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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, San José, Costa Rica, 25 - 28 novembre 2009

Gouvernance, paix et stabilité ? Des questions mondiales, qui appellent des réponses spécifiques en Afrique

Panorama de la situation de la paix en Afrique de l’Ouest.

I. L’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique : qui sommes-nous ?

L’organisation que je coordonne qui a maintenant 10 ans s’appelle « l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique ». L’expérience est partie d’un dialogue que nous avons voulu un certain nombre d’acteurs africains, de différents pays d’Afrique de l’Ouest, de différents collèges (des acteurs du secteur privé, associatif et du secteur public) autour de la question de la gestion des affaires publiques.

Sur la base de cette démarche nous avons croisé la route de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) et nous avons commencé à faire fonctionner ce réseau de dialogue, à collecter l’expérience de différents acteurs de réseaux africains.

C’est tout ce travail de collecte de réflexion et d’analyse d’expérience qui nous a permis d’aboutir en 2003-2004 à une série de propositions pour améliorer les problématiques de gouvernance en Afrique.

Nous avons sorti un petit ouvrage : « Changer l’Afrique, 15 propositions pour commencer ».

Cet ouvrage a rencontré un tel enthousiasme auprès des différents acteurs, que nous avons décidé de créer une alliance sur la base de ces propositions. Toutes les difficultés que les pays africains rencontrent aussi bien du point de vue politique, qu’économique et même du point du vue du changement social tout simplement, étaient liées à la crise de gouvernance que nous mesurons au travers du décalage très perceptible pour tous ceux qui connaissent bien l’Afrique, qu’il y a aujourd’hui entre les institutions publiques en général et la société civile. Nous sommes partis d’analyses sur l’Afrique de l’Ouest, mais très vite nous avons essayé de prospecter et de donner une dimension continentale à nos réflexions. C’est ainsi que nous sommes très vite rentrés en dialogue avec les autres parties de l’Afrique, notamment à travers les acteurs de l’Union africaine et en novembre 2005 nous avons organisé un forum de gouvernance ; celui-ci nous a permis de voir que les différents enjeux pour une gouvernance en Afrique de l’Ouest se posaient également dans les autres parties d’Afrique.

La question que nous nous sommes posés : malgré la diversité de l’Afrique, quels sont les enjeux que nous avons par rapport à la gouvernance ? Et donc très vite, nous nous sommes rendu compte que même si les réponses étaient diverses les enjeux étaient les mêmes.

C’est pourquoi nous avons décidé d’établir un partenariat avec la commission de l’Union africaine qui se prolonge actuellement avec la mise en place d’un « Institut africain de la gouvernance », qui a son siège à Dakar et qui travaille à l’échelle du continent, avec un Conseil d’administration que j’ai l’honneur de présider et qui a comme ambition de réfléchir la gouvernance de l’Afrique à partir de l’Afrique. Sur la base des questions des acteurs africains et sur l’Afrique qui va à la rencontre du monde.

II. La gouvernance, de quoi parlons-nous ?

Quand on parle de la gouvernance on parle de beaucoup de choses (surtout sur un continent comme l’Afrique).

On parle surtout d’un concept dont les premiers promoteurs sont les organisations internationales comme la Banque Mondiale et le FMI. Devant les difficultés, voire, disons-le, les échecs que les programmes d’investissement structurel ont produit dans nos pays à partir de la fin des années 80, début des années 90 - qui se sont traduits peut être par une certaine croissance, mais une croissance dont les bénéfices ont été très mal partagés et qui a abouti à des crises sociales multiples dans pratiquement tous les pays - ces institutions, sont arrivées avec une approche de « gestion publique », mais très réductrice (elles avaient une approche de « bonne gouvernance » pour des actions ponctuelles : organiser des élections démocratiques, lutter contre la pollution…).

Or, la gouvernance est l’art de gérer de façon cohérente les enjeux d’une société, c’est la gestion cohérente des affaires communes à tout groupe humain constitué ; la gouvernance c’est donc la gestion des cohérences. Elle est faite de la somme de valeurs éthiques et morales et de méthodes qui ne peuvent être séparées.

Comment gouverner ? Et comment se gouverner ? sont des questions éternelles, mais qui appellent des réponses spécifiques dans le temps et dans l’espace.

Les crises de gouvernance résultent en général des ruptures de cohésion, qui à leur tour induisent des conflits qui mettent en péril la paix et la stabilité des pays.

Cette thèse met en exergue 5 principes :

  • Il faut mettre les valeurs et les principes au cœur du débat sur la gouvernance : cela renvoie à la question de la légitimité, de la gouvernance légitime c’est-à-dire une gouvernance qui correspond aux valeurs partagées d’une société, d’un pays, d’un continent et même du monde ;

  • Il faut mettre l’expérience des acteurs au cœur du processus de refondation de la gouvernance : les meilleurs experts d’une question sont les acteurs eux-mêmes ; partons donc de l’expérience des acteurs pour réfléchir autour de la question de la gouvernance.

  • L’articulation de l’unité et de la diversité : ceci est fondamental pour nous en Afrique. Comment gérer les liens entre unité et diversité si nous voulons aller vers une gouvernance légitime ?

  • Il faut articuler les différentes échelles de gouvernance, du local au mondial.

  • Partir du local pour aller au global : partir de local pour refonder la gouvernance : nous nous trouvons dans des Etats qui ont été pensés et organisés par le haut et qui sont complètement en décalage avec les sociétés. Construire et repenser la gouvernance en partant du local permettrait de légitimer et de renforcer les institutions publiques.

Du point de vue de l’alliance, nous avons 4 champs de travail :

  • La gouvernance locale : la décentralisation de la gestion publique va dans le sens de la légitimation des institutions publiques qui deviennent alors plus fortes et sont plus aptes à créer les conditions de paix et de stabilité pour le développement.

  • Le pluralisme juridique et la cohabitation des légitimités. Pluralisme juridique parce que nous vivons dans des sociétés où plusieurs types de droits cohabitent et nous pensons qu’aujourd’hui, l’une des conditions de la stabilité c’est aussi de réfléchir à organiser la prise en compte de ce pluralisme. Cohabitation des légitimités, parce que plusieurs légitimités fondent la stabilité.

  • La prévention et la régulation des conflits : nos instruments anciens de prévention et de régulation ne fonctionnent plus et les sociétés refusent ou bien les instruments actuels ne fonctionnent pas non plus ; quand les conflits éclatent nous avons énormément de mal à les arrêter.

  • La gouvernance du développement : toutes les questions liées à la gestion des ressources naturelles, tout ce qui est lié aux crises alimentaires et tout ce qui est lié à la crise économique.

III. La crise de la gouvernance est mondiale

L’Afrique est caractérisée par les crises et ces crises menacent la paix.

La paupérisation, qui s’approfondie dans les pays dit en développement, n’épargne même pas certaines catégories sociales dans les pays riches. La crise financière a montré les limites d’un néo-libéralisme bâti sur le principe de la primauté du marché comme seul instrument de régulation sociale. Les sociétés semblent désarmées face à la dégradation de leurs environnements humains et naturels.

Le fossé entre les pays riches et les pays pauvres se creuse tous les jours un peu plus d’avantage.

En conséquence, les pays « pauvres » pour prévenir les crises sociales, ouvrent leurs portes et laissent partir les jeunes en quête d’un avenir meilleur. En face, les pays « riches » pour les mêmes raisons, ferment les leurs pour protéger leurs privilèges.

Les foyers de tension continuent à se multiplier partout dans le monde en dépit du démantèlement du bloc de l’Est et de la fin de la guerre froide car comme le pense Amin Malouf : la confrontation des idéologies a cédé la place à la confrontation des identités (1).

IV. Mais l’Afrique a ses spécificités

Malgré les évolutions politiques, économiques et institutionnelles sont en cours dans le continent… :

  • Un processus de désétatisation des économies avec les programmes d’ajustement structurel à partir du début des années 1980 ;

  • La mise en place des processus de construction de démocraties pluralistes suite à l’effondrement du Mur de Berlin et la Conférence de Baule pour les pays anciennes colonies de la France ;

  • La mise en place des réformes de décentralisation de la gestion des affaires publiques ;

  • Et enfin au plan interétatique, des initiatives d’intégration politique et économique sont en cours depuis plusieurs années.

Des tendances lourdes d’une crise dont la persistance met en péril la paix et stabilité des Etats sont :

  • Des conflits divers qui se généralisent à l’intérieur des pays et qui sont induits par les ruptures de cohésion politique, économique, sociale et même culturelle ;

  • Des difficultés persistantes d’accès des populations au service public de base (éducation, santé, eau et environnement sain) ;

  • Des ressources naturelles qui se dégradent en raison d’une population qui augmente et qui s’urbanise et donc les activités de production et d’échange s’ « informalisent » de plus en plus ;

  • Une marginalisation et une dépendance croissante du continent dans ses rapports avec le reste du monde.

Pourtant, l’Afrique ne manque pas d’atouts pour son développement - qui paraît de plus en plus hors de portée et auquel est substituée la lutte contre la pauvreté -, parmi eux :

  • La jeunesse de sa population (plus de la moitié de la population du continent a en effet moins de 15 ans) et l’ouverture de cette jeunesse sur le monde ;

  • L’immensité de ses ressources naturelles (minières, forestières ou animales) ;

  • Le potentiel culturel qui « vend » le mieux l’Afrique dans le monde ;

  • Et enfin sa diaspora présente et entreprenante sur tous les continents.

Dans ce contexte fait de paradoxes, les Etats et les institutions publiques semblent désarmés face à leur mission d’organisateurs de la délivrance du service public et de régulateurs de l’espace public. La faiblesse des administrations publiques et leur incapacité persistante à mobiliser les ressources humaines et financières internes au pays et à les utiliser judicieusement pour le bien être des populations ont finies par ôter toutes crédibilités aux institutions publiques. Les modèles de démocratie représentative en construction semblent en inadéquation avec les références des sociétés qu’ils sont sensés libérer. Et enfin l’encadrement exercé sur les autorités publiques nationales par « la communauté internationale » à travers l’aide et les accords internationaux, finissent par décrédibiliser tout le leadership public dans le continent.

La persistance, voire l’exacerbation de tous ces phénomènes, qui a installé des pratiques de mauvaise gouvernance, après cinq décennies d’indépendance, révèlent une crise profonde de l’action publique qui est la spécificité de l’Afrique dans un monde en crise.

V. Cette crise révèle d’abord des limites du cadre et des modèles de gestion publique en cours

Les Etats érigés après les indépendances au cours des années 1960 ont encore du mal à être un cadre de réalisation d’un destin commun pour les populations, d’où leur faible légitimité historique qui vient s’ajouter à une faible capacité de mobilisation des populations et de leurs ressources. Les modèles d’administration qui ont été construits à l’indépendance ont prolongé les habitudes et les attitudes des administrations coloniales bâties sur des références extérieures. La centralisation excessive de la gestion publique, la brutalité ou le clientélisme sont demeurés les seuls rapports entre les administrations publiques des nouveaux Etats et leurs administrés. À force de méfiance, les communautés rurales et urbaines ont développé des attitudes perverses vis-à-vis de l’Etat national qui est resté un corps étranger.

Le décalage entre les institutions étatiques et les communautés semble être la caractéristique la plus prégnante de la crise de l’Etat et de la gestion publique en Afrique.

VI. L’Afrique, tout en restant ouverte au monde, doit donc mettre en œuvre des stratégies capables de faire émerger des formes de gouvernance adaptées à ses spécificités.

Cette démarche doit conduire nécessairement à la refondation de l’Etat centralisé postcolonial à travers la décentralisation de la gestion publique et l’intégration des pays au niveau régional et continental. Ces deux axes doivent être les principaux leviers du changement qui permettraient d’inverser les tendances actuelles et surtout de reconstruire la paix et la stabilité.

L’analyse part du fait que le sous-développement de l’Afrique relève, au-delà de la mauvaise gestion publique, de l’inadéquation des options et des pratiques de gouvernance promues par rapport aux attentes de ses populations et que, toute stratégie de sortie de crise ne peut être articulée que sur une véritable démarche de refondation de l’Etat en Afrique.

Cette refondation demande que les africains portent un nouveau regard sur leurs sociétés pour retrouver le sens et les valeurs qui guident les activités humaines et partent des réalités, des expériences et non des dogmes élaborés dans les institutions internationales.

L’Afrique doit retrouver l’estime de soi même pour mériter le respect des autres.

La décentralisation de la gestion publique pour construire des institutions fortes et légitimes et l’intégration des pays pour exister dans un monde qui se globalise sont au cœur des stratégies de construction de toute gouvernance qui contribue à la construction de la paix et de la stabilité. Ceci est la condition du développement en Afrique.

Notes

  • (1) : Le dérèglement du monde Amin Malouf septembre 2009, éd. Grasset.