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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, 2005

Consolidation du pouvoir absolu de Castro et élimination de tous ses éventuels adversaires

La première étape de la stratégie politique adoptée par Fidel Castro consiste à asseoir le nouveau pouvoir, convaincu que la chute de la dictature ne signifie pas pour autant le triomphe de la révolution.

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I. Asseoir le nouveau pouvoir

La gloire militaire des révolutionnaires laisse désormais place à un nouveau combat, celui politique qui prolonge la révolution en modèle de vie à inventer et à offrir aux hommes.

Les révolutionnaires veulent éviter avant tout, que les Américains deviennent les maîtres de leur pays.

La première étape de la stratégie politique adoptée par le Líder Máximo consiste à asseoir le nouveau pouvoir, car, pour Castro, la chute de la dictature ne signifie pas pour autant le triomphe de la révolution.

Tout d’abord, le 7 janvier 1959, sont posées les premières pierres du nouvel édifice de l’Etat cubain : un gouvernement central est mis en place ainsi que des assemblées provinciales et des tribunaux révolutionnaires chargés de juger le délits qualifiés de « contre-révolutionnaires ».

Cette stratégie de consolidation du pouvoir absolu de Fidel Castro passe également par le désarmement des groupes qui pourraient être des rivaux potentiels. En effet, lorsque Castro déclare : « Des armes, pour quoi faire ?  » (1), se transformant en Dieu vivant aux yeux des Cubains, il n’est nullement animé par un élan pacifiste, mais cherche à se protéger en bannissant les armes. Les dirigeants du gouvernement doivent faire place nette et écarter les conservateurs pour pouvoir mettre en œuvre leur programme de gouvernement, et ce, par tous les moyens. C’est ainsi que dès le début du mois janvier 1959, Raúl Castro donnait l’ordre d’exécuter des dizaines de prisonniers présentés comme des sbires de Batista, à Santiago. Plus tard, dans toutes les prisons du pays, les tribunaux révolutionnaires fonctionnèrent à plein régime, n’hésitant pas à prononcer des peines de prison de 20 ou 30 ans, voire la peine de mort. Le peloton d’exécution connut une activité sans répit dans la forteresse de La Habana, sous les ordres du Commandant Ernesto Che Guevara. Des procès se déroulaient en public, notamment dans des stades de base-ball, devant des foules enhardies et sous les caméras de télévision qui diffusaient les images en direct.

Tout est donc mis en œuvre pour éradiquer purement et simplement quiconque s’opposerait ou constituerait une menace pour le nouveau gouvernement. Mais il faut souligner que cette stratégie d’élimination quasi systématique des anti-castristes est tout à fait disproportionnée par rapport à la menace réelle des « traîtres ». Castro n’hésitera d’ailleurs pas le moins du monde à supprimer d’anciens compagnons d’armes qu’il jugeait dangereux. En effet, la longévité de Castro au pouvoir s’explique, entre autre, par son caractère impitoyable, y compris envers ses fidèles ou ex-compagnons d’armes, lorsque ceux-ci commencent à le gêner, du fait :

  • soit de leur méfiance ou esprit critique ;

  • soit de leur tendance à empiéter sur son pouvoir.

Fidel n’a jamais hésité à se débarrasser de ceux qui prenaient trop de place à ses yeux ou dont les opinions ne lui plaisaient guère. C’est ainsi qu’il a petit à petit fait le vide autour de lui, mais c’est aussi cette incroyable capacité à faire le vide qui lui a permis de rester au pouvoir et de gouverner encore aujourd’hui.

II. L’art de la parole ou la légende du verbe de Castro

L’une des stratégies de Castro pour assurer la longévité de son régime réside dans la parfaite maîtrise de la parole et de la propagande. En effet, le verbe du Líder Máximo a une puissance incantatoire susceptible de fasciner les masses ainsi que les intellectuels du monde entier. Et le Commandant n’hésita jamais à mettre son art de la parole au service de sa politique. C’est ainsi qu’il convoquait régulièrement, et de plus en plus, des rassemblements massifs, ponctués de discours fleuves que certains tels Jean-Paul Sartre, qualifièrent de « démocratie directe » ou de « longues explications pédagogiques ». Une masse considérable de citoyens (officiellement un million ou un million et demi, un chiffre demeuré immuable depuis 1959), aurait participé à ces rassemblements au cours de plus de quatre décennies de castrisme, d’abord devant le palais présidentiel puis dans un espace bien plus grand, la Place civique, naturellement rebaptisée Place de la Révolution, centre du pouvoir et de la mobilisation permanente.

Par ailleurs, Fidel Castro monopolise régulièrement les deux seules chaînes de télévision du pays auxquelles les Cubains ont accès. Sans compter ses apparitions au journal télévisé, les Cubains peuvent voir à l’écran leur Líder Máximo environ 1 200 minutes en l’espace de seulement deux semaines. De retransmissions officielles en conférences de presse et interviews à des journalistes américains, Fidel Castro a confirmé son emprise sur le petit écran. Son record a été plus de sept heures d’interview télévisée en février 1998, devant le parlement cubain !

Castro déploie donc une véritable stratégie de propagande et de persuasion en usant de son art de la parole et du discours, laissant peu de place à la confrontation des idées. Le parti unique cubain impose également une pensée unique !

III. Bilan de la première étape

A la fin de cette première étape de la stratégie politique de Castro, deux constats s’imposent :

  • D’une part, le Líder Máximo avait fait le vide autour de lui, ne conservant à ses côtés que son frère Raúl et le Che. La révolution pouvait dès lors prendre le cours que lui seul dicterait, sans aucune opposition en mesure de se dresser contre lui.

  • D’autre part, Castro a su mettre en œuvre son habileté du verbe et de la rhétorique : dans un premier temps, il dit au peuple cubain ce qu’il veut entendre afin de consolider son pouvoir personnel et sa popularité. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il ne s’est jamais proclamé communiste alors que les Cubains le vénéraient pour les avoir sauvés de la dictature de Batista : avant même son arrivée au pouvoir, Castro répétait inlassablement : « Je ne suis pas communiste » . Il savait à quel point cette idéologie était impopulaire à Cuba en 1959. Or le peuple cubain devait lui faire confiance, et pour y parvenir Fidel devait le rassurer, ce qu’il fit en affirmant par exemple qu’il n’avait pas l’intention d’assumer des responsabilités au sein du pouvoir car son but n’était pas de prendre la place de Batista mais d’organiser rapidement des élections démocratiques. L’Histoire nous montre une toute autre évolution des choses…

Pour convaincre les Cubains des bienfaits d’un régime drastique, le pouvoir en place leur dicte la manière dont ils doivent s’exprimer. Rien n’échappe au dictateur qui entend manier les mentalités comme il manie son gouvernement, méthodiquement, et sans relâche.

La stratégie politique de la révolution se poursuivit moyennant la prise de mesures radicales destinées à séduire et à encadrer. En effet, l’affrontement avec l’ennemi externe (les Etats-Unis), et interne (les anti-castristes), ne pouvait suffire à mobiliser toutes les catégories de la population. Car si rien n’est laissé au hasard, les méthodes de la révolution de Castro ne parviennent pas à convaincre l’ensemble du peuple cubain.

Notes :

(1) : Jacobo Machover, op. cit, p.43.