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, Paris, 2009

Restaurer la confiance après un conflit civil

Analyse comparée des situations au Mozambique, Cambodge, et en Bosnie-Herzégovine.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Utilisation de l'imaginaire | Mémoire collective et paix | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Mémoire et paix | Bosnie-Herzegovine | Mozambique | Cambodge

Réf. : Gaborit P. Restaurer la confiance après un conflit civil : Cambodge, Mozambique et Bosnie-Herzégovine, Paris L’Harmattan 2009.

Langues : français

Type de document :  Ouvrage

Comment contribuer à la reconstruction sur le long terme des sociétés fortement ébranlées par des conflits sanglants ? A la fin des conflits civils, les populations qui ont survécu dans des pays dévastés par la guerre, connaissent un manque de confiance envers des institutions émergentes mais aussi au sein de la société. Le concept de confiance est un terme kaléidoscopique et polysémique, dont les différents sens peuvent servir d’outil d’analyse des situations de post-conflit. C’est aussi un terme transversal au sein des sciences sociales. Dans un contexte d’éruption de violences et d’instabilité politique, cette étude cherche à montrer comment la confiance est un paramètre central de compréhension du post-conflit. L’étude se fonde notamment sur les résultats d’enquêtes de terrain : à savoir près trois cents entretiens effectués dans trois pays : le Cambodge, le Mozambique et la Bosnie-Herzégovine. L’étude apporte quelques pistes de réflexion sur l’intervention des organisations internationales dans la construction de la paix et de la justice. Enfin la troisième partie, la plus intéressante, propose une approche des mémoires et imaginaires du post-conflit, de la paix, et de la confiance au niveau social.

I. La confiance dans les institutions

Lorsque l’Etat et les autres organisations publiques n’assument plus leurs fonctions (1), la confiance dans ceux-ci peut difficilement être conservée intacte, même s’il arrive aussi que des gouvernements en exil continuent de thésauriser la confiance. Mais c’est aussi justement parce que les acteurs du conflit se battent pour construire le post conflit, qu’ils véhiculent chacun une certaine vision de l’Etat et des institutions publiques. Pendant cette période d’interruption de l’ordre public antérieur au conflit, l’incertitude devient en effet plus importante. Et c’est dans cette situation d’attentes que la confiance dans les acteurs du conflit, et dans la vision qu’ils véhiculent d’un futur pays nécessite la cristallisation des attentes d’une partie de la population. Les acteurs du conflit, propagent en effet des attentes concernant l’avenir de la population que ce soit en termes de territoire mais aussi d’organisation publique, de régime, de gouvernement etc.

Dans un pays où le système public ne fonctionne plus, il faut que les populations investissent de la confiance pour pouvoir mettre en place une nouvelle institution, parce qu’il faut que chacun parie que les autres vont coopérer pour que la nouvelle institution ainsi créée fonctionne (2). C’est en ce sens que la confiance dans les institutions publiques est une confiance qui se construit ou une confiance réflexive d’après la terminologie de Guido Möllering (3).

Dans ce contexte, la confiance ne peut être qu’un processus long, et difficile. Les institutions publiques qui sont alors mises en place (4) ne bénéficient pas en effet spontanément de la confiance de la population, mais doivent à l’inverse justifier de plusieurs éléments : premier élément qui peut entraîner un déficit de confiance à leur égard voire de la méfiance, est que ces institutions en charge de l’ordre public n’aient pas pu prévenir ou endiguer le conflit. Dans le cas de l’Etat, il est difficile de faire confiance par exemple dans un Etat nouvellement créé si avant le conflit l’Etat alors en place a tenté mais n’a pas pu prévenir le conflit.

Un second élément, que les nouvelles institutions en place doivent pouvoir justifier, est leur capacité à mettre en place de nouvelles politiques de grande envergure (par exemple de reconstruction), et se substituer à l’ordre décentralisé des fiefs créés pendant la période de conflit (En Bosnie notamment, mais aussi au Mozambique et dans d’autres pays comme en Afghanistan). L’Etat est alors un élément abstrait, et les institutions qui se mettent en place, doivent trouver une nouvelle légitimité. C’est dans ce contexte que le nouvel ordre de production de normes (juridiques et légal) apparaît, alors que des cas d’injustices flagrants, et de graves transgressions par rapport au système ancien (légal comme de valeurs) ont été commises.

La période du post conflit se caractérise par un contexte d’évolution rapide des représentations et des attentes, une période de tentative de reconquête de l’espace public et de l’Etat sur le territoire et la population, et par la recherche de légitimation des acteurs que ce soit sur un mode démocratique ou autoritaire. La participation et les interventions de la communauté internationale et des ONG vont faciliter ou au contraire retarder la reconquête de l’espace public.

Dans ce contexte cette reconquête s’accompagne de la diffusion de symboles d’unité. Mais ces tentatives laissent aussi des stigmates sur les territoires et les communautés : irrédentismes, rivalités entre régions, tensions entre communautés etc. La difficulté pour comprendre la question de la confiance dans l’Etat, les institutions publiques et la justice dans une situation post conflictuelle, vient par ailleurs du fait, que la disparition de l’espace public pendant le conflit ne signifie pas pour autant que l’Etat, et les institutions publiques y compris les institutions judiciaires, disparaissent. Ils participent aussi comme acteurs au conflit, de manière directe ou indirecte, et les autres acteurs du conflit en ont aussi véhiculé des conceptions propres et parfois contradictoires entre elles pendant le conflit, en vue de dans la préparation de la fin de la guerre, et de la remise en place d’un nouvel ordre public.

II. La confiance dans la société civile

Même si le conflit a d’abord des effets de déstructuration et de rupture de la confiance, il peut aussi révéler l’individu et les groupes comme acteurs ou comme sujets citoyens porteurs de confiance. Le paradoxe de la déstructuration liée au conflit armé notamment en milieu urbain, est que bien souvent, elle engendre des demandes de solidarité et fait émerger de nouveaux réseaux de confiance. C’est pourquoi une analyse de la confiance au sein de la société civile est porteuse de sens dans les sociétés post conflictuelles. Dans de nombreux contextes en effet les individus se regroupent pour tenter de répondre à de multiples problèmes : pauvreté, insalubrité et soutien des victimes de guerre ou de violence… Les formes de groupement peuvent être très diverses : groupements informels, clubs, coopératives, mutuelles, associations de médias, associations ou organisations non gouvernementales, comités de quartiers…Ces espaces sont créateurs de liens de confiance à plus d’un titre. Ils évitent bien souvent la marginalisation des membres et deviennent l’expression de la solidarité entre individus. Plus largement, le fait de se retrouver, de discuter de problèmes et de se rendre compte qu’on les partage avec les autres membres permet de créer ou de renforcer un sentiment d’appartenance à un collectif, de forger ou de renforcer une identité collective. Le partage d’enjeux implique aussi une responsabilisation de chaque membre, et une gestion du compromis pour privilégier l’intérêt collectif. En plus d’une fonction de valorisation de l’individu, les associations sont en effet aussi prestataires d’un service collectif. Les sociétés ne répondent cependant pas toujours aux difficultés de la situation post conflictuelles par l’organisation et l’émergence d’une société civile. Il existe de nombreux facteurs qui influencent ce développement. L’histoire du conflit intervient elle aussi comme facteur. Par exemple, aujourd’hui certaines études indiquent que les habitants plus âgés au Mozambique et au Cambodge se méfient des formes d’organisation collective. Ils relient cette méfiance à la période communiste, où les populations étaient encadrées par un système contraignant d’organisation depuis la base (5). La tradition de regroupement de forme associative est sans doute, un autre élément à prendre en compte. Il ne faut pas non plus négliger les pressions auxquelles peuvent être soumises les personnes qui tentent de se regrouper ; s’organiser autour d’intérêts communs ce qui comporte le risque d’aller à l’encontre d’intérêts politiques, économiques, voire mafieux.

Dans un contexte post conflictuel générateur de méfiance, la confiance inter individuelle peut-elle « se transformer en confiance généralisée par le biais de normes émergentes de réciprocité, et par la création de réseaux d’engagement civique (6) » ?. A l’inverse, le déficit de confiance, peut-il expliquer les difficultés liées à la coopération et la reconstruction dans les sociétés post conflictuelles ?

A la suite de conflits civils, la confiance inter individuelle éprouve aussi des difficultés à se transformer en confiance généralisée, et à créer des réseaux d’engagement civique (Seligman (7)). Lorsque des partis, et des médias libres se développent, ils remplissent parfois une fonction symbolique, identitaire autre que la raison pour laquelle la communauté internationale les avaient aidés à se mettre en place. La vie politique même constitue parfois davantage une continuation du conflit, avec des irruptions de violence. A l’inverse le déficit de confiance explique aussi les difficultés liées à la coopération et la reconstruction.

III. La confiance au niveau social

Plusieurs études au sein de camps de réfugiés dans des situations de crises et de conflits montrent l’impact de ces situations sur les communautés et sur leur culture (8). Elles montrent que les familles, les groupes et les communautés souffrent de la guerre, mais que leur culture ne disparaît pas, que les liens se reforment et se reconstituent, y compris les liens de confiance. Après avoir recréer les solidarités nécessaires à leur survie, se pose la question de la réconciliation mais aussi du patrimoine, et de la culture. C’est une nouvelle socialisation et division de l’espace qui s’opère, entraînant des choix dans la gestion du patrimoine notamment. La façon dont la crise et le passage du post-conflit sont vécus peut s’analyser en effet à la lumière des éléments fondateurs et structurants des groupes et en particulier de la culture et de la confiance. De nombreuses interrogations portent notamment sur les processus en œuvre, les populations concernées, les adaptations et recompositions de la culture (9). Quelles sont au quotidien les stratégies culturelles des groupes et des communautés pour survivre et s’adapter ? Pourquoi confrontés aux mêmes situations, certains groupes ou certains individus paraissent-ils mieux résister que d’autres ? L’un des éléments de réponse réside sans doute dans l’état des liens de confiance, des relations de confiance entre les individus au sein et en dehors des communautés culturelles. Le politologue cambodgien Lao Mong Hay jugeait par ailleurs sa société : « Nous avons perdu toute morale, toute culture et nous sommes revenus à un instinct animal (10). » Cette affirmation très exagérée est cependant révélatrice dans son discours de la perte des repères que traversent les sociétés post conflictuelles. Cette perte des repères n’affecte pas que la confiance, mais elle repose sur de nombreux facteurs culturels et cognitifs liés à la modification de l’espace, du territoire, de la société, de la famille et de tous les autres repères sociaux en général. Les affirmations de certains réfugiés confirment par ailleurs cette vision : « J’ai vécu ma jeunesse au Cambodge. Comment se fait-il que les gens de ma génération ne respectent plus assez la religion, et qu’ils fréquentent moins les pagodes qu’auparavant ? (11) ». Plus prosaïquement, le conflit au-delà d’autres facteurs relatifs à la pauvreté et à la mondialisation, explique cette crise de confiance que traverse la société. Le bateau aurait perdu son ancre. Le manque d’instruction et les facteurs de déstabilisation liés au conflit sont pointés du doigt. La perte des repères est aussi sensible dans la continuité temporelle passé, présent et futur qui est traditionnellement incarnée par le patrimoine. Outre la possible destruction des cultures locales, la guerre peut aussi substituer à ces cultures de manière plus permanente une certaine culture de la violence.

Commentaire

Un quotidien mozambicain mentionnait récemment « la population mozambicaine a décidé de prendre la justice dans ses propres mains car elle ne fait plus confiance dans les institutions (12) ». Ces déclarations apparaissent dans un contexte de convulsions et de crise sociale où la paix devient fragile. Des rescapés cambodgiens expliquent que l’on a tué en eux toute possibilité de confiance suite au génocide des Khmers rouges et l’on retrouve ce genre de déclarations en BIH et dans d’autres conflits. Le terme de confiance est un terme qui est familier et donc que l’on croit saisir, mais qui est un paramètre complexe, presque intangible. Mais il existe inévitablement, inexorablement des liens entre les conflits civils, dont les pays sortent exsangues, abîmés, détruits, et le sentiment de confiance dans la population.

Notes

  • (1) : De maintien de l’ordre, mais aussi de régulateurs sociaux

  • (2) : Mais dans ce contexte il est encore difficile d’affirmer si la confiance créée est spontanée mis en place comme résultant d’un besoin humain en situation de crise, si elle est créée par les élites ou si elle résulte d’interactions. C’est au long de cette étude que pourront être apportés des éléments appuyant l’une ou l’autre explication de la confiance.

  • (3) : Cf. note 7

  • (4) : En rupture ou en continuité avec la situation d’avant guerre.

  • (5) : Delacroix S. Floury D. Au-delà de toutes les violences, Paris, Fondation de France, la Dispute, 2004 p 98

  • (6) : R. Putnam, R. Leonardi R et R. Nanetti Opcit.

  • (7) : Seligman A.B. The problem of Trust, édition Princeton University Press, 1997, 232 p.

  • (8) : Delacroix S. Floury D. Au-delà de toutes les violences, Fondation de France, Paris éditions la Dispute, 2004.

  • (9) : La définition que donne l’UNESCO de la culture est la suivante:« La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »

  • (10) : Chamreun U. « De L’intolérance à la violence » in Cambodge soir Hebdo, n°4, 25 Octobre 2007

  • (11) : Déclaration de Eng Sun Hor, 56 ans réfugié en France in Chamreun U. « De L’intolérance à la violence » in Cambodge soir Hebdo, n°4, 25 Octobre 2007.

  • (12) : Lettre d’information Mozambique 150 du 30 Mars 2009 www.tinyurl.com/mozamb