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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Amaury Perez, République Dominicaine, 2004

Les origines de deux États, Haïti et la République Dominicaine : une partition violente de l’île de Saint-Domingue au XIXe siècle avec, comme enjeu central, la fin de l’esclavage

La naissance de l’État de la République Dominicaine a été le fruit d’une histoire d’affrontements, de violences et de meurtres habitant encore aujourd’hui ses populations. Son voisin, l’Haïti, continue à vivre avec ses vieux démons sans qu’une véritable issue ne se profile à l’horizon.

Mots clefs : Autonomie politique | Gouvernement de la République Dominicaine | Gouvernement haïtien | République Dominicaine | Haïti | Caraïbes

La proclamation de l’indépendance de la République Dominicaine fut un événement résultant des troubles politiques dans la République d’Haïti, qui regroupait, depuis 1822, la totalité de l’île de Saint-Domingue. Une histoire de violence et de guerres.

Les événements ayant abouti à la proclamation de l’indépendance, si l’on regarde les données statistiques, révèlent d’une part le courage des Dominicains et, d’autre part, la faiblesse de l’État haïtien.

Sans doute, les forces haïtiennes depuis le début, c’est-à-dire, avant les événements du 27 février 1844, ont-elles sous-estimé, d’une manière que l’on pourrait même qualifier d’indifférence, la capacité d’action et la détermination des Dominicains, notamment de ceux qui étaient organisés au sein du mouvement politique « La Trinitaire » (Mouvement politique fondé en 1838, qui aspirait à l’indépendance « pure et simple » du peuple dominicain, encore sous domination haïtienne).

D’après la légende, la proclamation de l’indépendance dominicaine a eu lieu, le 27 février 1844, vers onze heures et demi, dans la ville de Saint-Domingue. Les indépendantistes se sont réunis pour proclamer la nouvelle République qui aurait pour nom : « République Dominicaine » dont la divise serait : « Dieu, Patrie et Liberté ».

Le soutien citoyen et militaire au mouvement politique fut le fait de la majorité de la population dans la partie est de l’île. Pour ceux qui ne l’ont pas soutenu au début, « il n’était pas question non plus d’être contre le mouvement, mais il s’agissait d’une part de la population sceptique par rapport aux propos de ceux qui se proclamaient indépendantistes, car la crainte du retour à l’esclavage pesait encore très lourdement dans la conscience des Dominicains » (V. PEGUERO et D. SANTOS, Vision general de la historia dominicana, Libreria Garcia, Santo Domingo D.N, 1988, p. 183), selon l’historienne Valentina Peguero. Dans les forces armées, le scepticisme fut le même ; quelques-uns se sont même mutinés, mais ils furent très vite convaincus, par les promesses de Tomas Bobadilla (après l’indépendance il fut le premier président de la Junte Central Gubernativa et la principale figure politique des groupes séparatistes ou pro-protectionnistes) et José Joaquin Puello (important dirigeant de couleur noir du mouvement « La Trinitaire »), qu’ils n’allaient pas rétablir l’esclavage. Alors, acceptèrent-ils de déposer les armes.

C’est pour cela que le premier décret de la nouvelle Junte Central Gubernativa mentionnait :

« La capitulation des forces armées haïtiennes fut signée en présence du Consul général français. »

Grâce aux premiers documents de la junte Central Gubernativa, on comprend la lutte pour le contrôle du pays et pourquoi celle-ci ne s’était pas posée avant l’indépendance. Ainsi, dans le premier document, voit-on que M. Sanchez fut le premier président de la Junte, et que dans celui du lendemain, Bobadilla fut celui officiellement désigné (Sanchez, est l’un des trois pères de la patrie dominicaine. Son actuation pendant les événements du 27 février fut décisive pour la cause dominicaine car il fut le chef des opérations. Il a aussi pris parti dans le coup d’État du 9 juin, où il a exercé la fonction de président de la nouvelle junte).

Pour les Haïtiens, la proclamation de l’indépendance de la République fut perçue comme une gifle pour le président Herard, convaincu que tout avait été réglé lors de son passage à l’est de l’île, un mois seulement avant la Déclaration d’Indépendance.

La réponse de l’État haïtien fut, depuis le début, hostile à la nouvelle République, raison pour laquelle, il commenca à préparer immédiatement la guerre contre leur nouveau voisin.

La réaction des Dominicains contre l’attitude haïtienne fut si rapide qu’elle a permis à la Junte centrale du Gouvernement de disposer d’une armée moins d’un mois après sa constitution. Les troupes haïtiennes ont traversé la frontière, divisées en colonnes, l’une par le nord, l’autre par le sud, comme l’avait fait Toussaint à l’ouverture en 1801.

Pour la défense du pays, la nouvelle junte avait désigné les frères Santana pour diriger les opérations du sud, tandis que dans le nord du pays, les troupes dominicaines étaient sous les ordres des trinitaires : Matias Ramon Mella (il est aussi l’un des trois pères de la patrie dominicaine. Son actuation pendant toute la période à côté des trinitaires lui ont valu la reconnaissance générale et l’admiration du peuple dominicain, en tant que chef armé) et Francisco Salcedo. Les premiers grands affrontements entre les troupes des deux peuples eurent lieu le 19 mars, dans la ville d’Azua, au sud du pays. Une autre bataille importante fut celle du 30 mars qui eut lieu au nord du pays, dans un village proche de la ville de Santiago.

Ces deux batailles se sont traduites par des pertes importantes, tant du point de vue militaire que moral, mais surtout sur le plan moral.

Le président haïtien Charles Herard, dirigeant qui, d’après l’historiographie haïtienne, était « très doué » (J. PRICE-MARS, La Republica de Haití y la Republica Dominicana Vol.2, Industria Grafica de España, Madrid, 1958, p. 47.), ne fut pas en mesure de réussir son projet politique, à savoir l’unité politique de toute l’île de Saint-Domingue. On peut bien donner nombre d’explications pour expliquer son échec, même le hasard, mais pour la classe politique haïtienne, aucune excuse ne justifie le fait que le président n’ait pas pu contrôler l’insurrection séparatiste de Saint-Domingue.

L’attitude de la classe politique haïtienne vis-à-vis du président Herard ne fut autre que de le rendre coupable de l’humiliation que l’armée haïtienne venait de subir, ce qui aura pour conséquence une très forte lutte politique contre Herard.

Le président a dû fuir le pouvoir peu du temps après, non sans avoir laissé par conséquent une terrible guerre civile et une instabilité politique qui allait se poursuivre jusqu’à nos jours, sauf dans quelques rares exceptions.

Du côté dominicain, la division se présentait déjà au sein même de la Junte centrale du Gouvernement dont la majorité étaient partisans de Bobadilla, qui prenait de plus en plus de distances à l’égard des membres du mouvement de « la trinitaire ».

Cependant, les fissures se produisant au sein du gouvernement provisoire n’étaient pas visibles aux yeux de la population dominicaine, qui était d’abord engagée dans les campagnes militaires contre les troupes haïtiennes. Une forte vague nationaliste a permis, au sein de la société dominicaine, un grand rassemblement de la majorité de ses membres, quels que soient les classes, le sexe, la couleur ou les groupes politiques du pays.

Cependant, chez ceux qui étaient concernés par la lutte pour le contrôle politique, celle-ci est devenu très agressive, à partir de l’arrivée au pays le 14 mars, du fondateur et principal leader du mouvement indépendantiste « la trinitaire » Juan Pablo Duarte qui revenait d’exil. Il est la figure historique la plus importante de l’histoire dominicaine. Il est à l’origine du mouvement politique porteur des idées indépendantistes. Son rôle pour l’avènement de celle-ci fut capital. La présence de Duarte provoquait diverses réactions entre ceux qui se méfiaient de lui et ceux qui le soutenaient. Mais, sans doute aucun membre de la junte ne pouvait pas lui retirer le mérite d’avoir été à l’origine du mouvement indépendantiste. Grâce à son action politique pendant la période haïtienne, il fut nommé général de l’armée dominicaine.

Les différences de projets vont séparer Duarte et Santana (principal chef militaire des troupes dominicaines situées au sud du pays. Farouche partisan de l’annexion ou le protectorat du pays, il sera élu premier Président constitutionnel de la république), pour qui leur point en commun avait disparu après la séparation politique du peuple dominicain et haïtien.

En effet, le projet de Duarte visait une République, libre et souveraine de toute puissance étrangère, tandis que pour Santana, la nouvelle république devait être liée à une grande puissance européenne.

Selon l’historiographie dominicaine, le malentendu entre le chef de l’armée et le chef des trinitaires a eu lieu, à cause des divergences par rapport à la stratégie à adopter après les combats du 19 mars. Pour Duarte, il était question d’harceler et de pousser vers la retraite les troupes haïtiennes. Cependant pour Santana, il était question d’atteindre dans une autre ville, l’avancée des troupes haïtiennes pour donner du temps aux forces dominicaines de se reposer ainsi que pour gagner du temps, afin de négocier avec les grandes puissances une partie de la souveraineté ou du territoire dominicain. La Junte se range au côté de Santana dans le conflit surgi avec Duarte. En même temps, signale Price-Mars : « le président de la Junte Bobadilla en combinaison avec l’archevêque de Saint-Domingue manifestent leurs intentions d’obtenir un protectorat français en échange de la baie de Samana, en mai de 1844 » (J. PRICE-MARS,op. cit., p. 103.).

À partir de ce moment-là, toute une série d’actions furent entreprises par les duartistes pour empêcher la matérialisation du plan Levasseur qui établissait un protectorat français pour la nouvelle république.

Le principal promoteur du plan Levasseur au pays n’était autre que le consul général de France à Saint-Domingue, M. Saint Denys qui, malgré ses influences au gouvernement français, n’arrivait pas à le faire passer car celui-ci, selon la réponse officielle, « pouvait perturber l’équilibre mondial des grandes puissances ».

Après avoir essayé en vain, un meilleur équilibre des forces politiques au sein de la Junte par la voix pacifique. Duarte et ses camarades, conscients du danger encouru par la république avec les gestions du consul français, se sont disposés le 9 juin à donner le premier coup d’État politique contre la Junte centrale du Gouvernement dirigée alors par Bobadilla.

À la tête de la nouvelle Junte Centrale Gubernativa, il n’y avait que des partisans de la trinitaire. Tous les autres membres, en commencant par Bobadilla, furent écartés du pouvoir et accusés de conspirer contre la souveraineté nationale.

Le principal problème du nouveau gouvernement provisoire était de déterminer comment réagir face à la principale force armée du pays, encore sous les ordres du général Santana, partisan de Bobadilla.

La nouvelle junte avait aussi le besoin « de rétablir la paix et l’ordre nécessaire pour la prospérité publique », raison pour laquelle, elle a envoyé Duarte vers les peuples du nord du pays. Mais, une fois sur place et sur la recommandation du trinitaire Ramon Matias Mella, le 3 juillet, Duarte fut proclamé à Santiago président de la république. Cette proclamation n’a fait qu’aggraver la situation au sein de la très faible Junte centrale du Gouvernement, qui devait maintenant reconnaître le nouveau gouvernement du fondateur de la trinitaire, ce qui posait un énorme problème, car il n’avait pas de légitimité. Le dilemme politique est arrivé à un moment très critique pour la Junte, car elle n’avait pas réglé la question des troupes de Santana, qui commençait à envisager d’utiliser la force militaire pour conquérir le pouvoir. Santana préparait ses forces pour marcher vers Saint-Domingue avec comme projet de renverser la nouvelle Junte présidée par Sanchez. Celui-ci a commencé à préparer la défense de la ville, mais les troupes refusaient d’affronter Santana. Sans soutien militaire Sanchez fut contraint de capituler : le pouvoir revenait maintenant aux mains de Santana, qui dans son premier décret rétablissait l’ancienne Junte, en présence toujours du consul français.

Une nouvelle vague plus forte encore que celle connue sous la période haïtienne de persécution politique s’est développée dans les principales villes du pays contre tous les partisans de « la trinitaire », considérés comme des « traîtres de la patrie » par Santana et son groupe.

Après avoir éliminé de manière efficace toute opposition politique à son projet, le président Santana a convoqué à l’élection des députés pour rédiger la constitution de la nouvelle république. La nouvelle constitution politique fut promulgée le 6 novembre 1844, et elle fut présentée à la Junte pour son approbation. Santana a rejeté la nouvelle constitution car elle ne lui donnait pas le pouvoir suffisant pour mener toutes les actions, dont il avait envie.

Après avoir encerclé militairement l’assemblée nationale qui rédigeait le projet de constitution, et avec la médiation de Bobadilla, les membres de l’assemblée ont accepté de faire passer un article dans la constitution qui donnait le plein pouvoir au président de la république pour entreprendre toutes les actions qu’il considérait comme nécessaire pour la défense de la patrie. Santana s’est fait élire comme premier président constitutionnel de la république le 13 novembre 1844. Date à laquelle fut dissoute la Junte centrale du Gouvernement. Ce moment marque la vraie naissance de l’État dominicain, avec ses différents pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire.

Ce résultat positif en politique a donc été le fruit d’une histoire d’affrontements, de violence et de meurtres habitant encore aujourd’hui les populations de la République Dominicaine. D’autre part, son voisin Haïti, continue à vivre avec ses vieux démons sans qu’une véritable issue ne se profile.