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, Paris, December 2006

Lutte pour l’eau dans la Corne de l’Afrique

Les eaux du Nil traversent de nombreux pays qui sont à des stades de développement différents et dont les besoins en eau sont très divers. Cas singulier, unique : l’Egypte, pays le plus développé du bassin versant et dont la plus majeure partie de l’approvisionnement en eau vient du Nil. Or, ce pays a une démographie galopante et ses villes grossissent à vue d’œil. L’Ethiopie et le Soudan, en particulier, ont des visées que, fébrile, Le Caire suit avec la plus grande attention craignant pour son allocation des eaux du Nil, fleuve dont toute l’eau vient hors de ses frontières. La politique internationale et les rivalités de pouvoir sont aussi de la partie.

Ref.: Tawfik Madani, chercheur en économie, in la page Débat du journal Al Khaleej (grand journal des Emirats Arabes Unis) du 26 décembre 2006. Traduit et adapté par Larbi Bouguerra

Document type:  Periodical

La problématique eau est la plus grave question qui se pose au monde arabe et qui a une répercussion directe sur sa sécurité nationale. C’est la raison pour laquelle les Arabes perdront leur capacités stratégiques s’ils ne s’emploient pas à protéger leur capital – limité - en eau face aux convoitises internationales. La sécurité nationale arabe (et même régionale) ne saurait être garantie en l’absence de sécurité en eau. Ce qui signifie qu’il est indispensable de mettre au point – ou de faire évoluer - une stratégie commune arabe dont le plus petit commun dénominateur serait d’empêcher le vol des eaux arabes.

Les pays arabes – pour la plupart situés en zone désertique- souffrent énormément de la rareté de l’eau. Il est historiquement bien établi que l’eau est à l’Etat et que, pour tous les Etats, l’eau joue trois rôles distincts :

  • 1) Elle symbolise la richesse de l’Etat ;

  • 2) Elle est à l’origine de son épanouissement économique et

  • 3) Elle constitue un enjeu et un atout politiques entre les mains de l’Etat.

C’est de cette manière que les sources d’eau sont devenues des points d’attraction pour les pays de la Corne de l’Afrique et ont créé une situation que l’on qualifie de « guerre de l’eau ».

Récemment, la crise de l’eau a intéressé tout le Moyen-Orient et tout particulièrement la Corne de l’Afrique, crise dont le style et le ton se sont passablement accélérés du fait de la rareté de l’eau dans certains pays de la région.

La question de l’eau est vitale pour les pays nilotiques et tout spécialement pour les deux derniers pays d’aval : le Soudan et l’Egypte. Le Nil avec ses 6 671 km est le fleuve le plus long du monde après l’Amazone. Son bassin versant couvre près de 3 millions de km2 soit une superficie égale au dixième de celle de tout le continent africain. Il possède deux affluents principaux :

  • le Nil Bleu et le Nil Blanc ;

  • ce dernier prend sa source dans le lac Victoria qui est un immense réserve d’eau douce de 69485 km2.

A Khartoum, le Nil Bleu et le Nil Blanc se rejoignent. Quant au Nil Bleu, il prend sa source dans le lac de Tana (ou Tsana) dans les montagnes éthiopiennes. Il parcourt 1 500 km avant de faire son entrée dans la capitale soudanaise. Avec les autres cours d’eau éthiopiens, le Nil Bleu contribue pour 84 % du débit du fleuve tout le long de l’année et cette proportion atteint 95 % lors de l’inondation. De la rencontre de ces deux affluents à Khartoum naît le Nil qui va se déverser dans la mer Méditerranée, par un delta, au niveau d’Alexandrie en Egypte. A Assouan, le débit du fleuve est de 85 milliards de m3 qui sont partagés entre l’Egypte et le Soudan, en vertu du traité de 1959 qui attribue à l’Egypte 55,6 milliards de m3 et 18,5 milliards de m3 au Soudan. On peut citer, parmi les accords qui explicitent les droits de l’Egypte relativement aux eaux du Nil :

  • Le Protocole de Rome datant d’avril 1891 signé par l’Italie et la Grande Bretagne et qui fixe les frontières entre l’Erythrée et le Soudan. Il note en particulier que l’Italie doit s’abstenir d’ériger toute structure que ce soit sur le fleuve Atbara - dernier grand affluent du Nil avant la mer Méditerranée et qui coule en Ethiopie et au Soudan – de manière à ne pas diminuer les quantités d’eau qui se déverse dans le Nil.

  • Le traité entre le Congo et la Grande Bretagne de 1894 qui stipule que le Congo s’engage à ne rien entreprendre qui puisse diminuer la quantité d’eau qui se déverse dans le lac Albert ;

  • Le traité d’Addis Abéba de 1902 entre la Grande Bretagne et l’Ethiopie et par lequel le Négus (empereur) Ménélik II prend l’engagement de ne pas diminuer les eaux du Nil en intervenant sur le Nil Bleu ou le lac Tana.

  • Le traité signé en décembre 1906 entre l’Italie, la France et la Grande Bretagne par lequel les trois parties s’engagent à garantir les intérêts de l’Egypte dans le bassin du Nil et à réguler les eaux du fleuve et de ses affluents.

  • Un aide-mémoire échangé entre l’Italie et le Royaume Uni en 1925 qui reconnaît les droits de l’Egypte et du Soudan sur les eaux du Nil et celui des ressortissants des deux pays à utiliser ces eaux.

  • Le traité sur les eaux du Nil de 1929 conclu entre l’Egypte et le Soudan (à l’époque de l’occupation bipartite) qui stipule d’une part la nécessité de la prise en compte complète des intérêts égyptiens en eau et stipule aussi, d’autre part, de ne pas porter atteinte aux droits naturels de ce pays sur les eaux du Nil.

Au cours de ces dernières années, la crise de l’eau s’est manifestée en Egypte et ce pays a montré son inquiétude quant à son allocation des eaux du fleuve. Cette préoccupation s’explique par les raisons principales suivantes :

  • 1. L’accroissement démographique considérable – l’un des plus importants au monde - qui fait que les populations abandonnent massivement les campagnes pour venir s’installer dans les villes d’où une explosion de la demande en eau tant pour les emplois ménagers qu’industriels. Or, il y a une différence très grande entre le nombre d’habitants en Egypte et celui des autres pays du bassin versant du Nil dont le développement est différent. Les prévisions disent que l’Egyptien n’aura à sa disposition que 500 m3 d’eau à l’horizon 2005 - ce qui est un seuil inférieur minimum. Il en résulte que toute tentative de réduction du volume d’eau attribué à l’Egypte par un pays quelconque du bassin versant du Nil constituera une menace directe pour les intérêts nationaux égyptiens.

  • 2. L’Ethiopie se propose de réaliser des projets grandioses - des barrages notamment - en vue d’augmenter les zones irriguées et de produire de l’énergie électrique. Il va de soi que d’autres pays nilotiques ont des projets similaires dans les cartons et cela ne va pas sans répercussions sur la sécurité nationale égyptienne.

  • 3. Or, l’Egypte a des plans de développement importants. Ses besoins en eau vont crescendo et sont passés de 55,5 milliards de m3 à près de 63 milliards de m3. A l’heure actuelle, ils sont de l’ordre de 73 milliards de m3.

On voit que, dans ces conditions, l’Egypte doit faire face à une demande pressante pour cette ressource et sa stratégie hydraulique interne (stratégie de développement) se voit limitée et contrôlée par celles des autres pays que traverse le fleuve, pays entre lesquels existent des luttes, des inimités et des hostilités. Il est impossible alors pour l’Egypte d’avoir une stratégie et une politique de l’eau indépendantes, à l’intérieur de ses frontières propres. Ainsi, des projets de barrages et de périmètres irrigués existent sur le fleuve Kajira, sur le lac Victoria ; l’Ethiopie de son côté, est sur le point d’ériger 33 barrages pour irriguer, produire de l’électricité… à partir du Nil Bleu.

Or, il existe un accord entre l’Ethiopie et Israël pour l’érection d’une centrale hydro-électrique. L’Ethiopie est utilisée pour menacer la part de l’Egypte en eau du Nil :

  • soit par l’intermédiaire des Etats Unis du temps de l’empereur Haïlé Sélassié ;

  • soit comme dans les années 50, par des pressions visant à la non-réalisation du haut barrage d’Assouan ;

  • soit enfin, par le canal de l’URSS dans les années 70 relativement aux eaux du Sinaï.

Ce qui explique le soutien accordé aux mouvements séparatistes aussi bien au Soudan, en Ethiopie et en Somalie. Ainsi, lorsqu’un Etat brandit la menace de l’eau au face d’un autre, celui-ci réplique en brandissant l’arme séparatiste.

Commentary

Cet article, un peu touffu, est un plaidoyer un peu étroit pour l’Egypte. Dans un sens, il est à contre-courant de ce qui se passe sur le terrain, du moins, en apparence. L’Egypte a inauguré la politique de l’Endugu (entente en swahili) pour une coopération étendue entre les pays nilotiques pour tout ce qui touche au développement ; ainsi, des experts égyptiens aident tel ou tel pays dans ses projets électriques… Il est clair qu’il y a aussi des rivalités et de grandes manœuvres politiciennes comme le montre la crise actuelle du Darfour, motivée par des raisons humanitaires proclame-t-on haut et fort mais ni le pétrole ni l’eau ne paraissent bien loin. Ainsi, Fred Pearce, dans son dernier livre « When the rivers run dry. Water. The defining crisis of the 21st century », publié chez Beacon Press, à Boston, en 2006 affirme que John Garang, le défunt leader fondateur du mouvement séparatiste soudanais contre le pouvoir central musulman de Khartoum, a soutenu une thèse devant l’Universié de l’Etat de l’Iowa (E.U), dans les années 70, portant sur les iniquités du canal de Jongléi qui prend l’eau du Darfour pour la donner aux cultivateurs de coton musulmans d’El Jazira.

Parler de guerre de l’eau nous paraît néanmoins déplacé dans cette région du monde qui a tant souffert du colonialisme, des guerres tribales et religieuses et qui croule sous la pauvreté et les maladies hydriques (bilharziose, paludisme, trachome…). Coopération, solidarité, entente devraient être les seuls mots d’ordre pour éviter souffrances humaines et déchirements.