Astrid Fossier, Paris, janvier 2004
Congrès de la Jeunesse Tibétaine, un acteur fort et controversé pour l’indépendance du Tibet
« Changeons de langage, de comportement : nous ne sommes pas venus en Occident pour prêcher la paix, enseigner la prière, la méditation aux Occidentaux ! En exil, nous avons des engagements, une responsabilité : nous battre pour reconquérir notre pays et retrouver un Tibet indépendant et libre » (Tseten Norbu).
Le Congrès de la Jeunesse Tibétaine (CJT), est un des acteurs les plus actif sur la scène politique tibétaine. Fondé à Dharamsala le 7 octobre 1970 en présence du Dalaï Lama, le CJT est une Organisation Non Gouvernementale tibétaine qui regroupe plus de 70 000 membres à travers le monde. Les membres du CJT sont tous de nationalité tibétaine et la majeure partie d’entre eux appartient à la jeunesse. Il n’y a cependant pas de limite d’âge pour être membre du CJT.
Le Congrès compte 77 branches régionales, situées en Inde, Népal, Bouthan, Norvège, Canada, France, Japon, Taiwan, Australie, Etats Unis ; et est affilié à la Tibetan Youth Association in Europe, basée en Suisse. Les membres de chacune de ces antennes élisent un Comité régional de 5 à 10 personnes qui supervise les activités, avalise le recrutement des membres et met en place les résolutions décidées lors de la réunion de travail annuel du CJT. Enfin un Comité central exécutif supervise tout ce réseau. Les membres de ce Comité sont élus tous les trois ans et sont les seuls a pouvoir modifier la constitution du CJT. L’organisation du Congrès de la Jeunesse Tibétaine, très structurée avec ses comités exécutifs, le mode de sélection de ses membres et sa constitution, s’apparentent plus à celle d’un corps gouvernemental qu’à celle d’une ONG.
La position du Congrès se résume en 4 axes majeurs :
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Servir toujours le Tibet et son peuple sous l’égide de Sa Sainteté le Dalaï lama, le maître spirituel et temporel du Tibet.
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Promouvoir et protéger l’unité et l’intégrité nationale en mettant un terme aux distinctions d’origines religieuses, régionales ou de statut.
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Œuvrer pour la préservation et la promotion de la religion et de la culture unique du Tibet, ainsi que de ses traditions.
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Se battre pour l’indépendance totale du Tibet, même au prix de vies humaines.
Ce dernier point est extrêmement important. La paix pour le CJT signifie l’indépendance de la totalité du territoire tibétain, c’est-à-dire de la Région Autonome du Tibet actuelle ainsi que des provinces tibétaines de U-Tsang, Do-toe et Do-med, découpées entre les provinces chinoises du Qinghai, Gansu et Sichuan. Evoquant la possibilité d’utiliser des moyens d’action violents dans la lutte pour l’indépendance du Tibet, le CJT, dont certains des membres les plus importants sont les anciens de la lutte armée d’avant 1959, représente tout un courant nouveau qui agite aujourd’hui une frange de la société tibétaine de plus en plus large.
Au delà des actions de manifestation, de dénonciation ou de publication d’ouvrages ou de revues au ton plutôt virulent, le CJT a déjà dans son histoire proposé l’utilisation de la violence comme moyen de lutte, lors notamment des émeutes de 1987. Mais avec la proposition faite par le Dalaï Lama du plan de paix en cinq points, et face à l’enthousiasme que cette proposition suscita chez les gouvernements étrangers, le CJT décida de repousser provisoirement l’idée d’une lutte armée, déclarant que si cette option n’était pas impossible, elle ne devait être que l’ultime recours. Cependant, si l’accueil enthousiaste qu’on réservé les pays occidentaux au plan de paix en cinq points du Dalaï Lama a fait reculer le CJT, la vision politique de ce dernier n’en reste pas moins très éloignée de celle du Dalaï Lama.
Dans une interview accordée à Pierre-Antoine Donnet par Tashi Namgyal, le secrétaire général du Congrès de la Jeunesse Tibétaine, la position du CJT est ainsi exprimée : « Abandonner les affaires étrangères et la défense aux chinois reviendrait à abdiquer, à céder la souveraineté du Tibet (…). Voici ce que pense le Congrès de la Jeunesse Tibétaine et voici ce que pensent les tibétains. Discuter avec les Chinois ne sert à rien. Ce qu’il nous reste à faire, c’est combattre pour arracher tous les droits qui nous appartiennent. Nous devons nous battre pour cela. Pas discuter ! (…) Nous ne sommes pas d’accord avec la position du Dalaï Lama et nous pensons qu’il est de notre devoir de le dire haut et fort. (…) ce qu’a proposé le Dalaï Lama est mauvais. Il dit qu’il est le Bouddha de la compassion. Moi pas. Le Dalaï Lama veut le bonheur pour tous les êtres humains. Il parle d’un monde sans frontières et sans passeports, sans police. Il croit en cette sorte de chose. Mais nous, nous ne pouvons pas voir les choses de la même façon (…) ». Puis Tashi Namgyal aborde le thème de la violence : « Nous ne croyons pas au terrorisme. Nous ne croyons pas dans l’assassinat de personnes innocentes. Notre motivation n’est guidée que par l’objectif à atteindre : l’indépendance totale du Tibet. Mais si nous tuons des chinois, personne ne pourra nous accuser de terrorisme. Car aucun chinois venant au Tibet n’est innocent. Tous ceux qui viennent ont un but(…). Toutes les méthode de lutte contre eux sont justifiées ! »
Même si le CJT agit en toute indépendance du Dalaï Lama et du gouvernement tibétain en exil, ses actions et ses déclarations touchent l’ensemble de la communauté et l’image que celle-ci projette à l’étranger. D’autant plus que même le frère cadet du Dalaï Lama, Tenzin Choegyal Rimpoche appartient au clan de ceux qui souhaitent plus de fermeté dans la lutte : « De toute façon, quoique le Dalaï Lama puisse faire, nous devons, en ce qui nous concerne, utiliser le bâton. Sinon [les chinois] ne comprendront pas » [Tibet mort ou vif, Pierre-Antoine Donnet].
Le Dalaï Lama qui prêche la non violence a déclaré que tant que le CJT ne se livrerait pas à des actes violents il le soutiendrait. Cependant il est clair qu’aujourd’hui, un grand nombre de tibétains, et ce plus particulièrement auprès de la jeunesse tibétaine, n’adhère plus à la « voie du milieu » prônée par le Dalaï Lama. Depuis leur plus jeune âge les Tibétains de l’exil entendent parler des souffrances endurées par leurs parents qui ont vécu au Tibet, et les raisons qui les ont poussé à partir. Entassés aujourd’hui dans les bidonvilles du sous continent indien, ils vivent une culture de l’exil, écartelés entre les rêves de retour de leurs parents, l’image d’un pays qu’ils ne connaissent que par ce qu’on leur en raconte, et la culture d’un monde moderne de plus en plus violent où les actes de terrorisme semblent apporter plus de résultats que les prêches pacifiques du Dalaï Lama à travers le monde.
Quelques attentats à la bombe ont secoué Lhassa ces dernières années. Dans une interview Tsetsen Norbu, président du CJT de 1995 à 2001, explique ainsi ces actes de terrorisme : « Je pense que c’est un signe de frustration. Ils savent que cela ne peut pas endommager la machine militaire chinoise et ne peut pas non plus faire sortir le gouvernement chinois du Tibet. Sa Sainteté poursuit une politique d’engagement avec la Chine depuis 20 ans, rien n’a avancé, les gens sont vraiment frustrés ! Les politiciens et les défenseurs du Tibet doivent voir ce qui s’est passé au Koweït et au Kosovo. Au Kosovo le problème ethnique existait depuis longtemps ! les politiciens n’ayant pas agi honnêtement, une fois que le feu a démarré, tout c’est enflammé ! Tous les hommes politiques, surtout ceux qui aident les Tibétains ; doivent comprendre qu’il y a une frustration et que si une solution pacifique ne produit pas de résultat, alors les gens sont tentés par la violence ; c’est un processus classique… » [www.tibet.fr].
Ainsi, si le Congrès de la jeunesse Tibétaine n’incite pas à la violence, il n’en condamne toutefois pas l’expression, montrant une évolution dans les options de lutte proposées aux Tibétains pour arriver à la paix…
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