Fiche d’expérience

, Grenoble, mars 2006

Résoudre le conflit du Cambodge

Les phases successives d’une mobilisation de la société internationale

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La guerre, dans ce que l’on a appelé l’Indochine, a connu tous les avatars possibles du fait, à la fois, du contexte local et de la géopolitique régionale et internationale : affrontements héréditaires entre peuples, pays et cultures voisins ; conséquences de la colonisation et impérialismes divers ; influence de la guerre froide et jusqu’aux défis du développement. Les effets sur les populations ont été terribles. Avec la fin de la guerre du Viet Nam en 1975 et la tragédie des « boat people » vietnamiens, puis le génocide khmer rouge au Cambodge, un fort élan humanitaire s’est manifesté, à l’extérieur et en France en particulier, en faveur des réfugiés. Entre 1976 et 1992, dans le cadre d’un dispositif national officiel, la région de Grenoble a accueilli plus de 2500 de ces réfugiés ; par ordre numérique, cambodgiens, vietnamiens et laotiens. Une forte tradition locale de défense des droits de l’homme, un dynamisme associatif éprouvé, la nature des événements et un concours de circonstances, auxquelles se sont naturellement ajoutées des motivations personnelles pour certains, ont conduit à une mobilisation particulière de trente années environ pour aller au-delà de l’humanitaire et tenter de résoudre un conflit durablement.

I - Après l’intervention vietnamienne

Après leur invasion du Cambodge en décembre 1978, chassant les Khmers rouges et contribuant à révéler au monde la nature de leur régime et l’ampleur du génocide perpétré par ceux-ci sur leur propre peuple, les Vietnamiens ont installé à Phnom Penh, le 11 janvier 1979, la République populaire du Kampuchéa (RPK). Une nouvelle phase du conflit cambodgien s’est ouverte qui ajoute à la tragédie humaine une dimension de crise diplomatique et internationale particulièrement complexe : les Vietnamiens, « ennemi héréditaire » , sont soupçonnés d’intentions annexionnistes ; la communauté internationale - les puissances occidentales principalement - , s’élève contre cette occupation ; avec l’accord de la Chine les Nations Unies décident que les Khmers rouges sont toujours les représentants légitimes du Kampuchéa ; etc. Un article est publié dans le journal Le Monde du 27 novembre 1979 sous le titre : « La solution est politique » par Richard Pétris et Gabriel Villiot, responsables du Comité Dauphinois de Secours aux Réfugiés du Sud-Est Asiatique.

Cet article est l’expression d’une protestation de représentants d’organisations de la société civile qui se sont mobilisées pour venir en aide aux réfugiés cambodgiens, constatent que la nature de la crise internationale conduit même à éviter d’évoquer le sort dramatique de la population du Cambodge et réclament une action plus énergique pour parvenir à une solution qui ne peut se limiter à l’humanitaire et sera nécessairement politique.

 

II - Un colloque à Grenoble, les 8 et 9 mars 1980

La rencontre organisée à propos du Cambodge, à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, avec le soutien de son directeur Claude Domenach, est née du constat d’impuissance dressé par des personnes déjà engagées dans des actions d’aide humanitaire et critiquant la non prise en compte des causes profondes et des motifs politiques des exodes.

A l’invitation du Comité Dauphinois de Secours aux Réfugiés du Sud-Est Asiatique ont répondu notamment des spécialistes du Cambodge, du Sud-Est Asiatique et des relations internationales, des juristes et des religieux, des réfugiés, des journalistes, des universitaires, des responsables politiques et d’organisations humanitaires, parmi lesquels : François Ponchaud, prêtre des Missions étrangères de Paris, Jean Lacouture, écrivain, André Fontaine, journaliste, Claude Malhuret, médecin, Hubert Dubedout, maire de Grenoble, et Gabriel Matagrin, évêque du diocèse de Grenoble.

Les exposés généraux décrivent la situation réelle du Cambodge, son environnement régional et international, le sort des réfugiés, l’ambiguïté et la difficulté des différentes formes d’aide. Les principales interventions du débat soulignent la complexité de la crise du Cambodge et des conflits du Sud-Est Asiatique et la nécessité d’adopter une attitude critique.

Le groupe de travail sur les problèmes de fond s’est attaché à élaborer un processus de paix qui fait l’objet de la résolution principale appelant à la prise en charge globale du Cambodge « nation sinistrée » par la communauté internationale.

 

 

III - « Une nation sinistrée »  : pour une prise en charge du Cambodge par la communauté internationale.

Dans un article en première page du Monde du 27 mars 1980, André Fontaine, rédacteur en chef, qui a participé au colloque « Ouvrir le Cambodge, ouvrir le monde » explique, à la veille d’une réunion des pays donateurs au programme d’aide humanitaire au Cambodge qui devait s’ouvrir le 26 mars au siège des Nations unies à New York, pourquoi « il faut reparler du Cambodge » . Il rappelle à quel point « le drame est partout » et il affirme : « A problèmes sans précédent, il faut une réponse sans précédent » . D’où l’idée lancée au cours du colloque de Grenoble de faire déclarer par une conférence internationale le Cambodge « nation sinistrée » . Elle devrait faire l’objet, selon la résolution adoptée, d’« une élaboration juridique dans le cadre des Nations unies, impliquant la prise en charge du Cambodge par la Communauté internationale et l’adoption de mesures de neutralisation effectives destinées à l’arracher au cycle de la violence et à la compétition des puissances » .

André Fontaine explique qu’ « il s’agirait, en un mot de transposer à l’échelle internationale ce devoir d’assistance à personne en danger qu’a institué le droit interne » et il invoque un devoir international qui s’impose « dans un monde déchiré, découragé, où la guerre ne s’arrête ici que pour reprendre là » . Il considère aussi qu’une « solution cambodgienne de ce type […] rendrait quelque espoir dans la détente [et] pourrait également constituer un précédent,… »

 

IV - « Les Cambodgiens face à eux-mêmes ?  »  : une Rencontre de Saint-Sabin sur la construction de la paix au Cambodge.

Les accords pour un règlement politique global du conflit du Cambodge, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, ont été signés à Paris le 23 octobre 1991. Ils prévoyaient que les Etats participants agiraient :

« Afin de maintenir, préserver et défendre la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité et l’inviolabilité territoriales, la neutralité et l’unité nationale du Cambodge,

Désireux de restaurer et de maintenir la paix au Cambodge, de promouvoir la réconciliation nationale et d’assurer au peuple cambodgien l’exercice de son droit à l’autodétermination par la voie d’élections libres et équitables,

Convaincus que seul un règlement politique global du conflit du Cambodge sera juste et durable et contribuera à la paix et à la sécurité régionales et internationales,

……… »

Il faut rapprocher ces dispositions de ce que le colloque de Grenoble avait suggéré, 11 ans auparavant :

  • une neutralisation garantie par les Nations unies,

  • une élection démocratique après une période de remise en route transitoire,

  • l’engagement international dans la reconstruction du pays,

  • la réintégration des réfugiés.

Une rencontre est organisée au siège de la Fondation pour le progrès de l’Homme à Paris, en mai 1992, conjointement par l’association Les Amis d’une Ecole de la paix à Grenoble et la FPH, sur les conditions du retour à la paix au Cambodge.

Elle permet d’examiner les problèmes de mise en œuvre des accords de Paris et les contributions portent sur :

  • Le Cambodge et le nouvel ordre international en Asie du Sud-Est,

  • La mise en œuvre de la préparation des élections,

  • Les « Bérets bleus » , outil de la paix au Cambodge,

  • Le comportement capitaliste et l’évergésie khmers rouges

  • La paysannerie khmère et le processus démocratique

  • Les élections et la société khmère,

  • Le Cambodge à la lumière de l’expérience indienne

Ces travaux sont publiés par la FPH, en février 1993, sous la forme d’un « dossier pour un débat » .

Commentaire

Il s’agit bien d’une tentative pour construire la paix de manière globale. Si elle a contribué à faire évoluer l’action de l’humanitaire pur vers le politique, elle ne peut être considérée comme mettant un point final à un processus qui est loin d’avoir totalement réussi si l’on examine la situation actuelle du Cambodge. Les conditions dans lesquelles la communauté internationale est intervenue posent problème, la recherche de la justice en même temps que de la paix ne va pas sans difficultés, la survie du pays –sur tous les plans ! – n’est pas garantie, etc. Il faut se reporter à la fiche d’analyse « Cambodge » dans le même dossier.