Fiche de document Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

Matthieu Damian, Grenoble, France, mars 2005

La Bosnie-Herzégovine. Enjeux de la transition

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Réf. : DIZDAREVIC Svebor André et SOLIOZ André (Sous la Dir.).- La Bosnie-Herzégovine. Enjeux de la transition.- L’Harmattan.- Paris.- 2003.- 145p

Langues : français

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L’introduction est l’œuvre de Svebor André Dizdarevic, qui a enseigné les relations internationales à l’université de Sarajevo jusqu’en 1992. Collaborateur au "Monde diplomatique", il donne des cours à l’université de Lyon-2.

L’auteur montre que l’ensemble des contributions de cet ouvrage est unanime pour qualifier la Bosnie-Herzégovine de victime tout autant qu’actrice d’une culture de la dépendance depuis les accords de Dayton. Ceci n’a rien d’exceptionnel puisque « toute longue période de dépendance, finit par créer ses propres structures et logiques de fonctionnement qui trouvent leurs propres intérêts dans cet état de dépendance, au point que celui-ci se reproduit et devient une situation normale » (p7).

On pourra également lire sur ce point Béatrice Pouligny dans "Ils nous avaient promis la paix" (p205). L’auteur indique alors que si la Bosnie doit sortir de cette culture de la dépendance, la communauté internationale et notamment l’Europe doit « faire de même par rapport à son complexe humanitaire » (p12) et avoir une « véritable vision et une stratégie précise » (p13).

Il donne alors quelques chiffres qui montrent l’échec actuel de la transition en Bosnie. Il montre par exemple que 96,79% de Republika Sprska est serbe « et on y trouve plus que 8500 Croates, alors qu’il y en avait 220 000 avant la guerre » . En outre, alors que ce pays est le plus bureaucratisé d’Europe, il faudra réduire le nombre de ses fonctionnaires ce qui, en conséquence, augmentera encore un taux de chômage qui atteint 40% de la population active.

Bozidar Gajo Sekulic, professeur de philosophie à l’université de Sarajevo, livre la première étude intitulée « Guerre et paix en Bosnie-Herzégovine : d’une paix négative à une paix positive » . Il présente l’ « hexagone de civilisation » réalisé par le pacifiste allemand Dieter Senghaas et ses six angles des éléments de paix qui constituent un « archétype idéal de paix positive »  : le monopole de la force ; l’Etat de droit ; l’interdépendance et le contrôle des émotions ; la participation démocratique ; la justice sociale ; l’adoption d’une culture politique positive à l’occasion du règlement des conflits. Il lui est alors aisé de montrer que la Bosnie était bien en retard sur chaque point au début des années 1990. La paix qui existait était dès lors beaucoup plus « négative » que « positive » .

Il souligne alors le nécessaire travail sur l’histoire qu’il faut entamer : « Ceux qui prônent l’interprétation d’une guerre civile, soit les politiques de l’ancienne Yougoslavie réduite à la Serbie et au Monténégro ; ainsi que les élites politiques et militaires des principaux partis serbes et croates de Bosnie-Herzégovine, refusent catégoriquement l’interprétation d’une guerre internationale, car ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent échapper à toute responsabilité et culpabilité juridique, politique et morale pour ces guerres et ces crimes. D’un autre côté, ceux qui défendent la thèse de l’agression rejettent eux aussi toute possibilité de qualifier cette guerre de guerre civile, n’hésitant pas au besoin à recourir à des arguments confessionnels, car ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent échapper à toute éventuelle responsabilité personnelle ou culpabilité. (...)

En présentant (…) ces deux options, nous essayons de démontrer que tant que ces deux interprétations radicalement antagonistes et contradictoires sur le caractère de la guerre (…) n’auront pas été dépassées, cet Etat ne pourra être identifié en tant qu’Etat démocratique et légitime » (p39-40). Il critique les intellectuels de Bosnie-Herzégovine en des termes durs : « Les intellectuels sont en fait devenus les sujets des nouvelles nomenklaturas ethno-chauvinistes : ils ont fondé, légalisé et légitimé le droit ethno-chauviniste à la violence afin d’atteindre des objectifs nationalistes » (p47). Il cite alors Ernest Gellner auquel il adhère quand ce dernier écrit qu’il « n’y a pas de nation sans nationalisme, c’est-à-dire que c’est le nationalisme qui créé la nation en tant que nation » ou encore Jean-Marie Guéhenno qui défend « la thèse de la fin de la démocratie à cause précisément de la crise et de la fin du projet d’Etat national face aux assauts impitoyables de la globalisation » (.p 49).

Cependant, on pourra s’étonner qu’il ne cite pas Eric Hobsbawn ("Nations and Nationalism since 1780") ou encore Benedict Anderson ("Imagined Communities").

Zarko Papic, directeur de l’Independant Bureau for Humanitarian Issues, revient quant à lui sur « La Bosnie-Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » .

Il rappelle que la guerre a coûté la vie à 258.000 personnes, que deux millions et demi de personnes ont été déplacées à l’intérieur de cette région ou ont pris la route de l’exil (ce qui représente la moitié de la population d’avant-guerre). L’auteur regrette alors que la Bosnie-Herzégovine malgré les fonds qu’elle a reçues de la communauté internationale (notamment le Programme de reconstruction et de rénovation –PRP – lancé par la Banque mondiale depuis 1996) n’arrive pas à reprendre une vie normale. La transition semble donc longue et difficile et la dépendance par rapport à l’aide internationale ne se réduit pas, au contraire. En effet, en 2001, le revenu national brut était estimé à 35-40% du niveau de 1991 malgré une aide massive (qui se monte certaines années à 30% du PNB), l’argent des ONG ou des organisations internationales ou encore de la diaspora. Comme le note l’auteur : « Six ans après le rétablissement de la paix en Bosnie-Herzégovine, le seuil de pauvreté et le taux de chômage sont au même niveau qu’au lendemain de la guerre. Pire encore, ils ont tendance à augmenter » (p61).

S’interrogeant sur les raisons d’un tel échec, l’auteur indique la responsabilité des politiques qui, au moins jusqu’aux élections de novembre 2000 ont rejetté la faute sur les politiques internationales. Puis, il cite le rôle de la corruption et des mafias (on se rappellera de l’article déjà ancien mais très éclairant de Xavier Bougarel « L’économie du conflit bosniaque : entre prédation et production » dans "Economie des guerres civiles" sous la direction de François Jean et Jean-Christophe Rufi) .

Il ajoute la fuite des cerveaux, notamment des jeunes. Il constate : « Au cours de la seconde guerre mondiale, il y avait eu en Bosnie-Herzégovine plus de destructions matérielles et pertes de vies humaines qu’au cours du récent conflit. Il lui avait alors fallu moins de cinq ans pour ramener le PNB à son niveau d’avant-guerre et pour achever la reconstruction. Tout cela sans l’aide de l’étranger et dans des conditions d’isolement international (la crise provoquée par Trieste et le conflit avec Staline) » (p 65).

Zarko Papic propose alors des solutions (p69 à 76) pour une meilleure efficience de l’aide internationale : « Toute aide en vue de relancer l’économie devrait être associée à une politique de reconstruction du secteur social (…) ainsi que du système d’éducation, ceci afin de favoriser le rétablissement des structures sociales (collectivités locales, organisations civiles locales, familles etc.) » (p69). Il met également en avant le fait de reconsidérer la manière de procéder dans la transition : relancer l’économie formelle et lutte contre l’informelle ; avoir une approche plus fine des conditionnalités pour obtenir l’aide internationale. Il souhaiterait que soit mieux mises en valeur les potentialités locales. Puis, il souligne l’importance de s’attaquer aux luttes entre les bureaucraties pour améliorer la pertinence de l’argent dépensé. En ce sens, il préconise également de remplacer le personnel international par des autochtones plus rapidement. Enfin, il espère en des évaluations critiques des programmes menés. Passant alors sur les ONG, l’auteur insiste sur la nécessaire reconnaissance du rôle de celles-ci non seulement parce qu’elles connaissent bien mieux le terrain que les ONG internationales mais aussi parce qu’elles constituent le terreau dans lequel l’Etat de droit a quelque chance de se développer de façon pérenne. Il pointe bien les difficultés qu’elles connaissent.

Srdjan Dizdarevic, président du Comité Helsinki pour les droits de l’homme en Bosnie, réfléchit sur « Droits de l’Homme et réconciliation en BH » . Il rappelle la jeunesse de la mise en oeuvre de ces droits qui n’arrivent en Bosnie-Herzégovine qu’en 1995 après l’accord de Dayton. Du coup, cet aspect est « externalisé » de façon importante : « L’accord de paix de Dayton a prévu la création de deux institutions chargées prioritairement d’assurer le respect des droits de l’Homme les ombudsman (médiateurs) et la Chambre des droits de l’Homme. L’accord prévoit qu ‘au cours des cinq première années ayant suivi sa signature, aucun citoyen de la BH ne pourra faire partie des ombudsman. De même, huit des 14 membres de la Commission des droits de l’Homme seront des étrangers nommés par la Commission ministérielle du Conseil de l’Europe. La Chambre des droits de l’Homme dispose de toutes les compétences propres à un tribunal, ses décisions sont irrévocables et ont force de loi » (p.85). S’il rappelle des avancées notables au point de vue de la justice comme le fait qu’avec l’admission de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe, les citoyens peuvent recourir à la Cour des droits de l’homme de Strasbourg, l’auteur indique aussi l’imminence de la fin des travaux du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie prévue en 2008. Dès lors, Srdjan Dizdarevic souhaite que les tribunaux locaux prennent le relais pour assurer la justice des faits commis pendant la guerre. Or, même si la volonté politique était forte pour appuyer ce processus, encore faut-il prendre en compte que le justice en Bosnie-Herzégovine « ne peut être considérée comme étant indépendante et professionnelle. (...) Tout semble indiquer sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique central, ainsi que la corruption du système judiciaire » (p.91). Pourquoi vouloir cette justice ? L’auteur se justifie en notant : « Compte tenu de l’expérience acquise après la seconde guerre mondiale, il semble incontestable que le fait d’avoir caché une partie de la vérité sur certains incidents liés à cette époque a parfois servi de base aux préparatifs et au déclenchement des conflits en 1992 » (p.92-3). Il regrette comme Jovan Divjak dans "Sarajevo mon amour" qu’il y ait trois manuels scolaires en Bosnie et que l’école ne soit pas le lieu où la paix et le vivre-ensemble mais beaucoup plus dans une atmosphère quasi revancharde. Il espère l’établissement le plus rapidement possible d’une Commission Vérité et Réconcilitation composée uniquement de citoyens de BH et que ces travaux de référence durent entre 18 et 24 mois.

Dragoljub Stojanov aborde "La Bosnie-Herzégovine prise au piège de la politique et de l’économie". Cet ancien ministre de Bosnie estime que "l’augmentation de la productivité d’un pays est le facteur le plus susceptible de contribuer à la croissance du Produit national brut per capita, en tant qu’équivalent macroéconomique de la productivité d’un pays. Selon Christos Pitelis les principaux éléments de ce cycle sont : les ressources humaines ; les technologies et innovations ; l’infrastructure ; l’économie des dépenses unitaires ; l’environnement macroéconomique ; l’environnement institutionnel." L’auteur y ajoute le "concept de croissance et de développement proposé - et imposé – par les institutions financières internationales, ce que l’on a appelé le consensus de Washington" (p101). Il analyse alors les six éléments de ce cycle dans le cas bosniaque. Il note notamment que le KM est convertible, que c’est une monnaie stable et que le taux d’inflation est très peu élevé. Il critique vigoureusement le trop d’Etat dans certains domaines (le nombre de fonctionnaires) avant d’espérer une intervention plus régulière de celui-ci d’autres aspects notamment dans la politique industrielle, inexistante jusque-là par le biais par exemple de néo-keynésianisme. S’il est contre le turbocapitalisme (dramatique dans le cas russe comme le rappelle si bien Joseph Stiglitz dans "La grande désillusion"), il est également contre une approche trop progressive. Il souhaite un juste milieu de ces deux visions synthétisé par ce qu’il appelle une "gradation déterminée". Il rappelle qu’il faut tenir compte de la tradition des pays de l’ex-Yougoslavie dans la route menant à une plus grande libéralisation du commerce. Il souligne alors la nécessité de commercer à nouveau avec les voisins immédiats. Enfin, laissons-le écrire : "La Bosnie-Herzégovine reste menacée par la pauvreté, un problème qu’elle n’avait jamais connu auparavant" (p.121). Cette phrase est à rapprocher de ces lignes de Zarko Papic : "Le coût global de l’intervention internationale de rétablissement de la paix en Bosnie-Herzégovine au cours de la période 1992-2000 est évalué à 71-81 milliards de dollars, le montant total des donations effectuées entre 1995-2000 à 46-53 milliards de dollars et les frais de maintien de la paix et de la mise en oeuvre du GFAP (...) à 17-19 milliards de dollars US" (p.62).

Christophe Solioz, socio-thérapeute et enseignant à Genève, revient, lui, sur « La reconquête de la souveraineté, le défi à relever pour la Bosnie-Herzégovine » . Il déplore : "[L’Etat bosniaque] est une structure composite par trop déséquilibrée dans laquelle quelque 80% des compétences institutionnelles sont du ressort des entités. A cela, il faut ajouter la complexité d’une construction comportant pas moins de cinq niveaux si l’on tient compte de l’Etat, des deux entités, des dix cantons de la Fédération, des municipalités ainsi que du district de Brcko" (p.125). Il rappelle que, devant le constat d’échec des organisations internationales, l’OSCE a proposé en mai 1999 qu’une seule organisation soit responsable de l’intervention. Ce processus, proposé par le Haut Représentant de l’époque, soit l’Ambassadeur Wolfgang Petritsch, a rencontré l’accord de la communauté internationale - représentée en l’occasion par le Peace Implementation Council (PIC). La conséquence est que, depuis le 15 mars 2002, le Haut représentant n’est plus rattaché à l’ONU mais à l’Union européenne et "dirige un cabinet qui coordonne le travail des différentes agences internationales actives en Bosnie-Herzégovine" (p.127). L’auteur regrette que le pouvoir exécutif donnés au Haut représentant le 10 décembre 1997 ne l’ait pas été fait dès décembre 1995. Les deux ans de "battement" entre les accords de Dayton et cette nomination a permis aux nationalistes, à la corruption et à la mafia de progresser fortement.

Christophe Solioz souligne l’importance du rôle joué par le Haut représentant, Wolfgang Petritsch (1999-2002) qui "ne s’est pas contenté de faire preuve de plus de détermination en écartant au total 64 fonctionnaires ou politiques locaux et en imposant 246 lois ou autres décisions ; avec l’introduction du concept de ownership, il est également à l’origine d’un important changement de paradigme" (p.128). Il souhaite en effet beaucoup plus responsabiliser les politiques locaux.

On citera cette syntèse intéressante : Une vue d’ensemble sur les sept premières années permet d’identifier plusieurs phases de l’après-Dayton. La première (1995-1997) se laisse caractériser par la stabilisation et la reconstruction, la deuxième (1997-2000) par une intervention exogène relevant du protectorat. La troisième (2001-2002) est caractérisée par la volonté du Haut-représentant d’engager un partenariat avec les autorités nouvellement élues – ce qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir le 31 janvier 2001 de l’Alliance pour le changement, une coalition de partis modérés dirigée par le Parti Social Démocratique (SDP). Il souhaite par là impliquer les nouvelles autorités bosniennes dans son action dont les objectifs prioritaires sont : le renforcement des institutions, la transformation de l’économie et le retour des réfugiés et des personnes déplacées. Afin de stimuler ce partenariat; Wolfgang Petritsch a institué en juillet 2001 deux forums, le Partnership Forum et le Civic Forum"(p.130-1). Il souhaite comme la plupart des contributions du livre pour éviter de rester dans la même situation grotesque : 3 armées, 13 premiers ministres, 180 ministres, 760 législateurs et quelque 1200 juges et procureurs.

Commentaire

Un ouvrage à recommander même si une présentation générale plus grand public aurait pu faciliter la lecture. L’article de Christophe Solioz aurait pû ainsi être placé au premier chapitre afin de donner une vue d’ensemble plus éclairante au lecteur. Des chiffres plus précis (même si on sait après Disraeli que : "There are three kinds of lies : lies, damn lies and statistics") sur l’importance de l’aide de l’Union européenne à la Bosnie par rapport au Produit national brut au cours des sept dernières années auraient du être donnés. D’éventuelles conditionnalités ou les différences d’aide ou non de la communauté internationale entre la Bosnie, la Serbie, le Kosovo et la Croatie auraient pu être mises en avant. Cependant, en moins de 150p, les auteurs livrent une excellente étude sur la transition en Bosnie-Herzégovine.