Fiche de document Dossier : Des institutions politiques, sociales, religieuses devant leurs responsabilités dans la construction de la paix. Présentation d’un ensemble de publications.

, Paris, mars 2005

Les Cambodgiens face à eux-mêmes. Contribution à la construction de la paix au Cambodge. Ouvrage collectif coordonné par Christian Lechervi et Richard Pétris.

Au cours de son histoire, le Cambodge a concentré toutes sortes de conflits du XXe siècle et au moment où l’ONU s’engage enfin résolument à pacifier le pays, le livre s’interroge sur les évolutions possibles.

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Réf. : Coordonné par Christian Lechervy et Richard Petris, Dossier pour un débat, février 1993

Langues : français

Type de document : 

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Asie a connu divers types de conflits : réorganisation des frontières, constitution des blocs, guerres de décolonisation, guerres inter-étatiques et inter-ethniques asiatiques, et le Cambodge les a toutes traversées. La "troisième guerre d’Indochine" ou guerre du Cambodge intervient dans un contexte de tension sino-soviétiques, américano-soviétiques et sino-vietnamiennes. Une fois ces tensions apaisées, essentiellement par la chute soviétique, l’ONU prédominée par des puissances de second ordre (France et Japon) trouvant un intérêt à cette intervention, entre dans le processus de paix, avec un déploiement inédit d’hommes et de moyens. L’ONU joue alors sa crédibilité sur cette affaire.

L’ouvrage s’interroge sur le rôle et les erreurs de l’ONU, des forces civiles internes et de l’aide humanitaire dans la résolution des conflits. Les ONG se sont de fait intégrées dans la résolution des conflits, glissant de l’humanitaire d’urgence vers la politique. Elles font par exemple un remarquable travail d’information et de réinsertion. Or, elles proviennent des pays riches, et de plus, elles sont plus promptes à aider les anciennes colonies. D’où le risque d’instrumentalisation diplomatique par leur pays, et de décrédibilisation par le pays soutenu.

Ici sont présentés les actes d’un colloque tenu en 1992, au lendemain des "Accords de Paris" qui avaient tenté de trouver une solution au conflit cambodgien, en conviant à la table des négociations les Khmers rouges toujours au pouvoir et sans leur reprocher le génocide. L’ONU s’occupe des modalités pratiques, mais déjà les Khmers rouges rompent le cessez-le-feu, et le doute sur les perspectives de paix s’installe parmi les spécialistes. C’est donc principalement un livre tirant des conjectures sur l’avenir d’une situation politique troublée.

La première partie est plutôt géopolitique et stratégique, la suivante traite de questions politiques et économiques intérieures, et l’ouvrage se termine par des considérations socio-ethnologiques. On a ainsi le spectre des disciplines pouvant intéresser la science politique.

  • Première partie

Les deux premiers articles situent le Cambodge dans son environnement géopolitique et imaginent des scenarii d’évolution de la situation au moment des Accords de Paris pour la paix. Ensuite, ils traitent du calendrier du programme de paix onusien, qui semble difficile à tenir en raison de l’ampleur de la tâche (désarmement, rapatriements et réinsertion des réfugiés, organisation d’élections et d’une vie politique, rétablissement de la paix civile…).

  • Deuxième partie

Ensuite, deux articles parlent de l’organisation intérieure du pays : l’un traite de l’emploi de la force onusienne dans le processus de pacification du Cambodge. 16 000 hommes sont employés, devant s’assurer du retrait des armées étrangères, superviser le cessez-le-feu, désarmer et déminer le pays. Toutefois, l’ampleur de la tâche de déminage, le glissement vers le banditisme des soldats démobilisés ou l’interdiction d’utiliser les armes risquent de rendre l’ONU peu crédible. L’autre traite de l’économie cambodgienne, dans laquelle les Khmers rouges sont très impliqués. L’exploitation forestière et l’exploitation des pierres précieuses, ainsi que le quasi-boycott de la monnaie officielle dans les régions qu’ils contrôlent leur assure un poids politique. L’argent est thésaurisé ou réinjecté dans les territoires "libérés" pour rallier la population à leur cause.

  • Troisième partie

Enfin, une habile combinaison d’articles entraînant un débat socio-ethnologique à propos de l’attitude des populations cambodgiennes face à l’usage de la démocratie conclut l’ouvrage. L’un d’entre eux présente la mentalité paysanne du Cambodge, pour anticiper les comportements de cette fraction majoritaire de la population face aux élections. La soumission traditionnelle devant les "aînés" les fait aspirer davantage à la monarchie et donc au prince Sihanouk. Mais il reste à savoir s’ils surmonteront la crainte de représailles en allant voter. L’article faisant suite élargit l’étude socio-ethnologique aux conceptions de l’ensemble de la société face au vote à venir. Il insiste tout autant sur la fragmentation de la société en castes et en hiérarchies auxquelles chacun se soumet. Au niveau des décideurs politiques, le clientélisme et le népotisme règnent. Enfin, le dernier article prend le contre-pied de ce qui a été exposé précédemment en comparant avec l’expérience de la démocratie indienne. On pensait de même le pays inapte à construire un régime démocratique en raison de la différence culturelle, de la prégnance des castes et de la hiérarchie. Il expose, sur l’exemple indien, les préalables nécessaires à l’implantation de la démocratie au Cambodge.

Commentaire

Cet ouvrage est constitué d’articles rédigés par des spécialistes français du Cambodge et de sa zone. L’axe d’étude regroupant des questions pluridisciplinaires est la question de la pacification problématique du Cambodge. Les auteurs cherchent les raisons des troubles perpétuels, tentent d’en prévoir les évolutions et proposent des solutions en conséquence : c’est donc un ouvrage érudit à finalité pratique, à destination du pouvoir, pour "conseiller le Prince". À cet égard, le colloque était présidé par un fonctionnaire attaché à la stratégie du Ministère de la défense, ce qui ne l’empêche pas d’exprimer en son nom personnel des opinions peu orthodoxes. La compétence des auteurs aux profils variés est évidente, leur connaissance profonde du terrain est manifeste, mais ceci peut rendre le texte très technique. On trouve par exemple des formules du type "c’est bien connu et il n’est pas nécessaire d’en faire une description détaillée" (p 31). Il est donc préférable d’être sensibilisé au problème cambodgien depuis la Seconde Guerre mondiale pour mieux profiter de ce livre.

Une des particularités remarquable de l’ouvrage est de présenter des réflexions de spécialistes à un moment charnière de l’histoire cambodgienne, lorsque l’évolution à court terme reste encore totalement incertaine. Les actes du colloque ayant été actualisés avant la mise sous presse, le lecteur peut suivre la validité de certaines projections qui se sont réalisées. Il est encore plus intéressant, à la lumière des développements politiques postérieurs à l’édition, d’examiner la capacité de pronostic des auteurs : ils ont souvent vu juste !