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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, 2005

Il n’y a pas de paix sans justice

La justice, pour se mettre au service de la paix, doit informer de son action de manière pédagogique, proposer des services d’accès au droit et s’assurer que chacun bénéficie équitablement de ses services.

Mots clefs : Droit international et paix | L'administration de la justice selon le droit | Jugement de responsables des crimes contre l'humanité | Lutte citoyenne pour la justice sociale | Appliquer la justice, facteur essentiel de réconciliation sociale | Juger des responsables de crimes contre l'humanité

I. La justice doit être médiatrice et impartiale pour rester unique

La justice est l’un des piliers de la cohésion sociale dans la mesure où elle fait office de médiateur dans les conflits opposant des individus entre eux (droit privé), et aussi des individus avec l’État (droit public). Une justice respectable doit être médiateur et non bourreau.

La cohésion sociale s’effondre lorsque la justice semble prendre le parti d’une force plutôt que d’une autre (une ethnie particulière, un État totalitaire) puisque les individus et groupes sociaux sans cesse incriminés par cette justice aux ordres ne reconnaîtront pas la légitimité de ses arrêts. On peut prendre l’exemple de la justice des États-Unis appliquant depuis son origine le principe de culpabilité aux Noirs ayant affaire à elle. Les chiffres sur la proportion de Noirs incarcérés, condamnés à mort sont clairs à cet égard. En réaction, les Noirs ont tendance à rejeter systématiquement les décisions de la justice américaine, au prix de révoltes. C’est ainsi que le footballeur O.J. Simpson fut acquitté au terme d’un procès qui avait indéniablement prouvé sa culpabilité, et ce afin d’éviter les émeutes en préparation.

Dans le cas d’une justice partiale, on observe la juxtaposition d’une seconde justice : une justice populaire coutumière non formalisée mais bénéficiant d’un respect bien supérieur. C’est ce cas que l’on retrouve dans bien des pays autoritaires, mais aussi parmi les groupes de délinquants : le code des prisons diffère du code de procédure pénale.

Or, la justice populaire peut se révéler désastreuse en ce qui concerne l’unité populaire, puisque son caractère non formel peut ouvrir la porte à bien des abus et des rancœurs. L’épuration violente des collaborateurs menée en France au lendemain de la seconde guerre mondiale a encore davantage accentué la division d’un peuple déjà meurtri. La loi du talion et la vendetta continuent à décimer des villages siciliens alors que le contentieux initial est oublié detous. Une justice étatique qui aurait ordonné une juste réparation du délit et ainsi de la dignité de la victime aurait sans doute évité l’engrenage de la violence qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui.

II. La nécessité d’un devoir de mémoire en cas d’abus

Car la justice doit rendre la dignité aux victimes et rétablir les valeurs de base. La justice à le devoir de formaliser les mesures de rétorsion à l’encontre de ceux s’étant rendus coupables de monstruosités. Elle concourt ainsi à conforter les victimes dans l’idée qu’elles ne sont pas indirectement coupables de leur situation. Elle signifie également aux personnes ou aux groupes de personnes spoliés ou violentés que la puissance publique se range de leur côté.

Les victimes obtenant réparation pour les préjudices subis n’ont pas le besoin de se venger par elles-mêmes et peuvent tourner la page d’un événement douloureux. Le travail de deuil part ainsi sur des bases saines. Dans le cas contraire, lorsque la justice n’accède pas aux demandes des victimes, soit en ne reconnaissant pas le préjudice, soit en ne prenant aucune mesure de rétorsion contre les coupables, un fort sentiment d’impunité en résulte, décrédibilisant l’institution judiciaire. C’est alors que se développent des rancœurs indélébiles constituant le ferment de conflits armés et de guerres civiles à venir.

Ainsi, pour établir des bases civiles saines en ex-Yougoslavie, le Tribunal pénal international a été chargé de juger les dignitaires et les militaires responsables d’exactions lors des conflits opposant les communautés serbes, bosniaques et croates. Le fait que les responsables soient jugés et incriminés pour les crimes dont ils sont responsables est un préalable nécessaire à l’instauration d’une paix durable.

La preuve de la validité du devoir de mémoire est présentée par l’attitude de l’Allemagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La RFA dans un premier temps, puis l’Allemagne unifiée n’ont eu de cesse de proclamer officiellement leur culpabilité nationale en raison de la Seconde Guerre mondiale, de proposer d’importantes réparations et de multiplier les gestes symboliques envers les victimes et leurs représentants. Le peuple allemand a totalement intégré cette attitude et ceci a permis de « faire passer l’histoire ».

III. Les limites de la réparation judiciaire

Le pardon allemand a débuté avec le procès de Nuremberg jugeant les dignitaires nazis devant le monde entier. Ceci souligne le rôle des institutions judiciaires internationales. Pour préserver la paix dans le monde, il faut renforcer le rôle déjà décisif des accords et des instances judiciaires internationales, comme les accords de Genève sur les prisonniers de guerre, le Tribunal pénal international de la Haye ou les traités de non-prolifération des armes nucléaires… Ces institutions sont certes perfectibles, mais elles ont le mérite de poser, et parfois de faire appliquer, des règles allant dans le sens de la gestion pacifique des conflits dans le monde.

Toutefois, si la justice a un rôle indispensable à jouer dans l’instauration d’une paix durable, elle ne doit pas constituer un recours systématique au règlement de différends. De nombreux problèmes peuvent trouver leur résolution dans un cadre extra-judiciaire. Les contentieux familiaux (hors affaires de mœurs), les erreurs médicales, et nombre de différends interpersonnels ne doivent pas toujours être résolus par l’intermédiaire de la justice.

Les indemnités financières en compensation du préjudice subi motivent souvent des plaignants à saisir la justice. Mais ceci aboutit à une judiciarisation de la société, et chaque personne physique comme morale commence à se prémunir contre toute attaque juridique avant toute initiative. Ceci a un effet bloquant et, de plus, aboutira certainement à un renforcement du pouvoir des personnes maîtrisant les codes juridiques.

En effet, la justice doit être une institution uniforme appliquant une même décision à deux cas de figure similaires. Le formalisme de l’institution judiciaire est le gage de son indépendance et de son impartialité. La justice n’est pas flexible ni adaptable et elle ne doit pas l’être.

En conséquence de ce formalisme, la justice devient une discipline d’initiés, avec ses procédures, ses costumes, ses rituels, son vocabulaire, ses références, ses règles tacites. Le citoyen banal ne peut avoir connaissance de ses droits et il ne peut les comprendre, même si l’envie lui venait de les connaître. Il doit alors déléguer l’entreprise de toute procédure à des juristes spécialisés, sachant qu’il faudra sûrement rétribuer leurs compétences. Ceci constitue une sérieuse limite à l’exercice de leurs droits par les citoyens.

Il peut en résulter l’impression que la justice aide les favorisés, ceux qui détiennent les clefs de compréhension des décisions législatives et judiciaires et des avantages pratiques que l’on peut en tirer. Ainsi, des escroqueries éhontées peuvent être légales, et des actions de bon sens se révéler illégales. Ceci conduit à délégitimer l’institution, considérée comme ne servant que des intérêts particuliers.

C’est pourquoi la justice, pour se mettre au service de la paix, doit informer de son action de manière pédagogique, proposer des services d’accès au droit et s’assurer que chacun bénéficie équitablement de ses services.

C’est le premier pas vers l’instauration d’une justice sociale.