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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, mars 2005

Chine et Occident : une relation à réinventer. Ouvrage collectif : Yu Shuo, S. Jourdain, C. Eberhard, A. Kernévez, Gracia.

Le récit d’un projet organisé dans le cadre de "l’Alliance pour un monde responsable et solidaire" qui a organisé des rencontres entre Chinois et Européens dans une approche interculturelle, pour repenser les rapports entre les deux mondes.

Mots clefs : | | | | | | | | |

Réf. : Yu Shuo, avec la collaboration de S. Jourdain, C. Eberhard, . Gracia, A. Kernévez, Editions charles Léopold Mayer, Paris, 2000

Langues : français

Type de document : 

L’ouvrage débute par une mise en perspective historique des rapports sino-européens et de leurs évolutions, dans le but avoué de "faire tomber la muraille de Chine". Il distingue trois phases d’ouverture successive de la Chine à l’Occident.

I. La confrontation spirituelle et intellectuelle

Dès l’époque romaine, la Chine entretenait des rapports commerciaux avec l’Occident. Au cours des premiers siècles de notre ère, ce sont principalement des marchands du Moyen-Orient qui constituent la population étrangère résidant en Chine. Ensuite, les Arabes musulmans firent durablement office de médiateurs entre la Chine et l’Occident. Schématiquement, il faudra attendre le XIIIe siècle pour retrouver des Européens en Chine (missions papales, Marco Polo…).

Mais c’est au XVIe siècle que l’on peut situer les premiers contacts durables établis entre les Chinois et les Européens, par les missionnaires jésuites (Matteo Ricci). Les Chinois voient en eux un mélange de sacré et d’intellectualisme. Ricci se présente non comme un religieux, mais comme un philosophe, un moraliste, un artiste, ce qui lui attire l’intérêt des lettrés Chinois. Il construit un système syncrétique reliant l’art, la science, la pensée et la religion, et assimilant ainsi le confucianisme originel au christianisme : les missionnaires sont adoptés lorsqu’ils s’allient aux lettrés. Cette approche syncrétique (science et religion) et assimilationniste (entre christianisme et conception chinoise) est rejetée tant par le pouvoir spirituel de tutelle que par les Chinois, qui perçoivent plus clairement les fins évangéliques poursuivies par les missionnaires.

Au temps des Lumières, les échanges d’idées continuent, et un courant sinophile idéalise le système chinois (pour Voltaire, la Chine est "la nation la plus sage et la mieux policée de l’univers"). Parallèlement, un contre-courant, sinophobe, s’affirme chez des intellectuels : Montesquieu invente le terme de "despotisme Chinois", rendu selon lui nécessaire à cause des défauts "méridionaux" attribués par déterminisme géographique aux Chinois.

II. La confrontation économique et militaire

La Chine refusant d’ouvrir son marché aux marchandises étrangères, les Anglais mirent en place un commerce triangulaire clandestin entre l’Inde, la Chine et le Royaume-Uni, la Chine recevant l’opium indien. Un édit impérial tente de mettre fin à cette situation, et les Anglais rétorquent par deux guerres consécutives dites "de l’Opium". La défaite Chinoise entraîne l’ouverture de ports francs pour les étrangers. La Chine est alors dominée militairement par les puissances étrangères dans sa zone d’influence traditionnelle (colonisation de l’Indochine…), et jusqu’à l’intérieur même de ses frontières. Ceci laisse de profondes marques de vexations parmi les Chinois. Tout au long du XIXe siècle, les traités militaires et commerciaux imposés aux Chinois par les Occidentaux entraînent la désagrégation d’un ordre politique millénaire.

À l’intérieur, les missionnaires protestants s’impliquent particulièrement dans le développement de la technique et du savoir occidentaux : des imprimeries, des écoles gratuites, des hôpitaux voient le jour sous leur impulsion. De cette manière sont formés les premiers Chinois "interculturalistes". Le pouvoir relaie cette évolution. Pourtant, il ne s’agit pas d’une assimilation culturelle, car les Chinois se servent du savoir occidental comme d’un outil pour le redressement national. La xénophobie, le sentiment de supériorité, le dédain des étrangers sont très largement partagés.

III. La confrontation idéologique

La pénétration de la culture occidentale fait que, au lendemain de la Première Guerre mondiale, une fraction de la jeunesse réclame un pouvoir de type républicain. Ceci témoigne d’un complexe de modernisation qui accompagnera tout le XXe siècle chinois. L’expérience communiste entre dans ce cadre (industrialisation, révolution culturelle, affiliation au régime soviétique et à son idéologie d’origine européenne).

À partir de 1990, le PCC se positionne en défenseur de la Chine éternelle, alors qu’il s’était fait auparavant le chantre de la destruction des valeurs ancestrales. La Chine fait le va-et-vient entre culture nationale et occidentale et la critique sans la rejeter. Elle s’en inspire tout en la dénigrant. C’est la conclusion devant servir de préliminaire à une réflexion constructive sur les rapports à entretenir dans l’avenir.

IV. Le projet

La fondation Léopold Mayer, dans le cadre de "l’Alliance pour un monde responsable et solidaire" s’est engagée dans un processus interculturel, en organisant une rencontre entre les deux mondes, réellement positionnée en situation intermédiaire. Un travail préliminaire s’est attaché à repenser les perceptions, les concepts spécifiques aux deux cultures pour organiser une rencontre sur l’idée de pont. On propose de s’appuyer sur des structures administratives décentralisées (type "association des maires"). C’est cette idée de pont, d’influences, d’évolutions et de persistances culturelles qui sous-tend le cahier photographique inséré au cœur de l’ouvrage.

Le projet a inclus des voyages d’échanges entre Chinois et Européens pour découvrir la face noire de leurs développements intérieurs respectifs. Ces émissaires ont fait part de leurs perceptions subjectives de ces expériences dans des carnets de voyages collectifs ou individuels. En effet, par "modestie intellectuelle", les auteurs revendiquent leur vision "partielle et partiale", ne présentant pas ce qui est, mais ce qu’ils ont voulu voir.

Du fait que les textes sont délibérément subjectifs, une certaine sincérité, un caractère presque ingénu et compréhensif en ressort. Côté occidental, ils présentent la Chine profonde, tanguant toujours entre omnipotence étatique du communisme, et débrouille et arrangements inhérents au capitalisme. Les urbains pauvres ainsi que les paysans en payent le prix le plus fort. Les auteurs : un ethnologue, un écrivain, un agronome, un universitaire et un plasticien. Les textes sont écrits sous une forme mélangeant l’intime ("respecter un rythme, un horaire, un découpage du temps n’est pas l’apanage des Français, surtout hors de leur milieu géographique") à l’observation objective : l’agronome en profite pour passer en revue l’agriculture chinoise avec son œil de professionnel ("le manque presque total de mauvaises herbes dans les champs signale un fort usage d’herbicides et autres produits chimiques").

Les chinois se penchent collectivement sur des réalisations politiques de l’Europe avec chiffres à l’appui : développement urbain, tourisme par la préservation du patrimoine historique (à propos des échafaudages pour la restauration des monuments "il semble qu’aussitôt les travaux achevés il faille recommencer"), et emettent des critiques plus prosaïques : "Beaucoup d’excréments jonchent les trottoirs. Marcher dessus est répugnant et cela est un déshonneur pour des capitales aussi anciennes et culturelles". À propos de la pause déjeuner des boutiques "ce type de comportement (paresse, refus de gagner de l’argent), nous est incompréhensible". Un carnet collectif d’un second voyage poursuit l’apologie du système social et politique de la "vieille Europe", mais répète son horreur devant "les excréments, les mégots et les graffitis". Ils en retirent des leçons pour organiser leur développement urbain. Le développement durable en est le maître-mot.

Commentaire

L’ouvrage m’a beaucoup plu. Il présente un projet de coopération de manière intégrale et ce qui permet de mesurer l’intérêt de telles initiatives. Il est de haute tenue littéraire et intellectuelle, sans pour autant sombrer dans le pédantisme. À cet égard, la mise en page est attrayante et appelle à la curiosité : une mise en perspective historique brosse un tableau succinct mais efficace des influences occidentales successives en Chine et le texte est agrémenté d’encarts développant un sujet précis, représentatif et révélateur. Toutefois, on peut regretter que le chapitre de présentation méthodologique du projet ne vienne qu’après la présentation historique ad hoc.

L’intérêt principal de ce livre repose sur l’approche interculturelle adoptée. Il prend comme postulat que même si la compréhension mutuelle totale est un mythe, on doit tout de même y travailler. En effet, la globalisation est en marche, et elle ne doit pas aller dans le sens de l’uniformisation, mais tendre vers un monde "d’interconnaissance et de respect mutuel, enrichi de la diversité, empreint de la conscience de son unité". Le projet croit en l’unité de l’humanité et en la diversité du monde. C’est une approche relativiste, et non ethnocentriste, qui est retenue pour travailler à une "compréhension mutuelle". Pour cela, les auteurs insistent sur le rôle de médiateur (le traducteur, le consultant, le diplomate) qui doivent faciliter la compréhension plutôt que de voir de manière unilatérale. Ils doivent faire office de pont plutôt que de se retrancher dans leurs territoires culturels.

Un effort de compréhension de l’autre, d’appréhension une culture que l’on sait fort étrangère anime les acteurs de ce projet. Les carnets de voyage en témoignent, ils parlent de la volonté de comprendre avant de juger. Ils sont très intéressant, car d’un côté ils humanisent le projet, illustrent les activités, et en même temps ils tirent chacun conclusions et enrichissements de leur voyage.