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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Lyon, septembre 2004

Une force internationale d’intervention civile pour le Proche-Orient

Pour sortir de la logique de guerre ; pour renforcer l’espace de dialogue des acteurs de paix ; pour créer les conditions d’une solution politique au conflit.

Mots clefs : | | | |

  • Un objectif la réduction du niveau de violence au Proche-Orient.

  • Une stratégie la « double dissuasion » des violences directement ou indirectement subies par les populations israélienne et palestinienne.

  • Une tactique le déploiement « doublement partisan » de volontaires internationaux sur les territoires d’Israël et de Palestine.

  • Des moyens la réalisation d’actions internationales de présence, d’accompagnement, d’observation, d’information et de médiation au cœur des sociétés civiles.

I. Quelques considérations

A. La solution ne sera pas militaire

  • Au Proche-Orient, la violence et la force armée ont démontré leur incapacité à permettre une résolution juste et durable du conflit qui oppose, depuis plus d’un demi siècle, Israéliens et Palestiniens.

  • Violence et force armée ont dépossédé du rapport de force les populations civiles et marginalisé les initiatives non-violentes de sortie du conflit, jusqu’à les rendre suspectes. Au final, violence et force armée n’ont apporté ni la sécurité aux Israéliens, ni la justice aux Palestiniens.

  • La violence n’est pas plus le droit de l’homme palestinien que de l’homme israélien. La révolte, la résistance à l’occupation, tout comme la prévention et la répression du terrorisme sont légitimes, pas l’assassinat.

  • La réduction du niveau de violence au Proche-Orient est la condition première d’un règlement politique du conflit israélo-palestinien. Agir en faveur d’une solution politique, c’est délégitimer la violence qui accapare aujourd’hui le rapport de force. C’est se donner les moyens d’agir de façon non militaire.

B. L’incontournable implication des sociétés civiles

  • La résolution du conflit ne sera pas le résultat exclusif de négociations au sommet. Les négociations ont bien entendu leur rôle à jouer et, à l’inverse, le conflit ne sera pas résolu par la seule mobilisation des sociétés civiles, mais de la capacité des réseaux de citoyens à s’organiser, s’exprimer, se faire écouter, convaincre et agir autour de dynamiques de sortie non-violente du conflit dépend l’avenir.

  • Aujourd’hui, les initiatives non-violentes des sociétés civiles sont freinées voire empêchées par les risques d’exactions à leur égard et par un espace politique restreint et dangereux. Renforcer leurs capacités d’initiative et leurs marges de manœuvre est essentiel.

C. L’urgence d’une tierce partie, la nécessité d’un double parti pris

  • La communauté internationale ne peut résoudre le conflit israélo-palestinien en lieu et place des belligérants. Elle doit cependant faire tout ce qui est en son pouvoir pour le permettre. Il en va de sa responsabilité et, d’ailleurs, à l’heure de la montée des communautarismes et du terrorisme international, de son propre intérêt.

  • C’est une évidence largement partagée par la plupart des acteurs et observateurs raisonnables du conflit : Israéliens et Palestiniens ne s’en sortiront pas sans tierce partie, tant au niveau des responsables politiques que des sociétés civiles.

  • Il existe des doutes et des suspicions quant à l’action des parties en conflit au regard du droit international et du droit humanitaire international concernant les atteintes aux populations civiles.

  • Il n’ y aura pas de solution avec la victoire d’un camp contre l’autre. Il n’y aura de solution au conflit qu’avec la victoire des deux belligérants.

  • Une force internationale d’intervention civile doit intégrer, dans ses principes comme dans sa pratique, une « double solidarité » avec les peuples du Proche-Orient.

II. Caractéristiques générales

A. Les volontaires

  • a. Visibilité. Les volontaires internationaux sont des volontaires civils. Ils ne sont pas armés et l’affichent. Ils peuvent être facilement identifiés par leur tenue.

  • b. Equipes. Les volontaires internationaux sont organisés en équipes de quatre. Afin de favoriser la prise de décision par consensus en cas de situation de crise : deux contre deux et non deux contre un.

  • c. Déploiement. Les volontaires internationaux sont déployés sur les territoires d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza.

  • d. Rotations. Les équipes de volontaires internationaux alternent, par roulement et suivant une fréquence à définir (mensuelle, hebdomadaire…), déploiement en Israël et déploiement dans les Territoires palestiniens.

  • e. Formation. Les volontaires internationaux bénéficient d’une formation préalable à la gestion des situations de crise et à la résolution non-violente des conflits. Ils sont préparés à agir dans des situations d’insécurité, un suivi psychologique leur est fourni pendant et après leur temps d’engagement. Ils parlent anglais et disposent des bases linguistiques en arabe et en hébreu.

B. L’organisation

  • a. Structure mandataire. La structure décisionnaire dont les volontaires internationaux dépendent est composée de personnels civils (diplomates, fonctionnaires internationaux, personnalités morales…). Il revient à cette structure, sur proposition du centre de coordination, de valider la compatibilité des orientations politiques des organisations régionales que les volontaires internationaux sont amenés à accompagner avec les principes sur lesquelles se fondent leur mission (respect de la légalité internationale, choix de la non-violence, reconnaissance des résolutions de l’ONU). Les volontaires internationaux ne dépendent pas d’une administration militaire.

  • b. Coordination. Un centre de coordination des volontaires est chargé du débriefing régulier des équipes déployée sur le terrain, du recueil et de la communication publique de leurs observations, ainsi que du lien avec la structure mandataire. Le centre de coordination se charge également de l’évaluation des demandes d’accompagnement et de protection formulées par les acteurs civils du conflit.

  • c. Choix des sites. Le choix des sites de déploiement est défini en lien avec les représentants des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes (associations, élus locaux…), les Organisations Non- Gouvernementales (ONG), et les Organisations Inter-Gouvernementales (OIG) présentes sur le terrain. Les autorités compétentes (État israélien ou Autorité palestinienne) en sont systématiquement informées.

  • d. Gestion de la sécurité. Les volontaires internationaux ont pour premier objectif la protection de leur propre intégrité. Si la fonction dissuasive de leur présence s’avère aléatoire, ils se contentent d’un travail d’observation. Les volontaires internationaux ne prennent pas le risque d’invalider le caractère « doublement partisan » de leur engagement en prenant, par exemple, l’initiative d’action d’interposition non préméditées.

C. Aspects politiques

  • a. Référents institutionnels. La force internationale d’intervention civile pour le Proche-Orient est placée sous la responsabilité du « Quartet », composé des USA, de l’ONU, de l’UE et de la Russie, qui en assure le financement et le suivi décisionnel. Le pilotage et la gestion logistique de la mission sont assurés, par délégation du Quartette, par l’Union Européenne – initiatrice du projet.

  • b. Discrétion de l’initiative. Au moins dans sa phase expérimentale, aucune publicité n’est faite du déploiement des volontaires internationaux. Ceci afin d’épargner aux belligérants l’expression soit d’un refus aux conséquences désastreuses aux yeux de l’opinion mondiale, soit d’une acceptation susceptible d’être interprétée comme un aveu de faiblesse par l’adversaire.

D. Mandat

  • a. Protection. Les volontaires internationaux ont pour mission de participer à la protection des populations civiles israéliennes et palestiniennes face aux violences directement ou indirectement subies du fait de leur présence dans une zone de conflit. La mission de protection comprend la protection de l’espace politique dont les acteurs civils ont besoin pour agir.

  • b. Observation et présence dissuasive. Les volontaires internationaux sont chargés de réaliser des actions de présence et d’observation dans tous les lieux susceptibles d’être la cible de violations du droit humanitaire international par les acteurs armés du conflit. Soit, en Israël comme dans les Territoires palestiniens, le maximum de sites pouvant être ou ayant été la cible soit du terrorisme palestinien soit des actions militaires israéliennes, à l’exception des zones de colonisation israélienne (illégales au regard du droit international).

  • c. Accompagnement et observation participante. Les volontaires internationaux peuvent être sollicités par les organisations des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes pour accompagner toute action non-violente d’expression, de protestation, de revendication et d’une manière générale de résistance à la militarisation du conflit, sur la base des principes (voir 5 c.) sur lesquels se fonde l’action de la force internationale d’intervention civile. Par action non-violente est entendu : manifestations, grèves, opérations de non-collaboration, actions de désobéissance civile.

  • d. Information. Les volontaires internationaux réalisent des comptes-rendus réguliers de leur action. Ils témoignent de ce qu’ils ont observé. Leurs rapports sont publics. Les volontaires internationaux sont convocables et à la disposition des enquêteurs en cas d’exaction constatée ou de toute autre question relative à des violations des droits humains. Les volontaires internationaux réalisent un suivi des actions judiciaires et veillent au déroulement effectif des procédures.

  • e. Médiation. Les volontaires internationaux sont habilités à mettre en place, initier, encourager, soutenir tous processus de médiation intra ou intercommunautaire.

  • f. Communication. Les volontaires internationaux disposent d’un pouvoir d’initiative en matière d’organisation d’événements ayant pour but la promotion de la paix (conférences, campagnes de sensibilisation, projets de coopération économique…).

  • g. Formation. Les volontaires internationaux sont habilités à animer des sessions pratiques de formation et de sensibilisation à la résolution non-violente des conflits.

E. Principes

  • a. Non ingérence. Les volontaires internationaux ne s’impliquent pas dans les affaires internes de l’Autorité Nationale Palestinienne ni de l’Etat d’Israël. Les volontaires internationaux ne sont les agents d’aucune solution politique globale ni d’aucun point d’accord ou de désaccord relatif aux problèmes posés par le conflit. L’objectif des volontaires internationaux est de permettre au Israéliens et aux Palestiniens de mener à bien un processus de discussion et de négociation, pas de se substituer à eux. Les volontaires internationaux n’agissent pas en faveur d’une solution politique définie, que ce soit au sujet de la souveraineté à Jérusalem, du tracé des frontières ou du problème du droit au retour. C’est aux Israéliens et aux Palestiniens que la discussion et la négociation de ces questions appartient.

  • b. Tierce partie. Les volontaires internationaux agissent en tant que « tiers médiateur », dans le but de recentrer le conflit sur son objet, de permettre aux acteurs civils de se réapproprier les termes du rapport de force et de disposer d’un espace sécurisé pour construire la paix.

  • c. Légalité. Les volontaires internationaux ne répondent aux sollicitations des organisations locales (demandes d’accompagnement, de présence dissuasive, d’observateurs) que dans la mesure où celles-ci utilisent des modes d’actions non-violents et reconnaissent les résolutions des Nations-Unies relatives au conflit israélo-palestinien. Les volontaires internationaux se réservent le droit de rappeler le cadre du droit international dans leurs actions d’information et de communication. La guerre menée au terrorisme ne dispense pas Israël du respect des Conventions de Genève, de même que la légitimité de la cause palestinienne n’autorise pas à perpétrer des crimes contre l’humanité.

  • d. Double parti-pris. Les volontaires internationaux agissent en faveur des populations civiles des deux parties. Leur action vise la satisfaction mutuelle des besoins de sécurité et d’existence nationale réclamés par les peuples du Proche-Orient. Les volontaires internationaux ne sont pas solidaires des uns contre les autres. Ils n’agissent pas en faveur de la victoire des uns sur les autres, mais en faveur d’une porte de sortie honorable pour l’ensemble des belligérants.

  • e. Rationalisation du conflit. Les volontaires internationaux, par leurs actions, ont la volonté de « dépassionner » les esprits et s’interdisent de jouer sur l’émotion, dont l’expression et la manifestation en Israël comme en Palestine, si elles sont bien compréhensibles, ne constituent pas et ne consisteront jamais en arguments sur lesquels s’appuyer pour construire le dialogue et de futures négociations.

III. Synthèse des objectifs

A. Objectif général et finalités

1. Objectif

Réduction conjoncturelle du niveau des violences subies par les populations civiles israéliennes et palestiniennes.

2. Effets attendus

  • Diminution des sentiments de peur et d’insécurité en Israël et en Palestine.

  • Renforcement de la capacité politique des belligérants à prendre des mesures contribuant à une réduction structurelle de la violence(1).

3. Finalités

  • Reprise des négociations et du processus de paix.

  • Résolution politique du conflit israélo-palestinien.

B. Objectifs opérationnels, effets attendus et finalités

1. Présence Dissuasive

Objectifs

Présence internationale sur les cibles potentielles :

  • Du terrorisme palestinien (lignes de bus, centres villes et sites religieux israéliens) ;

  • De l’anti-terrorisme israélien (camps de réfugiés, habitations palestiniennes menacées…).

Effets attendus

  • Sentiment de soutien et de réconfort pour les Israéliens et les Palestiniens.

  • Arrêt des attentats suicides contre des civils. Au minimum : réorientation de la résistance palestinienne armée contre des objectifs militaires et économiques. Au mieux : fin de la lutte armée.

  • Modération et meilleure discrimination des actions militaires israéliennes. Au minimum : arrêt des punitions collectives (couvre-feu, bouclage des Territoires), limitation des dommages collatéraux subis par des civils. Au mieux : fin des assassinats ciblés, retrait des Territoires occupés

Finalités

  • Effets politiques et stratégiques de la violence contre-productifs, neutralisation des acteurs armés.

  • Baisse de la tension et du sentiment d’insécurité.

2. Actions d’observation

Objectifs

Présence internationale sur les check point, barrages et points de passage dans les Territoires occupés.

Effets attendus

Dissuasion des brutalités et des humiliations à l’encontre des civils. Meilleure fluidité aux barrages. Diminution de leur nombre.

Finalités

Réorganisation de la vie politique, sociale et économique des Palestiniens(2).

3. Actions de protection

Objectifs

  • Accompagnement international de toutes initiatives de résistance non-violente et de promotion de la paix en Israël comme en Palestine

  • Le cas échéant : escorte non armée des « leaders » de la société civile menacés (tant en Israël qu’en Palestine)

Effets attendus

  • Recours privilégié aux méthodes et principes de l’action directe non-violente.

  • Mise en évidence de la possibilité d’un rapport de force non militaire (« la solution ne sera pas militaire »)

  • Visibilité accrue des leaders civils, meilleure écoute de leurs propos.

Finalités

  • Ouverture d’un espace de dialogue propice à l’expression de toutes les composantes des sociétés civiles.

  • Marginalisation des acteurs armés.

  • Mise en valeur et promotion des forces vives d’une résolution politique du conflit.

4. Actions de formation

Objectifs

Mise en place de formations aux principes et aux méthodes de la résolution non-violente des conflits (écoles, universités, associations…) en Israël et Palestine.

Effets attendus

Appropriation par les sociétés civiles de moyens d’action non-violents, d’abord pour elles-mêmes puis entre elles.

Finalités

  • Rejet des modes d’action violents.

  • Exigence populaire de modalités d’action non-violentes pour sortir du conflit.

5. Actions de médiation de proximité

Objectifs

Organisation de médiations dans les localités, quartiers où communautés israéliennes et palestiniennes se côtoient.

Effets attendus

Ouverture d’espaces de dialogue intercommunautaire.

Finalités

  • Création d’un terreau favorable à la discussion.

  • Déconstruction de la figure de l’ennemi.

6. Actions d’information

Objectifs

Diffusion de rapports et de comptes-rendus factuels sur la situation

Effets attendus

Contre-poids à la propagande et au traitement médiatique passionnel des événements.

Finalités

Augmentation de la transparence en matière d’information.

C. Objectifs préalables

La mise en œuvre d’une force internationale d’intervention civile à l’initiative d’organisations non-gouvernementales (ONG) pose le problème de la faisabilité matérielle et financière. Par ailleurs, il semble important, du point de vue de la légitimité, que ce soit des Etats qui assument et prennent le risque d’une implication concrète, et ambitieuse.

L’objectif est donc d’obtenir de l’Union Européenne une étude de faisabilité, sur le terrain et avec un premier contingent d’une centaine de volontaires formés, d’une force internationale d’intervention civile déployée sur les territoires d’Israël et de Palestine, en lien avec les organisations de la société civile et les ONG actives sur place.

Ce qui signifie :

  • Au niveau politique :

    • 1. Initiative de députés européens ;

    • 2. Résolution du Parlement européen ;

    • 3. Initiative de la Commission européenne ;

    • 4. Mission d’étude de l’UE ;

  • Au niveau pratique :

  • 1. Identification et accréditation des organisations israéliennes et palestiniennes répondant aux principes de la force d’intervention civile (3 mois).

  • 2. Définition d’un programme de formation, recrutement de formateurs, appel à volontaires (3 à 6 mois).

  • 3. Formation et préparation de 100 volontaires (3 à 6 mois).

  • 4. Déploiement sur le terrain pour une période expérimentale de 3 mois, renouvelable, de 20 équipes de quatre personnes plus un centre de coordination de 20 personnes)

  • 5. Évaluation à 12 mois

  • 6. Extension du dispositif à davantage de volontaires

Objectif : 2000 volontaires. Soit une proportion de 1 volontaire pour 6000 personnes.

IV. Arguments

A. Sur le caractère non-violent

« Des volontaires désarmés dans un contexte de violence, ce n’est pas efficace… »

La présence de volontaires internationaux dans une zone de conflit apporte en premier lieu un réconfort et un soutien moral aux populations vivant dans la peur, l’insécurité, avec le sentiment d’être oublié du monde. La deuxième fonction des volontaires est de pouvoir témoigner, le cas échéant, de violations manifestes des droits humains, ceci contribuant au recul de l’impunité.

Des volontaires civils, au demeurant, – des internationaux mais aussi des Israéliens – sont déjà à l’œuvre en Palestine. Par leurs actions de présence et d’observation sur des check point, dans les hôpitaux, dans les camps de réfugiés, en participant aux récoltes des olives ou en s‘opposant à la destruction de maisons palestiniennes, ils contribuent à la dissuasion des violences policières et militaires à l’encontre des civils.

« … ils vont servir de cible… »

Des volontaires affichant ostensiblement leur non armement ne sauraient constituer une menace pour personne. leur vulnérabilité est leur principale force et protection. Difficile de s’attaquer a des individus délibérément « sans défense », difficile de le justifier. Possible, mais difficile.

« … et c’est beaucoup trop dangereux. »

Le travail de volontaires désarmés dans un contexte de conflit n’est certes pas sans risque. Ils peuvent être la cible de provocations, de compromissions, d’agression et d’exactions visant à obtenir leur départ. On peut aussi imaginer que des groupes radicaux cherchent à mettre sur le compte de l’ennemi ou de factions adverses des actions commises à l’encontre des internationaux. Mais la possibilité de scenarii tels peut aussi inciter les organisations ayant recours a la lutte armée, par précaution autant que par anticipation, a s’engager publiquement a ne pas s’attaquer aux volontaires civils… en attendant qu’une telle attitude s’étende a l’ensemble des civils de la région.

« En somme, vous voulez envoyer des boucliers humains au Proche Orient. »

En aucun cas les volontaires internationaux ne sont des boucliers humains. Ils ne peuvent être considérés comme tels.

Les boucliers humains s’en remettent au bon vouloir de leur agresseur potentiel. Ils lui confient leur sécurité, ils en appellent à son humanité et font confiance à son sens du discernement. C’est un pari, un défi. Un bouclier humain est prêt à se sacrifier. C’est sa seule défense. Il n’est pas dit que cela suffise…

Les conditions de déploiement des volontaires internationaux ne sont pas laissées au hasard. Les volontaires internationaux ne s’exposent que dans la mesure où ils peuvent s’assurer de la dimension dissuasive de leur présence. Si l’efficacité dissuasive de leur présence est incertaine ou jugée incertaine, les volontaires ne se déploient pas ou se replient.

Les volontaires cherchent à disposer de garanties leur permettant d’estimer leur présence sinon respectée, du moins tolérée. Parmi ces garanties :

  • le soutien populaire. Autrement dit, via la proximité et l’insertion des volontaires au cœur et dans le quotidien des populations, l’évaluation positive de leur action par les opinions publiques ;

  • la réciprocité du travail de protection des civils. S’attaquer aux protecteurs de l’adversaire, c’est attaquer ses propres protecteurs ;

La transparence. Nul ne doit ignorer le mandat et les principes auxquels se réfèrent les volontaires.

« Seule une intervention militaire est à même de favoriser une issue au conflit. »

Un volet militaire sera sans doute envisagé dans le cadre du règlement du conflit, pour répondre aux exigences de sécurité des Israéliens et garantir la démilitarisation de la future nation palestinienne. D’ici là, rien n’est plus improbable, politiquement, qu‘une intervention militaire. D’abord, parce qu’il est illusoire de penser qu’Israël accepte la présence de forces armées étrangères (surtout mandatées par l’ONU) dans les Territoires palestiniens, et encore moins sur son propre territoire. Ce serait pour les Israéliens une provocation, une déclaration de guerre. Bien sûr, une intervention militaire de l’allié américain est sans doute envisageable. Mais on peut douter de son efficacité face à l’antiaméricanisme militant des populations arabes. Et on voit mal en quoi des soldats américains mèneraient la lutte antiterroriste d’Israël avec plus de succès que Tsahal, qui connaît le terrain.

D’autre part, si une force militaire d’interposition peut sans doute limiter la violence, ce n’est pas dans les attributions ni dans les compétences des soldats que de faire baisser la tension et de travailler à un rapprochement des deux populations.

B. Sur la dissuasion des attentats suicides

« Des volontaires désarmés ne seront pas efficaces contre les kamikazes. Ceux-ci ont pris la décision de mourir. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à tuer des Arabes dans leurs attaques. »

C’est une règle vérifiable : en zone de conflit, la vie d’un international n’a pas le même prix que la vie d’un ressortissant local. S’en prendre à un international, c’est attaquer une ambassade, un pays, des relations diplomatiques, des enjeux économiques, etc. Il est vrai que cela peut justement s’avérer problématique, comme la situation en Irak le montre. En Israël-Palestine cependant, c’est aussi et surtout prendre le risque de perdre la bataille des opinions publiques.

Quoi qu’il en soit, l’objectif des volontaires internationaux n’est pas d’empêcher l’attentat kamikaze au moment où il est sur le point d’être perpétré mais de dissuader ses commanditaires de le programmer et de l’organiser. Encore une fois, c’est la réciprocité du travail de protection des civils réalisé par les volontaires qui doit jouer : en effet, quel profit politique tirer de l’assassinat, dans une ligne de bus de Tel Aviv, de volontaires protégeant symboliquement et momentanément les Israéliens du terrorisme palestinien si ces volontaires sont les mêmes qui, à Jenine ou à un check point de Gaza, protègent les Palestiniens des exactions de Tsahal ? Quel profit politique tirer de l’assassinat des protecteurs de sa propre communauté ?

« Les groupes qui pratiquent le terrorisme n’ont rien à perdre, rien ne peut les arrêter. »

Les groupes terroristes n’agissent pas au hasard. Ils ne sont pas « irrationnels ». Ils évaluent le coût politique de leurs actions, ils doivent tenir compte de contraintes. Ils ont notamment besoin du soutien tacite de la population pour s’assurer couvertures, soutiens, recrues, et surtout légitimité. Le besoin qu’ont les groupes armés de ce soutien tacite de la population risque de rentrer en contradiction avec l’attachement de cette dernière pour la présence des volontaires.

Un attentat qui tuerait des volontaires internationaux risque de provoquer leur évacuation, non seulement d’Israël mais aussi des Territoires palestiniens. Si ces volontaires ont su se rendre indispensables, gagner la confiance de l’opinion palestinienne et contribuer à une diminution du niveau de violence, il est probable qu’il ne soit pas dans l’intérêt des groupes terroristes de s’en prendre à eux, même sur le sol israélien. Surtout dans un contexte où la popularité des attentats suicides, après trois ans d’Intifada, de représailles israéliennes et des milliers de victimes, faiblit.

Pour mémoire, la mort « accidentelle » (attribuée à des groupes palestiniens) d’observateurs de la TIPH à Hébron, en juin 2002, avait provoqué un scandale dans les états-majors palestiniens, officiels et officieux. Aucun groupe armé n’a jamais voulu assumer la responsabilité de cette « bavure ».

C. Sur la dissuasion des actions militaires israéliennes

« Les opérations militaires israéliennes se font sans discernement. Les bavures sont régulières et la pression sécuritaire justifie toutes les exactions. »

D’abord, les volontaires internationaux travaillent en amont de leur déploiement. Nul n’ignore leur présence. Leur faits et gestes sont publiquement annoncés.

Ensuite, le gouvernement israélien peut difficilement envisager que, parmi les victimes « collatérales » de ses « attaques ciblées » en Territoire palestinien se trouvent des volontaires internationaux chargés, par ailleurs, de la protection des Israéliens.

Victimes, mais surtout témoins potentiels, les volontaires internationaux peuvent ainsi amener Israël à modérer ses actions de représailles, notamment celles s’apparentant à des punitions collectives pour les Palestiniens.

« La mort de Rachel Corrie (volontaire ISM écrasée par un bulldozer israélien en 2003 alors qu’elle s’opposait à la destruction de maisons palestiniennes) témoigne de l‘impunité dont bénéficie Israël. »

Pour l’opinion israélienne, toute action de défense des Palestiniens est synonyme de justification du terrorisme à l’encontre d’Israël. Les autorités israéliennes ont pu passer la mort de Rachel Corrie par pertes et profits si facilement en raison du caractère « unilatéral » de son engagement. Si le dispositif de protection des Palestiniens a pour condition un dispositif de protection des Israéliens équivalent, autrement dit si les volontaires internationaux sont, de fait, les acteurs d’un « double engagement », l’amalgame n‘est plus aussi évident. Et l’impunité, pour Israël, moindre.

D’autre part, même si les volontaires internationaux ont pour mission de protéger les populations civiles israéliennes et palestiniennes, leur première priorité reste leur propre sécurité.

Le risque de bavure est déjà une réalité pour les travailleurs humanitaires présents sur le terrain. Les volontaires internationaux ont un rôle spécifique de témoignage que n’ont que fortuitement les travailleurs humanitaires.

D. Sur le double parti pris

« Les Israéliens n’ont besoin ni de la protection, ni de la solidarité de la communauté internationale. Ce sont quand même eux les agresseurs, eux les colonisateurs. Ils souffrent d’accord (les attentats suicides), mais quand même moins que les Palestiniens (l’occupa-tion, les privations, la répression). »

Le double engagement des volontaires internationaux est aussi difficile à admettre pour les Palestiniens que pour les Israéliens, tant les deux parties revendiquent le statut de victime.

A tort ou à raison - et qu’on le veuille ou non -, l’opinion publique israélienne est convaincue d’être en lutte pour sa survie : il faut la sécuriser aussi, ne serait-ce que symboliquement. Sinon, la moindre initiative de solidarité avec la cause palestinienne est perçue comme une agression. Par exemple, les volontaires des missions civiles de « protection du peuple palestinien » aujourd’hui en cours sont considérés comme des « terro-touristes » en Israël. Ne pas tenir compte de la psychose que vivent les Israéliens, c’est s’exposer à renforcer le sentiment de persécution qu’ils estiment - sans aller chercher trop loin dans l’histoire de leur communauté - subir.

« Protéger aussi bien les Israéliens que les Palestiniens, c’est renvoyer dos à dos agresseur et agressé. Or, ce conflit est asymétrique. On ne peut pas traiter de la même manière les souffrances des uns et celles des autres. »

Il faut, précisément, rétablir une symétrie entre les belligérants. Une symétrie qui ne soit pas celle des moyens armés ni de la capacité à désespérer l’autre, mais celle d’une égale aptitude au dialogue et à la reconnaissance des souffrances mutuelles. Les volontaires internationaux, via leur mise en œuvre d’une égalité de traitement des civils israéliens et palestiniens face aux violences, d’où qu’elles viennent, doivent être les agents d’une prise en compte équitable des besoins et des craintes de chaque partie. C’est à ces conditions qu’ils peuvent contribuer à l’émergence d’interlocuteurs valables réciproquement reconnus.

« Les leaders palestiniens ont refusé les propositions généreuses des Israéliens, à Camp David en 2000 et provoqué l’Intifada. Leur fournir une protection internationale, c’est encourager le jusqu’au-boutisme arabo-musulman qui veut la destruction d’Israël. »

Les modalités d’intervention des volontaires internationaux ne sont pas inconditionnelles. Elles visent à soutenir et à promouvoir des méthodes d’action non-violentes, du côté palestinien, susceptibles de marginaliser et de rendre impopulaires les agissements des factions armées.

D’autre part, les volontaires internationaux apprécient leurs conditions d’intervention et de déploiement sur la base des principes qui fondent leur action (voir II. 5)). Ainsi, ils peuvent être amenés à ne pas soutenir ni protéger d’actions - même non-violentes - revendiquant la disparition de l’Etat d’Israël, mais à le faire dans le cas d’initiatives en faveur de l’établissement d’un Etat binational.

E. Sur la faisabilité politique

« Jamais les autorités israéliennes n’accepteront le déploiement de volontaires internationaux. »

Les membres du « Quartette » ont les moyens de faire pression. Il serait préoccupant pour l’avenir qu’il n’y ait pas, de leur part, de volonté politique suffisante pour déployer au Proche-Orient quelques centaines de volontaires inoffensifs. Ce serait un aveu d’impuissance dramatique, augurant mal de la capacité des grandes puissances à faire aboutir la moindre « feuille de route » dans la région.

Bien sûr, l’idéal, aujourd’hui peu probable, est que les volontaires internationaux soient officiellement invités et par le gouvernement israélien et par l’Autorité palestinienne. Dans un premier temps, toutefois, pas besoin d’invitation. Même si une stratégie du fait accompli mécontenterait fortement un gouvernement Sharon, peut-il aller jusqu’à empêcher ou réprimer une initiative qui a pour but de protéger sa population ? Comment le justifier ? Le déploiement de volontaires désarmés sur un territoire n’est pas le déploiement d’une force d’occupation ni une déclaration de guerre.

D’autre part, les missions commenceront à titre expérimental, avec des effectifs réduits et, si possible, de façon discrète (inutile de défier les extrémistes de chaque camp en proclamant vouloir les neutraliser). L’objectif : que l’opinion israélienne adhère à l‘initiative, y voit son intérêt, et dissuade le gouvernement d’en empêcher la poursuite.

« Jamais on ne trouvera de volontaires prêts à s’engager. »

Les volontaires acceptant l’idée d’un double engagement ne seront probablement pas tous les mêmes que ceux prêts à s’investir exclusivement pour un camp ou pour l’autre. De là à juger que des volontaires manqueront à l’appel, il y a un pas. Dans l’hypothèse, enfin, d’une mission mandatée par l’UE, l’ONU ou le « Quartet » (regroupant UE, ONU, USA et Russie), un statut et une rémunération proportionnelle aux risques encourus seront garantis aux volontaires.

« Aucun responsable politique européen n’est prêt à prendre des risques concernant le conflit israélo-palestinien. »

Pas sûr. Avec la recrudescence des actes antisémites en particulier et la montée des communautarismes en général, les élus de tous bords sont candidats à des idées neuves. Les discours ne suffisent plus. Les actes purement symboliques non plus (match de foot entre jeunes israéliens et palestiniens…). A tel point que l’on peut sans doute envisager la participation d’élus européens à une équipe de volontaires pour marquer le coup (même si se poserait alors le problème de la discrétion…).

« Qui doit être le mandataire ? ONG, OIG, ONU ? »

Difficile de dire à l’avance qui est le mandataire idéal. A priori, il est difficile et dommageable de contourner les Nations-Unies, même si l’organisation est totalement discréditée aux yeux des Israéliens. Une chose est sûre, il serait contre productif de se passer des Américains, quelle que soit la couleur politique de leur prochaine administration.

Le scénario le plus logique, dans l’hypothèse d’une initiative européenne, est que le « Quartette » soutienne politiquement et financièrement la mission et en confie l’exécution à l’Union européenne ou à une organisation comme l’OSCE.

F. Sur les enjeux - quelles arrières-pensées ?

« Quels seront les positions de la force internationale sur les questions des frontières, de Jérusalem et du droit au retour ? »

Un seul objectif « politique » : la diminution du niveau de violence. C’est seulement quand la violence aura baissée que pourront être négociées, par les parties concernées (avec tierce partie internationale), les questions qui fâchent.

Le but des volontaires internationaux n’est pas de se faire porte-parole des uns ou des autres, de tel ou tel plan de paix ou « feuille de route. » Ce ne sont pas non plus les volontaires internationaux qui feront tomber la « clôture de sécurité » / « Mur de l’Apartheid » édifiée par Israël en Cisjordanie.

« Ce n’est pas en empêchant les violences que les Palestiniens obtiendront la justice. »

Une population qui n’a pas conscience de ses ressources en matière d’action non-violente n’a pas d’autre choix que la résignation ou la violence. En démontrant la faisabilité de l’action non-violente et en lui assurant une visibilité, les volontaires internationaux peuvent contribuer à rouvrir un espace de confrontation politique pour les citoyens de chaque partie, leur permettant de se réapproprier les termes d’un rapport de force actuellement otage de la violence.

Ce n’est certes pas l’absence de violence qui signifiera, mécaniquement, la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien. Plus sûrement toutefois, à terme, que son omniprésence.

Un processus de justice ne peut intervenir que dans un climat adapté, lorsque les combats ont cessé.

V. Perspectives

A. Un référendum israélo-palestinien sur « le choix des armes »

Pour consolider la dynamique de modération des violences espérée du déploiement d’une force internationale d’intervention civile au Proche-Orient, une consultation simultanée des Israéliens et des Palestiniens pourrait être organisée sur la question des moyens que les deux peuples demandent à leurs autorités de mettre en œuvre pour sortir du conflit.

L’objectif serait qu’une majorité écrasante des citoyens du Proche-Orient affirme, symboliquement, sa volonté de voir utilisée la négociation pour trouver une issue politique au conflit. Et que quiconque prône ou encourage ou alimente la violence soit discrédité par la mesure dans laquelle il n’est pas en phase avec la majorité des acteurs du conflit.

B. Un volontariat israélo-palestinien pour la paix

Les équipes de volontaires d’une force d’intervention civile au Proche-Orient devraient être progressivement ouvertes à des volontaires autochtones. Des équipes tripartites, composées par exemple d’un volontaire international, d’un volontaire israélien et d’un volontaire palestinien auraient un impact symbolique fort.

A terme, l’enjeu est l’institutionnalisation d’un volontariat civil pour la paix, commun aux israéliens et palestiniens, consistant en la participation à des actions de protection mutuelle des populations civiles.

Le mandat des volontaires serait alors élargi à un travail de coopération, d’information, de cogestion de questions de développement susceptible de créer un climat de confiance, de favoriser un règlement politique du conflit et surtout de jeter les bases d’une réconciliation régionale.

Ce volontariat serait, en particulier, destiné à l’ensemble des jeunesses des deux peuples. Après des décennies d’affrontement, il n’apparaît pas absurde que pour se relever des haines qui se sont installées, chaque jeune israélien et chaque jeune palestinien puisse s’engager pour une durée allant de 6 mois à un an, dans le but d’enfin connaître son frère-ennemi - et pour un jour le reconnaître, véritablement.

Ce volontariat pourrait participer à la réappropriation symbolique d’une Patrie (celle d’Israël-Palestine), en échange de l’acceptation d’une Nation (Palestinienne)(3). Cela préparerait aussi à la libre circulation des uns et des autres entre les deux Etats.

Notes

  • (1) : Fin de l’occupation, démantèlement des colonies, libération de prisonniers palestiniens pour Israël ; démilitarisation de l’Intifada, lutte contre la corruption pour l’Autorité palestinienne.

  • (2) : Libre circulation des étudiants, des scolaires, des services d’urgence et des marchandises.

  • (3) : Voir la thèse développée par le Palestinien Elias Sanbar à ce sujet in Le droit au retour, Sindbad / Actes Sud, 2002, « Le droit au retour est-il négociable ? », p. 375.