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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juillet 2008

La paix par la culture : du savoir sur le conflit à la Culture de paix

Nous abordons ici différents aspects culturels de l’action de paix, qui vont de l’élaboration de savoirs à l’expression de spiritualité. Plusieurs dimensions sont contenues dans les thèmes des savoirs et de la spiritualité : l’aspect culturel peut se décliner de la connaissance et du savoir-faire à une Culture humaine de paix, impliquant des valeurs éthiques et morales.

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La culture est une notion complexe, elle peut être abordée de différents points de vue : Elle peut être abordée de manière spécifique, particulière, comme ce qui distingue les hommes entre eux, lorsqu’elle s’écrit « culture », mais aussi comme générale et universelle, lorsqu’elle caractérise l’humain, lorsqu’elle s’écrit « Culture ».

Nous abordons ici différents aspects culturels de l’action de paix, qui vont de l’élaboration de savoirs à l’expression de spiritualité. Plusieurs dimensions sont contenues dans les thèmes des savoirs et de la spiritualité : l’aspect culturel peut se décliner de la connaissance et des savoir-faire à une Culture humaine de paix, impliquant des valeurs éthiques et morales.

Un élément commun se retrouve de la culture comme connaissance à la Culture comme valeur : le réseau, le partage, la solidarité. La paix apparaît dans tous les thèmes de la culture comme un échange valorisé en tant que tel.

Pour caractériser ici la notion de culture, nous pourrions utiliser la définition assez générale de l’anthropologue Tylor, pour qui la culture est un ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société. Si la culture fait la spécificité, le fait culturel est ce qui unit les hommes.

Nous allons d’abord étudier le savoir pour la paix, plus spécifiquement au travers des activités de recherche et de formation sur la gestion de conflit, puis la transmission des savoirs et des savoir-faire par l’éducation. Cette transmission n’est pas un simple transfert de connaissances : elle engage des valeurs qui se réunissent dans une élaboration intellectuelle qui veut toucher le plus d’acteurs possible, une Culture de paix. Au sein de cette Culture se présentent les valeurs d’échange et de dialogue, qu’on retrouve mises en avant par les actions pour l’interculturalité et le dialogue interculturel. La religion apparaît ici comme un thème culturel spécifique : en incluant une dimension spirituelle et morale à l’action pour la paix, elle lui offre un cadre global.

Le savoir : recherche et formation sur la gestion de conflit

L’observation des actions européennes de paix révèle qu’à part des acteurs de terrain spécifiques, tous les acteurs de paix utilisent le savoir comme un outil de paix, et également comme une valeur.

1. Les savoirs comme outils et finalité de paix.

S’il est rarement déclaré comme une finalité de paix en tant que tel, le savoir est au moins un outil de paix : la grande majorité des acteurs mettent en œuvre une élaboration intellectuelle, par la recherche et la formation, qu’elle soit réalisée pour elle-même ou à des fins pratiques pour la plupart.

Nous avons parcouru différents acteurs de la paix politique : leur action a une primauté politique, mais le savoir est une base de l’action. On ne saurait donc passer à coté de cette dimension, qui se révèle être finalement un outil primordial de paix, dans la mesure où, par exemple, une bonne action de terrain nécessite des connaissances théoriques comme un savoir-faire. Il s’agit donc, pour la paix, de mobiliser tout un champ de savoirs : connaissances théoriques, analyses et questionnements, méthodes et création de compétences.

Ainsi, le champ du savoir sert la paix, en se dirigeant d’abord vers l’action pratique, mais aussi en se dirigeant vers l’éducation elle-même, l’information, la communication. Nous pouvons donc mettre à jour deux types de savoirs :

  • Un savoir dont la finalité est la « paix de terrain » ;

  • Un savoir qui a sa propre finalité, se constituant comme un esprit de paix.

Considérer le savoir comme un simple outil de paix doit se poursuivre vers l’élaboration du savoir comme valeur, ou esprit de paix. L’outil va devenir une valeur dans la mesure où il met en avant des visions et des engagements précis pour la paix, des présupposés théoriques et anthropologiques essentiels, dans un ensemble de valeurs de paix. Cette évolution est remarquable dans l’analyse des acteurs de paix.

En tant que valeur de paix, et non comme un simple outil – politique par exemple -, le savoir s’intègre à la notion de paix culturelle. Dans la pluralité du concept de « culture », le savoir se rapporte à la culture entendue comme connaissance (1). Par rapport à la définition de Tylor, nous nous centrons ici sur la dimension du savoir.

Le savoir pour la paix, ici représenté par la recherche et la formation, est spécifique : il réunit les connaissances et les méthodes sur les conflits, leurs causes et leur gestion. Il pourrait être plus généraliste, autour des thèmes de paix : nous apprécierons une certaine forme plus générale de savoirs dans l’étude des thèmes suivants, où il est plus proche de la valeur de paix que de l’outil. Nous centrons donc ici notre étude sur la recherche et la formation sur la gestion de conflit, et nous verrons apparaître ensuite, au cours des différents thèmes la transversalité de la notion de savoir, étant donné son acception dans le mot même de « culture ».

2. Les savoirs pour la paix : action de recherche et de formation.

La plupart des acteurs de paix abordent donc la recherche et la formation comme un outil de paix. Tout en restant orientée vers la gestion du conflit, cette position évolue vers l’élaboration du savoir comme une valeur.

La Fondation Berghof pour l’Etude des Conflits, en Allemagne concentre son activité sur la recherche et la formation, orientées vers l’action de terrain, dans le domaine précis de la gestion de conflit. Pour optimiser l’outil du savoir, elle se structure en deux centres : le BRC, centré sur la recherche et la formation, et la BSFP, qui a une action de négociation et de médiation sur le terrain. Cette double structure permet à la théorie de trouver une réalisation optimale dans la gestion du conflit. Le savoir apparaît ici comme outil de paix effectif et efficace. Le conflit est étudié principalement dans ses aspects sociologiques.

L’organisation Responding To Conflict n’est pas un centre de recherche en tant que tel, mais consacre néanmoins un pôle Recherche et Formation à son action. Comme pour la Fondation Berghof, cela paraît relever de l’importance donnée au champ théorique dans l’action de terrain pour la paix. Dans la gestion de conflit, la recherche et la formation prennent en compte les éléments socioculturels, mais aussi environnementaux des conflits, pour mieux spécialiser leur action sur le terrain.

La correspondance établie entre un organe de savoirs et un organe d’exercice se retrouve chez plusieurs acteurs : elle semble assurer une réelle efficacité de terrain, d’une part mais semble favoriser aussi la capitalisation des connaissances. La FRIDE, Fondation pour les Relation Internationale et le Dialogue Exterieur, en s’associant avec le CITpax, Centre International de Tolède pour la Paix, crée une circulation entre les savoirs théoriques et pratiques.

Le CITpax est né de la FRIDE pour lui donner une effectivité, mais aussi participer au renouvellement théorique. En effet, la FRIDE se pose comme Think tank, lieu d’échange et de partage. La notion de Think tank appelle davantage le dialogue et le débat que la notion de Centre de recherche : en se présentant comme Think tank, FRIDE montre son ouverture pluridisciplinaire et pluridimensionnelle. Son action pour la paix s’élargit au-delà de la résolution du conflit : elle aborde les thèmes de la démocratie, des droits de l’homme, de l’humanitaire, de la sécurité, etc.

Contrairement à plusieurs de ces acteurs Swisspeace n’insiste pas sur une action de terrain, à part dans l’aspect de formation. Son action pour la paix consiste surtout dans la formation, c’est à dire dans la création de compétences et de capacités.

Deux organisations réunissent l’action de terrain et la théorie, ainsi que la création de compétence et le partage de connaissances. L’ASPR en Autriche est elle-même composée de plusieurs structures mais sans les séparer en un aspect théorique et un aspect pratique. De cette sorte, l’approche de la construction de la paix est plus générale que la gestion de conflit. La gestion de conflit, entendue comme action de terrain est abordée dans sa globalité, intégrée à la problématique générale de la paix, dans toutes ses dimensions. La formation devient d’avantage un aspect éducatif : elle n’est plus elle-même à visée seulement pratique, de terrain, mais cherche à diffuser des idées de paix. Le terme d’éducation met effectivement plus en avant la diffusion de valeur que la formation qui insiste davantage sur un savoir pratique. Nous apercevons ici clairement comment de simple outil, le savoir peut devenir une valeur : la diffusion des idées de paix dépasse la simple gestion de conflit, et introduit une transmission de valeurs, comprises dans les connaissances. Dans ce cadre, l’ASPR s’attache à la communication et à l’information, pour créer un fond et une ressource intellectuelle, sur la violence, la paix et leurs causes. Le savoir devient une valeur de paix par la diffusion.

L’importance donnée au partage et à l’échange de compétences, ainsi qu’à la diffusion d’idées prend forme dans les actions de réseau. L’importance donnée au réseau dépasse le thème du savoir : on retrouve le réseau dans les actions politiques comme dans les actions humanitaires. Il est important de l’observer ici dans le cadre d’un partage de savoir, comme nous le présente l’organisation European Center for Conflict Prevention. L’ECCP se consacre à la recherche et à la constitution de réseau, pour la prévention du conflit et la promotion de stratégies de paix. La recherche est liée au réseau, pour un partage de compétence et une coopération sur le terrain. Par le réseau, le partage du savoir est une valeur de paix : la paix est déjà présente dans ses méthodes de construction.

L’élaboration de savoirs pour la paix met en place un large champ d’outils méthodologiques pour la construction de la paix, par la recherche et la formation : le savoir est alors un outil. Il est aussi une valeur de paix dans la transmission de connaissances, où il diffuse des idées de paix. La paix en tant que valeur est déjà présente dans les outils de sa construction.

L’éducation valorise la transmission des idées de paix, plus que la formation, d’avantage orienté vers la transmission de méthodes de paix. Un esprit de paix serait donc davantage présent dans l’éducation que dans la formation, notion plus technique. La culture comme outil de paix s’entrevoit comme une valeur de paix avec plus d’évidence dans l’éducation.

L’éducation en tant que transmission.

Si le savoir comprend l’éducation, on peut les séparer, pour entrevoir plus facilement la transmission, et ensuite appréhender la constitution de valeurs de paix culturelle.

Nous avons choisi de spécifier la notion générale de savoir pour la paix en recherche et formation sur la gestion de conflit et les processus de peacebuilding, pour mettre en valeur l’outil et la valeur de paix qu’est la connaissance. De la même manière, alors que de nombreuses organisations de paix présentent une mission éducatrice, nous allons pour l’instant nous centrer sur l’éducation en tant que transmission, d’abord transmission pour la paix, puis transmission comme culture de paix elle-même.

1. De l’éducation pour la paix à une Culture de Paix.

Tout en restant à l’intérieur de la sphère culturelle et du savoir, l’action pour la paix par la recherche et la formation ne revient pas au même que l’action pour la paix par l’éducation. Alors que la recherche et la formation se ciblent davantage sur des points spécifiques, comme des outils techniques de paix, l’éducation se concentre sur la transmission, dans l’acte lui-même comme dans les choses à transmettre. Les organisations d’éducation mettent en avant une transmission de valeur.

La connaissance, le savoir, la recherche, la formation et l’éducation pour la paix sont autant de termes très relatifs, et très flous. L’engagement pour la paix par l’éducation contient une grande diversité de visions du rapport entre éducation et paix. En effet, l’éducation peut être appréhendée comme un simple outil de paix, lorsqu’elle est une éducation à la paix. De l’éducation à la paix nous parvenons rapidement à l’éducation comme valeur de paix elle-même.

L’éducation à la paix est un outil de construction de paix. Elle a pour but la transmission de valeurs de paix telles que le civisme, la tolérance, la responsabilité. La transmission se fait par le partage d’expériences et de connaissances. L’éducation serait ici davantage un outil de paix : en transmettant les valeurs de paix, comme on transmet un savoir-faire, on construit la paix, comme une prévention, ou encore comme une reconstruction. Nous pouvons remarquer que, contrairement aux Centres de recherche et de formation pour la gestion de conflit et peacebuilding, les organisations d’éducation sont celles des pays ayant connu récemment des situations de violences, par les conflits, ou encore par un régime totalitaires : le Centre Glencree en Irlande, le Mouvement des Educateurs pour la Paix et la Compréhension Mutuelle en Ukraine, le Centre de Soutient pour les Associations et la Fondation en Biélorussie, ou encore la Fondation Russe pour la Paix, en Russie. Si l’éducation n’est pas une intervention d’urgence sur un conflit en tant que telle, elle apparaît principalement comme outil de prévention ou de reconstruction, comme nous le verrons par la suite, notamment dans le Centre Glencree.

La construction de la paix se fait donc, dans l’éducation, par la transmission de valeurs. Nous voyons se dessiner alors l’éducation comme valeur de paix elle-même : en se posant comme éducation à la paix, l’éducation devient elle-même valeur de paix. Dans la transmission et le partage sont compris la paix. On pourrait dire qu’éduquer, c’est déjà faire la paix, ou qu’éduquer à la paix est déjà être dans la paix. En considérant l’éducation comme valeur de paix plus que comme un outil de construction de paix, la paix se montre comme un construit collectif, dans le vivre-ensemble, comme la paix politique. Elle n’est pas qu’une idée d’avenir, mais prend un poids et une réalité dans le présent. La paix commence dès qu’on pose les outils pour la construire.

La transmission, ainsi que toute la pédagogie et ses outils, nécessitent une élaboration précise. Cette élaboration est celle d’une culture particulière : elle rassemble des outils et des valeurs communes de paix. L’élaboration contenue dans le système d’une éducation pour la paix est un Culture de paix. Des organisations s’engagent pour la Culture de paix : Fondation Culture de Paix en Espagne, ou encore le Mouvement des Educateurs pour la Paix et la Compréhension Mutuelle.

Ces deux organisations sont liées à l’UNESCO, qui centralise en quelque sorte l’élaboration des valeurs, des savoirs et des savoir-faire impliqués dans la Culture de Paix : elles participent au programme UNESCO « Culture de Paix ». Les Nations Unies définissent la Culture de paix comme « ensemble de valeurs, attitudes, comportements et modes de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les Etats » (2). Posé comme objectif, l’UNESCO pose la nécessité d’une éducation à la Culture de Paix et à ses valeurs. Nous reviendrons par la suite aux implications et aux enjeux posés par la Culture de Paix.

En observant les différents éléments de l’éducation pour la paix que sont la valeur préventive ou de reconstruction, ainsi que la valeur de transmission et de pédagogie, l’éducation sur la paix s’avère tournée vers l’avenir, peut être plus que tout autre thème de la paix. Les organisations pour une éducation à la paix s’adressent aux enfants et à la jeunesse. Ils s’adressent au milieu scolaire, pour établir des coopérations ou des interventions. Cette dimension est essentielle : on y voit apparaître, plus que dans les autres thèmes la vision d’un avenir à construire.

Cinq organisations s’engagent pour une éducation pour la paix et pour une culture de paix. Ils réunissent les différents aspects de l’éducation à la paix.

2. Les engagements pour l’éducation et la culture de paix.

Parmi les organisations européennes pour la paix engagées dans l’éducation, certaines s’engagent sur des thèmes précis, tandis que d’autres ont une approche plus globale de la transmission. Celles qui s’attachent à des thèmes plus précis ne se consacrent pas exclusivement à l’éducation.

Nous avons étudié le Centre de Soutien pour les Association et les Fondation, le SCAF, en Biélorussie, pour son engagement politique pour la promotion de la démocratie, le développement de la société civile et la sécurité. Au sein de cet engagement se situe son action éducative. Le Centre met en avant une éducation civique, ainsi qu’une éducation « à la construction de la confiance interethnique » (3) : il éduque aux valeurs essentielles de paix. Nous étudierons plus précisément la valeur de paix que présente la confiance interethnique. Au-delà de la transmission, le SCAF s’engage pour l’éducation elle-même posée comme valeur : il défend la démocratisation et la décentralisation du système scolaire, et participe au programme de l’UNESCO « éducation pour tous ». L’enseignement, l’éducation, la transmission sont défendues ici comme une valeur en soi, valeur qui présuppose la reconnaissance d’un droit à l’éducation pour tous, dans l’égalité.

La Fondation Russe pour la Paix s’attache également à des points précis d’éducation. Plutôt que de parler d’éducation au civisme elle soutient une éducation patriotique et morale. C’est dans le cadre de ce soutient que la Fondation entend défendre une culture de paix et une ouverture à l’autre. La notion de patriotisme peut ici être interrogée. Cette organisation est la seule à présenter une valeur patriotique, tandis que d’autres présentent des valeurs de civisme, de citoyenneté, de démocratie.

Que signifie le patriotisme ? Qu’implique une éducation au patriotisme ? Son implication pourrait être la transmission d’un attachement à la patrie. Comment transmettre cet attachement ? Cela requière des définitions, des normes, des choix et des orientations parmi des possibles. La normativité dans la cadre de l’attachement au pays, relatif et individuel, risque de présenter un certain risque, celui du nationalisme : il requière une définition de ce qu’est la nation et des règles pour s’y lier.

Dans ce même cadre éducatif s’intègre un programme de paix et de culture, où est soutenue une renaissance spirituelle en Russie, avec la collaboration de l’Eglise orthodoxe de Russie. La spiritualité est ici posée comme valeur de paix. Elle est hélas présentée ici dans le cadre de la seule religion du christianisme orthodoxe. Nous pouvons alors nous interroger une fois de plus sur le soutient d’une spiritualité en particulier dans le cadre d’une action de paix.

Un thème d’éducation apparaît assez rarement : celui de la mémoire. La Fondation Russe pour la Paix propose un programme de Mémoire, pour commémorer la « Victoire de la Grande Guerre Patriotique » de 1941-1945, le féroce conflit du Front Est pendant la Seconde Guerre Mondiale, entre l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique, déterminant pour la chute du Troisième Reich. Des rencontres intergénérationnelles sont organisées, entre jeunes et vétérans pour la mémoire des conflits. Cette action est particulièrement intéressante dans le cadre d’une éducation pour la paix. La compréhension de l’histoire, et sa mémoire est un outil de paix essentiel : il faut toujours se souvenir, ne jamais oublier ce qu’il s’est passé, pour que les faits ne se reproduisent jamais. L’Histoire peut être appréhendée comme un fait en soi, et il s’agit alors de la comprendre, comprendre ce qu’il s’est passé. L’éducation comme transmission participe de cette compréhension. Mais l’Histoire peut également s’appréhender comme une élaboration intellectuelle qu’il s’agit de construire. Ici, tirer les leçons de l’Histoire signifie s’impliquer dans « l’écriture » de l’Histoire à venir. De cette sorte, l’Histoire prise en compte dans l’éducation engage la responsabilité face à l’avenir. L’Histoire est une leçon pour l’avenir, et le rappel de l’histoire est peut être l’un des meilleurs moyen de transmettre les valeurs de paix que son la compréhension mutuel, le respect des différences, la démocratie, la non-violence, etc.

Le Centre Glencree en Irlande consacre également une partie de son action éducative à la mémoire. Situé sur d’anciens baraquements militaires anglais du XVIIIe siècle destiné à dissuader la rébellion irlandaise et à proximité d’un cimetière militaire allemand de la Seconde Guerre Mondiale, le Centre est un important lieu de mémoire des conflits. Il participe au programme de l’Union Européenne « programme des anciens combattants », où des rencontres et des échanges sont organisés entre des personnes ayant chacun vécu le conflit irlando-britannique d’une manière propre : participants armés, militaires, policiers, prisonniers, loyalistes, républicains, irlandais ou britanniques. Toutes les parties sont représentées, valorisant l’expérience personnelle du conflit : l’échange et la reconnaissances sont alors particulièrement précieux pour la paix, et la réconciliation.

Les actions du Centre Glencree ne se centrent pas essentiellement sur l’éducation, mais en sont la majorité. Le Centre parle alors davantage de partage et d’échange que d’éducation. L’action pour la Mémoire d’insère ici dans l’éducation par la transmission, l’échange, le partage. Les actions générales pour l’échange, telle la mémoire, se croisent avec les actions d’éducation plus précises : animations de groupes pour la compréhension mutuelle, la réflexion autour de la démocratie, la dignité humaine, etc.

L’éducation est abordée ici dans une globalité de compréhension mutuelle et d’échange, vers une réconciliation. La construction de la paix s’aborde ici clairement comme réconciliation. Parmi les organisations étudiées, Glencree semble appliquer l’éducation comme outil de paix de la manière la plus directe, en considérant la dimension de la réconciliation. La réconciliation par l’éducation trouve ici son application de paix la plus évidente.

Sur un plan plus global, deux organisations se consacrent entièrement à l’éducation pour la paix : le mouvement « Educateurs pour la Paix et la Compréhension Mutuelle » et la Fondation Culture de Paix.

Le mouvement des Educateurs pour la Paix et la Compréhension Mutuelle marque sa volonté de construire la paix par l’éducation. Il a pour but d’éduquer aux valeurs de paix, mais cette éducation a elle-même ses propres valeurs : intégrité et unité des environnements, coopération personnelle fructifiante entre les individus et les Etats, sans violence, tolérance, respect, harmonie, etc. Pour que l’éducation permette de construire la paix, le mouvement a élaboré un cadre théorique : le Model de Conception d’une Culture de Paix. Ici s’élabore donc par les méthodes pédagogiques et les théories une Culture de Paix en tant que telle. Il s’agit de la transmettre. Les thèmes à transmettre sont assez généraux : Droit, civisme, démocratie, non-violence, écologie, tolérance, santé. Ces thèmes s’accordent aux valeurs de paix posées par l’UNESCO, avec laquelle le mouvement coopère.

Pour la Fondation Culture de Paix, l’action pour l’éducation est moins ciblée sur le milieu scolaire. Il s’agit surtout d’encourager la recherche, le savoir, l’action de terrain ainsi que la transmission. Le cadre est large : il s’adresse aux institutions, organisations, acteurs engagés dans les valeurs de paix. La mobilisation en réseau est ici un point fort de la diffusion de la culture de paix. Le directeur de la Fondation, Federico Mayor Zaragoza a été Directeur général adjoint de l’UNESCO : la Fondation s’engage pour la Culture de Paix dans le cadre de la Déclaration et Plan d’action pour une Culture de Paix de l’ONU.

L’éducation est un outil primordial pour la paix. Il devient valeur par la transmission, l’échange et l’élaboration commune. L’éducation participe à la Culture de Paix.

La paix culturelle a mis en valeur jusqu’à présent l’échange, le partage, inclus dans le savoir et l’éducation. Nous retrouvons ces valeurs dans les thèmes du dialogue interculturel et de la diversité. Ce prochain thème d’étude est un thème fondamental de paix, et reste lié à l’éducation et au savoir : il s’agit de mieux connaître l’autre, et d’éduquer au partage, au rapprochement.

Dialogue et diversité interculturelle.

Contrairement au thème de l’éducation, le dialogue et la diversité interculturelle se pose directement comme valeur de paix chez tous les acteurs qui s’engagent pour la paix dans sa dimension interculturelle. Ainsi, chaque acteur mobilise différents outils pour soutenir l’interculturalité, et à l’intérieur de cette valeur, le dialogue et la diversité.

1. L’interculturalité : dialogue et diversité.

L’interculturalité est une valeur de paix plus qu’un outil : elle n’est pas un objet neutre et contient en elle-même la paix. Nous avons jusqu’à présent observé les ambiguïtés entre outil et valeur de paix dans les différents thèmes étudiés : il semble que ce thème soit le premier à se distinguer clairement comme valeur, puis à montrer ses différents outils mis en œuvre par différents acteurs européens.

Poser l’interculturalité comme valeur de paix signifie mettre en avant sa dimension éthique. Le mot grec ethos fait référence à la manière dont on mène sa vie, et ce vers quoi on tend. Ici, on peut comprendre l’interculturalité dans la manière de vivre-ensemble et ce vers quoi ce vivre-ensemble tend. Ainsi, l’interculturalité pour la paix est un choix éthique du vivre-ensemble : c’est le choix de vivre ensemble dans la paix.

Pour mieux comprendre l’interculturalité comme choix éthique, nous devons étudier ses implications, c’est à dire en quoi l’« inter » entre les cultures est-il une valeur de paix.

L’interculturalité est un terme global pour désigner l’échange entre les cultures. Le simple contact entre les cultures ne suffit pas à la paix : plus qu’un contact, l’interculturalité se veut échange, dialogue. Nous avons déjà montré l’importance de la dimension de l’échange au sein de la paix. Nous la retrouvons ici appliquée à la culture, au sens de la spécificité culturelle, individuelle et collective. Certaines organisations parlent de dialogue interethnique. Nous faisons ici le choix théorique et méthodologique de l’aborder sous la notion de dialogue interculturel. Ce choix est un parti pris de « fondre » la notion d’éthnie dans la notion de culture. La notion d’ethnie se distingue difficilement de la culture, dans la mesure où elle est une « communauté de langue et de culture » ensemble complexe de savoirs, croyances, arts, mœurs, droits, coutumes, tout usage de l’homme en société » (4). Il s’agit ici de parler de distinctions culturelles, c’est-à-dire d’un ensemble complexe de savoirs, croyances, arts, mœurs, droits, coutumes, tout usage de l’homme en société. Le point de dialogue, d’échange et de partage porte sur les différents aspects culturels.

Le « dialogue » interculturel, ou encore l’« échange », la « communication » sont mis en avant pour valoriser ce contact interculturel. La plupart des acteurs le posent comme tel pour impliquer la paix. Le SCAF et La Fondation Krzyzowa qualifient ces valeurs par les notions de confiance et d’amitié (5).

La diversité est corrélative au dialogue, au sein du thème de l’interculturel. Elle est un choix éthique du vivre-ensemble dans le respect de chacun tel qu’il est. Posée en valeur, la diversité implique une certaine richesse de l’interculturel. La valeur de la diversité implique l’enrichissement dans l’échange : chacun « gagne » à ce qu’il y ait une multiplicité de cultures, d’une part, et d’autre part, que ces cultures échangent, donc s’enrichissent mutuellement. On pourrait alors parler de « transculturalité », pour insister davantage sur l’échange dans ce qu’il a d’enrichissant pour chacune des parties.

L’interculturalité, dans le dialogue et la diversité est une valeur de paix : elle est le choix de vivre avec l’autre et de considérer comme valeur elle-même la différence. Quatre acteurs de paix européens s’engagent pour l’interculturalité, par des thèmes d’action variés.

2. Les outils pour l’interculturalité.

Les acteurs européens de paix engagés pour l’interculturalité ici étudiés se situent en Europe de l’Est et Centrale : Biélorussie, Roumanie, Hongrie et Pologne. La gestion de la diversité culturelle est particulièrement signifiante dans cette zone européenne où se rencontrent depuis toujours plusieurs cultures. A l’issue des horreurs de la Deuxième Guerre Mondiale et des totalitarismes, ces organisations font le choix du vivre ensemble dans la diversité et l’échange. Des thèmes de paix déjà étudiés auparavant se croisent pour être des outils de paix.

Parmi ses nombreux engagements pour la Paix, le SCAF – Centre de Soutien pour les Associations et les Fondations - en Biélorussie, s’engage pour l’interculturalité par les outils que sont le savoir et l’art. Il mène une action d’ « éducation à la construction d’une confiance interethnique ». Cette action éduque à aller vers l’autre, pour qu’une confiance s’instaure entre les groupes ethniques. Le second thème d’action est celui de l’art : la musique est outil de rencontre. Pour rassembler les gens de différents pays autour de valeurs communes, le SCAF soutien la promotion de la musique Rock biélorusse.

En Roumanie, le Centre de Ressources pour la Diversité Ethnoculturelle a pour objectif une « paix ethnoculturelle » (6) qui comprend la justice et la diversité. Son engagement s’inscrit dans sa volonté de faire partie du modèle européen, il fait le choix d’adhérer aux valeurs de paix européennes. Elle inclut donc l’interculturalité comme valeur européenne de paix. Ses outils sont le savoir, ainsi que le soutien des minorités ethniques. Son action de savoir et d’éducation consiste en deux choses : la ressource, et la mobilisation de l’histoire et de la mémoire. Le EDRC est un Centre de Ressources : il met au point des ressources théoriques, par la recherche et la documentation, pour partager et transmettre des connaissances. Un point plus précis de la recherche et de la transmission est celui de l’histoire : l’EDRC met au point une recherche centrée autour d’une histoire commune aux différentes communautés (7). L’histoire se mobilise donc ici pour créer une mémoire commune, rassembler des différences. En parallèle à l’éducation, l’EDRC soutient les minorités, elle lutte pour la reconnaissance des minorités. Le choix du soutien des minorités est une action directe dans la gestion du fait multiculturel, conformément à la théorie du droit des minorités de Will Kymlicka dans « La citoyenneté multiculturelle », paru en 1995.

Le rassemblement évoqué par la mobilisation de l’histoire se retrouve dans l’action de la Fondation Artemisszio, en Hongrie. Dans un engagement pour la transmission et l’enseignement, la Fondation participe au programme européen « European Generation Link » - lien générationnel européen –. Il s’agit de créer un lien citoyen européen par l’échange entre les générations autour d’une histoire commune. Cela apporte donc de la réflexion sur l’histoire, une meilleure compréhension de l’histoire européenne, et développe donc la tolérance et le refus des préjugés et de la xénophobie.

Sur le plan des savoirs également, la Fondation développe l’enseignement sur l’interculturalité et met au point des matériaux éducatifs et des méthodes. Elle mobilise des savoirs scientifiques, et plus particulièrement anthropologiques. Ainsi, elle s’engage éthiquement : la théorie scientifique donne lieu au choix éthique du vivre-ensemble dans l’interculturel. Centrée sur la « communication interculturelle », elle a une action de soutien pour l’intégration sociale des groupes « désavantagés socialement ou culturellement ». Dans sa présentation, la Fondation ne précise pas quels sont ces groupes. Nous imaginons donc qu’elle ne se spécialise pas autour des groupes ethniques. L’expression du « désavantage » culturel ou social est trop évasive, et reste à interroger : quel désavantage culturel pourrait présenter un groupe ? Cela laisse-t-il supposer qu’il y a des groupes dont la culture est plus avantageuses ou plus avantagée ? Cela signifie-t-il plutôt qu’il y aurait une culture et une société dominante qui désavantagerait certains groupes ? L’expression est trop générale, et témoigne mal, ici de l’action pour l’interculturel.

Enfin, la Fondation Artemisszio consacre une importante part de son activité au développement d’activités artistiques comme l’organisation d’expositions, de pièces de théâtre, etc. Les arts doivent ici permettre de communiquer sur une culture spécifique et de faire participer chacun dans un projet commun. Comme pour le SCAF, l’art doit alors permettre de rassembler les cultures par une coopération autour d’une œuvre commune. L’art serait alors un média de paix (8).

La Fondation Krzyzowa prend en compte l’art dans l’interculturel d’une manière plus intellectuelle et moins technique : elle propose des activités intellectuelles comme des séminaires sur l’art multiculturel, par exemple. L’art se mêle à l’éducation.

La Fondation Krzyzowa pour le Dialogue et la Compréhension Mutuelle, en Pologne, pose comme valeur de paix l’amitié entre les peuples et concentre son activité autour de l’éducation pour l’interculturalité. Le savoir et la transmission sont principalement axés sur l’Histoire. Née de la Résistance au nazisme, pour l’amitié entre les peuples, le Centre historique de la Fondation est particulièrement important. Il est Centre de rencontre pour les jeunes, et également université. Il mobilise la mémoire de plusieurs générations d’origines sociales et culturelles différentes pour la transmettre, et échanger.

Nous avons observé dans l’éducation l’importance de la vision d’avenir. Nous la retrouvons ici, dans la mémoire et l’histoire : l’histoire de tous et la mémoire de chacun est mobilisée par ces acteurs de paix en regard d’un avenir. Ces actions s’adressent aux jeunes pour que l’histoire leur rappelle la valeur de paix qu’est l’interculturel, dans la diversité et le dialogue.

Nous retrouvons dans ce thème de l’interculturel les thèmes précédents : le savoir, l’éducation. Si nous les avons distingués, c’est pour montrer que chez chaque acteur qui s’engage pour elle, l’interculturalité est sans ambiguïté une valeur. En l’étudiant comme valeur, nous avons pu montrer qu’elle impliquait l’échange, ou le dialogue, ainsi que la diversité vécue comme un enrichissement.

La religion comme un cadre de paix.

Quelques organisations européennes abordent la paix par le thème religieux. Par opposition aux thèmes étudiés jusqu’à présent, la religion n’est pas un outil ou une valeur, mais un cadre de paix.

1. Spiritualité et Culture : un cadre pour la paix.

En tant qu’ensemble de croyances, de rites, de coutumes, la religion est un fait culturel aussi bien que spirituel. Ces deux dimensions font la spécificité de la religion pour la paix : elle offre un cadre particulier pour la paix, par l’ensemble des croyances qu’elle mobilise, de la foi et de la morale qu’elle élabore.

La religion intègre la paix au cœur d’une spiritualité : elle élabore dans un ensemble de croyances et de foi certaines valeurs morales. La paix s’intègre alors, pour les organisations religieuses pour la paix, dans l’ensemble de ces valeurs morales. Jusqu’à présent, les valeurs que nous avons abordées se posaient majoritairement comme valeurs éthiques, c’est-à-dire du « bien vivre-ensemble ». L’aspect moral va ici « plus loin », pour ainsi dire, que l’éthique. André Comte-Sponville, dans une conférence intitulée « Ethique, morale et politique », récapitule les différentes distinctions que les philosophes ont pu faire dans l’histoire. Si l’éthique et la morale ont toutes deux un caractère normatif, l’éthique répond à la question « comment vivre ? » tandis que la morale répond à la question « Que dois-je faire » (9).

Cela signifie que l’éthique concerne les normes posées pour un vivre-ensemble, et en l’occurrence, en ce qui concerne la paix, la question pourrait-être « comment vivre-ensemble dans la paix ? ». Ici s’inscrivent les valeurs éthiques de paix : l’égalité, la démocratie, le respect des droits de l’homme, etc. La morale dépasse le vivre-ensemble vers une norme absolue : « que devons-nous faire pour vivre dans la paix ? ». La question de l’agir et la question du devoir ne reviennent pas au même. Le devoir implique un absolu, une référence supérieure. En cela, nous pouvons dire avec des philosophes comme Deleuze, ou encore Comte-Sponville, que l’éthique a pour vocation d’être relative à un individu ou a un groupe d’individus, alors que la morale a pour vocation d’être absolue et universelle. En effet, nous pourrions dire que l’éthique est parmi les hommes, tandis que la morale, en étant un absolu, se veut au dessus des hommes, et ainsi, la norme posée par la morale les concernent tous.

Cet aspect abordé de la valeur morale nous laisse entrevoir en quoi la religion se lie à la paix. La morale fait référence à un absolu, un « au-dessus » des hommes. La religion institutionnalise donc la morale dans un cadre spirituel. Ainsi, la paix est une valeur morale comprise dans ce cadre même.

La religion est une institution sociale importante. Elle s’impose comme référent moral d’action. En tant que tel, nous pouvons mesurer son impact face aux enjeux de paix. Si la paix peut donc passer par la religion, la position de référent moral n’est toutefois pas un lien évident avec la paix elle-même. En effet, la religion est référent moral, une morale qui se veut universelle et absolue. Mais les religions de la planète sont très diversifiées : comment conjuguer spécificité religieuse et référent universel ? Si la religion peut servir la paix, elle pourrait aussi servir la guerre, en imposant une spécificité comme universel.

A ce niveau, la religion peut servir la paix par le dialogue inter-religieux. Nous avons étudié le dialogue interculturel comme outil et valeur de paix. Nous pouvons ici poser le dialogue inter-religieux comme corrélat, en considérant que la religion est un fait culturel proposant une dimension identitaire. La paix passe aussi par l’instauration d’un dialogue religieux qui implique un respect des différences et un rassemblement autour de valeurs communes.

Dans le vivre-ensemble, les hommes s’attachent à assumer ce qui les distinguent les uns des autres, dans la constitution d’une identité personnelle comme collective. La religion, dans sa dimension culturelle, distingue des identités collectives. C’est à ce niveau que la religion pourrait être considérée comme source de conflit : elle peut être la cause de guerre entre deux identités collectives. A partir de cette même dimension culturelle, la religion peut devenir source de paix en stimulant le dialogue inter-religieux, et par lui le respect, voire la valorisation de la différence.

En s’associant au spirituel, la religion-culture met davantage en avant ce qui unit les hommes entre eux, et devient ainsi cadre de paix : elle pose des valeurs morales universelles pour un vivre-ensemble dans la paix, réunissant les hommes autour d’une communauté de valeurs. Nous pouvons donc dire que c’est par la spiritualité que la religion dépasse le conflit : le conflit de religion pourrait en fait être surtout un conflit culturel, ou identitaire.

Par rapport au dialogue interculturel, une dimension spirituelle est donc contenue dans les organisations européennes religieuses : elles incluent la paix dans une spiritualité qui guide leur action.

2. Les actions de paix et leur visée religieuse.

Le thème de la religion n’est quasiment jamais abordé au-delà des organisations spécifiquement religieuses. Les organisations que nous avons étudiées jusqu’à présent évoquent des valeurs, sans évoquer de morale en tant que telle. Les organisations religieuses en appellent plus clairement à la morale et à la foi.

Il apparaît donc que le thème du spirituel et du religieux soit spécifiques aux organisations religieuses, qui sont pour la majorité des communautés religieuses ou des regroupements communautaires. La majorité des acteurs religieux pour la paix spécifiquement européens, ou tout du moins ceux qui ont le plus de visibilité, sont chrétiens.

Avant d’étudier les communautés pour la paix, nous devons observer la présence du thème de la spiritualité dans l’organisation Russe « Russian Peace Foundation ». Parmi ses actions culturelles, la RPF inclut un programme de diffusion d’une culture de paix et de non-violence. Elle fait le choix de passer ici par la spiritualité, en collaborant avec l’Eglise russe orthodoxe et d’autres institutions religieuses, pour promouvoir une « renaissance spirituelle » en Russie. La moralité est ici directement impliquée. Le terme de « renaissance spirituelle » reste cependant encore trop vague, au regard de l’aspect culturel de la religion. On peut s’interroger : de quelle spiritualité s’agit-il ? On ne voit apparaître ici que l’Eglise chrétienne russe orthodoxe. Culturellement, cette religion est une religion spécifique parmi les multiples religions présentes sur le territoire russe. Au regard de l’aspect culturel, la spiritualité dont il est ici question ne risque t’elle pas d’être trop spécifique ?

Les trois organisations que nous allons étudier ont un rôle politique, et une approche globale de paix.

Le Conseil Quaker des Affaires Européennes - QCEA -, localisé en Belgique, joue un rôle politique très spécifique. Il s’engage à unifier l’Europe et ses institutions autour de valeurs quakers. Ces valeurs sont la paix, l’égalité, l’intégrité, la simplicité, ainsi que le refus de la violence. Ainsi, de la recherche théorique à l’action directe dans les institutions, le QCEA offre un champ d’application à ses valeurs spirituelles, sur les thèmes suivants : paix, droits de l’homme, justice économique, futur de l’Europe. En intégrant des valeurs morales aux actions européennes, le Conseil accorde au projet européen une dimension spirituelle et morale, celui d’une paix universelle.

L’organisation « Aide de l’Eglise Norvégienne » - NCA - intègre la paix dans un cadre de solidarité, de responsabilité et de réciprocité. L’action de cette organisation formée par l’association d’églises norvégiennes est politique, culturelle, humanitaire et environnementale. Elle offre une aide d’urgence, lutte contre la pauvreté, et travaille autour de la justice, de la paix et des droits de l’homme sur un plan principalement pratique. Pour installer une valeur morale de réciprocité et de responsabilité, elle œuvre pour un rapprochement interculturel entre les peuples. Elle cherche à montrer que la paix est un processus à double sens : il n’y a pas « un sauveur » face à « un sauvé » : chacun trouve un enrichissement dans la paix. Ici, nous pourrions davantage parler de « transculturalité » que d’« interculturalité » : les cultures ne sont pas en simple échange, mais sont influencées les unes par les autres, dans un enrichissement mutuel. L’interculturalité est ici posée comme une valeur morale, intégrée dans une spiritualité chrétienne.

La Communauté catholique de Sant’Egidio a un rôle politique de relations internationales. Son action politique est toujours réalisée sous une visée religieuse. Elle s’appuie sur le Concile de Vatican II, référent moral et spirituel, pour agir pour la paix : ses valeurs sont la paix, le dialogue et l’amitié entre les religions. Son action pour la paix est globale : elle établit des médiations, des actions humanitaires, des rapprochements entre les religions, notamment entre juifs, catholiques et musulmans. Si elle se base sur une spiritualité religieuse, la Communauté Sant’Egidio insiste sur le fait que ces valeurs sont laïques, pour être au plus près du monde contemporain interculturel et de ses enjeux.

Par la dimension culturelle et la dimension spirituelle, la religion offre un cadre pour la paix. Dans ce cadre, les valeurs transmises s’appliquent dans une action globale de paix : politique, humanitaire, écologique, culturelle, etc.

C’est dans le thème de la religion et ses valeurs que nous pouvons observer l’approche de la paix la plus globale, c’est-à-dire qui prend en compte les éléments sociaux, culturels, politiques, économiques, sanitaires, qui la constitue.

Les actions culturelles pour la paix se déclinent du savoir à la religion. Ainsi, la culture est un outil pour construire la paix, mais elle mobilise également des valeurs éthiques et morales pour la paix, telles que le partage, le respect de la différence, l’amitié pour l’autre. Ainsi, le savoir est un outil pratique, utilisé à des fins techniques pour la paix, mais est également une valeur en tant que telle, véhiculant un esprit de paix, élaboré comme une « Culture de paix ». A côté de l’aspect pratique utilitaire, le savoir est ici à transmettre, dans l’éducation, pour diffuser la Culture de paix. Il a une valeur en lui-même. Dans cette Culture de paix est présente la valeur de l’échange interculturel. Le dialogue interculturel est entendu comme un outil de paix lorsqu’il mobilise des techniques et des pratiques utilisées pour la rencontre entre les cultures, par exemple l’art, et il est valeur éthique, c’est-à-dire une règle du vivre-ensemble, règle qui est en elle-même porteuse de paix, plus particulièrement sur les dimensions de partage et de dialogue contenues dans la paix. Corrélativement, la religion est une technique de paix, lorsqu’elle mobilise les pratiques de construction de paix utilisée sur le terrain, comme la médiation, le dialogue interreligieux, l’aide d’urgence, etc. La religion peut également être appréhendée comme valeur morale de paix : elle pose des règles universelles d’un « bien vivre-ensemble » (10). La paix se place ici dans un cadre spirituel et moral.

L’aspect culturel de la construction de la paix nous présente des valeurs éthiques et morales transversales : l’échange, le partage, le respect de la diversité, l’amitié entre les peuples. Nous pouvons réunir ces valeurs à la fois éthiques, à savoir des normes pour vivre ensemble, et morales, à savoir des normes pour «bien » (11) vivre ensemble à l’intérieur de la notion de « solidarité », que l’on retrouve posée par de nombreux acteurs, et qui trouvent une application pratique dans l’action humanitaire.

La religion pourrait être un aspect de l’interculturalité, étant donné qu’elle est un fait culturel, et qu’elle contient les valeurs d’échange et de dialogue. Nous devons cependant l’étudier de manière indépendante, dans la mesure où les acteurs religieux de paix en Europe ne posent pas spécifiquement l’interculturel. Il y est pris dans une globalité, celle de la spiritualité.

Notes

  • (1) : Dans la langue allemande, on pourrait l’appeler Bildung, par opposition à la Kultur, qui caractérise d’avantage le patrimoine artistique, ou encore éthique et moral, et la spécificité collective d’un groupe social. Au XIXé, la Kultur désignait la spécificité allemande.

  • (2) : Document Unesco sur site de la Culture de Paix www3.unesco.org/iycp/fr/fr_sum_cp.htm

  • (3) : Cf. Fiche première partie

  • (4) : Article « ethnie », Dictionnaire Petit Larousse

  • (5) : CF fiches Centre de Soutient pour les Associations et les Fondations et Fondation Krzyzowa

  • (6) : Cf fiche Centre de Ressources pour la Diversité Ethnoculturelle

  • (7) : Les communautés ethniques les plus importantes en Roumanie sont les hongrois, les tziganes, puis les allemands, les serbes, les croates…

  • (8) : « Média » dans le sens de la médiation, comme outil de paix par la médiation entre cultures, et à la fois média comme transmission de paix, d’image ou d’une œuvre de paix.

  • (9) : André Comte-Sponville, Conférence « Ethique, morale et politique », sergecar.club.fr/textes_2/comte_sponville2.htm

  • (10)et(11) : « Bien » : c’est-à-dire par rapport à des idées, des croyances particulières mobilisées dans le cadre d’une foi particulière. La définition du bien est relative à la spiritualité qui l’élabore. Elaborée relativement, elle se veut cependant absolue et universelle.