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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de défi Dossier : La formation des volontaires de paix

Cluj, Roumanie, 2007

Les défis politiques dans la formation à la paix

Comme tout autre type de formation, la formation à la paix soulève de nombreuses questions auxquelles nous nous devons de répondre afin de garantir sa qualité

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Les défis politiques touchent à la relation entre la formation et la manière dont les parties externes s’engagent dans le règlement des conflits. Cela inclut leurs objectifs et leurs programmes. Les défis politiques comprennent également la relation entre les États, les organisations internationales et les sociétés civiles mondiale et locale et leur influence sur la formation. Il convient également de mentionner les défis politiques inhérents au processus d’apprentissage lui-même.

Les défis politiques sont très étroitement liés au débat sur l’objectif de la formation à la paix, qui est de préparer des individus à avoir une influence positive sur le conflit. Les différents acteurs ont des points de vue disparates quant à la manière de réaliser cela le plus efficacement possible. Par conséquent, il existe parfois une tension entre, d’une part, les processus de paix traditionnels menés par les États (la diplomatie officielle) et par l’armée et, d’autre part, les processus engagés par des civils, qui résultent de traditions telles que la non-violence active et le dialogue à la base.

Les deux approches luttent chacune à leur façon pour trouver des solutions aux problèmes contemporains de violence généralisée et de guerre. De nombreuses organisations engagées dans des mouvements pour la paix pensent que l’intervention civile dans les conflits peut se substituer de façon viable, ou est en tous cas un complément nécessaire, aux processus mis en œuvre par les États. Ceci concerne par exemple des organisations de maintien de la paix telles que Brigades de paix internationales ou Nonviolent Peaceforce. Les progrès des opérations de terrain menées par des organisations gouvernementales internationales comme les Nations unies et l’OSCE ont commencé à éveiller la conscience de nombreuses institutions étatiques quant à l’importance de la participation de la société civile locale et du rôle des ONG internationales dans les processus de paix. Les États et les organisations internationales, de la même façon, ont commencé à reconnaître qu’il était important de renforcer leur propre contribution à la construction de la paix et donc leurs infrastructures et leurs capacités.

Ce mouvement a conduit, au cours des dernières années, à la création de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies, de l’Unité de soutien à la médiation du Département des affaires politiques des Nations unies, et du programme conjoint PNUD-DAP visant au renforcement des capacités nationales de résolution des conflits. Dans plusieurs pays, il existe également maintenant des campagnes pour la création de départements ou de ministères de la Paix, le gouvernement népalais fournissant l’un des exemples les plus récents de création de ce type d’infrastructure au niveau gouvernemental. Au cours des quelques dernières années, des formes de coopération entre les États et les acteurs de la société civile sont même nées ; le service civil de paix allemand (1) en constitue un exemple majeur.

Dans le domaine de la formation, cette dualité des approches est moins visible. Les idées et programmes développés au départ pour les acteurs de la société civile ont été adoptés pour former les agents de l’ONU, de l’OSCE, de l’UE et des États à des missions de maintien et de construction de la paix, et vice versa. Des organisations telles que le projet Peaceworkers d’International Alert, PATRIR et l’ASPR sont des précurseurs dans la tentative de combinaison d’idéologies de formation autrefois rivales visant à créer des moyens mieux acceptés et plus efficaces de préparer les personnes à travailler dans et sur le conflit. Alors qu’une division subsiste entre ceux qui pensent que les méthodes les plus efficaces sont des processus de paix politiques, dirigés par les États, et ceux qui pensent que ce sont des méthodes fondées sur les communautés locales, les deux parties sont nécessaires à la transformation des conflits profondément enracinés. C’est pourquoi il est encourageant de constater certains points de synergie au niveau de la formation.

La préparation des personnes à des missions complexes « multidimensionnelles », c’est-à-dire au cours desquelles du personnel militaire de maintien de la paix travaille aux côtés d’intervenants de paix d’organisations internationales, d’ONG, de partenaires locaux et d’autres groupes issus de la société civile, constitue un autre défi politique. Des missions de ce type peuvent être à l’origine de problèmes de coordination entre des agences intervenantes ayant des approches, des cultures organisationnelles, des philosophies d’intervention et des objectifs politiques différents, et qui doivent trouver des moyens compatibles de collaborer. D’une part, un niveau élevé de coordination est impératif, à la fois pour assurer la sécurité de ceux travaillant sur le terrain et pour produire un effet positif sur les conflits violents ; d’autre part, une trop grande fusion des techniques et des rôles risque de limiter la diversité des approches nécessaires à la réalisation de changements sociaux constructifs. La Folke Bernadotte Academy, en Suède, constitue un exemple d’institution de formation se concentrant largement sur le développement de la capacité des acteurs sur le terrain – société civile, militaires, gouvernement, ONU et organisations internationales – à coopérer et à interagir les uns avec les autres en utilisant des simulations et des jeux de rôle et variés et très bien conçus.

Ce problème de coordination est d’autant plus compliqué qu’au cours d’opérations multidimensionnelles, de nombreuses ONG agissent dans des environnements très peu sûrs. Souvent, les civils ont besoin de la protection des intervenants militaires de maintien de la paix pour faire leur travail, mais en même temps, il leur arrive de souhaiter montrer leur distance pour prouver que l’intervention non-violente non armée représente une autre solution. Dans ces cas-là, les civils prennent des risques supplémentaires, tout particulièrement dans des situations sévères et instables de violence sociétale généralisée. Un autre problème de collaboration se pose lorsque les intervenants militaires de paix sont mobilisés pour prendre en charge des missions typiquement « civiles », telles que la reconstruction et l’aide humanitaire, auxquelles ils peuvent ne pas être suffisamment bien préparés.

La formation à la paix doit prendre en compte ce défi. Elle est en effet un moment idéal pour rassembler les représentants des institutions étatiques, de l’armée et d’organisations de la société civile et voir de quelle façon chaque groupe peut compléter le rôle et l’expertise des autres groupes. Les formations auxquelles participent des professionnels de secteurs variés devraient inclure le temps nécessaire à ce que les participants clarifient les différences de politique, d’instruments et de culture organisationnelle et réfléchissent aux sujets potentiels de collaboration.

Pour finir, quelles que soient les différences existant entre les idéologies de travail de paix ou les approches de préparation des personnes à la transformation des conflits, le processus d’apprentissage de la formation est en lui-même un défi politique auquel tout est rattaché. En considérant cette activité d’apprentissage sous l’angle de la pédagogie critique, elle peut être vue comme de nature politique (Schor, 1993). Tous les formateurs choisissent des méthodes et des contenus reflétant certains paradigmes et convictions politiques. Donaldo Macedo, pédagogue critique, déclare : « L’exercice de la liberté nous amène au besoin de faire des choix, et ce besoin nous conduit à l’impossibilité d’être neutre » (Macedo 1999, p. 86). Ceci est particulièrement important lorsque l’on forme des intervenants de paix externes à intervenir dans des conflits et des cultures qui ne sont pas les leurs. Par conséquent, les présupposés politiques implicites de toute pédagogie et de tout programme de formation nécessitent une réflexion et une analyse. Celles-ci peuvent être menées en posant des questions telles que :

  • Quelles sont les perceptions du monde des différentes composantes de la formation ?

  • Quels sont les objectifs que la formation est censée faire atteindre aux intervenants de paix en les préparant ?

  • Quels groupes de la société seront capables de participer à cette formation ou à des activités de travail de paix ?

  • Quelles sont les valeurs sous-jacentes à toutes les facettes de la formation ? Par exemple, quelle idée de la société est présentée comme préférable ?

Notes

  • Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.

  • (1) : Pour de plus amples informations, consultez le site Web du service civil de paix allemand sur : www.forumZDF.de.