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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de témoignage

, France, mai 2015

Burundi, nouveau dérapage pour la démocratie africaine

Entretien avec Germain-Hervé MBIA YEBEGA, Politologue. Observatoire Politique et Stratégique de l’Afrique (Paris-France). Chercheur associé au GRIP (Bruxelles-Belgique) et à la FPAE (Yaoundé-Cameroun).

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Quelle analyse faites-vous des troubles sociopolitiques liés aux intentions prêtées au président burundais Pierre Nkurunziza de briguer un 3ème mandat ?

Germain-Hervé MBIA YEBEGA. Nous n’en sommes plus seulement aux intentions, il y a passage aux actes : une situation qui produit un macabre décompte. Des policiers burundais, censés protéger leurs concitoyens, ouvrent le feu et assassinent, sur ordre d’un gouvernement dont une part de la légitimité populaire est remise en cause. Des milices armées, affiliées au parti présidentiel menacent et tuent impunément. Pourquoi donc ?

La vie en communauté se fonde sur l’élaboration, l’adoption et l’application de règles. Celles-ci font sens, en constituant le socle transactionnel sur lequel se construit en permanence le pacte républicain.

Le Burundi a, en la matière, deux corpus de textes fondamentaux, dont l’adoption procède de longues et difficiles négociations entre les principaux acteurs sociopolitiques burundais, au terme de plusieurs décennies de violences de masse, ayant provoqué de centaines de milliers de morts : les Accords d’Arusha signés en 2000 en Tanzanie ; et la Constitution de la république du Burundi qui date de 2005. Les cosignataires du premier texte n’ont rien trouvé à redire (lors de la conclusion des négociations), qui remettrait en cause le point qui fait problème aujourd’hui. De même, n’ont-ils pas formulé de réserve fondée, lors de l’adoption (consensuelle) de la Constitution, le texte constitutionnel s’inspirant, largement, par ailleurs, des Accords d’Arusha.

Et ce point essentiel, ne souffre aucune ambiguïté : ni dans le fond, ni dans la forme. Le chef de l’État ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs de cinq ans chacun. Il est élu au suffrage universel direct. Avec, cependant, l’exception du premier mandat du premier président de la période post-transitoire, élu au suffrage universel indirect. Ce premier mandat n’en constitue pas moins un mandat, de plein droit et d’exercice.

L’actuel chef de l’État, premier président de la période post-transitoire, voudrait tordre le bras à cette disposition, en se la réappropriant d’une manière qui n’honore personne, et expose le Burundi, ce pays meurtri par son histoire des cinquante dernières années, au drame d’une guerre civile.

La crise actuelle au Burundi n’est pas une crise ethnique. La crise actuelle au Burundi n’est pas non plus un conflit religieux. La crise au Burundi n’est pas dérivée d’une projection impérialiste ou néocoloniale. La crise au Burundi est la crise de l’irresponsabilité de certains dirigeants politiques. Elle est la crise de la tricherie et du brigandage constitutionnel.

« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », affirme Aimé Césaire. Un gouvernement qui ruse avec les fondamentaux de l’État de droit est un gouvernement moribond. Le gouvernement du Burundi est un gouvernement moribond.

Y-a-t’il un risque de voir la situation se dégrader au Burundi ?

La situation au Burundi s’est déjà suffisamment dégradée : tout est question d’échelle d’appréciation. Aucun citoyen burundais ne devrait perdre la vie parce qu’il demande tout simplement que le serment prêté par les dirigeants qu’il a élus, soit respecté.

Monsieur Pierre Nkunrunziza a prêté serment d’allégeance à la loi fondamentale, qui est le cœur du fonctionnement de toute la machine sociopolitique au Burundi. Il contrevient à ses engagements.

L’État est une épreuve de force. Le Burundi a son histoire. Tout un processus a été enclenché dans ce pays, au terme des Accords d’Arusha, pour réconcilier les Burundais entre eux, et avec eux-mêmes.

La décision d’une partie du CNDD-FDD (le parti au pouvoir) de commettre pareille forfaiture, va contribuer à accentuer les crispations conséquentes aux conflits antérieurs, qu’a connu le pays. Les dirigeants actuels en seront comptables devant l’histoire.

Les Burundais, aidés en cela par les acteurs sous-régionaux et la communauté internationale, peuvent encore éviter l’embrasement général. Il tient, pour l’essentiel, au président Nkurunziza d’être un homme d’État. Il lui tient, d’affronter son propre destin avec courage et responsabilité, évitant ainsi à son pays, la guerre de trop.

Que font l’Union Africaine et les institutions sous-régionales pour résoudre cette crise politique ?

Nous constatons pour le moment, l’incapacité de la diplomatie internationale, à faire sortir le Burundi des risques d’une guerre civile.

L’union Africaine a fait valoir son opposition de principe, à tout trafic constitutionnel de la part du président Nkurunzia. La Ceeac, dont fait partie le Burundi, n’a pas encore, il me semble, fait valoir sa position officielle : je parle sous réserve.

La Communauté d’Afrique de l’Est (ECA) dont Pierre Nkurunziza est le président en exercice, a dépêché il y a 48h, une délégation ministérielle de haut rang à Bujumbura, pour asseoir autour d’une même table les protagonistes de la crise.

Cela n’a pas empêché les forces de police d’interpeler certains dirigeants de l’opposition, ayant participé à cette rencontre.

Pris individuellement, chacun des chefs d’État de la sous-région dite des Grands Lacs est en fin de deuxième mandat (de 2015 à 2017), et non rééligible, exception faite de Yoweri Kaguta Museveni de l’Ouganda. S’il y a peu de chance que le président Jakaya Kikwete soit une nouvelle fois candidat en Tanzanie en octobre 2015, il n’en n’est pas de même pour les présidents de la RDC et du Rwanda, dont des doutes subsistent sur le respect des clauses constitutionnelles d’inéligibilité au terme de leur deuxième mandat. On comprend mieux la paralysie des organisations sous-régionales : leur capacité de projection au Burundi étant proportionnelle à celle des chefs d’État en exercice, et confrontés aux mêmes contraintes situationnelles que Pierre Nkurunziza.

Mais aucun des pays de la sous-région ne peut faire l’économie de la crise burundaise. Les problèmes du Burundi sont les problèmes de tous les pays frontaliers, et les problèmes de tous les Africains.

Comment expliquez-vous la montée des mouvements de contestation populaire en Afrique contre la modification de constitution ou contre les chefs d’État qui cherchent à s’éterniser au pouvoir ?

Il faudrait aborder cette question en se départant de tout unanimisme, et sans aucun déterminisme. Il n’y a pas une obsession africaine de la limitation des mandats présidentiels. Nous n’assistons pas à un raz de marée démocratique en Afrique. Nous ne sommes pas non plus, dans une configuration déterministe des dynamiques sociopolitiques dans le continent, une sorte de feuilleton de la téléréalité politique, dans lequel chacun des épisodes, se rapporterait à la situation présumée catastrophique de chacun des acteurs (étatiques).

Les mouvements revendicatifs et contestataires qui s’affirment dans le continent ne sont pas la photographie d’un instant. Ils s’insèrent dans la longue tradition de lutte des sociétés africaines, qui vivent, s’organisent, définissent les modalités de leur remise en cause, en tant que « systèmes » soumis à leurs propres contraintes.

Cette communion dans des problématiques qui font sens n’est donc pas nouvelle en Afrique, où il existe bien plus que des linéaments d’une mémoire historique commune. Mesurons, par exemple, l’importance des dynamiques (collectives) de la lutte anticoloniale. Les exemples les plus récents, montrent l’engagement d’un grand nombre d’États africains, dans la lutte contre l’Apartheid en Afrique du sud.

Un ami congolais m’a appris à ce propos, que chaque élève de son pays d’origine devait apporter sa contribution annuelle (sous forme d’outil scolaire), pour permettre la scolarisation des enfants sud africains des camps de réfugiés en Afrique australe. Il y a là, par-delà le caractère anecdotique, la force du symbole, qui d’une époque à l’autre, se perpétue.

Les populations africaines n’ont jamais croisé les bras. Elles le font savoir aujourd’hui d’une autre manière : elles réclament le respect scrupuleux de ce qui tient lieu de consensus, au niveau national.

Plus de la moitié des habitants du Burundi ont moins de 15 ans, et l’indice du développement humain culmine à 0,3. Ces enfants ont à peine l’âge des Accords d’Arusha signés le 28 août 2000. Leur position est de principe : ils ne veulent pas que les engagements pris au nom de tous, soient remis en question à des fins contreproductives. Et que fait le gouvernement ? Il ferme le campus universitaire de Bujumbura, interrompt les communications téléphoniques et verrouille les échanges dans les réseaux sociaux.

Il y a une interaction entre la situation à l’intérieur de chacun des États, et l’appréhension des dynamiques à l’échelle de la sous-région et du continent.

Le prix à payer pour briser cette dynamique de l’imposture est élevé, et il faut nécessairement le consentir. La positivité sociologique du conflit comporte cette exigence là.

Notes

  • Entretien réalisé pour « Les Afriques Diplomatie », No 25, mai 2015, P. 3