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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, 2000

Région de Thionville : une expérience intercommunale de médiation sociale

Le service de médiation sociale de voisinage de Thionville (Moselle), fonctionne depuis avril 1994.

Mots clefs : Education à la non-violence | Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation

En pleine expansion, quinze bénévoles et un chargé de mission assurent aujourd’hui plusieurs permanences sur l’ensemble de l’agglomération thionvilloise (Thionville, Fameck, Uckange, Guénange, Yutz, Florange, Terville et Hayange). Cette agglomération, située dans l’Est de la France est au cœur d’un important bassin sidérurgique et minier. En 1993, le Conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD) de Thionville, soucieux d’orienter des actions au plus près de la réalité, a commandité un « observatoire de la délinquance et de l’incivilité ». Cette étude sociologique a montré qu’au même titre que les actes délictueux les troubles de voisinage et, plus globalement, l’ensemble des comportements d’incivilité, alimentent à des degrés variables un sentiment diffus d’insécurité. Les tensions qui en résultent, se traduisent la plupart du temps par des échanges d’invectives, des dégradations des parties collectives et des nuisances sonores.

En collaboration avec le CCPD, l’association « Émergence » de Thionville a constitué un groupe de pilotage chargé de réfléchir sur la mise en place d’un service de médiation. L’association a recruté un chargé de mission à mi-temps pour développer ce projet, financé en partie par le contrat de ville dont l’objectif est de lutter contre la fragilisation du tissu social. Son rôle consiste en priorité à sensibiliser les partenaires locaux (élus, police, travailleurs sociaux, bailleurs…) susceptibles de s’impliquer dans le projet. Il informe le public sur les principes et les modalités de la médiation et gère l’organisation générale des actes de médiation (locaux, logistique, dossiers). Enfin il recrute, puis forme et supervise les médiateurs avec l’aide d’intervenants extérieurs. Aujourd’hui une équipe de médiateurs bénévoles composée de dix femmes et cinq hommes, âgés de 35 à 70 ans, accueille, écoute et tente de « réconcilier » les usagers en conflit. La nature des différends relève essentiellement des problèmes de voisinage, se traduisant par ordre décroissant par des incivilités (insultes, menaces, petites dégradations…), nuisances sonores, des litiges liés aux questions de mitoyenneté, de bornages, de plantations, de détention d’animaux.

Ces conflits concernent des affaires ne faisant pas l’objet d’un traitement judiciaire. Ils peuvent cependant prendre une tournure dramatique pour ceux qui les vivent au quotidien. Il n’est pas rare de voir arriver des personnes en «bout de course », déprimées, désemparées, frustrées de ne pas avoir été entendues. Pour certains, c’est un véritable soulagement de pouvoir parler de leurs souffrances longuement accumulées. Cette souffrance s’accompagne souvent d’une extériorisation émotive (colère, haine, agressivité, pleurs…) qui, une fois exprimée, laisse place à l’apaisement. Dans certains cas, l’écoute attentive et désintéressée suffit à calmer ou à dédramatiser le conflit.

La plupart des personnes s’adressant au service de médiation ont été informées de l’existence de ce service par la police ou la mairie, cependant, la plupart des personnes connaissent son existence par les médias ou le bouche à oreille. Quand la nature du conflit n’est pas du ressort du médiateur, il oriente systématiquement les personnes vers un service ou un organisme compétent. Ainsi peuvent être sollicités les conciliateurs de justice, les avocats, les services sociaux… Dès que le partenariat est solidement établi, c’est tout un réseau de personnes impliquées dans la résolution des conflits qui fonctionne. Des permanences hebdomadaires ou bimensuelles se tiennent dans des lieux publics (locaux de quartier, comités communaux d’action sociale, mairies…). Elles sont toujours assurées par deux médiateurs dans un souci d’objectivité et de neutralité.

Les médiatrices et médiateurs tiennent à être deux, car cette formule leur permet, au terme de chaque entretien, d’échanger leur ressenti, de tester leur objectivité et de s’adresser éventuellement des critiques constructives. Les temps de rencontre entre les parties sont fixés en dehors des temps de permanence, ce fonctionnement garantit une disponibilité totale dont dépend en partie l’issue de la médiation (certaines durent plus de deux heures). Quelquefois, des éléments importants nécessaires à la compréhension du conflit n’apparaissent que tardivement au cours de l’entretien.

Les médiateurs agissent avec beaucoup de simplicité et d’humilité et ne se prennent ni pour des « justiciers de quartier » ni pour des juges. Ils trouvent normal de consacrer une partie de leur temps au service de leurs concitoyens. Ils sont soumis à des principes éthiques (neutralité, confidentialité, tolérance…), consignés dans une charte et peuvent, en vertu d’une clause de conscience, refuser pour des raisons personnelles de participer à une médiation. Les médiateurs bénéficient d’une formation assurée par l’association Émergence, portant surtout sur les aspects relationnels inhérents à tout acte de médiation et sur certains points juridiques. Une part importante de cette formation est consacrée à la pratique sous la forme de jeux de rôles et de mises en situation. Des réunions de supervision animées par le permanent sont programmées toutes les six semaines. Elles permettent aux médiateurs d’échanger leurs expériences, d’exprimer des besoins en formation, d’évoquer un cas épineux, de se libérer des tensions accumulées au cours des médiations. C’est aussi le lieu où sont rappelés et discutés les principes éthiques de la médiation qu’il convient d’avoir sans cesse à l’esprit, pour éviter des dérives toujours possibles.

Vers une responsabilisation individuelle

Depuis la création du service, le nombre de dossiers augmente chaque année, sur l’ensemble des dossiers, le taux de médiations réussies est de 50 % (des accords complets ou partiels ont été trouvés, consignés dans la plupart des cas dans un protocole d’accord signé par les deux parties). Cependant, en cas de refus, la lettre d’invitation à venir en médiation, reçue par l’autre partie, suffit parfois à régler le conflit. Il faut toutefois préciser que la médiation suscite souvent des réticences. Il est donc nécessaire d’en exposer les principes aux usagers, habitués à un mode de résolution des conflits impliquant un coupable.

La médiation repose sur la libre volonté des participants et sur l’idée de responsabilisation individuelle. Le succès n’est jamais assuré, car la médiation s’intéresse à des différends parfois forts complexes et met en jeu une confrontation des discours. Le médiateur doit faire preuve de patience et faire appel à sa propre créativité. Il doit savoir susciter les forces de dialogue, d’ouverture, de tolérance puisque, ne l’oublions pas, la médiation consiste à permettre aux personnes de trouver elles-mêmes les solutions à leurs conflits.

Un projet de médiation scolaire

Depuis 1998, suite aux demandes de différents acteurs de terrain relatives à la prévention des incivilités en milieu scolaire, nous avons développé des actions de médiation scolaire au sein d’établissements primaires et secondaires. En partenariat avec l’association « Génération Médiateurs » (1), il s’agit de prévenir la violence et les incivilités en formant les enfants à la médiation et à la gestion des conflits. Après une sensibilisation de l’ensemble des élèves et de la communauté éducative, des jeunes, volontaires, suivent une formation spécifique les préparant à devenir médiateurs dans la cour de récréation. Ils proposent leur aide à leurs camarades en cas de conflits (il s’agit de petits conflits : disputes, petites bagarres…). Le racket, les vols n’entrent pas dans le champ de leurs compétences. Ils écoutent chaque version des faits dans un local prévu à cet effet et tentent d’aider leurs camarades à trouver des solutions sans perdant ni gagnant.

Il existe d’autres options, notamment dans les collèges, qui consistent à mettre en place des ateliers de gestion et de médiation des conflits. Dans certains établissements, c’est la formation d’adultes à la médiation qui est retenue. Les adultes mettent ensuite en place des actions de médiation dans leurs établissements. Ces actions visent à faire passer l’idée qu’il y a d’autres manières de réagir en cas de conflit que la seule violence verbale et physique.

Commentaire

L’expérience développée à Thionville démontre l’importance de l’ouverture d’espaces de dialogue visant des conflits qui ne sont pas gérés par la justice ou les traitant avant que ce ne soit le cas. Cette médiation s’étend à toute la société puisque des expériences au niveau des écoles et des lycées se développent aussi.

Notes

  • Auteur : Isabelle Scaramal, chargée de mission Emergence.

  • (1) Sur Générations Médiateurs, lire le chapitre sur la médiation scolaire.

  • Contact :

    • Émergence, 6, rue du Cygne, BP 20425, 57105 Thionville Cedex.

    • Tél.: 0382538217 – Fax : 0382531333