvé sa difficulté à assurer ce qu’on l’on pourrait appeler la survie de des groupes populaires. La rupture du dialogue avec l’EZLN que prône le président mexicain, Felipe Calderón amène les populations à chercher eux-mêmes des solutions pour développer leur propre territoire, en cherchant ensemble des solutions non violentes au conflit (soutenir l’utilisation de la tolérance et des conflits aux Chiapas. Le travail du service international pour la paix SIPAZ).

Peut-on parler dès lors d’une faillite générale des théories et idéologies du développement, qui ont largement démythifié le rôle de l’Etat comme régulateur du fonctionnement de la société ?

Les fiches d’expériences nous démontrent que de nouvelles pratiques populaires inaugurent des modalités d’action politiques alternatives fondées sur la participation et l’autonomie des groupes populaires. Derrière cette novation transparaît une volonté plus ou moins affirmée de défendre les intérêts des groupes concernés non seulement dans le domaine tels que la santé, l’éducation, la préservation de l’environnement et des ressources collectives, la situation des femmes et des jeunes, mais aussi et surtout contre l’exclusion au plan économique, social et culturel.

Identifiées comme des mouvements sociaux, ces organisations issues de la société civile ont également l’ambition (affichée ou non) en agissant pour le développement, d’agir sur le terrain des structures politiques traditionnelles. Le Centre Bartolomé de las Casas à Cusco, le Projet de développement pour Magdalena medio et le CINEP en Colombie ont chacun respectivement des actions sociales et politiques. Cela résulte d’une interpénétration entre le social et le politique, et surtout d’une évidence. Comme le souligne Francisco De roux, les droits civils et politiques ne sont rien s’ils ne sont assortis de droits sociaux et économiques. En cela, les organisations non gouvernementales reproduisent à leur échelle, et pour des populations marginalisées, les réalisations de l’Etat providence…

Dans les actions économiques et sociales, le premier domaine d’intervention est bien celui de l’éducation. En ce sens, les organisations telles que le Centre Bartolomé de las Casas et peuvent être qualifiées, au dire de Maxime Haubert, de « promoteurs populaires ». Cette expression recouvre en Amérique latine, l’ensemble des organisations à caractère non gouvernemental qui interviennent auprès des groupes « populaires » pour les appuyer et par la suite les promouvoir au rang d’acteurs capables de modifier politiquement, socialement et économiquement leur situation. (Gérer les conflits et construire la paix avec les communautés paysannes de la région de Macchu Picchu : le travail de la Casa Campesina, centre Bartolomé de las Casas).

Ils interviennent en effet auprès de groupes populaires « promouvoir ou appuyer leur transformation en sujets de leur avenir, capables d’entreprendre collectivement et conjointement une analyse critique de leur situation économique, sociopolitique et culturelle et de soutenir une action visant à la modifier dans le sens de leurs intérêts fondamentaux ». En d’autres termes, il s’agit de faire des populations concernées, généralement laissés pour compte par les gouvernements, de véritables acteurs politiques.

L’action à proprement parler économique consiste elle, en l’organisation de structures référentes pour les agriculteurs, en l’incitation à une culture alternative à la drogue, et entend favoriser le retour à une agriculture traditionnelle. En clair, il s’agit de redonner leur indépendance économique aux populations indigènes et de limiter ainsi les sources de conflit. (Programa de desarrollo y paz del Magdalena Medio : una sola estrategia en el laboratorio de paz)

A travers l’intervention dans le domaine sanitaire, les organisations militantes accaparent une fonction traditionnellement dévolue à l’Etat.

Le « Centre Bartolomé de las Casas » agit par exemple en matière d’éducation sexuelle, pour permettre aux familles de prendre le plein contrôle de leur corps. D’autres initiatives sont prises également en faveur de la condition de l’enfant, comme des campagnes sur le travail des enfants.

Si les actions citées ont déjà un caractère politique, des initiatives clairement orientées vers l’organisation de la vie de la cité ont été lancées.

Le programme pour la région Magdalena medio a mis sur pied il y a dix ans une assemblée politique, spécialisée dans la communication et la formation des citoyens pour renforcer le dialogue social en faveur de la paix. Le but d’une telle structure est de créer un climat de réconciliation et de non violence qui contribue à construire une paix intégrale dans le pays fondée sur la justice sociale et sur le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine. La concertation est un des modes opératoires choisi par le Centre Bartolomé de las Casas pour mettre sur pied des « oficina regional de apoyo municipal » où se réunissent des agents municipaux, des citoyens et des acteurs locaux afin d’élaborer des documents de planification, de manière participative.

Le développement local planifié par les habitants peut réussir à combattre les violences et les tensions. En Amérique latine, ces acteurs de la société civile jouent un rôle indéniablement crucial. Toutefois, les fiches d’expérience portant sur la région de Magdalena medio nous ouvrent les yeux sur le fait que de tels mouvements participatifs sont certes des catalyseurs du changement, mais que leur efforts doivent être appuyés et étendus à l’ensemble du pays (et non limité au seul « localisme » ) en s’appuyant sur des organisations extérieurs, et en premier lieu l’Etat

Etendre la démarche participative au développement local permet aux citoyens de faire entendre leur besoin, et de construite, pacifiquement, dans la confrontation, un projet social et politique qui s’appuie sur le consensus. Encore faut-il pouvoir se débarasser des propagandes haineuses qui empêchent souvent de travailler ensemble.

IV. La propagande médiatique : un obstacle à contourner

La société civile est la condition de possibilité du pluralisme démocratique.

Elle incarne traditionnellement un dialogue de paix. Dialogue par lequel elle s’affirme, et affirme sa multi-latéralité. Les opinions se confrontent, garantissant l’expression de tous et la réciprocité des appréciations. Ainsi la société civile donne lieu à des conflits sains et salutaires.

À l’opposé, la propagande est porteuse de position unilatérale puisqu’elle vise à exercer une pression pour influencer et convaincre l’opinion. En cas de conflit, la propagande enfante des discours, des monologues simplistes de haine dont la juxtaposition dessine l’idéologie de la guerre et la figure de l’ennemi. La manipulation par le discours consiste alors à mettre la peur et la propagande en relation dialectique de sorte que les « sentiments de peur, historiquement enracinés, offrent de bonnes conditions de réceptivité à une propagande, même grossière ».

La manipulation médiatique, s’illustre dans le cadre du conflit israélo-palestinien. De manière générale, ce conflit soulève à chaque fois des débats quant à l’impartialité des médias.

Certains médias des deux entités divulguent une image véritablement haineuse de l’autre. Une télévision palestinienne a ainsi diffusé en février 2007 un clip dans lequel les juifs sont qualifiés d’« âmes diaboliques ».

A l’inverse, certains médias israéliens, déshumanisent les Arabes. Un tel dénigrement de l’autre empêche naturellement toute prise de contact et amène à une cristallisation du conflit. Le nerf de la manipulation médiatique consiste alors à infliger au spectateur ou à l’auditeur une dose d’effroi et de dégoût supérieure à ce qu’il est apte à supporter afin de briser en lui tout esprit critique

Le titre de la fiche d’expérience qui traite du sujet résume bien l’impact que les médias peuvent avoir, dans la mesure où ils emploient des « mots qui peuvent tuer ». (Israël Palestine, une action contre les mots qui peuvent aussi tuer)

Un tel dénigrement de l’autre empêche naturellement toute prise de contact et amène à une cristallisation du conflit.

Face à ces barrières psychologiques que les médias peuvent dresser, le « media watching » (sur le modèle américain), c’est-à-dire la critique dite citoyenne du contenu des médias et des manipulations dont ces derniers se rendraient coupables, s’est énormément développé, mené par des organisations non gouvernementales ou associations. Les fiches d’expérience nous rapportent la création par deux organisations non gouvernementales, une palestinienne, une israélienne d’un observatoire des médias. Un contrôle quotidien avec transmission des observations aux pouvoirs publics a été instauré, pour garantir l’éthique de l’information

Ces ONG, dont il faut saluer l’initiative, ont tenu à rappeler que les médias peuvent, du fait de leurs propos haineux être tenus pour responsables de génocides. Allusion faite ici notamment au Rwanda, où des journalistes se sont vus condamnés pour crime de guerre. Durant le conflit la « Radio Mille Collines » a répandu une propagande haineuse à l’encontre des Tutsis, allant jusqu’à inciter au génocide par cette phrase « Tuez tous les cancrelats ».

L’influence qu’ils peuvent avoir sur les conflits a amené les médias de la région des Grands Lacs à se réunir (sur invitation de l’Institut Panos) pour discuter de leurs responsabilités et des moyens à mettre en œuvre afin de mettre en place une déontologie salutaire à la société civile.(Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs).

Conclusion

La famille, le voisinage, le sport, la nation, la communauté sont chacune des cellules sociales dans lesquelles le contrat social prend corps. Les conflits qui y éclatent mettent en évidence la fragilité des liens qui existent entre les citoyens.

Aborder les conflits de manière citoyenne, c’est accepter que ses liens soient entretenus, quelle que soit la cause de la rupture. Cela passe par des démarches volontaires, issues de la base de la société.

Nous l’avons vu, ces initiatives sont encadrées, que ce soit par des institutions ou des organisations non gouvernementales. Il faut en effet instaurer un environnement propice qui puisse permettre au cœur du conflit de dialoguer et d’échanger, librement. Il faut également réunir des acteurs spécialisés dans la gestion des conflits (des médiateurs, des juristes) pour accompagner la volonté de ceux qui prennent le parti d’apaiser les tensions, ou pour ceux qui entendent sortir du conflit par la loi.

Mais le cadre de l’expression citoyenne ne doit pas empêcher les populations d’exprimer leur besoins, leurs revendications, de sorte à pouvoir espérer faire évoluer les rapports sociaux, et ainsi prévenir les causes futures des conflits. Les communautés indigènes d’Amérique latine, malgré la ségrégation dont elles sont victimes choisissent quant à elles de mener des actions non violentes et durables.

Ainsi, il demeure possible d’agir, en s’appuyant sur les citoyens pendant et avant le conflit mais également de penser à l’après conflit. Pour cela encore faut-il pouvoir libérer les initiatives pacifiques de l’instrumentalisation idéologique dont les médias ou encore les Etats peuvent faire preuve pour maintenir les conflits.

Notes

  • Analyse basée sur les Fiches d’expériences d’Irenees suivantes :

    • Soutenir l’utilisation de la tolérance et du dialogue pur la résolution des conflits aux Chiapas. Le travail du service international pour la paix.

    • Les outils de résolution non violente des conflits et les acteurs de paix de Mitrovica/ë (Kosovo/a) entre 2001 à 2008 : formation à la médiation, aux jeux coopératifs et au théâtre forum

    • Pertinentes del magdalena medio : el desafio de la paz frente al conflicto armado interno en Colombia.

    • La maison des conflits de Turin.

    • El programa de gestion urbana para America y el Caribe, un habitat de las Naciones Unidas en America latina.

    • Sénégal, la paix de casamance, l’affaire de tous.

    • Gérer les conflits et constuire la paix avec les communautés paysannes de la région de Machu Picchu : le travail de la casa campesina, centre bartolome de la casas.

    • Participacion social y negociacion politica para evitar la violencia, dos métodos utilizados por el movimiento indigena campesion del Ecuador.

    • Programa de Desarrollo y Paz del Magdalena Medio : una sola estrategia integral en el laboratorio de paz.

    • L’effort d’accompagnement auprès de la société civile colombienne.

    • Trabajar con las poblaciones campesinas por la paz en el Cusco.

    • Trabajar por la paz en Colombia defendiendio la vida ? Un ejemplo de la accion del CINEP por la paz en Colombia.

    • Une initiative de mères de soldats russes pour sirtur du conflit tchetchene.

    • Universités itinérantes citoyennes, cliniques juridiques et balcons de droit.

    • La médiation dans le sport amateur au Canada.

    • Colombien développement et paix au Magdalena Medio.

    • El programma de desarollo y paz del Magdalena Medio.

    • Travailler pour la paix au cœur des conflictualités de la région de Machu Picchu, le Centre Bartolome de las Casas.

    • Sud Soudan, une démarche participative pour régler un conflit intercommunautaire.

    • Etats unis : médiation côté cour.

    • Israël Palestine, une action contre les mots qui peuvent aussi tuer.

    • La capitalizacion y el intercambio de conocimientos, una manera de construit paz. La experiencia del programa de gestion urbana para america y el Caribe de la Naciones Unidas.

    • Médiations de voisinage en Suisse romande.

    • Trabajar por la resolucion de conflictos en el corazon de la region del machu pichu. El ejemplo del Colegio andino.

    • Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs.