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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Paris, 2008

Organisations paysannes et indigènes en Amérique Latine

La problématique des OPI est extrêmement complexe du fait de la multiplicité des acteurs et des enjeux qu’elle implique.

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Réf. : Ethel DEL POZO, « Organisations paysannes et indigènes en Amérique Latine », Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 1997.

Langues : français

Type de document : 

Introduction

Cette fiche de synthèse porte sur le livre intitulé Organisations paysannes et indigènes en Amérique Latine, écrit par Ethel Del Pozo, une ethnologue d’origine péruvienne de nationalité française, consultante auprès d’organismes internationaux, qui collabore notamment avec des programmes de recherches.

L’ouvrage est ouvertement, engagé, militant : selon les propres termes de l’auteur, il s’adresse à « tous ceux qui pensent et veulent agir pour le développement du monde rural latino-américain, monde qui doit aussi faire partie de la nouvelle modernité du continent et de la démocratisation des sociétés ».

Il y a de la part de l’auteur, un double objectif méthodologique :

  • D’une part, un souci d’objectivité scientifique ;

  • D’autre part, la volonté de faire parler les acteurs impliqués dans leur subjectivité.

L’auteur s’appuie sur une grande quantité de sources bibliographiques, mais aussi sur des rencontres avec les paysans et les ONG.

Nous laisserons délibérément de côté les exemples historiques précis donnés par l’auteur, puisqu’ils sont spécifiques à chaque pays d’Amérique Latine, pour ne garder que les traits communs qui s’en dégagent, et ainsi livrer une vision globale des différents acteurs qui entrent en jeu dans la construction des mouvements paysans et indigènes en Amérique Latine en général.

Ethel Del Pozo part du constat que depuis le début du siècle, la question paysanne et indigène a fait couler beaucoup d’encre et de sang. C’est en effet une question complexe, puisque de nombreux acteurs sont impliqués. L’auteur étudie comment les différents acteurs sociaux, et les diverses forces idéologiques politiques, économiques et militantes présentes en Amérique Latine, ont agi sur la question paysanne, et comment de ce fait, elles ont contribué à changé la société dans son ensemble. Elle livre ainsi un tableau clair de l’évolution générale du processus d’organisation de la paysannerie, de ses mutations, et de ses recompositions, au cours du vingtième siècle (avec également quelques analepses expliquant l’héritage colonial). Cet ouvrage présente une analyse des attitudes et des comportements des divers acteurs impliqués : les Eglises, les partis politiques (et les intellectuels et universitaires), les Etats, les ONG, et les organismes de coopération et de financement international, et enfin les OPI à proprement parler. A la fin de l’ouvrage, l’auteur se penche sur la nécessité de reconstruction des OPI dans le contexte actuel, et sur l’importance de leur rôle comme acteurs collectifs dans la société latino américaine de demain.

I. Le rôle de l’Eglise catholique dans la mobilisation paysanne

Historiquement les Eglises ont façonné les consciences et la société latino- américaine via le système éducatif qui était majoritairement aux mains des religieux, et ce depuis l’époque de la colonisation espagnole, où le catholicisme était la religion officielle. L’Eglise a donc conservé ce monopole des consciences jusqu’à l’apparition de nouvelles idéologies. C’est justement dans la confrontation/ concurrence avec ces idéologies (libéralisme, socialisme etc), que l’Eglise va être amenée à jouer un rôle dans l’organisation des mouvements paysans qui nous intéresse aujourd’hui.

A. De la lutte contre l’athéisme, à la promotion de l’organisation paysanne

1. Lutte contre le paganisme et le protestantisme

Le contact entre l’Eglise et les paysans indigènes est dès le départ lié à des questions idéologiques.

  • Au XVIe siècle, l’Eglise a pour objectif de lutter contre le paganisme indigène via l’inquisition dans les colonies. Elle lutte également contre le protestantisme défendu par les autres colons (britanniques, hollandais et danois) pour éviter que les indigènes n’y soient convertis.

  • Au XVIIIe, la réforme de l’Eglise catholique latino américaine conduit les Bourbons à reprendre le contrôle absolu de la colonie devant le danger des revendications autonomistes, liées à l’émergence du capitalisme et de la bourgeoisie en Europe, et la Révolution française.

Dès cette époque apparait un clivage qui perdure jusqu’à nos jours entre :

  • Le Haut Clergé, espagnol, et étranger, et très lié à la couronne

  • Et un Bas Clergé plus pauvre, créole, métis, ou indigène très lié à la vie de la colonie du pays et aux paysans. C’est ce clergé qui participera plu tard à la mobilisation des paysans.

2. Lutte contre le libéralisme

Après les guerres pour l’indépendance, on assiste à une lutte pour le pouvoir entre conservateurs et libéraux. La question religieuse devient alors une composante majeure de la vie politique latino-américaine.

Face au libéralisme anti-clérical qui constitue un contre pouvoir politique, l’Eglise catholique met en place une stratégie pour rester influente dans la société. C’est là qu’elle commence à jouer un rôle dans la mobilisation des paysans.

Au Mexique par exemple : après le triomphe de la révolution et la promulgation d’une constitution laïque, on assiste à une lutte entre Eglise et Etat. L’Eglise se fait alors présente dans l’action syndicale ouvrière et renforce son rôle dans les écoles. A la campagne, lors de la guerre de « Cristeros » (1926-1928), les paysans prennent les armes menés par leurs prêtres contre le gouvernement impie au nom du Christ Roi.

3. Lutte contre le socialisme communisme marxisme

Dès le début du XXème siècle, le processus d’industrialisation (qui se fait à différents degrés selon les pays), entraîne l’apparition d’une classe ouvrière : c’est la naissance de syndicats ouvriers et paysans promus par les tous nouveaux partis socialistes ou communistes. Consciente de sa perte d’influence, l’Eglise catholique met en place de nouvelles stratégies: création de la Jeunesse ouvrière Catholique (JOC) par exemple. Mais son action dans les zones rurales se limite à de l’assistanat dans les domaines de l’éducation, de la santé, et de l’ évangélisation. La promotion d’organisations paysannes ou indigènes à caractère revendicatif ou représentatif reste absente.

B. De l’assistanat à l’aide au développement

En 1959, deux bouleversements majeurs vont amener l’Eglise catholique à revoir son mode d’action auprès des communautés paysannes.

1. Le triomphe de la révolution cubaine

Le triomphe de la révolution cubaine entraîne un renforcement de la stratégie de « containment » des Etats Unis, et légitime ansi la croisade anti athée/ communiste menée par l’Eglise. On assiste, pendant la Guerre Froide, à une polarisation des forces sociales et politiques pro et anti communistes en Amérique Latine. Les coups d’Etats des années soixante étouffent les gouvernements oligarchiques, et permettent ainsi aux partis politiques de gauche de s’organiser. Ils constituent leur force et leur autonomie en termes de luttes des classes, tandis que la guérilla devient le moyen propre de la guerre révolutionnaire. C’est là que la passivité politique de l’Eglise commence à être contestée : elle n’offre pas de solution à la jeunesse, qui trouve dans l’idéologue marxiste, l’espoir de voir ses conditions de vie changer. Ethel Del Pozo parle de « rupture agressive » entre les chrétiens politiquement engagés (notamment des prêtres qui prennent les armes aux cotés des guérillas) et la hiérarchie de l’Eglise.

2. La campagne contre la faim dans le monde de la FAO, et l’appel du pape Jean XXIII

Les chrétiens des pays développés s’organisent pour répondre à l’appel du Pape qui leur demande de se mobiliser pour éradiquer la faim dans le monde, et d’importants fonds sont ainsi accordés par les Eglises des pays industrialisés vers l’Amérique Latine. Cependant cette démarche relève toujours du domaine de l’assistanat.

L’Eglise Latino Américaine commence à changer d’attitude, et le grand virage se produit lors de la deuxième conférence du CELAM de 1968, qui réunit les églises latino américaines en Colombie : elle marque l’apparition de « l’Eglise populaire » et de la « théologie de la libération ». Selon cette doctrine : « la dimension politique de la foi ce n’est pas autre chose que répondre aux exigences du monde réel, socio-politique dans lequel elle vit ». Lors de cette conférence, les Eglises latino américaines adoptent une position radicale et parlent « d’injustice institutionnalisée », dénonçant ainsi la responsabilité des institutions dans la situation de pauvreté des populations.

De nombreux moyens sont alors mis en place pour changer les choses : des communautés ecclésiales, ainsi que des centres d’éducation de formation sont créées. Ceci marque le début d’une stratégie d’aide au développement de la part des églises. Dans les années soixante dix on remarque un grand dynamisme de l’action pastorale en milieu rural, où les mots d’ordre sont : « organisation des paysans », et « renforcement du rôle des communautés ». De plus, l’aide au développement devient un problème politique international, et l’Amérique Latine reçoit l’appui matériel de la communauté internationale, via le financement de micro projets etc.

C. Le retrait amorcé de l’Eglise comme acteur dans l’organisation paysanne.

Comme l’Eglise reste divisée sur la question du politique, le groupe de la théologie de la libération est bientôt mis à l’écart, ce que les OPI déplorent. Les années 80 voient donc l’affaiblissement de l’Eglise et de son rôle dans l’organisation paysanne. La crise économique et le déclin des partis de gauche qui avaient soutenu l’Eglise progressiste, ajoutés à l’effondrement du mur de Berlin en 1989 marquent la fin des grandes idéologies. Désormais, on privilégie le pragmatisme.

1. Le succès des sectes protestantes

Ceci explique le succès des sectes protestantes, qui jouent un rôle croissant après des communautés paysannes. Elles semblent apporter des réponses concrètes aux besoins de paysans. L’interdiction de l’alcool par exemple, offre une nouvelle discipline qui a une efficacité immédiate face au problème de l’alcoolisme chez les paysans. En réalité, si « le catholicisme offrait une stratégie de résistance à l’oppression, les sectes proposent des espaces d’adaptations à la modernité ».

2. Le rôle des partis politiques et intellectuels de gauche dans la mobilisation paysanne

La gauche latino-américaine a pensé et agi sur le rôle que la paysannerie devait jouer dans le changement social, la révolution, dans la transition au socialisme, et vers la démocratie. L’idéologie marxiste a joué un rôle central, en Amérique Latine, dans l’organisation de la pensée et de l’action individuelle et collective.

A. L’influence de l’idéologie socialiste : naissance des syndicats de travailleurs agricoles

Les idées socialistes ont pénétré l’Amérique Latine dès la fin du XIXe siècle. A partir de 1920, elles commencent à s’enraciner : le socialisme incarne alors la modernité. Bien que 80 % de la population soit rurale à l’époque, l’organisation syndicale se développe. On assiste alors à une lutte des classes pour la conquête de l’Etat, parallèlement à une lutte pour la souveraineté nationale contre la domination étrangère.

Ces idées marxistes sont arrivées par les migrations d’ouvriers et paysans européens dès la fin du XIXe siècle, mais sont surtout véhiculées par l’Université, qui a eu un rôle majeur dans la production idéologique. De plus, les intellectuels et les politiciens ramènent des idées de leurs voayges en Europe et aux Etats Unis.

L’arrivée de ces idéologies de gauche, va conduire, dans les années cinquante, à l’institutionnalisation des revendications des couches exclues du progrès. Les premiers « gremios » (fédérations de paysans et de syndicats de travailleurs agricoles) sont créés.

B. Le problème de « l’idéologisation » de la question paysanne par le triptyque intellectuel-parti-université

Les intellectuels, les partis politiques de gauches, et les universitaires (issus des classes moyennes ou de la petite bourgeoisie) se saisissent alors de la question paysanne, et l’« idéologisent », en transposant le syndicalisme ouvrier à la campagne, qui se traduit par une volonté d’organiser les paysans. Ceci n’est pas sans poser plusieurs problèmes.

1. La désarticulation entre l’élite urbaine et les paysans

Les classes moyennes urbaines intellectualisées et politisées étant éloignées de la réalité des campagnes, on assiste à un phénomène de désarticulation : ceux qui pensent la question paysanne ne connaissent mal les paysans. On voit donc que la gauche privilégie une démocratie verticale, où les leaders restent éloignés de la base. Les politiciens tentent de coopter les leaders paysans plus que de les autonomiser de les aider à s’organiser.

2. Le paysan considéré comme un révolutionnaire « de seconde zone »

Dans la théorie marxiste, sur laquelle s’appuie le triptyque penseur, les paysans ne constituent pas une classe sociale révolutionnaire (seul le prolétariat en était une). La paysannerie a donc un rôle secondaire dans une alliance « ouvrier-paysan ».

3. L’instrumentalisation des paysans

Les organisations paysannes sont instrumentalisées par les partis politiques de gauche pour lutter contre la classe dominante, mais aussi contre les partis concurrents. Il s’agit plus de coopter les leaders paysans que de construire des stratégies favorables pour le monde paysan.

4. Le facteur ethnique n’est pas pris en compte

Le facteur ethnique/culturel (l’auteur utilise indifféremment les deux termes) n’est pas pris en compte. La problématique rurale est alors réduite à la question de lutte pour le pouvoir (symbolisé par l’opposition entre ceux qui possèdent la terre et les moyens de production, contre les paysans qui possèdent la force de travail). Les politiques sont incapables de gérer les minorités ethniques. Au Nicaragua par exemple les conflits entre le gouvernement issu de la révolution Sandiniste de 1979, et le peuple Miskitos qui réclamait 31 % du territoire national, s’est soldée par l’évacuation de 42 villages.

C. Le rôle positif des partis dans l’organisation paysanne

Malgré ces problèmes liés à « l’idéologisation » de la question paysanne, la gauche latino-américaine a contribué à porter la question paysanne au cœur du débat national, et est parvenue à obtenir quelques améliorations dans la distribution de la terre (même si les paysans considèrent qu’ils n’ont pas réellement bénéficié des effets attendus par leur participation aux révolutions).

III. Le rôle de l’Etat dans le façonnement du monde rural : la modernisation sans la démocratisation, du tout à l’Etat au « tout au marché »

Au début des années soixante, poussé par le jeu politique Est/Ouest de la guerre froide, l’Etat émerge comme l’un des principaux agents de changement dans la société. Son rôle a beaucoup évolué depuis les années soixante dix, passant d’une légitimité basée sur les organisations paysannes, à une situation de « presque pas d’Etat ».

A. Les réformes agraires : instruments de la modernisation sélective

Dans les années cinquante/soixante, des réformes agraires ont lieu un peu partout en Amérique Latine (même si d’autres ont eu lieu auparavant -comme celle du Mexique en 1917 – et plu tard). Celle-ci relèvent d’un choix bien sûr politique, mais surtout économique, social, et culturel de la part des Etats : il fallait choisir entre l’archaïsme/la tradition, et le progrès/la modernité.

Trois facteurs ont joué un rôle capital dans l’évolution de la structure agraire latino-américaine.

1. La lutte paysanne pour la redistribution de la terre

La pression paysanne pour la redistribution de la terre s’inscrit dans une lutte contre l’héritage colonial du système de domination des haciendas. Elle est gérée différemment par les autorités de chaque pays : certains gouvernements ont une véritable volonté de changement, tandis que d’autres utilisent simplement les réformes agraires comme un sédatif pour apaiser les tensions sociales.

2. L’élargissement du marché

Les Etats développent de nouvelles voies de communication (chemin de fer, routes etc), ce qui entraîne l’élargissement interne et externe du marché latino-américain, notamment un accroissement de la demande alimentaire. Stimulées par ces nouvelles opportunités, l’agriculture se modernise : à partir des années cinquante, une agriculture de type industriel se développe. L’agriculture se diversifie (canne a sucre, riz, coton, palme africain), ce qui va entraîner de nombreuses modifications dans la vie paysanne (nous y reviendrons).

3. Les recommandations des organisations internationales sur les modèles de développement

Les organisations internationales poussent les Etats vers une dynamique de mise en place du processus d’organisation des paysans et de la production (via la création de syndicats et de coopérative), comme condition nécessaire au développement économique.

B. une modernisation sélective, dont sont finalement exclus les paysans :

Parallèlement aux réformes agraires, l’encadrement des paysans par l’Etat devient un élément complémentaire des réformes agraires : il s’agit de s’assurer du contrôle de la base sociale, en mettant en place un processus d’organisation des paysans et de la production (notamment par la création de syndicats et de coopératives). On assiste alors à la multiplication des institutions en charge des problèmes de la distribution des terres et l’augmentation de la production, et des cortèges d’experts (économistes sociologues, juristes etc) se penchent sur la question paysanne.

Mais toutes les stratégies et politiques agricoles des Etats sont jusqu’au début des années 80, des instruments de modernisation sélective, qui favorisent l’exportation au détriment de la production et du marché interne.

La distribution de la terre est modifiée, mais cela a pour effet la concentration de technologie et capital. Au système des haciendas, se substitue une nouvelle dynamique d’intégration/exclusion lié à l’apparition de la notion de marché, avec laquelle les paysans sont peu familiers.

Les réformes agraires n’ont en réalité pas été faites pour les paysans, mais pour créer une agriculture capable de soutenir le développement industriel et urbain.

C. Du tout à l’Etat au tout au marché

Dans les années soixante dix, le modèle néolibéral se substitue progressivement au modèle protectionniste, et ce en raison de la récession mondiale, et de la crise de la dette externe au Mexique en 1982, qui déclenche un vent de panique dans les milieux financiers internationaux.

Les politiques d’ajustement structurel : pauvreté et affaiblissement des mouvements paysans.

Le FMI et la Banque Mondiale mettent alors en application des plans de stabilisation macro économiques d’ajustement structurel généralisés à l’ensemble des pays du Sud, notamment en Amérique Latine.

Ces politiques d’ajustement structurels provoquent un accroissement de la pauvreté, et une amplification des logiques de survie. Par ailleurs, le mécontentement populaire face à ces est sévèrement réprimé. Le mouvement paysan se trouve affaibli par la pauvreté, au profit des grands propriétaires.

Avec la disparition de l’axe idéologique Occident capitaliste contre l’Est communiste, l’axe économique Nord-Sud est relativisé et le nouvel enjeu devient le commerce. C’est pourquoi dans les années quatre vingt dix, les accords économiques sur zones de libre échange (Mercosur, Alena, Pacte Andin, Marché commun nord américain, CARICOM) se multiplient.

Les Etats passent du rôle d’opérateur de l’économie, à un rôle de simplificateur de la vie économique privée. On note par exemple que le marché des ressources naturelles (terres eaux forets) s’ouvre, ce qui est perçu comme une menace par les paysans indigènes, dépossédés de leurs habitats. Certaines ONG se donnent d’ailleurs pour mission de défendre les droits des paysans.

IV. Le rôle des ONG dans l’organisation paysanne : entre l’appui aux paysans et le renforcement de leur exclusion

Les ONG ont joué un rôle essentiel dans l’organisation paysanne, en introduisant la composante culturelle/ ethnique, et en pariant sur leur potentiel. Après plusieurs décennies de recul, sur l’intervention des ONG en Amérique Latine, on constate que leur action s’est soldée par une parcellisation du développement..

Les ONG collaborent avec l’Eglise catholique (pour sa légitimité et ses ressources), les gouvernements, et les organisations internationales. Ces dernières sont les conditionneurs des projets de développement, car ce sont elles qui possèdent les fonds. Leur aide étant accordée sous formes de financement de projets précis, les ONG se sont lancées à la « chasse aux projets » et aux bénéficiaires, dès les années soixante dix. Certains craignent d’ailleurs une bureaucratisation du personnel.

A. Ethel Del Pozo souligne plusieurs problèmes, liés au décalage entre les ONG et la réalité paysanne :

  • Pour obtenir de l’aide les projets des ONG s’adaptent à la demande des bailleurs de fonds et pas à la réalité du terrain et des besoins de la population bénéficiaire.

  • Les projets des ONG ne sont que des appropriations parcellaires des problématiques paysannes : ils concernent un domaine (par exemple la santé), un espace géographique limité (par exemple un village), une population précise (par exemple les enfants), et sont généralement de courte durée (3 à 5 ans).

  • Les ONG latino-américaines ont usurpé le rôle des organisations paysannes. En s’appuyant sur des communautés déjà existantes (syndicats communautés, fédérations), elles sont devenues des ventriloques représentantes des paysans. Elles pensent exprimer « les vrais besoins » des paysans, mais sont en réalité très liées aux milieux universitaires et urbains.

  • Il existe des conflits au sein des ONG (jalousies professionnelles etc.), entre les ONG et les OPI (les organisations de base se sentent utilisées par les ONG, dont les employés ont un haut niveau de vie et se contentent de missions de charité), et à l’intérieur des OPI (l’aide étrangère peut contribuer à la corruption et a l’affaiblissement des organisations paysanne). Face à ses conflits, les ONG latino-américaines ont commencé, dès les années quatre vingt, à essayer de capter directement l’aide des organisations internationales et des bailleurs de fonds du Nord.

  • En plus des difficultés de collaboration entre ONG et OPI, la collaboration avec les Etats s’avère également problématique. Les ONG ne prennent pas en compte les interactions entre leurs projets et la politique des Etats.

B. Retour à la démocratie : collaboration des ONG avec les Etats

Cependant avec le retour de la démocratie dans les années 90, les ONG commencent à coopérer avec les Etats. Ceci est un vrai défi, puisque les ONG se sont définies au départ, dans une logique antigouvernemental, dans un contexte de dictature. Mais face aux échecs de leurs micro projets, les ONG cherchent à être à efficaces et à durer dans le temps. C’est pourquoi elles participent à des programmes gouvernementaux, et s’organisent en réseaux (non sans rencontrer quelques problèmes d’organisations).

Cependant, les ONG restent souvent pour l’Etat de simples organes d’exécution : elles sont conditionnées à la volonté des gouvernements et deviennent des filets de sécurité pour contenir la contestation sociale face à l’augmentation de la pauvreté.

L’un des signes révélateurs de l’importance du rôle des ONG, c’est qu’aujourd’hui, les OPI se constituent comme ONG et non plus comme syndicats. Les OPI ont donc changé, et nous allons voir dans quelle mesure.

V. La reconstruction des organisations paysannes et indigènes (OPI)

Les OPI doivent se redéfinir et repenser leur utilité et leur action dans le contexte actuel de l’Amérique Latine. En effet, en 2000, la population rurale ne représente plus que 24 % de la population (contre 70 % en 1930), et le syndicalisme est en crise en raison des mutations des secteurs agricoles et industriels. C’est dans cette nouvelle configuration que les OPI doivent reconstruire la légitimité de leur fonction de médiation et/ ou de représentation.

Les organisations paysannes surgies de la réforme agraire des années soixante ne sont plus efficaces. Leur rôle aura été positif car elles sont parvenues à mobiliser l’opinion internationale, mais aujourd’hui elles sont affaiblies par l’échec idéologique du socialisme, et elles ne représentent plus l’hétérogénéité des demandes des ruraux.

Il appartient donc aux nouvelles OPI de prendre le relais, non plus comme expressions politiques de l’Etat et des partis, mais comme porte paroles des demandes sociales économiques et culturelles. Elles doivent être capables de mobiliser des aides pour les financements d’activités locales, auprès d’opérateur privés, comme des bailleurs de fonds, des commerçants, ou des ONG. Mais ce ne sont pas les seuls défis qu’elles doivent surmonter.

A. Les nouveaux défis des OPI

1. De nouveaux « ennemis » à affronter

Les « ennemis » potentiels que doivent affronter les OPI se sont diversifiés : aux haciendas et à l’Etat s’ajoutent « le Marché », les entreprises agro-industrielles, les ONG, les églises, les sectes religieuses…Tous se disputent les terres des paysans indigènes (enjeux économiques de le propriété foncière et des ressources naturelles), et la participation des paysans indigènes (comme fidèle, comme « bénéficiaire », comme membre …)

2. Des changements structurels et sociaux, qui rendent la mobilisation des paysans difficile

La diversification de l’agriculture a entraîné une multiplication des logiques de survie en milieu rural, ce qui a eu pour conséquence la destruction des structures organisationnelles traditionnelles. Aujourd’hui le marché du travail est éclaté, et avec la mobilité intersectorielle et géographique de la main d’œuvre, il est plus difficile d’organiser une action collective de cette masse fluctuante.

Le métier d’agriculteur a changé : la pluriactivité des travailleurs entraine un phénomène de pluri loyauté qui peut conduire à des positionnements ambigus voire contradictoires : un travailleur peut appartenir à un syndicat d’artisans et à une autre OPI. Cette pluri appartenance est accentuée par le fait que les frontières entre la ville et la campagne sont de plus en plus floues. Par ailleurs le problème du chômage est également à prendre en compte. En réalité c’est tout le secteur industriel et agricole qui est en déclin, (au profit du tertiaire) : la base dans laquelle le syndicalisme recrutait s’étiole, ce qui rend l’organisation des OPI très difficile.

3. Des changements culturels : l’émergence du facteur ethnique

On assiste donc à une disparition du sentiment d’appartenance au groupe des « travailleurs » (paysans ou ouvriers) due à ces changements structurels. De fait ce ne sont les conflits du travail qui articulent l’action collective mais la lutte pour la survie. Le facteur ethnique ou culturel, joue un rôle croissant. La culture devient la base de la construction d’une vision plus territorialisée : les paysans se mobilisent pour leur besoins concrets de leur communauté ethnique, sur leurs lieux de vie et de travail.

B. De la nécessité d’un projet politique global d’aménagement du territoire qui prenne en compte la question paysanne et indigène

1. Pour le respect du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes

La déclaration de la FAO de 1993 (« tout être humain à droit a une alimentation suffisante et saine ») n’est pas respectée à ce jour. Il faudrait redonner aux producteurs les moyens d’assurer l’autosuffisance du pays en matière de sécurité alimentaire.

2. Pour un aménagement du territoire : comme clé du développement économique

L’aménagement du territoire est actuellement inadapté. L’activité économique est concentrée dans les villes, et l’on étouffe en milieu urbain. D’un autre coté, il n’y a pas d’emploi dans les zones rurales, donc on peut difficilement survivre à la campagne. Il faudrait développer les routes et les transports, et relier les pays de façon trans-frontalière pour une mise en commun de l’exploitation et de la consommation latino américaine.

3. Pour un aménagement du territoire : comme clé de la paix sociale et de l’égalisation

Les groupes indigènes en Amérique Latine ne se situent pas dans une position séparatiste par rapport à l’Etat : ils revendiquent simplement une autonomie. Plusieurs questions doivent par conséquent être examinées : l’institutionnalisation des formes de gouvernements indigènes, de la gestion de l’utilisation des ressources des sous sols, de la mise en place d’un système judiciaire spécifique etc.

A l’heure de la politique néolibérale, les indigènes doivent faire face à des contre pouvoirs différents : les entreprises forestières, pétrolières, minières, les colons, les guérillas, les narco trafiquants sont autant d’acteurs qui veulent exploiter les mines, les forets, le pétrole, et la terre qui se trouvent en territoire indigène. La décentralisation et la gestion de proximité ne peuvent donc pas suffire : il faut un véritable aménagement du territoire qui prenne en compte la question paysanne/indigène.

Conclusion

Au risque d’être redondant, il faut donc souligner que la problématique des OPI est extrêmement complexe du fait de la multiplicité des acteurs et des enjeux qu’elle implique. Elle pose en réalité la question de la démocratie. Celle-ci est de retour depuis peu en Amérique Latine, le continent doit donc doit établir sa propre définition de la démocratie. Cela doit-il se limiter à des élections libres, et au respect des droits de l’Homme ? Cela ne nécessite–t-il pas de penser spécifiquement les libertés et les droits des peuples indigènes (reconnaissance du droit collectif par exemple) ? Quoiqu’il en soit, la question des OPI ne doit pas être prise à la légère, car l’agriculture et la culture indigène, ont un rôle structurant pour les équilibres sociologiques, démographiques, écologiques, et culturels de l’Amérique Latine.

Commentaire

L’originalité de ce livre vient du fait qu’il aborde une question très peu traitée en langue française. Il le fait de façon tout à fait intéressante en tenant compte de tous les acteurs qui entrent en jeu dans l’évolution de l’organisation paysanne, mais surtout il n’hésite pas à dénoncer l’échec des politiques d’ajustements culturels ou encore les problèmes posés par les ONG en Amérique Latine. Ceci est toujours bon à rappeler à des occidentaux atteints du syndrome « Arche de Zoé ».

Ethel Del Pozo se pose en défenseur des OPI, voire en porte parole, lorsqu’elle propose un projet politique global. C’est sans doute sur ce point précis que se trouve toute l’ambigüité du livre. L’auteur dénonce « l’idéologisation » de la question paysanne, mais elle est elle-même imprégnée d’une grille de lecture « élite/ base », dans laquelle les paysans sont les instruments passifs et les victimes démunies des partis politiques, des intellectuelles des Etats, des Eglises, et des institutions internationales. Ethel Del Pozo dit vouloir donner la parole aux paysans indigènes dans son introduction, néanmoins, force est de constater qu’on les entend très peu dans ce livre.

On pourrait donc reprocher à l’auteur cette approche quelque peu élitiste, qui dépossède les paysans indigènes de leur capacité et de leur volonté propres à s’organiser. Ont-ils réellement besoin de l’Etat, des ONG, et des organisations internationales pour se mobiliser et pour réaliser des projets ? N’appartient–il pas aux paysans de se penser eux mêmes ? Pourrait-on imaginer, à la place du projet politique global émanant des Etats que propose Ethel Del Pozo, un projet paysan pensé par, pour et avec eux ? Plus que les ONG qu’on pourrait qualifier d’entités à vocation palliative (pour faire simple : elles agissent là ou l’action de l’Etat n’est pas suffisante), les paysans sont par définition des producteurs, et donc fondamentalement des créateurs de richesse : ils pourraient donc tenter d’être autosuffisants, sans avoir recours à des fonds financiers ou à une aide extérieure…

Alors, faut-il vraiment chercher des solutions exogènes, ou au contraire, se recentrer sur la communauté paysanne indigène comme étant le moteur de sa propre destinée ?

Notes

  • Auteur de la fiche : Mayanne MUNAN.