Grenoble, July 2009
« FARC, Confessions d’un guérillero », par Pascal Drouhaud
Une nouvelle perspective sur le conflit colombien : celle des guérilleros et de leur quotidien
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Ref.: Pascal Drouhaud, « FARC, Confessions d’un guérillero », Ed. Choiseul, 2008, 203p.
Languages: French
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La guérilla existe depuis plus d’un demi-siècle en Colombie. Entre violences, narcotrafic et corruption, le conflit qui déchire le pays paraît interminable. Il s’inscrit dans un contexte politique complexe où les acteurs s’accrochent à leurs intérêts. Les tentatives de négociations avortées entre le gouvernement et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, dites FARC, ne se comptent plus. Le pays est face à un dialogue de sourds et aucune brèche en faveur de la paix ne semble se dessiner. Dans ce livre, Esteban Avila nous fait entrer dans le quotidien des guérilleros sous l’œil averti et les éclaircissements de Pascal Drouhaud, un français chargé par différents gouvernements de la question internationale et des affaires étrangères, et de Carlos Eduardo Jaramillo, un Colombien témoin et observateur du conflit qui, l’espace d’un instant, put essayer de réconcilier le pays. Une nouvelle perspective du conflit s’ouvre à nous : celle des guérilleros et de leur quotidien.
I. Les FARC : une organisation stricte et efficace
A. Organisation
Les FARC disposent d’un système d’organisation très hiérarchisé et cloisonné, leur permettant de contrôler efficacement et durablement leur organisation. Il existe deux instances dirigeantes au sein des FARC : le Secrétariat qui définit l’orientation de la guérilla et sa stratégie, et l’Etat major central qui coordonne la lutte. Les actions quotidiennes sont confiées aux blocs. Chaque bloc est chargé au minimum de trois fronts de guerre. Les sous-divisions du bloc sont les suivantes : 1 bloc = plusieurs colonnes = quelques compagnies = 50 hommes. Les hommes sont divisés en 2 guérillas. 1 guérilla = 2 escadrons de 12 hommes. Cette douzaine d’hommes forme l’unité de base dans la structure des FARC. Ce cloisonnement extrême permet qu’un minimum d’information ne transparaisse. Il permet aussi d’éviter la révélation d’informations cruciales si un guérillero d’un échelon inférieur est arrêté.
La clandestinité est essentielle. Les combattants se coupent totalement du monde extérieur et vivent pour la guérilla. Discipline et organisation sont les mots d’ordre. En somme, les FARC fonctionnent comme une armée mais les enjeux de la clandestinité leur imposent plus de contraintes. Le travail sur la cohésion idéologique du groupe est indispensable.
Le régime de sanctions au sein de cette organisation armée est strict. En temps de guerre, la voie de punition la plus courante est le peloton d’exécution. Les délits les plus graves sont : laisser s’échapper un prisonnier, perdre son arme, et avoir des relations amoureuses avec un détenu. Cependant, la désertion, le vol de matériel, l’espionnage et l’insubordination sont aussi considérés comme des fautes graves. Le peloton d’exécution est en général constitué par des camarades de la personne condamnée. Ce qui permet de renforcer l’emprise psychologique sur les combattants. Les guérilleros doivent comprendre que leur lutte n’est pas un jeu et qu’il y a des règles à suivre. Celui qui ne les suit pas, meurt.
Même la vie amoureuse des guérilleros suit une réglementation rigoureuse. Les membres de l’organisation sont classés en différentes catégories selon leur situation personnelle. Les « libres » ou célibataires n’ont pas d’attaches personnelles mais peuvent disposer de jours prévus à l’avance pour des relations sexuelles. Les « fiancés » ont des relations passagères, ne dorment pas ensemble et peuvent être affectés à différents commandements. Les « associés » ont une relation prolongée reconnue par leur entourage, dorment ensemble, mais peuvent quand même se retrouver sur des fronts différents. Les « mariés » ne sont pas séparés par la hiérarchie mais se voient imposer des règles strictes de fidélité et de responsabilité. Pour passer d’une catégorie à une autre ou avoir un enfant, il faut en informer le secrétariat qui donnera ou non son accord.
B. Stratégie
A l’instar d’une guerre classique, la révolution s’alimente de désillusions sociales, politiques ou encore économiques. C’est pourquoi un travail important de conscientisation, qui passe en général par la jeunesse et les étudiants, doit être réalisé. Une révolution s’appuie également sur une guérilla qui harcèle le gouvernement pour l’obliger à céder ses positions militaires.
Vaincre ou mourir pour la cause est une réalité au sein de la guérilla. C’est sans doute ce qui donne le plus de force à l’organisation. Les combattants vivent constamment avec l’idée de mort et donc se dévouent totalement à la cause. Le repli dans des zones rurales, montagneuses ou dans la jungle est souvent utilisé lorsque la situation dans le pays devient très instable ou lorsque les FARC sont sous le coup d’une attaque. La guérilla a pu conquérir à force de patience de nombreuses zones du pays. Ils en contrôlent certaines totalement, notamment dans le Sud où se produit beaucoup de coca. Les FARC se déplacent régulièrement pour éviter toute possibilité d’être repérés et la décentralisation des troupes est aussi importante dans la survie de l’organisation. D’où une nécessité de pouvoir communiquer.
Dans ce sens, un des dirigeants des FARC avait mis au point un système très efficace de communication, nommé « téléphone bleu ». Plusieurs fois par semaine tous les commandants devaient se connecter en même temps sur les mêmes fréquences radio. Ils échangeaient sur les activités et stratégies de la guérilla, les événements politiques importants et les problèmes auxquels ils se heurtaient ainsi que du moral des troupes. C’était un système intelligent qui évitait toute diffusion de fausse information, spéculation ou rumeurs. De plus, parvenir à communiquer discrètement et facilement est un véritable défi lorsque l’on est une organisation clandestine traquée par les autorités.
II. Entre narcotrafic et enlèvements : le business révolutionnaire
Au-delà de leur organisation et discipline exemplaire, la durée de vie des FARC est due en grande partie à leurs moyens économiques. En effet une telle organisation ne pourrait perdurer sans avoir des activités génératrices de revenus conséquents. Nourriture, détention de prisonniers, achats d’armes…une guérilla a un coût plutôt élevé.
Dans les années 80, le trafic de drogues de grande ampleur se met en place en Colombie. Les deux plus célèbres et plus puissantes organisations de narcotrafic seront le cartel de Medellin, avec à sa tête Pablo Escobar, et le cartel de Cali, dirigé par les frères Orejuela. Le narcotrafic constitua une bonne opportunité pour la situation financière très précaire de la guérilla. Tapis dans des régions montagneuses du sud de la Colombie, où les plantations de coca fleurissent, les FARC firent d’abord de la protection de ces cultures un moyen comme un autre de remplir leurs caisses. Les intérêts économiques des guérilleros et des narcotrafiquants convergeaient. La mort de Pablo Escobar laissa une place de choix dans le trafic de drogues en Colombie. De plus, les guérilleros cherchaient à acquérir à ce moment une indépendance financière beaucoup plus grande surtout vis-à-vis du Parti Communiste, un appui traditionnel des FARC. Fabian Ramirez, membre des FARC, mit en place une stratégie très efficace visant à prendre le contrôle de toutes les activités liées au Narcotrafic dans les régions méridionales du pays. Il fut interdit aux paysans de vendre directement leur production de coca aux narcotrafiquants. Ramirez organisa également la mise en place de coopératives qui permirent aux FARC de prendre le contrôle du marché sur les zones de production. Le Bloc Sud de la guérilla a su largement profité aussi des installations mises en place par les cartels. En 2005, les deux tiers de l’offre de cocaïne dans le monde provenaient de la Colombie. Pourtant, les zones de culture de coca détruites par la dispersion de produits chimiques n’avaient jamais été aussi importantes. Cette activité s’est révélée de plus en plus lucrative. : à leurs débuts dans le narcotrafic (années 90), les FARC pouvaient espérer un gain de 5 dollars par kilo de cocaïne. Maintenant, c’est environ 30 000 dollars qu’ils touchent par kilo de drogue.
Le deuxième moyen utilisé pour gagner de l’argent, ce sont les enlèvements. Ce phénomène débuta dans les années 60, atteignant des chiffres invraisemblables en Colombie. Il existe deux catégories d’otages : les otages politiques et les otages économiques. Cette seconde catégorie constitue le « pilier logistique » de l’organisation. En effet, la rançon payée pour la libération de ces prisonniers permet l’achat de fournitures. Les FARC enlèvent principalement des agriculteurs et des éleveurs ; pas de grosses fortunes mais des personnes à l’abri du besoin. Le montant de la rançon peut varier entre 10 000 et un million de dollars. Les cibles de prédilection sont les étrangers. Lorsqu’un des détenus décède, la guérilla cache l’information et fait payer les familles afin qu’elles puissent retrouver le corps de leurs proches. Ils jouent ainsi avec une loi colombienne qui gèle tous les biens d’une personne (même décédée) jusqu’à sa réapparition. De plus, les FARC pratiquent ce qu’ils appellent « la pêche miraculeuse ». Ils placent des barrages sur les routes et font payer à un droit de passage aux personnes arrêtées. Des lois créées par la guérilla ont permis d’installer un impôt pour la paix auprès des personnes dont le patrimoine est supérieur à un million de dollars et une amende qui sanctionne les personnes qui se sont approprié des biens ou de l’argent publics. Les personnes concernées doivent reverser cet impôt sous peine d’enlèvement. Les FARC sont devenues l’une des guérillas les plus riches du monde.
III. Etre un otage des FARC
Ici, il s’agira plutôt de la catégorie des otages politiques, qualifiés « d’échangeables ». Ce groupe réduit de personnes constitue pour la guérilla un moyen de pression sur le gouvernement et leur assure une certaine crédibilité politique. Leur but étant d’échanger ces otages contre les leurs, enfermés dans les prisons colombiennes. Aujourd’hui plus de 3000 personnes sont incarcérées en Colombie pour cause de Rébellion. Des personnalités telles qu’Ingrid Betancourt ou Fernando Araujo (ancien ministre) permettent aux FARC d’acquérir une grande visibilité nationale et internationale. Les enjeux autour des otages politiques sont énormes pour les guérilleros et sont au cœur des négociations. Les détenus constituent un bouclier pour les leaders de la guérilla.
Les enlèvements d’otages politiques nécessitent des capacités logistiques importantes et un long travail de renseignement. Rien n’est laissé au hasard. Ces otages ne sont jamais réunis dans un même lieu et les combattants ont ordre de tuer tous les otages si une attaque armée se produit. « Jamais nous ne sacrifierons notre vie pour celle d’un prisonnier. » La peur de la mort du prisonnier reste l’une de leurs meilleures alliées. Si les guérilleros chargés de la garde des détenus les laissent s’échapper, ils sont passibles de la peine de mort. Les communications entre guérilleros et détenus sont limitées pour empêcher la création de liens et la corruption.
Au niveau du quotidien, la vie des otages reste difficile. La jungle est un environnement très hostile et agressif auquel certains prisonniers mettent du temps à s’accommoder. De plus, ils sont obligés de se déplacer régulièrement pour des raisons de sécurité. Les maladies sont fréquentes et parfois graves : fièvre jaune, hépatites, infections tropicales sont monnaie courante. A cela s’ajoute la présence d’animaux dont les piqûres s’avèrent dangereuses aussi. Les otages sont souvent attachés et parfois punis. L’intimité n’existe pas. Etre prisonnier est une rupture de vie très violente. Un des principaux ennemis est l’ennui. Une surveillance rapprochée jour et nuit est mise en place pour éviter tout suicide ou tentative d’évasion.
IV. La légende Manuel Marulanda
Qualifié de chef suprême des FARC, Manuel Marulanda est le leader traditionnel de la guérilla. Marulanda est décrit comme quelqu’un de discret, préférant écouter que parler et dégageant une autorité naturelle. D’origine indigène, Manuel Marulanda entra dans les forces révolutionnaires au début des années 50, à l’âge de 22 ans. Il est possible de dire qu’il est le fondateur des FARC telles qu’elles existent actuellement. Ce guérillero choisit son pseudonyme en hommage à un dirigeant syndicaliste mort en 1951. Il est surnommé Tirofijo (celui qui vise juste), non pas pour ses qualités dans le maniement des armes mais plutôt pour son succès avec les femmes. La personnalité et le charisme du personnage en firent très vite une légende au sein des troupes et même de la population colombienne. La légende de Marulanda est sans cesse alimentée par toutes sortes de récits invraisemblables. Il est même mort une vingtaine de fois si l’on en croit les médias. Il était convaincu qu’à la fin, la révolution finirait par vaincre et qu’il fallait créer les bonnes conditions pour amorcer un soulèvement des masses. Au fil des ans, plus qu’un leader, Marulanda est devenu un vrai symbole des FARC.
A l’heure actuelle, personne ne sait si Manuel Marulanda est toujours vivant. Il a peu à peu délégué son pouvoir à cause d’un cancer contre lequel il se battait depuis des années. En 2004, Alfonso Cano est devenu le nouveau responsable de la guérilla. Ce retrait du chef historique des FARC fut gardé dans le secret le plus absolu. Avila affirme que c’est peut-être le secret le mieux gardé de la guérilla. Il est certain qu’affirmer la mort de Marulanda (s’il l’est) pourrait avoir des effets dévastateurs. Le gouvernement pouvant s’attribuer sa disparition et la considérer comme une victoire.
V. L’échec des négociations pour la paix
A. Enjeux des négociations
Au cœur des négociations avec le gouvernement se trouve l’échange d’otages contre combattants de la guérilla arrêtés. On le nomme en général échange « humanitaire ». La libération de prisonniers doit être vue comme un geste de bonne volonté de la part des guérilleros. La libération d’un otage porte un coup à la guérilla car elle l’affaiblit. En effet, les otages sont des témoins de la vie, de l’organisation, de la stratégie des combattants. Ils donnent aussi une terrible image, peu favorable à la reprise du dialogue et à la légitimation des actes révolutionnaires. C’est pourquoi les négociations dans ce domaine sont longues et fastidieuses. Le gouvernement n’accédant pas aux exigences de la guérilla, celle-ci campe sur ses positions. Un autre enjeu des négociations est l’amnistie. Les combattants des guérillas considèrent être en guerre et ne tolèrent pas d’être poursuivi pour ce qu’ils voient comme des faits de guerre. Les accusations pour terrorisme, trafic de drogue, blanchiment d’argent, homicides… sont pour eux diffamatoires et illégitimes. Cependant, accorder l’amnistie n’est pas une simple question. Bien que le conflit colombien soit considéré comme un conflit interne, la communauté internationale exerce une pression sur le gouvernement. Les Etats-Unis réclament une extradition vers leur pays de certains dirigeants des FARC accusés de narcotrafic. C’est d’ailleurs une grande peur des guérilleros. Les FARC sont considérés comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, et par l’Union Européenne depuis 2005. Ils encourent donc un risque réel car les accusations portent désormais sur l’organisation toute entière et non plus sur quelques membres, dont certains ont déjà été extradés. L’ONU a également déclaré que les FARC commettaient de graves violations du droit international humanitaire et tombaient sous le coup de la justice internationale. Amnesty International a également pris position dans ce sens. De plus, le droit humanitaire affirme que les otages retenus aux mains des FARC devraient être libérés sans conditions. Ce qui peut compromettre grandement le processus de négociations puisque la guérilla attend que le gouvernement accède à certaines exigences et revendications.
Les FARC cherchent donc à prouver que leurs actions relèvent de la légitime défense. Hugo Chávez a milité un moment pour que la guérilla puisse jouir du droit de guerre international. L’influence de la communauté internationale a réduit la marge de manœuvre de la guérilla.
Les conditions posées par la guérilla sont strictes. La libération des « échangeables » se fera à condition que soient libérés tous les anciens guérilleros retenus dans les prisons nationales et dans une zone débarrassée de toute représentation étatique. La démilitarisation de certaines villes est une des revendications de base des FARC.
Du côté de la guérilla, il peut être envisagé de rendre les armes mais pas à d’autre autorité que le Secrétariat révolutionnaire, en somme pas à l’Etat colombien. Les armes leur garantissent l’accomplissement des accords pouvant être signés avec les autorités.
B. Essais infructueux de la part des politiques
Les FARC n’ont jamais cru aux résultats que pourraient donner des négociations avec le gouvernement. Voilà pourquoi les tentatives de l’Etat se sont aussi souvent révélées être des échecs. Néanmoins, négocier permet aux FARC de gagner un espace politique. La détermination des gouvernements successifs à vouloir éradiquer le trafic de drogue et la violence structurelle qu’il engendre n’a pas encore permis d’arriver à un dialogue satisfaisant avec les FARC.
La bonne volonté dont a fait preuve au début le président Pastrana (1998 – 2002) n’a pas suffi. Le dialogue avec les FARC était un enjeu majeur des élections de 98. Les FARC montrèrent des signes positifs en faveur de Pastrana. Ils souhaitaient s’inscrire alors dans une dynamique politique et conquérir un espace politique. Le président s’avéra un interlocuteur fidèle et constant pour la guérilla mais assez vite, les deux camps ne purent combler leurs divergences. L’objet principal du dialogue était la création d’une zone démilitarisée dans laquelle pourrait se dérouler de futures négociations pour la paix proprement dite. Le gouvernement accepta mais les guérilleros placèrent chaque fois plus haut la barre de leurs exigences. Des tables rondes furent organisées autour de 100 questions de société qui représentent les revendications idéologiques de la guérilla : questions économiques et sociales, agriculture, redistribution des terres, extension du micro crédit, respect des droits de l’homme, réforme du système judiciaire… D’autres négociations portèrent exclusivement sur l’échange humanitaire. Mais aucune ne fut fructueuse. Les FARC ont continué leurs attaques en essayant de conquérir et contrôler le territoire. Manuel Marulanda ne s’est d’ailleurs pas présenté lors de l’ouverture des négociations avec le gouvernement Pastrana. Face aux agressions incessantes des FARC et suite à l’enlèvement d’un sénateur, le gouvernement décida de ne pas renouveler le bail de trois ans de la zone démilitarisée.
En 2002, une nouvelle rupture avec le gouvernement était déjà bien amorcée et l’élection d’Alvaro Uribe cette année là n’arrangea pas les choses. Sa politique de non – négociation ainsi que l’aide économique et l’influence des USA à travers le plan Colombie, sont des freins majeurs à l’heure d’aujourd’hui pour la reprise du dialogue. Néanmoins, en 2007, Uribe décida de libérer plus de 120 guérilleros. Cela aurait pu faciliter la reprise du dialogue mais malheureusement des erreurs stratégiques du président et sa position considérée comme inflexible par les FARC ont fait capoter l’opération. Les FARC se sentent réellement menacées par l’actuel président colombien et se ferment de plus en plus à la voie du dialogue pour la paix.
VI. L’histoire d’Esteban Avila : d’un engagement profond à la désillusion
Esteban Avila est né en 1957. Il d’abord grandi dans une petite ville proche de Bogota. Puis les affaires de son père marchant bien, la famille s’installa dans la capitale. Son père l’encouragea à faire des études. Esteban Avila s’inscrit donc dans une des rares universités libres, c’est-à-dire non religieuse, de la ville pour y étudier le droit. Les universités libres étaient considérées comme étant plutôt contestataire et c’est donc là bas qu’Avila put se rapprocher du parti communiste colombien. A l’époque, les FARC étaient le bras armé du parti. Avila soutenait alors les revendications en faveur d’une réforme agraire et s’insurgeait contre les injustices de la société. Il rêvait de combattre aux côtés des FARC. Il milita pour la JUCO (jeunesse communiste) et représenta l’organisation lors de rencontres internationales communistes. Voulant participer activement à la lutte révolutionnaire, Avila se rendit en Amérique centrale, lieu où « tout se passait à l’époque ».
Avila fit son apprentissage guérillero au Nicaragua et au Salvador, notamment auprès des combattants du FMLN (Front Farabundo Marti de Libération Nationale). Il comprit que les armes n’étaient que le prolongement de la politique. Car c’est en effet la politique qui monopolise toutes les discussions et qui définit toutes les stratégies d’action de la guérilla. Il apprit les techniques du combat de nuit, l’art du camouflage et de la dissimulation, et l’importance du cloisonnement de l’information et de la désinformation. Il rentra en Colombie durant l’année 1983 et fut contacté par le commandant Manuel Marulanda, considéré comme chef de la guérilla. Esteban endura alors une phase difficile où il fut rudement mis à l’épreuve par la guérilla afin de s’assurer de sa solidité et de son engagement. Il put ensuite pleinement intégrer les FARC et entrer dans la clandestinité. « Les FARC devenaient ma famille au sens propre comme au figuré. » Il trouva un alias comme tous les combattants « policarpo ». Esteban Avila n’avait désormais plus qu’une seule raison d’être, vaincre ou mourir pour la cause de la guérilla.
Il se maria avec un autre membre des FARC, Usnabi, qui fut malheureusement tuée lors d’un violent combat contre l’armée colombienne. La mort affecta gravement Esteban qui prit du recul dans ses activités révolutionnaires. Il travailla alors pour la section de renseignement. C’est ainsi qu’il fut arrêté. Avila devait transmettre des informations contenues dans des clés USB au bloc central. Une patrouille contrôla le bus où il voyageait et il fut repéré après que son identité s’est révélée fausse. Il a été condamné à 20 ans de prison pour port illégal d’armes, sédition et terrorisme.
Il avoue que cela n’avait pas d’importance car il a depuis longtemps perdu ses illusions sur le combat que mènent les FARC depuis tant d’années. Mais il espère tout de même un accord entre le gouvernement et les FARC. Il est certain qu’il sera échangé avec ses camarades emprisonnés contre un otage politique détenu par la guérilla. Il affirme ne plus vouloir reprendre les armes.
Commentary
Depuis l’engagement véhément d’Avila à ses débuts jusqu’à ses désillusions actuelles, la route est longue. Il est vrai que la guérilla a perdu les valeurs et les idéaux qu’elle prônait autrefois pour se retrouver coincée dans la spirale du narcotrafic. Néanmoins, ce n’est pas la fin pour les FARC. Même Esteban Avila veut encore y croire.
En tant qu’ennemi ou « méchant », l’analyse des FARC sur cette guerre n’est pas reprise par l’opinion publique et les médias internationaux. Il est donc intéressant de voir comment ils vivent ce conflit et quelles sont leurs difficultés au quotidien. Ce livre apporte également des explications claires des aspects politiques du conflit. Cette question est très complexe car les acteurs liés aux implications politiques sont nombreux et les liens entres les uns et les autres ne sont pas toujours évidents.
Je me suis tout de même demandé jusqu’à quel point les propos tenus dans le livre sont véridiques. Bien que le discours et les explications données par Estaban Avila soient appuyés par des faits historiques avérés, ses paroles ne peuvent être prouvées. De plus, si l’on considère le fait que ce guérillero reste fidèle au mouvement, pourquoi irait-il exposer ses camarades à cause de ses révélations ? Le livre ne contient pas non plus de secrets permettant de causer la perte de la guérilla mais je redoute que certains faits aient été déformés, amplifiés ou bien éclipsés.
Notes
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Auteur de la fiche : Amélie Gonzalès